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Est-il possible de ne pas croire aveuglément ?

 

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A la Sorbonne ou au Collège de France, il est de tradition de com­mencer l’année par ce que l’on appelle une leçon inaugu­rale.

 

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Il ne s’agit pas, à proprement parler d’une introduc­tion au programme des cours qui seront donnés dans l’année,

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mais plutôt d’une réflexion per­son­nelle d’un enseignant sur un thème général qui peut donner une orien­tation à la réflexion des étudiants pendant l’ensemble de l’année.

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Depuis plusieurs années, il m’a été demandé de présenter dans une sorte de leçon inaugurale sur la réflexion chré­tienne en terminale, en essayant d’articuler le « croire » et le « savoir ». C’est une aventure qu’il convient de renouveler chaque année, même si l’auditoire est toujours différent, ce renouvellement est le signe d’une évolution dans la pensée, et il est nécessaire de toujours progresser.

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Mais il n’est pas toujours simple d’examiner les choses  en profondeur tout en restant compréhensible par tout un cha­cun. Il faut éviter de tomber dans le sim­plisme, en répétant des choses que vous connais­sez superficiellement depuis des années,

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tout comme il faut éviter de voler sur des sommets que vous ne pouvez pas encore fréquenter…

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Mon souhait le plus cher est

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que vous compre­niez l'importance de la pensée cri­tique et logique.

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Il ne faut pas gober tout ce que vous lisez ou enten­dez, que ce soit de nature religieuse ou séculière. Si vous en­tendez des propos qui vous sem­blent à la fois très optimistes et très invrai­semblables, alors, mé­fiez-vous ! Et souvenez-vous, les com­plica­tions de la vie ont rarement des solu­tions simples et fa­ciles !

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Comment définir une croyance ?

Il était un temps où seules les personnes non éduquées étaient croyantes, mais ce n'est plus le cas. Vous pouvez trouver des gens sa­vants, ayant reçu une for­mation en pensée critique, professer des croyances incroyables et non fondées.

 

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Il serait donc bon de rechercher ce que peut être une croyance, même indépen­damment du domaine religieux. Une croyance est géné­ralement assimilée à une attitude « irrationnelle », c’est-à-dire contraire à la raison.Par exemple : je crois aux soucoupes volantes ;

 

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je crois qu’il existe des philtres magiques pour sé­duire les femmes…

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Mais il existe aussi des croyances qui ne sont pas à proprement par­ler irration­nelles, elles sont alors quand même très critiquées, en tant qu’elles s’opposent au savoir ou à la science. Ainsi une croyance peut être un faux savoir : dans l’Antiquité, on croyait que la terre était immobile au centre du monde ; au­jourd’hui, on sait que la terre tourne autour du soleil.

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Mais elle peut aussi s’avérer comme un savoir douteux : je crois qu’il va pleuvoir (sous-entendu : je n’en suis pas certain ; j’en suis plus ou moins certain). On nomme la première forme de croyance (celle qui est proprement irrationnelle) superstition, ou cré­dulité. On nomme la seconde, plus précisément, opinion.

 

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Les croyances peuvent être dites irrationnelles parce qu’elles sont absurdes, et parce qu’elles s’opposent à la raison, ou bien parce qu’elles sont insuffisamment fondées, parce qu’on n’a pas de raisons suffisantes pour y adhérer.

 

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On peut définir la croyance comme un état mental qui porte à donner son assen­timent à quelque chose dont la vérité objective n’est pas garantie. Croire quelque chose, c’est donc accepter quelque chose, sans pourtant en être certain. La croyance s’oppose au savoir en tant qu’elle est seulement plus ou moins vraie, elle est simplement proba­ble.

Ainsi peut-on faire varier les degrés de croyance selon le rapport en­tre la garan­tie objective et la conviction subjective (et ces degrés iront du moins certain au plus certain) :

 

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Tout d’abord les opinions fausses ou dou­teuses, ainsi les préjugés et les supersti­tions qui entourent les phénomènes surnatu­rels ou magiques ou en­core les êtres ou les événements mer­veilleux (fées, fantô­mes, ren­contres du troi­sième type). La garantie objective est fai­ble ou nulle mais celui qui l’éprouve a une conviction très forte du contraire.

