La dévotion envers Marie

 

 

Marie, la mère de Jésus de Nazareth, n’est mentionnée que de façon discrète dans la littérature néo-testamentaire. En revanche, en tant que personne faisant l’objet de culte et de vénération, elle occupe une place éminente dans la foi et la spiritualité chrétiennes. Cette constatation soulève une foule de questions qui relèvent de l’exégèse biblique et de la théologie, de l’histoire comparée des religions et de l’histoire des dogmes, de la psychologie et de la sociologie religieuses. Il est difficile, sinon impossible, de faire le départ entre les éléments qui permettent de situer Marie en tant que personnage historique et ceux qui proviennent de la légende accréditée par la prolifération des évangiles apocryphes, ou ceux qui sont le fruit de la spéculation religieuse. Les textes évangéliques témoignent de l’existence d’une tradition mariale établie dans les premières communautés. Le développement de la piété mariale populaire a précédé celui de la doctrine.

 

La dévotion à la Vierge semble naturelle pour tout catholique, et n’avoir pas besoin d’explication, encore moins de justification. Mais il serait insuffisant de se contenter d’idées préconçues ou de tendances sentimentales. La Vierge Marie est partie prenante de notre foi et de notre prière. Il nous faut connaître ce que l’Église nous enseigne à son sujet, et l’attitude authentique qui devrait être la nôtre envers elle.

 

Une certaine forme de dévotion mariale, d’un passé encore récent, a fini par dégénérer en superstition, transformant, par exemple, les médailles de la Vierge en véritables amulettes protectrices. D’autre par, une certaine théologie mariale, après avoir exalté au maximum la Mère de Jésus, a voulu faire de celle-ci une simple femme comme toutes les autres. Marie était devenue inabordable, inimitable, elle est devenue semblable à toutes les jeunes femmes de son temps... Pourtant, il convient de relire, dans l’Evangile, ce qui concerne Marie. Sous des apparences qui la rendaient identique aux femmes de son époque, elle en est cependant radicalement différente.

 

L’Église croit à la virginité de Marie, cette croyance est exprimée dans le credo : « Je crois en Jésus Christ... né de la Vierge Marie ». Au concile d’Éphèse, en 431, la foi s’est aussi formulée dans un autre dogme, celui de la Maternité divine : Marie est « Theotokos », la Mère de Dieu. Sensible à la foi des catholiques, Pie IX, en 1854, a proclamé dogme de foi l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. Pie XII, en 1950, l’imitait en définissant l’Assomption de Marie. Tels sont les quatre dogmes au sujet de Marie : sa virginité, sa maternité divine, son immaculée conception, son assomption glorieuse. D’autres privilèges sont à sa louange : « Toutes les générations me proclameront bienheureuse, car le Seigneur a fait pour moi de grandes choses »[1].

 

1 - Vie de la Vierge

A vrai dire, on connaît fort peu de choses sur la vie même de la Mère de Jésus. S’il fallait un portrait de la Vierge d’après les Évangiles, il faudrait dire que Marie a mené une vie pauvre, simple et pieuse. Descendante de David, par des ancêtres sans notoriété, fiancée au charpentier Joseph, habitant la bourgade insignifiante de Nazareth. On pourrait aussi noter sa présence aux moments importants de l’œuvre et de la vie du Christ : l’annonciation, la naissance de Jésus, les noces de Cana ou Jésus inaugure son ministère public. Elle sera aussi au pied de la Croix ou Jésus meurt pour le salut du monde, comme elle sera avec les disciples lors de la fondation de l’Église le jour de la Pentecôte.

 

« Quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme... »[2]. Dans ce bref extrait de la lettre de saint Paul aux Galates, il n’est nullement fait mention d’une conception virginale de Jésus. Le « être né d’une femme » est une expression typiquement biblique pour souligner la pauvreté radicale de la condition humaine, son impuissance et même parfois son impureté. Par ces termes, Paul ne fait rien d’autre qu’insister sur la réalité profonde de l’incarnation du Fils de Dieu : le Christ s’est inséré dans la condition humaine, jusque dans sa bassesse.

