Préparer une année de catéchèse
Parler de catéchèse ou de tout autre domaine, c’est se poser en vérité les questions du « pourquoi » et du « comment », du « en fonction de quoi » on peut commencer à parler. Le commencement, c’est l’acte de poser les questions. Alors il est possible de débuter en soulevant ce qui pourrait paraître comme l’objet d’une sorte de polémique : que peut signifier l’expression « j’enseigne la catéchèse » ?
Peut-on enseigner la catéchèse ?
Il faudrait d’abord se poser les questions de vocabulaire et de grammaire les plus élémentaires…
- Catéchèse
Ce terme implique la détermination du champ d’investigation et de recherche. Il présuppose qu’il y a bien une catéchèse, même si ce terme est souvent mal défini. Selon l’étymologie, ce serait littéralement un enseignement qui se fait de haut en bas, de celui qui possède un savoir et qui doit le communiquer aux autres, un enseignement du maître à son disciple, alors que la plupart du temps, ceux qui se présentent comme catéchistes ou catéchètes (les deux termes sont équivalents) souhaitent plutôt faire remonter le savoir de bas en haut, de sorte que l’enseigné aurait déjà en lui toutes les notions, et qu’il suffirait de les lui faire remonter à l’intelligence, dans ce que Socrate appelait la « maïeutique », c’est-à-dire pour faire bref, l’accouchement des esprits. Chacun se fait une sorte de représentation de ce que peut être l’objet de cette « matière », si bien que la question de la signification d’un engagement dans ce type d’activité ne se pose que parce que nous avons déjà des réponses, ou du moins que nous les présupposons.
Habituellement, on pense que la catéchèse, c’est la transmission de la foi notamment pour les jeunes générations, ce qu’on appelait naguère le catéchisme. Elle leur permet de se rencontrer, en petits groupes autour d’un animateur, afin d’approfondir la foi, de réfléchir sur leur vie et sur le monde, à la lumière de l'Évangile, de recevoir des éléments de culture religieuse indispensables à l'intelligence de la foi, de rencontrer des témoins et de faire l'expérience de la prière. Ce mot peu fréquent de catéchèse, issu du grec, désigne l’action de lancer un message qui s’efforce de trouver un écho, un peu comme lorsque l’on hausse la voix en attendant la résonance que renvoie une forme rocheuse…
Mais elle prend aussi une place considérable dans la société adulte. Et dans ce cas, l'éducation de la foi des adultes rime souvent avec enseignement et instruction. Éduquer signifie alors : rendre accessible à un large public un certain savoir théologique. En ce sens, l'éducation de la foi des adultes est axée surtout sur l'information, la clarification des données et la compréhension du message chrétien. Mais il est évident que les méthodes traditionnelles, comme l’académisme des facultés de théologie ou comme la vulgarisation, ne peuvent aider totalement à répondre aux besoins exprimés par ces adultes…
Pour en revenir au propos initial (de l’enseignement en catéchèse), c’est à partir de l’idée que nous nous en faisons de la réponse que nous posons la question : les questions n’existent que parce que les réponses existent. Et si les questions peuvent changer, c'est aussi parce que les réponses ont aussi changé. La démarche peut paraître « idéaliste ». Pourtant, pastoralement, elle semble manifester un désir de convertir les gens à nos propres questions.
- La
On ne parle plus simplement de réponses, mais de la réponse. On présuppose qu'il y a déjà une catéchèse, qui existe en une sorte de discours unique parfaitement constitué. Mais, en fait, il y a des catéchèses différentes. Si la catéchèse était achevée, en droit, elle serait terminée. Elle serait alors facilement spéculaire, obsessionnelle, tournant sur elle-même, n'ayant pas d’instance critique. La catéchèse deviendrait alors très « cléricale », elle appartiendrait à ceux qui connaissent, à ceux qui savent, elle serait totalitaire, elle assignerait sa place à ce qui n'est pas elle, en rejetant ou en intégrant tel ou tel type de doctrines, de connaissances.
- Enseigne
Si la catéchèse est un corps de doctrines, elle ne devrait tendre qu'à être connue. Pour se faire connaître, elle a besoin de médiateurs. On aboutit à une transmission d'idées. Où et quand rencontre-t-on l'objet à propos duquel on acquiert des connaissances. Ce ne peut être dans la catéchèse elle-même, ce ne peut être que dans la foi. Si la catéchèse est une affaire de foi, il faut se poser la question de savoir si la foi s'enseigne.