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Ensuite, les soupçons, les suppositions, les pré­visions, les estima­tions comme les hypothè­ses scientifi­ques ou les indices d’une en­quête poli­cière.

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Les croyances sont sus­cepti­bles d’être vraies, elles sont en attente de vé­rification ou de justifi­cation.

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Enfin la foi qui permet de croire en quelqu’un ou en quelque chose : c’est l’attitude qui va au-delà de ce que les donnés per­mettent d’affirmer. Le degré de certi­tude est fort, bien que le de­gré de garantie objective puisse être faible.

On voit donc que les représentations auxquelles on accorde sa créance sont plus ou moins garan­ties, et qu’on croit plus ou moins fermement ce que l’on croit, avec un sentiment subjectif qui peut al­ler de l’incertitude complète à la certitude to­tale. En général, les deux termes de « foi » et de « croyance » ne sont pas syno­nymes. La notion de croyance est plus vaste : la croyance dé­signe un assenti­ment à des affirmations dont la démonstration est insuffisante, ou bien dont on ne connaît pas les fondements. La croyance s’oppose au savoir démontré. Normale­ment, la ques­tion de l’insuffisance des preuves ne se pose pas à propos de la foi.

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Qui que nous soyons, nous posons à chaque jour des actes qui relèvent de la croyance.

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La plupart de nos comportements reposent sur la croyance en l’uniformité et en la régularité du cours de la nature, et sur la confiance en cette régularité : telles causes ayant causé tels effets dans le passé, et ayant jusqu’à maintenant produit tels effets, elles produiront toujours, à l’avenir, tels effets. Ainsi, étant donné que j’ai toujours constaté que le feu brûle, je ne vais jamais appro­cher ma main sur le feu, car je « sais » que le feu brûle.

Ce « savoir », fondé sur l’habitude, est une « croyance », de même que repose sur la croyance le fait d’emporter un parapluie quand le bulletin météo annonce de la pluie, même si ce n’est que probable : la météo se trompe, finalement, assez sou­vent, mais ce qu’elle nous dit du temps ne re­pose pas sur des données subjecti­ves, comme la magie, mais sur des données objectives, comme la science.

Déjà, à travers ce premier aperçu, nous sommes tous beaucoup plus croyants que nous ne voulons l’admettre. Mais il faut encore aller plus en avant.

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Astrologie

Alors que nous vivons dans un monde qui se dit scientifique, on as­siste à une vo­gue de la voyance, de l'astrologie (73 % des Français sont friands d'horoscope).

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Selon cette « science », notre personna­lité serait influencée par la date et l'heure de notre nais­sance. C'est très vieux comme système de croyance, mais complète­ment dépourvu de fondement. Les astrologues ont tendance à profé­rer des propos très vagues et généralisants, des propos qui pour­raient s'appliquer à n'importe qui. Et ceux et celles qui y croient ne cherchent aucune preuve. La croyance aveugle leur suffit.

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Le marché de la voyance et de l'ésotérisme représente plus de 3,2 milliards d'euros par an. Cet engouement est très rentable, si on n’en juge par le nombre de ceux qui l’exploitent.

 

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Deux millions de Français consultent chaque année une voyante et 12,5 % de Français recon­naissent consulter régulièrement

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voyantes ou marabouts (et parmi eux on trouve des hommes politiques qui « consultent » avant de prendre leurs décisions).

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Les voyants et sorciers n'en ont pas fini de faire fortune, quand on sait que 44 % des Français pensent que la voyance est un don. Même si, depuis 1992, une loi interdit le recours à l'astrologie dans les pro­cédures d'embauche, les recruteurs utili­sent allègrement les pseudosciences : numérologie, graphologie...

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Notre société fourmille d’astrologues qui, soit réellement convaincus de leur « science », soit par esprit de profit et de domination, de­mandent de l’argent pour an­noncer l’avenir ! Ils affirment que les as­tres déterminent la vie des hom­mes, leur avenir, que quoique nous fassions ce qui est écrit dans les astres arri­vera… et on les paye pour savoir cela !