 

Chronologiquement, dans l’ordre de rédaction des écrits néo-testamentaires, c’est la première fois qu’il est fait allusion à la Mère de Jésus, sans la mentionner explicitement d’ailleurs, sans lui attribuer un rôle spécifique ou des privilèges particuliers. Il n’y a pas lieu de s’en étonner si l’on songe que la première prédication apostolique ne s’est jamais arrêtée sur la personne de Marie : toute la prédication de l’Eglise naissante était en effet centrée sur Jésus-Christ, et particulièrement sur le mystère de sa mort et de sa résurrection, bien plus que sur les événements qui avaient pu constituer son existence terrestre. Marie n’est donc pas « un sujet intéressant » pour la première proclamation de l’Évangile.

 

Néanmoins, certains auteurs contemporains pensent, malgré tout, que le « est né d’une femme » souligne déjà quelque peu la naissance virginale de Jésus. Ils en appellent aux coutumes et lois antiques selon lesquelles c’était le père qui reconnaissait l’enfant d’une femme : l’appartenance à une famille se faisait uniquement par une reconnaissance de paternité. La première mention d’une femme comme Mère de Jésus, indépendamment de toute reconnaissance paternelle, pourrait très bien être le signe qui appelle à une réflexion plus approfondie sur les privilèges de Marie : la naissance de Jésus ne serait pas le fait et l’œuvre d’un homme. La question est ainsi ouverte, dès les premières années de la prédication apostolique.

 

Les textes néo-testamentaires qui font connaître Marie se rapportent principalement à la naissance et à l’enfance de Jésus, dans les évangiles selon Matthieu et Luc, qui retracent ces événements : annonciation, visitation, naissance de Jésus, adoration des bergers et des mages, présentation de Jésus au Temple, fuite en Egypte, retour à Nazareth et pèlerinage à Jérusalem quand Jésus atteint sa majorité religieuse et légale. Marie est également présente à Cana, elle se rend aussi à Capharnaüm avec sa famille pour y rencontrer Jésus, elle est présente au pied de la croix, puis, elle se trouve en prière avec les apôtres après la résurrection. Si l’on exclut le cantique évangélique de Marie[3], les évangiles canoniques rapportent uniquement cinq paroles de la Vierge : ses réponses à l’envoyé de Dieu, lors de l’Annonciation : « Comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? »[4], « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit »[5] ; son reproche à Jésus perdu au Temple de Jérusalem : « Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Vois, ton père et moi, nous te cherchions tout angoissés »[6] ; son intervention à Cana : « Ils n’ont plus de vin… Quoi qu’il vous dise, faites-le »[7].

 

Par ces cinq paroles, on n’apprend que très peu de choses sur la vie de Marie, bien qu’il soit possible de constater que chacune de ces paroles se situe dans le cadre d’un authentique dialogue, celui-ci refusant toujours d’en rester à de simples questions d’ordre personnel. La parole de Marie, comme la Parole de Dieu, est aussitôt ouverture à l’autre. Cette attitude de Marie se saisit immédiatement dans le rapport qu’elle pouvait avoir avec la Parole de Dieu, qu’elle méditait dans son cœur, non seulement celle qu’elle pouvait connaître par la lecture de la Bible, mais surtout celle qui lui était adressait par les événements de la vie la plus simple : « Sa mère gardait tous ces événements dans son cœur »[8]. Ce que l’évangéliste Luc retient de l’attitude de Marie se résume en ces quelques mots qui traduisent une attitude féminine et maternelle, mais aussi signifie le propre d’une femme profondément croyante, attentive à discerner les signes de Dieu, dans sa vie et dans sa prière... Au-delà des circonstances du moment, Marie cherche à discerner ce que Dieu attend d’elle.

 

Bien que Marie se soit située dans la ligne de l’accomplissement de la volonté divine, bien qu’elle ait accepté de prendre sa place dans le déroulement du dessein de Dieu, elle ne comprend pas rationnellement tous les éléments de cette volonté ou de ce dessein. Toutefois malgré son ignorance, elle accepte de se soumettre à l’incompréhensible, tel qu’il lui est déjà quelque peu manifesté à travers la Parole de Dieu qu’elle méditait en son cœur.

 

2 - Histoire du culte marial

Dans les premiers siècles, on parle peu de la Vierge, toute l’attention est centrée sur le Christ. Mais on en vient à parler de Marie comme la nouvelle Eve, qui présente une possibilité de salut alors que la première l’avait perdu. Naissent ensuite des discussions sur ce qu’il faut dire au sujet de Marie.