- J’
On peut être professeur de théologie sans être croyant. Il n'y a pas besoin de professeur de théologie, il suffit de lire et de répéter... Il en va de même pour la matière catéchétique. Si l’on accepte de considérer la catéchèse comme une matière d’enseignement, cela ne peut se traduire que dans le fait de répéter des connaissances acquises et répétées. Il faut accepter de s'interroger, de se laisser mettre en question au point même d’accepter de perdre tout de son « ego » : le « je » fait place au « j’ » signe que celui qui énonce les connaissances est appelé à disparaître derrière les doctrines qu’il professe.
Au terme de cette entrée en matière polémique, il convient de dire qu’il n’est plus possible d’affirmer « j’enseigne la catéchèse », puisque celle-ci ne saurait être une matière d’enseignement, comme peut l’être la « culture religieuse ». La catéchèse ne peut être qu’une proposition faite de quelque chose que nous ne possédons pas, mais qui nous possède réellement et totalement : la foi en Jésus-Christ.
Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile !
Alors peut se poser la question d’une distinction entre « croire » et « savoir ». En réalité, il n'y a pas opposition entre ces deux notions mais plutôt une conjugaison. Le « croire » repose plus sur la notion de confiance, peut-être même
d'abandon à quelque chose (comme le « savoir ») qui nous dépasse. En cela le passage au « croire », à la foi, est intimement lié à une expérience de fidélité, d'espérance et d'Amour. Jamais l’enseignement catéchétique ne pourra donner la foi ! Le « savoir » n'est cependant pas exclu mais il n'est pas essentiel parce que le « croire » apparaît comme la lumière intérieure qui peut guider les cœurs et les esprits.Le catéchiste n’est pas l’homme d’un « savoir », mais l’homme du « croire » et son enseignement ne peut être que la transparence, dans les actes de sa vie, de ce qu’il croit au plus profond de lui-même.
L’objectif premier est d’annoncer Jésus-Christ : « Malheur à moi si je n’annonce pas Jésus-Christ ». Là aussi, il faudrait analyser chaque terme de la proposition « j’annonce Jésus-Christ » : il n’y a qu’un seul Jésus qui a été fait « Seigneur et Christ » par la puissance de Dieu, lors de la résurrection, il n’y a pas un enseignement, mais simplement une proclamation à la manière du Baptiste qui s’efface aussi totalement devant « celui qui doit venir »…
De ce fait, l'évangélisation est la première tâche de tout chrétien : elle est invitation à croire, appel à la conversion. C’est pourquoi on n’est pas, on ne naît pas chrétien, on le devient ! L’étape de l'évangélisation, de l'annonce d'une Bonne Nouvelle est capitale pour chacun. Il importe que tous les hommes, de tous les temps, sachent que la Nouvelle qui concerne Dieu est une Bonne Nouvelle et non pas une source d'oppression. Jésus-Christ libère, il n'opprime pas.
En conséquence, la catéchèse ne peut être que seconde, en ce sens qu’elle doit suivre l'évangélisation. Il est dommageable que, dans l’histoire de l’Eglise, beaucoup d’hommes et de femmes aient été catéchisés sans jamais avoir été évangélisés ; cela a eu pour effet de réduire la foi chrétienne une sorte de code moralisateur manquant de souffle et d’âme. Nous portons encore actuellement les conséquences d’une telle vision des choses…
La catéchèse a pour tâche de conduire les hommes vers une foi consciente, vivante et agissante, mais elle ne peut précéder la foi. De plus, le contenu de la catéchèse n'est pas une matière d'enseignement, à l'image des sciences profanes. Car son contenu, c'est la Parole de Dieu, et cette Parole est une Parole Vivante, puisqu'elle est donnée en Jésus-Christ, mort et ressuscité. La catéchèse ne saurait donc être une sorte de programmation de l'enseignement de Jésus. Elle est d'abord écoute de la Parole et mise en oeuvre de cette Parole au cours de l'existence humaine. Il s'ensuit que la catéchèse n'est rien, si le catéchiste ne communique pas, à travers elle, sa foi personnelle et vivante.