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Pourquoi payer pour des informations qui au bout du compte ne serviront à rien… si ce n’est à ne pas avoir le courage de prendre des décisions ou des orientations de vie. A quoi sert la rai­son, l’intelligence, si nous nous laissons ainsi manœuvrer par de telles personnes ?

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Le problème majeur dans ce cas vient du fait que le mot « ciel » dési­gne dans no­tre lan­gage aussi bien le ciel physique tel que les astro­nomes et les astro­nautes nous le montrent, que le ciel invisible qui est la demeure de Dieu, c’est une limi­ta­tion de notre langage !

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Et de tout temps le ciel a été considéré comme le sym­bole de ce que l’homme ne pouvait atteindre, ne pouvait dominer : c’était une grande source de mystère. De là à faire un amalgame en­tre le physique et le spirituel, il n’y avait qu’un pas qui a été vite franchi et très tôt dans l’histoire de l’humanité on a vu apparaître astrolo­gues et de­vins divers ! Il est vrai que la présence des étoiles et des astres a servi à l’homme pour me­surer le temps et établir des ca­len­driers.

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Les astres par leurs cy­cles réguliers imposaient certains rythmes aux choses de la terre et aux hommes mêmes. Que les astres influent sur le cosmos, telle que la lune sur les marées cela tient plus de l’astronomie, science « maté­rielle » concrète que de l’astrologie qui n’est que spéculation de l’esprit. Ces corps lumineux leur semblaient liés aux puissances surna­turelles qui pour eux dominaient l’humanité et définissaient les des­tins.

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Voilà le maître-mot : le des­tin ! Croire que l’homme dé­pend des astres, qu’il est prédestiné depuis sa nais­sance jusqu’à sa mort, re­vient à dire qu’il aucun pou­voir sur sa vie, que quoiqu’il fasse il n’échappera pas à ce qui doit lui arriver.

 

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« Vu à la télé »

Pour prolonger l’affirmation que tous les hommes croient en quelque chose, même ceux qui prétendent ne croire en rien, il suffit de consi­dérer également l’impact de la télévision sur tous les spectateurs. Nous savons bien que ce que nous voyons dans les magazines ou sur nos écrans de télévision n'est pas la réalité mais des signes humains d'origine technique, des signes construits qui ne sont parfois que des apparences. Et pourtant, nous nous empressons de prendre pour ar­gent comptant ce que nous apportent les médias. Même les intellec­tuels les plus critiques finissent par croire tout ce qu'on leur montre. L'expression « vu à la télévision » a pris le relais de la formule plus ancienne « parole d’évangile », qui était entachée de soupçon.

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L’expression « vu à la télé » témoigne de notre ma­nière de concevoir la réalité ainsi que de notre façon d’accepter tout ce qui peut présen­ter une certaine notoriété reconnue par un grand nombre de person­nes. Ce n’est pas parce que telle marque de produit passe à la télé dans des écrans publi­citaires que ces produits sont les meil­leurs à tous les niveaux. Là aussi, les socié­tés médiatiques entretien­nent un système de croyances qui conduit à la plus grande crédulité : c’est vrai, je l’ai vu à la télé !!!

 

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Au-delà des certitudes de ce genre, croyants et incroyants ne ces­sent d'engager leur vie et leur liberté sur beaucoup plus qu'ils ne pensent. On « croit » à la science, au jour­nal, à l'argent, à la météo, à son médecin, bien au-delà de ce qu'on en connaît. Mais il existe aussi un vaste domaine où s’étale tout ce qu’il est prati­quement possible de ranger sous le vocable des croyances. C’est celui des su­perstitions qui sont aussi diverses que variées.

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Les superstitions

Etes-vous superstitieux sans le savoir, ou superstitieux sans l’admettre ouver­tement ? La su­perstition fait partie de l’homme : elle est dans son cerveau, dans son coeur, dans toutes les fibres de sa chair, toujours en alerte. Un son­dage d’opinion révèle que les deux tiers des Français ne s’avouent pas superstitieux.

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Cependant plus de la moitié (56%) reconnaissent tou­cher du bois pour conjurer le sort ! Selon ce sondage, 23% des Fran­çais s’avouent superstitieux, contre 74% qui déclarent ne pas l’être. Mais ils sont pourtant 55% à penser que certaines choses portent malheur. On n’avoue pas facilement que l’on est superstitieux, peut-être tout simplement parce qu’on ne le réalise pas. Nous sommes presque tous superstitieux et pourtant, nous n'osons pas vérita­blement avouer ces croyances honteuses. Chacun de nous détient un objet magi­que, une amulette, un souvenir d'enfance... qui lui porte chance ou le protège.