 

Historiquement, on peut caractériser trois périodes. La première, à partir du deuxième siècle, s’achève au cinquième avec les deux conciles christologiques d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Dans la ligne des symboles trinitaires, le rôle de Marie se limite à l’Incarnation et n’est envisagé que par rapport au Christ « conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie ». À Éphèse, Marie sera proclamée « mère de Dieu »[9], dans le contexte du dogme des deux natures dans le Christ[10]. La maternité divine de Marie sert d’argument théologique. Dans la tradition patristique se développe un processus qui, prenant Marie comme objet de méditation, utilise l’interprétation allégorique de l’Écriture. Le thème essentiel en est le parallèle entre Ève et Marie. Celle-ci apparaît comme la « nouvelle Ève », réparatrice de la faute originelle de l’humanité et jouant dans l’économie du salut un rôle actif, à la fois par son obéissance de foi à la Parole de Dieu et par sa sainteté exprimée par sa virginité (dans et après l’enfantement).

 

En une deuxième période qui va du cinquième siècle au seizième, l’intérêt se concentre plus sur la personne, les mérites et les privilèges de Marie. A partir du cinquième siècle et jusqu’au onzième siècle se développent de nombreuses fêtes liturgiques en l’honneur de Marie. La virginité perpétuelle donne lieu à maintes polémiques à travers lesquelles se formera la croyance à l’Immaculée, préservée dès sa naissance du péché originel et de ses souillures, préservée aussi de la corruption corporelle et de la mort. C’est surtout à travers la liturgie et la célébration des fêtes mariales que se développe la vénération de Marie. L’usage de l’ « Ave Maria », à côté du « Pater », encourage et justifie la croyance en l’efficacité de l’intercession de Marie. C’est l’époque d’un grand essor de la dévotion mariale. On développe son rôle dans l’enfance de Jésus, au pied de la Croix et son intercession pour l’Église, sans que soit parfaitement établi le lien avec l’Ecriture.

 

À partir du seizième siècle, les conflits puis les ruptures de la Réforme ont pour effet de déséquilibrer la spiritualité et la théologie mariales, sur lesquelles le concile de Trente (1545-1563) ne se prononce guère. De nombreux courants de théologie mystique tendent de plus en plus à faire de la mariologie un « traité séparé », sans lien direct avec le reste de la doctrine chrétienne, la christologie en particulier, et devenant par elle-même source d’inspiration, de vie intérieure personnelle dans l’intimité avec la « médiatrice de toutes les grâces », la mère spirituelle de tous les croyants. La promulgation en 1950 par Pie XII du dogme de l’Assomption et l’institution des « années mariales » consacreront la glorification de Marie, reine du ciel et digne de recevoir le titre de « co-rédemptrice » et de « mère de tous les hommes ».

 

La dévotion mariale connaît alors une grande popularité, notamment en raison de très nombreuses apparitions mariales (surtout au dix-neuvième siècle), reconnues ou non par l’Eglise catholique. Ce sera l’époque de la définition de l’Immaculée Conception. Au vingtième siècle se multiplieront les congrès mariaux, avec comme point d’orgue la définition de l’Assomption. Le concile Vatican II marquera la fin de cette période, et un refroidissement de la dévotion envers Notre-Dame, avant que ne renaisse l’importance de cette dévotion sous le pontificat de Jean-Paul II.

 

Les principales oppositions au culte de la Vierge sont de noter qu’on accorde ainsi une trop grande place à celle qui n’est qu’une créature, ou que cette dévotion est par trop empreinte de sentimentalisme.

 

Néanmoins, il convient de remarquer que l’Eglise catholique a effectué une découverte progressive en ce qui concerne le statut et le rôle de Marie dans l’histoire de la Révélation ; c’est le signe de l’approfondissement de sa connaissance et son enseignement.

 

Le problème de Marie n’occupe pas une place centrale dans le dialogue œcuménique. Le deuxième concile du Vatican a ouvert une perspective en montrant le souci de ne pas dissocier le thème marial de l’ensemble de la réflexion sur l’Église, et d’éviter des risques de malentendus. La question mariale n’est pas secondaire ; mais elle est seconde par rapport à d’autres points plus fondamentaux du débat. Avec les Églises orthodoxes, l’amplitude prise par le culte marial ne fait pas en soi difficulté ; c’est la question du pouvoir dans l’Église qui est en cause, non celle de Marie. Du côté des Églises protestantes, les choses sont moins simples. La contestation porte sur deux points : d’une part, sur l’interprétation des textes bibliques dans un sens qui majore la gloire de Marie, et cela pose le problème des rapports de l’Écriture et de la Tradition ; d’autre part, et plus profondément, sur la participation et la coopération active attribuée à Marie dans la Rédemption. Certes, Marie ne joue pas un rôle passif ; elle donne à la grâce une réponse active, celle de la foi ; comme telle, elle est bien, dans son humilité de servante, figure de l’Église, premier témoin du peuple de Dieu et type de la maternité de l’Église. Mais la réponse de la foi n’ajoute rien à l’œuvre unique et universelle du Christ.