Paul chez les Athéniens
Regardant ce qui se cherche à l'heure actuelle dans le monde de la catéchèse, il semble que beaucoup de chrétiens cherchent à agir comme Paul a agi devant l’Aréopage d’Athènes. Les intellectuels réunis sur la place publique n’ont pas l’air d’apprécier le compliment que vient de leur adresser Paul : « Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes ». Ces sages ne méprisent pas réellement la religion, ils la considèrent comme un cérémonial socialement nécessaire ; mais, stoïciens ou épicuriens, ils ne comptent pas trop sur les dieux, menés eux-mêmes par le Destin. Aussi ont-ils trouvé bien arrogant cet étranger qui prétend leur apporter une révélation : « ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer ».
Jamais aucun peuple n’est entré en conflit avec Dieu, mais tous ont reconnu la puissance divine, d’une manière ou d’une autre. Certes ils vénéraient des divinités païennes, tout en reconnaissant l’existence d’une puissance supérieure. Tel était le cas chez les Athéniens. Quelques philosophes (sans doute des épicuriens et des stoïciens) sont amenés à débattre avec Paul, qui annonçait une divinité qui leur était étrangère, même s’ils la vénéraient sans la connaître, puisque parmi tous les monuments de la ville, il a découvert un autel portant cette inscription : A un dieu inconnu. Aussi Paul s’empresse-t-il de leur faire découvrir ce Dieu qui a créé l’univers, qui est le Seigneur du ciel et de la terre, et qui n’habite pas dans des temples bâtis de mains d’hommes ».
Paul s’est trompé. En ce haut lieu de l’intelligence, impressionné par les souvenirs glorieux de cette ville illustre, il a voulu présenter à ces philosophes nourris de raisonnements, un dieu à leur manière. Sa prédication, s’appuyant sur la culture grecque, va se solder par un échec, puisqu’il n’annonce pas directement le message, mais passe par des subterfuges. Était-ce simple artifice de rhétorique, ou bien a-t-il cru un instant que le dieu de Jésus-Christ pouvait s’accorder au concept grec de « theos », « le moteur immobile qui meut le monde » selon Aristote, « le Bien absolu » de Platon ? En tout cas, les universitaires de l’Aréopage n’ont pas apprécié ce détournement de fond culturel. Dès que la réalité du vrai Dieu est mise en retrait au profit de thèses purement spéculatives, on constate que la prédication se solde par un échec. Ce que Paul finissait par annoncer devant les Athéniens n’était pas le vrai Dieu, mais le dieu des philosophies et des mythologies.
L'homme moderne est un homme religieux et, comme Paul à Athènes, nombreux sont ceux qui veulent l'aider à découvrir en lui la soif qu'il ignore. Plutôt que de chercher des explications et des commentaires de la Parole, il est préférable de transmettre la Bonne Nouvelle de manière concrète et authentique. Même si la croyance est inscrite au cœur de l’homme, Dieu ne se laisse pas rejoindre par des raisonnements plus ou moins spécieux.
Paul le comprendra rapidement au point d’écrire : « Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la "philosophie", selon une tradition tout humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ » Et encore, quand il se présente aux Corinthiens : « Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n'ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Moi-même, je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant, et ma parole et mon message n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c'était une démonstration d'Esprit et de puissance, pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ».
Il est intéressant de noter que l'apôtre Paul a écrit sa première lettre aux Corinthiens après son expérience à Athènes. Le message qu'il avait prêché dans cette ville était différent de tous les autres messages que nous trouvons dans les Actes des Apôtres. L'apôtre Paul nous a habitués à une prédication simple et proclamatrice, le message à Athènes était plus complexe et il n’a eu que peu de succès. Dans ce contexte, il écrit aux Corinthiens qu'il n'est allé leur annoncer que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.
Un appel à la simplicité et à la clarté retentit aujourd'hui et doit être entendu par les prédicateurs de toutes les époques et de tous les milieux. Trop souvent préoccupés par les contextes historiques, le désir qu’ils ont d'étaler leurs connaissances ou de rester dans la droite ligne de la doctrine, ils oublient facilement que le message est clair et simple : il a nom « Jésus-Christ ».