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Savez-vous que la superstition touche tous les milieux sociaux, et que, de façon assez surprenante, la science cohabite souvent avec les superstitions ? Ainsi, Neil Armstrong emporta un ours en peluche sur la Lune, en 1969,

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et Claudie Hai­gneré avoue avoir embarqué une pelu­che fétiche, lors de sa mission vers la sta­tion orbitale Mir.

Alors qu'il serait légitime de penser que les développements de la science ou la civilisation moderne devaient permettre aux hommes d’échapper à toute forme d’irrationnel, on constate que les croyan­ces, les peurs et les superstitions res­tent omniprésentes.

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Dans un siècle de progrès, de connaissances scientifiques où l’on dit ne plus croire en Dieu ou presque plus, il est paradoxal de constater le poids et l’emprise de toutes sortes de croyances ancestrales et in­fondées. Les superstitions sont innombrables : il faudrait écrire plu­sieurs volumes pour les inventorier toutes ! Des recherches ont permis d’apporter des éléments sérieux touchant l’origine de certaines superstitions dont certaines se prétendent même issues de la tradition chrétienne.

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Le vendredi 13 constituerait un remords collectif de l’humanité qui se reproche­rait d’avoir crucifié Jésus un ven­dredi 13, selon le calen­drier juif de l’époque. Quant à la crainte d’être treize à table cela re­monterait au dernier repas que pris Jésus avec ses douze apôtres ; ils étaient donc treize et c’est au cours de ce re­pas que Le Christ institua l’eucharistie, et que Judas sortit pour le trahir, en le vendant aux autorités religieuses pour trente pièces d’argent, le prix d’un es­clave. Le nombre 13 a toujours été censé porter malheur, parce que la suite connue des évènements a fait que le malheur a toujours été at­taché à ce nombre. 21 % des Français sont sujets à la triskaïdéka­phobie, c'est-à-dire qu'ils crai­gnent le chiffre 13.

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Une autre formule d’origine chrétienne est très utilisée : « je croise les doigts ». Elle est en vogue dans le monde sportif, artistique et politique, elle doit être au hit-parade de la superstition en France. Elle se rattache à la croyance magique, selon laquelle la croix, sous ses diverses formes et modes d’utilisation, aurait le pou­voir de conjurer le mauvais sort ou d’éloigner les mauvais esprits. Croyance magique due, en grande partie, à une altération de la signi­fication de la croix du Christ au sein même de la chrétienté.

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La croix était un moyen de torture et d’exécution réservée au crimi­nel. De nombreux peuples de l’antiquité pratiquaient la crucifixion et notamment les Romains. L’empereur Titus crucifia plus de deux mille juifs en une seule occasion. Elle est devenue le symbole des chré­tiens tar­dive­ment, car aux premiers siècles, ils avaient plutôt opté pour le sym­bole du poisson. Le crucifix ne semble pas avoir été utilisé avant le sixième siècle, no­tamment en souvenir de Constantin.

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Connaissez-vous la raison pour laquelle passer sous une échelle « porte malheur » outre le risque de recevoir un outil sur la tête ou d’être taché par la peinture ?

 

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Une échelle appuyée sur un mur ou contre un arbre ou autre chose, forme un triangle : montant de l’échelle, sol, appui.

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D’après la magie antique, le triangle est sacré et ne peut être rompu sans sacrilège. Cette superstition s’est perpétuée principalement en Europe jusqu’à nos jours.

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Parmi les formules protectrices et pour conjurer le sort : « je touche du bois » est souvent citée. Dans l’antiquité, on considérait que le bois possédait un grand pouvoir magnétique. Les Aryens mazdéens touchaient du bois pour se mettre plus sûrement sous la protection d’Atar, génie du feu. La puissance protectrice d’Atar, croyait-on, était déjà tout entière renfermée dans les veines du bois.