 

3 - Enseignement de l’Église

a. la virginité perpétuelle de Marie

Marie est Vierge avant, pendant, et après l’enfantement du Christ.

 

Dès les premières formulations de la foi, l'Église a confessé que Jésus a été conçu par la puissance de l’Esprit dans le sein de la Vierge Marie, affirmant aussi l'aspect corporel de cet événement : Jésus a été conçu de l'Esprit Saint. Au Concile du Latran, en 649, le Pape Martin Ier, a proclamé la Virginité perpétuelle de Marie. Les Pères voyaient dans la conception virginale le signe que c'est vraiment le Fils de Dieu qui est venu dans une humanité comme la nôtre.

 

Ignace d'Antioche, au début du deuxième siècle, écrivait : « Vous êtes fermement convaincus au sujet de notre Seigneur qui est véritablement de la race de David selon la chair, Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, véritablement né d'une vierge, il a été véritablement cloué pour nous dans sa chair sous Ponce Pilate, il a véritablement souffert, comme il est aussi véritablement ressuscité ».

 

Les récits évangéliques[11] comprennent la conception virginale comme une œuvre divine qui dépasse toute compréhension et toute possibilité humaines[12] : « Ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint », dit l'ange à Joseph[13]. L'Église y voit l'accomplissement de la promesse divine donnée par le prophète Isaïe : « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils »[14].

 

Le silence de l'évangile selon saint Marc et des lettres du Nouveau Testament sur la conception virginale de Marie peut surprendre, au point que certains ont pensé qu’il s'agissait d’une légende, bâtie sur les mythologies païennes de l’époque ou d’une construction théologique sans fondement historique. Et il est vrai que la foi en la conception virginale de Jésus a rencontré et rencontre encore souvent une vive opposition, parfois des moqueries, en tout cas une grande incompréhension de la part des non-croyants. Le sens de cet événement n'est accessible qu'au regard de la foi, qui peut le relier au mystère de l’Incarnation. La virginité de Marie manifeste l'initiative absolue de Dieu dans l'Incarnation. Jésus n'a que Dieu comme Père[15]. « La nature humaine qu'il a prise ne l'a jamais éloigné du Père..., naturellement Fils de son Père par sa divinité, naturellement fils de sa mère par son humanité, mais proprement Fils de Dieu dans ses deux natures »[16].

 

L'approfondissement de sa foi en la maternité virginale a conduit l'Église à confesser la virginité réelle et perpétuelle de Marie même dans l'enfantement du Fils de Dieu fait homme. En effet la naissance du Christ « n'a pas diminué, mais consacré l'intégrité virginale » de sa mère. La liturgie de l'Église célèbre Marie comme la « Aeiparthenos », la « toujours vierge ».

 

A cela on objecte parfois que l'Écriture mentionne des frères et sœurs de Jésus[17]. L'Église a compris ces passages comme ne désignant pas d'autres enfants de la Vierge : Jacques et Joseph, « frères de Jésus »[18], seraient les fils d'une Marie disciple du Christ[19] désignée de manière significative comme « l'autre Marie »[20]. Il s'agit de proches parents de Jésus, selon une expression connue de l'Ancien Testament[21]. Jésus est le Fils unique de Marie. Mais la maternité spirituelle de Marie[22] s'étend à tous les hommes : son Fils est devenu « l'aîné d'une multitude de frères »[23], c'est-à-dire des croyants.