Dès les débuts de la prédication apostolique, la philosophie, le savoir intellectuel sont mis sur le côté pour laisser parler la seule sagesse divine possible, que Paul lui-même qualifie de « folie » aux yeux des hommes. Celui qui annonce Jésus-Christ et son message n’a pas à en chercher une vaine gloire ni à penser que c’est sa prédication qui engendre la foi. Ce qui revient à dire, pour le propos qui nous occupe, que la meilleure des catéchèses est incapable de donner la foi.
Dans la ville d’Athènes, une occasion a été manquée, celle de la rencontre entre les deux traditions : philosophie et spiritualité. Paul est renvoyé au fond de sa synagogue, à ses débats sans fin avec les autres juifs. Et il n’y aura pas d’Église à Athènes. Les grecs continueront à ressasser les gloires de la philosophie et à sombrer dans la recherche des mystères de la vie.
Le moment n’était pas encore venu pour cette rencontre. Heureusement car la pensée chrétienne n’en était encore qu’à ses balbutiements et la pensée grecque devenait déliquescente. Un succès de Paul ce jour-là aurait pu conduire le christianisme naissant sur de fausses pistes intellectuelles. De l’échec de Paul naîtra plus tard la synthèse des penseurs chrétiens du Moyen-Âge qui permettra que la raison et la foi ne soient plus des ennemies mais au contraire deviennent compatibles l’une avec l’autre.
Dieu en catéchèse
En raison de l’évolution de la catéchèse depuis une cinquantaine d’années, avec l’attention portée à la pédagogie, à la psychologie des enfants et à la prise en compte des milieux non évangélisés (plutôt que "déchristianisés"), il devient légitime de faire évoluer la question : « Comment parler de Dieu aujourd’hui ? » en une interrogation beaucoup plus abrupte : « De quel Dieu parle-t-on en catéchèse aujourd’hui ? » Cela est particulièrement sensible au regard de la multiplicité des courants religieux ou spirituels qui influencent la société. Quel Dieu, quel visage de Dieu propose-t-on aux enfants et aux jeunes ?
La catéchèse, et c’est sans doute ce qui la distingue du catéchisme, n’est pas d’abord un corps de doctrines mais une démarche, un parcours, un chemin fait en Église. Le message chrétien apprend à cet homme quelque chose de Dieu, non pas d'un Dieu lointain, comme pourrait l'être celui des différentes philosophies, mais d'un Dieu qui s'est fait proche des hommes, tout au long d'une histoire. Il est le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et de Jacob, le Dieu qui s'est révélé à Moïse au Sinaï, il est le Dieu de Jésus-Christ, comme il est, par ailleurs, le Dieu de Mahomet. La conception de Dieu, dans le christianisme, conception qu'il partage, à certains égards, avec le judaïsme et l'islam, est celle d'un Dieu qui agit, d'un Dieu qui a un souci personnel de l'homme, d'un Dieu qui s'engage, dans une alliance, avec des hommes concrets.
Le message chrétien, même s'il est adressé à l'homme, est un message qui parle de Dieu, de ce Dieu qui entreprend d'agir pour l'homme et avec l'homme. Et la forme la plus achevée de ce message, la révélation la plus définitive s'est faite en Jésus. La mission de celui-ci se situe historiquement et géographiquement, elle est limitée dans le temps et dans l'espace. Et pourtant, le message dont il était porteur doit se transmettre à travers les siècles et jusqu'aux extrémités du monde jusqu'à son achèvement, dans une Eglise animée par l'Esprit même de Dieu. Chaque homme est invité à mettre sa foi dans le Christ, à croire en sa parole afin d'obtenir le salut, en conformant son existence à son message. Pourtant, il ne manque pas de philosophies ou d’idéologies pour enseigner l'amour, le sens de la vie, la valeur de la liberté...