Certes ont disparu certains rites superstitieux, ancrés dans la culture populaire et liés à la mort, la naissance, le mariage et la na­ture, du fait de l'évolution de la société. Mais d’autres se maintien­nent dans les régions et s’inscrivent dans une histoire et une culture locales. Ainsi, en Provence, il ne faut pas planter des me­lons devant une femme, surtout si elle est enceinte, car ils seraient immangea­bles ou ne grossiraient pas. En Lorraine, pour récolter de grosses ca­rottes, il faut frotter les graines contre ses cuisses lorsqu'on les sème…

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55% des Français pensent que certaines choses portent malheur : mettre le pain à l’envers, ouvrir un parapluie dans une maison, casser un miroir, croiser un chat noir...

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53% croient au porte-bonheur : trou­ver un trèfle à quatre feuilles, mar­cher du pied gauche dans un ex­crément, mettre un fer à cheval de­vant sa porte, casser du verre blanc...

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Ceux qui suivent des compéti­tions sportives peuvent voir des spor­tifs se signer plusieurs fois avant d’entrer sur le terrain, d’autres em­brasser un gri-gri.

 

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Bien entendu, les superstitions existent partout dans le monde. Mal­gré des an­nées d’athéisme officiel, un nombre étonnant de personnes en Chine et dans cer­taines républiques de l’ancienne Union soviétique restent attachées à des supers­titions.

 

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Pour certaines peuplades du Grand Nord, les aurores boréales présagent une guerre ou une épi­démie. En Inde, le sida se propage par les routiers convain­cus qu’il leur faut avoir des relations sexuelles pour ne pas souffrir de la ca­ni­cule. Au Japon, les ouvriers pensent que lorsqu’une femme entre dans un tunnel avant qu’il soit achevé cela porte malheur. La liste se­rait sans fin. Et vous ? Peut-être avez-vous une crainte secrète et inexplicable ? Êtes-vous conditionné par des croyances, des pratiques ou des préju­gés pour lesquels il ne semble y avoir aucun fondement rationnel ?

La superstition est reliée à la peur ancestrale qui habite tout être humain et au besoin de sécurité et de pro­tection qui en découle. La superstition c’est de croire que des per­sonnes ou des choses ont des pouvoirs sur nous ou sur les évè­nements de notre vie. Rien ne me sert de faire bénir ma voiture ou d’y mette une médaille de saint Christo­phe par exemple pour me protéger des accidents de voi­ture si je conduis en excès de vitesse ou sous l’emprise de l’alcool.

La superstition est-elle quelque chose d’anodin ? Le superstitieux est un inquiet, un anxieux, il a besoin de se rassurer car il vit dans la crainte.  La superstition peut conduire à l’obsession, ses formes sont souvent si ridicules qu’on n’ose les avouer. Néanmoins combien de per­sonnes dites équilibrées n’accomplissent-elles pas toute une série de rituels obligatoires sans lesquels elles se sentent mena­cés, perdues. Ce regain de l’irrationnel remplacerait-il dans l’homme le besoin de foi en Dieu ?

Bien des personnes qui ne se croient pas superstitieuses le sont en réalité. En­suite, lorsqu’on leur demande, si elles croient en Dieu, tel que le révèle La Bible, on peut souvent les entendre répon­dre : « non, moi, je suis un incrédule. » Incré­dule ? Oui, sans doute à cet égard, mais crédule en ce qui concerne toutes sortes de croyances qui relè­vent plus de craintes injustifiées ou de contes de « bonne femme » que de faits attestés.

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La religion est-elle une superstition ?

La question est provocante. Tous les croyants diront qu'il y a une dif­férence to­tale entre la foi et la superstition, et aussi entre la reli­gion bien comprise et l'idolâtrie, la magie, l'astrologie, la voyance et que sais-je encore. La religion, c'est bien. Et la superstition, c'est mal.

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Certes, le mot « religion », lui aussi, n'est pas toujours employé en bonne part. Les vrais croyants vous diront qu'ils ont la foi, mais ils ajouteront que la foi chrétienne n'est pas une religion. Certains théologiens, particulièrement chez les protestants, ont prôné un christianisme non religieux. Et ils ont fait la diffé­rence entre la foi et le sentiment religieux.