 

b. la maternité divine de Marie

Marie a enfanté Jésus-Christ, Fils de Dieu, elle est Mère du Christ et Mère de Dieu. Au cours du concile convoqué à Ephèse en 431 le Pape Célestin Ier a défini et proclamé la Maternité divine, car Marie a enfanté le Fils de Dieu fait homme. Jusque-là, il n'avait jamais été contesté qu'il y avait deux natures en Notre-Seigneur : la nature divine et la nature humaine, mais qu'il n'y a qu'une seule personne. Marie étant la Mère de l'unique personne de Jésus-Christ, a le droit d'être appelée Mère de Dieu. En proclamant Marie « Mère de Dieu », l'Église professe dans une même expression sa foi au sujet du Fils et de la Mère. Avec la définition de la maternité divine de Marie, les Pères ont mis en évidence leur foi en la divinité du Christ. Malgré les objections, anciennes et récentes, sur l'opportunité de reconnaître à Marie ce titre, les chrétiens de tous les temps, en interprétant correctement la signification de cette maternité, en ont fait une expression privilégiée de leur foi en la divinité du Christ et de leur amour pour la Vierge.

 

Appelée dans les évangiles « la mère de Jésus »[24], Marie est acclamée, sous l'impulsion de l'Esprit, dès avant la naissance de son fils, comme « la mère de mon Seigneur »[25]. Son Fils, Jésus, qu'elle a conçu comme un homme, n'est autre que le Fils éternel du Père, la deuxième Personne de la Trinité. L'Église confesse que Marie est vraiment « Mère de Dieu »[26].

 

c. l’Immaculée Conception

Marie a été préservée du péché originel dés sa conception. Ce dogme a été défini par Pie IX en 1864. Il revient à dire que Marie a été préservée du péché originel, qu’elle n’a jamais commis aucun péché et qu’elle est toute sainte et pleine de grâce. Au long des siècles l'Église a pris conscience que Marie, « comblée de grâce » par Dieu[27], et que, par conséquent il l’avait « rachetée » dès sa conception : « La bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel ». Célébrée dès le cinquième siècle dans l’Église orientale et au septième siècle dans l’Église latine, cette doctrine n’a pas fait l’unanimité des théologiens au cours de l’histoire.

 

Plus que toute autre personne créée, le Père l'a « bénie par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ »[28]. Il l'a « élue en Lui, dès avant la fondation du monde, pour être sainte et immaculée en sa présence, dans l'amour »[29]. Les Pères de la tradition orientale appellent la Mère de Dieu « la Toute Sainte »[30]. Par la grâce de Dieu, Marie est restée pure de tout péché personnel tout au long de sa vie.

 

La piété de l'Église envers la Vierge est intrinsèque au culte chrétien : elle est légitimement honorée par l'Église d'un culte spécial, notamment depuis le concile d’Ephèse sous le titre de « Mère de Dieu », et les croyants recherchent sa protection ou l'implorent dans tous leurs dangers et leurs besoins. Ce culte, au caractère unique n'est cependant pas un culte d'adoration. Celui-ci est réservé uniquement à son Fils, le Verbe incarné, de même qu’il est rendu au Père et à l'Esprit Saint. Même son titre de « Mère de Dieu » ne place pas Marie au titre d’une personne divine, elle reste une créature.

 

d. l’Assomption

Ce dogme a été défini par Pie XII, dans sa Constitution apostolique « Munificentissimus Deus », le 1er novembre 1950 par Pie XII. Il indique que Marie est au ciel avec son corps et son âme, et que, comme « première des sauvés », elle intercède pour les hommes auprès du Père : « Nous proclamons, déclarons et définissons que c'est un dogme divinement révélé que Marie, l'Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste ».

 

Sur la fin terrestre de Marie l'Evangile reste discret. Aucun détail n'est mentionné. Marie a terminé ses jours dans l'anonymat et le silence. Pourtant, la tradition chrétienne situe le décès de Marie le 14 août 57. Quand, le lendemain de sa mort, saint Thomas demande que le tombeau de Gethsémani soit ouvert pour se recueillir devant la dépouille de Marie, on n'y retrouve qu'un suaire. Le corps et l'âme de Marie ont été enlevés par Dieu : c'est l’origine de la tradition de l'Assomption de la Vierge.

 

La foi en l'Assomption, générale parmi les chrétiens d'Orient (même si ceux-ci préfèrent parler de la « Dormition de la Vierge »), est ainsi partagée par les catholiques, qui la célébraient dès le quatrième siècle, à Antioche, et au cinquième siècle en Palestine. La date semble avoir été choisie en Orient par l'empereur Maurice (582-603) pour commémorer une église dédiée à la Vierge montée au ciel. Ce jour de l’Assomption est férié en France depuis l'an X de la Révolution, mais le 15 août était déjà un jour de fête nationale en France, depuis que Louis XIII consacrant la France à Notre-Dame demandait qu'on fît ce jour là, dans chaque paroisse, une procession en l'honneur de la Vierge. Historiquement cependant, l'Assomption aurait été célébrée à compter du neuvième siècle et fut assimilée comme une date significative du catholicisme par Thomas d'Aquin et les grands théologiens du treizième siècle.