Mais en analysant les textes du Nouveau Testament, on ne découvre pas une idéologie, ni même un enseignement parfaitement structuré. C’est ainsi que la figure de Jésus apparaît paradoxale. Il prend une liberté religieuse incroyable quand il parle de Dieu comme son Père (l’appelant du diminutif Abba qui pourrait se traduire par : papa), quand il critique les lois religieuses et qu’il entre en contact avec les marginaux de son temps, quand il manifeste une incroyable autorité en racontant les paraboles du Royaume de Dieu ou en guérissant des malades ou en pardonnant les péchés (alors que celui qui est habilité pour pardonner les péchés ne peut être que Dieu lui-même). Tout cela témoigne d'un rapport paradoxal au divin. A la fois "dépendant" et "autonome", Jésus révèle Dieu en le cachant. Son agir, tout comme ses paroles font de lui un paradoxe : « para - doxon » veut dire : « contraire à l'opinion commune ».
Le théologien catholique Hans Küng, dans une note apologétique, exprime ce paradoxe : il souligne que Jésus n’était ni prêtre, ni meneur de révolution, ni moine ascétique, ni moraliste scrupuleux, mais qu’il défie tous les camps à la fois. « Il représente un défi lancé à la droite comme à la gauche : manifestement plus proche de Dieu que les prêtres, plus libre à l'égard du monde que les ascètes, plus moral que les moralistes, plus révolutionnaire que les révolutionnaires, Jésus fait éclater tous les schémas ». En somme, le Christ Jésus est toujours ailleurs que là où on l’attend, ce qui implique un refus d’enfermement dans des définitions fermées. Jésus est autre, il est le Tout-Autre, totalement différent du monde des objets : il ne se laisse pas enfermer dans des constructions humaines, même pas dans une tente, même pas dans un tombeau. Jésus n'a pas de « domicile fixe ». Pourtant, il est partout chez lui, à commencer par le cœur de l'homme.
Une simple étude sur la vie de Jésus, en tant que personnage historique, dont il ne reste d'ailleurs guère de traces en dehors des écrits du Nouveau Testament, ne saurait être chrétienne ; de même, une description de ce que pourrait être la vie de la deuxième personne de la Trinité, indépendamment de l'existence concrète de Jésus de Nazareth, ne saurait recouvrir la spécificité chrétienne, mais tomberait ipso facto dans la pure spéculation gnostique. Il faut sans cesse tenir les deux extrémités, en affirmant et en reconnaissant que cet homme déterminé qu’était Jésus est bien le Fils unique de Dieu, et en même temps que le Verbe de Dieu, sa Parole éternelle, s’est incarné dans cet homme particulier qu’était Jésus de Nazareth.
Être chrétien, c'est souligner l'aspect de la mort et de la résurrection du Christ Jésus. Et de plus, l'accent peut être mis sur la mort elle-même de ce Jésus, cette mise à mort n'est pas insignifiante, c'est une mort qui passe par la souffrance d'être réprouvé de tous, une mort qui passe par le supplice de la croix, avec toute l'abjection que pouvait avoir cette forme d'exécution capitale... La victoire du Christ sur la mort, c'est aussi la victoire sur cette abjection, sur ce rejet de la société, sur l'infamie, sur la méchanceté, sur l'ignominie, sur la déréliction même et l'abandon de tous. A la limite, il serait permis de penser que la croix est la manifestation même de ce que d'aucuns appelleraient « l'essence du christianisme ». Ce n'est pas pour rien que, lorsqu'un archéologue rencontre une croix, il lui est possible d'affirmer, avec une certitude absolue, qu'il traverse une civilisation chrétienne. Ce signe de la croix est vraisemblablement un des critères les plus spécifiques de la foi chrétienne, telle qu'elle a été reçue des apôtres et transmise par leurs successeurs.
Cette foi, reçue comme message fondateur du christianisme, nous apprend aussi que ceux qui l'ont reçue sont transformés. Ils vivent désormais dans la mouvance même de l'Esprit de Jésus et il leur revient de transmettre ce qu’ils ont reçu.
Pourtant, il faut toujours faire preuve de vigilance, de prudence et de discernement, dans « l’enseignement » de la foi. Il est de la responsabilité de tout pasteur, de tout responsable d’église ou de tout catéchiste d’annoncer la saine doctrine et de dénoncer les fausses doctrines. Ce sont toujours ceux qui manquent de prudence ou de maturité dans leur jugement spirituel ou ceux qui sont trop crédules qui sont susceptibles d’être trompés : il est important de connaître l’Écriture, de s’appuyer sur la Parole de Dieu au lieu de se laisser bercer par des interprétations qui peuvent être erronées. C’est la Parole de Dieu qui est vérité et qui rend libres.