 

En méditant ce dogme, on comprend qu'à la mort de son enveloppe physique, ce qu'on appelle la résurrection de la chair fut un fait accompli pour Marie. Elle jouissait déjà du « corps glorieux » dont parle saint Paul. Et l'Eglise commémore ainsi une conséquence naturelle de la pureté de Marie. Cette assomption aura lieu, également, pour chaque homme lorsqu’il participera à la résurrection de la chair, également définie par le dogme. En fait, Marie ne fait que vivre à l'avance ce que les hommes seront appelés à vivre un jour. Ainsi la Vierge devient la figure de l'Eglise, la figure de l'humanité, déjà arrivée au bout du chemin.

 

e. autres enseignements de l’Eglise

 

De plus, l’Église catholique enseigne la maternité spirituelle de Marie, son action corédemptrice (Marie est associée à l’œuvre de Jésus pour le salut des hommes), sa Médiation universelle pour toutes les grâces, sa Royauté sur le monde entier…

 

On pourrait être dérouté par l’accumulation de titres pour Marie, sans voir l’unité profonde du mystère de la Vierge et les conséquences pour les hommes. Tous ses privilèges sont en fonction de sa mission essentielle donnée par Dieu, qui est de collaborer au salut de l’humanité, et c’est en cela qu’elle est, non seulement reconnue comme la « Mère de Dieu », mais aussi comme la « Mère des hommes ».

 

L’évangile selon saint Jean nous présente Marie au pied de la Croix ; il transmet aussi les dernières paroles de Jésus à sa Mère. Jésus voit sa Mère et auprès d’elle le disciple qu’il aimait puis il dit à sa Mère : « Voici ton fils ». Jésus révèle à Marie sa nouvelle maternité, une maternité uniquement spirituelle cette fois ; c’est la maternité dans la foi ; Marie est Mère des croyants comme Abraham en est le Père depuis la première Alliance. En utilisant la symbolique paulinienne, il est possible de dire qu’après avoir conçu par la foi le Christ en tant que Tête, elle le conçoit maintenant en tant que Corps, ce corps mystique du Christ constitué par le peuple des croyants. Le titre de Mère de l’Église donné à Marie est alors bien conforme aux dernières volontés du Christ.

 

La prière de Marie

La méditation de Marie s’est exprimée dans un grand cantique d’action de grâce, par lequel elle rend gloire à Dieu pour toutes les merveilles qu’il accomplit en faveur des hommes. Elle héritait ainsi de la longue tradition juive qui exaltait la puissance de Dieu. Dans la tradition chrétienne, le chant de louange le plus puissant, le chant de la libération définitive, c’est le Magnificat, le cantique de la Vierge Marie, lors de sa visite à sa cousine Élisabeth :

 

« Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur son humble servante. Oui, désormais toutes les générations me proclameront bienheureuse, parce que le Tout Puissant a fait pour moi de grandes choses, saint est son nom. Sa bonté s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. Il est intervenu de toute la force de son bras, il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse, il a jeté les puissants à bas de leurs trônes, et il a élevé les humbles, les affamés, il les a comblés de biens, et les riches, il les a renvoyés les mains vides. Il est venu en aide à Israël son serviteur, en souvenir de sa bonté, comme il l’avait dit à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours. Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle »[31].

 

C’est un des plus beaux élans que l’homme, aujourd’hui encore, puisse manifester vers Dieu, Seigneur de l’histoire et Seigneur du monde. Ce cantique parle du passé du peuple de Dieu, mais il parle également de l’avenir. Il annonce une naissance qui va bouleverser le cours de l’histoire. Dieu vient en aide à son peuple, il se souvient de son amour en faveur du père de tous les croyants et en faveur de toute sa postérité pour la suite des âges. Dieu regarde avec amour celle qui se fait son humble servante : il a fait pour elle de grandes choses et toutes les générations pourront la proclamer bienheureuse.