Le message chrétien fait vivre les hommes qui le reçoivent dans une communion d'amour, instaurant ainsi un nouveau type de rapport entre les hommes, selon ce que Jésus annonçait aux jours de sa vie terrestre ; désormais, le Royaume de Dieu se construit dans le monde, il est proclamé et il se proclame à toutes les nations. C'est ce qui constitue la tâche de l'Église, indépendamment des confessions chrétiennes différentes.
Faut-il croire en l'Église ?
En raison des vicissitudes qu'a pu connaître l'Église, au cours de sa longue histoire, apparaissant comme une instance de régulation du sentiment religieux éprouvé par les hommes mais aussi parfois comme une puissance de domination sur les croyants, il est légitime de s'interroger sur la nécessité de la foi en l'Église.
Le terme d'Église est un mot emprunté au vocabulaire grec profane « ekklesia », pour exprimer un terme hébreu (lhaq, qahal), signifiant : une convocation. Ekklesia a donc d'abord deux sens : d'abord, un rassemblement d'hommes sur convocation personnelle, et, ensuite, peuple rassemblé et organisé par cette démarche commune. Ces deux sens conviennent à ce que peut et doit être l'Église de Jésus-Christ, l'Eglise chrétienne, celle qui peut servir d'exemple pour exprimer le double caractère de la démarche religieuse.
En effet, la foi est composée d'un élément éminemment subjectif, celui de la relation personnelle d'un homme à celui qu'il nomme son Dieu, et d'un élément particulièrement objectif, celui de la médiation par une communauté de la dite relation. Et il importe à chacun d'exprimer sa relation à Dieu dans le cadre même de cette médiation ; l'homme n'est pas seul, il ne saurait être enfermé à l'intérieur de lui-même pour résoudre l'énigme du Dieu qui traverse son existence. Dans le christianisme, comme dans le judaïsme et en islam, le rôle de la communauté des croyants est précisément d'actualiser la foi de chacun des fidèles aux réalités du monde présent.
Le chrétien est celui qui répond à une invitation, à un appel de Dieu ; il se retrouve ainsi en Eglise. En ce sens, on ne se rallie pas à l'Église comme on pourrait se rallier à un parti politique de quelque nature qu'il soit, mais on se rallie à Dieu, en réponse à son appel, par la médiation de l'institution ecclésiale. L’Église n'a donc aucun besoin objectif de faire de la propagande ou du recrutement pour accroître sa propre puissance ; elle est simplement un moyen qui permet aux hommes d'exprimer leur relation à Dieu d'une manière visible.
Il est alors évident que l'Eglise ne peut s'enfermer dans une dimension purement sociale, comme un groupe politique, comme une force culturelle ou comme un témoin du passé... Elle est, avant tout et par-dessus tout, une communauté de foi ; elle se caractérise par une très grande liberté ; le chrétien est un homme libre, un homme qui ne peut se laisser enfermer dans une structure aliénante.
Les « laboratoires » de la foi
Mais le fait de parler de liberté ne signifie pas « absence de règles » qui permettent justement à la liberté chrétienne de s’exercer. Il faudrait alors travailler dans des directions complémentaires qui sont comme les clés de toute catéchèse authentiquement chrétienne : l’initiation, l’intelligence de la foi et l’incorporation dans la communauté.
L’initiation permet de découvrir le langage de la foi, non seulement ce langage qui s’exprime dans des livres ou des idéologies dogmatiques, mais aussi ce langage qui s’exprime dans le patrimoine culturel et artistique. Il n’est pas possible de comprendre certaines œuvres littéraires ou picturales sans avoir un acquis religieux ou biblique, de la même façon qu’une connaissance de la mythologie gréco-romaine ou égyptienne est nécessaire pour comprendre d’autres œuvres. C’est la raison pour laquelle l’initiation est une exigence fondamentale.