 

Marie chante sa joie. Et la multitude des pauvres lui répond comme en un écho : Dieu relève ceux qui sont accablés. Alors, son chant manifeste une dynamique révolutionnaire. Il est le cri des opprimés, le cri du peuple tendu vers la justice : Dieu écarte les cœurs fiers, il renverse les puissants, il renvoie les riches les mains vides, mais il comble ceux qui ont faim, il élève les humbles. L’histoire du monde prend une dimension nouvelle, celle de l’éternité qui jaillit dans ce cri de jubilation : Mon âme exalte le Seigneur !

 

La merveille que le Seigneur accomplit en elle est de recréer un nouveau type d’humanité : elle est la première femme d’un monde nouveau, celle qui provoque tous les hommes à être plus fidèles à l’appel de son Fils, celle qui les invite sans cesse à se laisser emporter par le dynamisme même de Dieu. Le Christ Jésus a permis à sa Mère d’assumer complètement la condition humaine, il l’a portée à son achèvement. Ainsi l’Assomption de Marie n’indique pas un quelconque voyage de Marie à travers le ciel, mais plutôt le fait qu’une femme, de la race des hommes, est arrivée à son plein achèvement, à sa pleine maturité, à sa condition véritable de fille de Dieu, de disciple du Christ. En cela, Marie a réalisé pleinement la condition humaine, et elle a pu partager complètement la gloire de son Fils. De la sorte, l’Assomption de Marie signifie qu’il est possible d’assumer totalement la condition d’homme, la condition de fils de Dieu.

 

Marie est une femme au carrefour de deux peuples. Elle hérite du passé juif et elle va accoucher du monde nouveau, en donnant le jour à Jésus Christ. En relisant l’histoire de son peuple, en relisant également sa propre vocation, elle découvre la puissance de Dieu qui opère une véritable révolution dans le monde. Elle apporte une réponse à la question : Qui est Dieu ? Dieu est le Tout-Puissant, mais sa puissance s’exerce dans la faiblesse. Il ne va pas confier sa Parole, son Verbe, son Fils, aux grands sermons des théologiens ou aux longs discours des intellectuels : Dieu confie sa Parole au ventre d’une femme. Et Marie peut également dire quelle est l’action de Dieu. Elle vient témoigner que Dieu ne cesse d’agir pour son peuple, en se souvenant toujours de son amour. Il a fallu deux mille ans pour que se réalise la promesse faite à Abraham. Mais l’action de Dieu, c’est précisément de se souvenir. La qualité de Dieu, c’est le souvenir, non comme un dieu vengeur, mais comme le Dieu d’amour : Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

 

La prière du chapelet

La prière des chrétiens à Marie s’exprime presque naturellement dans les paroles qu’elle a prononcées ou qui ont été prononcées à son propos dans les textes évangéliques. Il apparaît donc nécessaire d’évoquer la prière du chapelet. Longtemps, cette forme de prière a été considérée comme dévaluée. En effet, il est permis de reconnaître que très souvent elle apparaissait comme un rabâchage incessant, comme une répétition ininterrompue de formules toutes faites ! Il importe de rendre au chapelet sa valeur de prière authentique chrétienne.

 

Le chapelet a été dévalué parce qu’il est devenu une sorte de prière automatique, mécanique. Le fidèle répète des formules, sans se soucier de toute la densité que ces formules portent en elles, sans se soucier de faire advenir au cœur de l’homme une authentique contemplation du mystère de Dieu à l’œuvre dans le monde des hommes. Bernadette Soubirous, la voyante de Lourdes, aimait répéter qu’elle avait sans doute été choisie par Marie parce qu’elle était la plus pauvre, dans toutes les acceptions du terme : « Je ne savais que mon chapelet ! »

 

Mais c’est précisément la prière du chapelet qui a conduit des générations d’hommes et de femmes à une authentique contemplation, à une véritable vie mystique. Mais cette forme de prière a perdu sa densité mystique en se transformant en prière mécanique. Et toute prière peut en arriver à cette extrémité !

 

Le chapelet, c’est la prière des pauvres, la prière de ceux qui ne savent pas ou qui ne peuvent plus inventer... mais qui aurait la prétention de ne pas être pauvre quand il prie ? Heureusement, personne n’est naturellement doué pour la contemplation, et tous les hommes ont besoin d’une prière toute faite pour soutenir leur pauvreté. Certes, le chapelet est fait de répétitions. Mais c’est cette répétition qui lui procure une grande valeur. La psychologie moderne insiste beaucoup sur la répétition pour introduire l’individu humain dans un certain état. Pourquoi la prière chrétienne ne se servirait-elle pas de cette répétition pour introduire le croyant dans une situation nouvelle, dans une nouvelle attitude de prière ? En répétant des formules apprises, l’homme peut se mettre en situation d’être présent en face de Dieu, et il peut se disposer à méditer l’action divine en faveur de toute l’humanité.

 

Le chapelet est une prière de méditation qui trouve sa valeur dans la contemplation des mystères de Dieu. Il est une invitation à contempler les mystères évangéliques qui permettent d’entrer dans l’intimité même de Dieu, en prenant la main de Marie. Elle aide celui qui prie à reprendre la lecture de l’œuvre divine pour tout homme dans le Fils unique.

 

La tradition chrétienne a retenu quinze mystères dans la récitation du Rosaire. Cinq mystères rappellent des événements joyeux : l’annonce faite à Marie, la visite de Marie à sa cousine Élisabeth, la nativité de Jésus, la présentation de Jésus au temple, le recouvrement de Jésus au Temple. Cinq mystères sont dits douloureux parce qu’ils rappellent les événements qui ont conduit Jésus à la mort : l’agonie au Jardin des Oliviers, la flagellation, le portement de croix, la crucifixion, la mise au tombeau. Cinq mystères sont appelés glorieux parce qu’ils soulignent les interventions divines en faveur de Jésus et de Marie : la résurrection de Jésus, l’Ascension, la Pentecôte, l’Assomption de Marie et son couronnement dans le ciel. Le pape Jean-Paul II, en plaçant l’année 2002-2003 sous le signe du Rosaire, propose d’ajouter cinq nouveaux mystères, permettant de méditer la vie publique du Christ, mystères qu’il qualifie de mystères de lumière ou mystères lumineux[32] : le baptême de Jésus, les noces de Cana, la prédication de Jésus, la Transfiguration et l’institution de l’eucharistie.

 

Pour que la prière du chapelet soit vraiment une méditation, il convient qu’il soit prié calmement, sans hâte ni précipitation, et que le regard du fidèle soit entièrement tourné vers la contemplation des principaux mystères du salut offert à tous les hommes en Jésus Christ, vers lequel conduit toujours Marie. L’essentiel n’est pas de faire courir entre ses doigts un maximum de grains, mais il est de se tourner, d’une manière de plus en plus intime, vers ce Dieu qui ne cesse de parler au cœur de l’homme.

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[1] Lc. 1, 48-49

 

[2] Gal. 4, 4

 

[3] Lc. 1, 46-55

 

[4] Lc. 1, 34

 

[5] Lc. 1, 38

 

[6] Lc. 2, 48

 

[7] Jn. 2, 3-5

 

[8] Lc. 2, 19 et 50

 

[9] en grec : Theotokos

 

[10] Jésus-Christ est vrai homme et vrai Dieu, ce qu’explicitera le concile de Chalcédoine

 

[11] Mt 1, 18-25, Lc 1, 26-38

 

[12] Lc 1, 34

 

[13] Mt 1, 20

 

[14] Is. 7, 14, cité par Mt 1, 23

 

[15] Lc 2, 48-49

 

[16] Concile de Frioul en 796

 

[17] Mc. 3, 31-35 ; 6, 3 ; 1 Co. 9, 5 ; Gal. 1, 19

 

[18] Mt. 13, 55

 

[19] Mt. 27, 56

 

[20] Mt. 28, 1

 

[21] Gn. 13, 8 ; 14, 16 ; 29, 15 ; etc…

 

[22] Jn. 19, 26-27 ; Ap. 12, 17

 

[23] Ro. 8, 29

 

[24] Jn. 2, 1 ; 19, 25 ; Mt. 13, 55

 

[25] Lc. 1, 43

 

[26] Theotokos

 

[27] Lc. 1, 28

 

[28] Eph. 1, 3

 

[29] Eph. 1, 4

 

[30] Panaghia

 

[31] Lc. 1, 46-56

 

[32] « Passant de l'enfance de Jésus et de la vie à Nazareth à sa vie publique, nous sommes amenés à contempler ces mystères que l'on peut appeler, à un titre spécial, "mystères de lumière". En réalité, c'est tout le mystère du Christ qui est lumière. Il est la « lumière du monde » (Jn. 8,12). Mais cette dimension est particulièrement visible durant les années de sa vie publique, lorsqu'il annonce l'Évangile du Royaume... ».