L’intelligence de la foi, c’est de pouvoir comprendre ce que l’on croit et d’être capable de le réfléchir dans un monde tournant facilement en dérision ce qui n’est pas conforme à une certaine « tendance », à une certaine mode ou dans une société contraignant au silence sur tout ce qui pourrait avoir trait à une expression religieuse quelconque sous prétexte de laïcité par exemple. Cette recherche de l’intelligence de la foi a pris une expansion considérable dans l’Église, au point de faire naître des lieux, des ateliers ou des centres (peu importe le nom qui est donné) de formation, ce qui n’est pas mauvais en soi, sauf si on fait rimer l'éducation de la foi avec enseignement et instruction. Éduquer, dans cette perspective, signifie « rendre accessible un certain savoir théologique ». Et on se limite rapidement à la simple information, au mieux à la clarification des données et la compréhension du message chrétien. Mais la transmission d'un savoir ou la vulgarisation théologique ne peuvent à eux seuls aider à trouver une identité chrétienne ou à faire progresser la recherche spirituelle. La foi ne peut se résumer au seul savoir, même s’il est transmis par les meilleurs spécialistes. Il conviendrait plutôt d’accompagner les personnes en recherche (jeunes ou adultes) pour leur permettre d’intégrer leur foi personnelle en cohérence avec le message chrétien.
Car ce qui compte, avant tout, c’est l’incorporation à une communauté. Il n’est pas possible de nourrir ni de cultiver sa foi sans une relation à un ensemble de personnes qui ont accueilli un même appel et qui y répondent aussi de manière personnelle. Depuis le deuxième concile du Vatican, il a été possible de redécouvrir la dimension importante de la notion de « peuple de Dieu », ce qui a permis de dépasser la manière individualiste de vivre sa foi : en clair, cela signifie que le salut est destiné non pas à l'individu isolé, mais à une communauté dans laquelle l'individu entre et est reçu. Cette communauté ne naît pas de la réunion de personnes qui auraient au départ les mêmes sentiments religieux. L'Église est antérieure à l'individu qui y entre : il y est reçu, il grandit en elle, il est porté par elle et assume lui-même une responsabilité à son égard. On ne naît pas membre de l'Église ; on est incorporé à elle par la foi et par le baptême, qui est le sacrement de la foi et de la naissance à une vie nouvelle qui est celle du Royaume de Dieu. En effet, à la fin des temps, quand Dieu sera tout en tous, il n'y aura plus besoin de l'Église comme moyen de salut. En dépit de tout ce qu'elle doit attester, l'Église en tant que peuple de Dieu vit de la proclamation qu'elle n'est pas elle-même le but à atteindre.
Alors il serait judicieux de créer ce que Jean-Paul II, appelait des « laboratoires de la foi » pour désigner la manière dont le Christ travaillait la foi de ses disciples pour les amener à reconnaître qu’il est le sauveur, le Fils du Dieu vivant. Le terme de « laboratoire » ne renvoie pas à une image traditionnelle du langage de la foi. Le mot n'a pas de sources directes ni dans l'Écriture, ni dans la dogmatique, ni dans la patristique. Le « laboratoire » est une image moderne, propre à un monde façonné par les découvertes de la science et de ses applications. Il est lié au dynamisme de la recherche. Un laboratoire est aussi un lieu de travail où s'affairent des hommes et des femmes, en charge d'un projet commun. On s'y livre à des calculs minutieux qu'il faut préparer, analyser et vérifier. Ceux qui travaillent dans des laboratoires ne se distinguent les uns des autres ni par le vêtement ni par des signes d’autorité… C'est dans une ambiance d'équipe que tous sont invités à travailler sur des données communes. Chacun doit s'employer à se forger ses convictions, à se montrer rigoureux, à stimuler son imagination en multipliant les combinaisons et en variant les approches, pour parvenir à un résultat.
Dans cette perspective, le travail d’évangélisation à effectuer serait celui d’une maturation de la foi chrétienne, en conformité par exemple avec ce qui pouvait se vivre dans la première communauté chrétienne, même si la présentation faite par les Actes des apôtres peut paraître idyllique : vie fraternelle, étude, prière. Les obstacles à une telle forme d'évangélisation sont nombreux : recherche avant tout de l'avoir, du plaisir, de l'égoïsme. Pour les surmonter, le rôle des éducateurs et avant tout des familles est fondamental, parce qu’évangéliser ce n’est pas seulement transmettre la Bonne Nouvelle, c’est réussir à faire que la personne qui est évangélisée devienne elle-même Bonne Nouvelle. C’est de cette manière que le Christ est vivant aujourd’hui.