 

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La critique contre la religion a marqué des points (surtout au dix-hui­tième siècle et au début du vingtième) non seulement parmi les athées, les scientifiques et les rationalistes, mais aussi parmi les croyants. Et c'est pourquoi les chrétiens ont voulu faire la diffé­rence entre d'une part la foi et d'autre part la superstition et même la religion, la religion étant considérée comme une forme de supersti­tion même si elle est consacrée par une institution et par une pensée théologique.

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Y a-t-il une différence entre la religion et la superstition ? Dans un premier temps, on peut répondre : oui. Etre religieux, c'est une dis­position intérieure, et c'est d'abord une forme de vénération : la vé­nération de Dieu ou des dieux.

La religion pousse à l'adoration des dieux. Et même si on craint ces dieux, on tente néanmoins d'obtenir d'eux des manifestations de bienveillance. Et c'est pourquoi on leur adresse des priè­res et on leur offre des sacrifices.

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En revanche, être superstitieux, c'est se plier à des règles plus ou moins incom­préhensibles. La disposition d'esprit n'est pas la vénéra­tion, c'est plutôt la crainte. En fait on peut être supersti­tieux sans avoir l'esprit religieux, c'est-à-dire sans être porté à la vénération des dieux, on peut être superstitieux tout en étant tout à fait athée.

Cependant, la distinction entre religion et superstition n'est pas toujours bien nette. Souvent, on considère comme relevant de la su­perstition les pratiques des religions qui sont celles des autres.

 

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Quant aux athées et aux philosophes plus ou moins déistes, à partir du seizième siècle, ils consi­déraient volontiers que toutes les prati­ques et les croyances reli­gieuses relevaient de la supers­tition. En conséquence, on ne peut pas être croyant sans être superstitieux.

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Une foi tout à fait indemne de toute religion et superstition, ce n'est pas vrai­ment une foi en Dieu. C'est un agnosticisme travesti. Si l'on ne croit ni en un Dieu qui peut intervenir en ce monde, ni en un Dieu qui exige de nous une manière de se comporter, ni en un Dieu qui peut nous sauver d'une manière ou d'une au­tre, on ne croit plus en Dieu. Et dans ce cas, mieux vaut avoir l'honnêteté de le reconnaître.

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Faut-il balayer toutes les croyances ?

Après un inventaire qui est loin d’être exhaustif des croyances qui traversent notre époque, force est de constater que le merveilleux et l’obscur conservent tout leur prestige. Alors, faut-il croire aveu­glément, ou rejeter systématique­ment ?

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« C’est un défaut de tout croire, c’en est un autre de ne rien croire. », di­sait déjà Sénèque. Tout croire et ne rien croire ne sont pas de bonnes at­titudes. Il n’y a aucun mal à écouter, à lire ou à suivre ce que disent les au­tres. C’est ce que nous faisons tous, y compris moi-même. Les croyan­ces sont indispensables à l’équilibre de l’homme. Tant que cela ne gêne pas autrui, il nous est permis de croire à n’importe quoi, même si ce sont des inepties.

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L’important est de ne pas croire aveuglement, mais de croire en re­mettant en cause, en cherchant des solutions, en se cherchant soi-même. Le pire ennemi ac­tuel de la foi n’est pas l’athéisme, mais la crédulité. Certains s’interrogent : « est-il possible de croire encore aujourd’hui ? » Ils feraient mieux de se de­mander : « est-il possible de ne pas croire ? Ou, au moins, de ne pas croire aveu­glément ? » No­tre époque ne manque pas de foi. Elle en est enivrée, ensanglan­tée, déchirée par d’immenses mouvements de foi violente, oppressive, in­tolé­rante. Mais est-ce une foi qui sauve ou une foi qui tue ?

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Croyant ou incroyant ?

Les incroyants sont plus croyants qu'ils ne pensent, puis­que, pas plus que les au­tres, ils n’ont de certitude précise. Et de leur côté, les croyants sont plus in­croyants qu'ils ne veulent se l'avouer, car, pour demeurer croyants, ils doivent dépas­ser le doute. Le doute, dans la foi, ne se surmonte jamais définitivement. Il renaît à chaque étape de croissance, à chaque étape de la vie.

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Il me semble que la vraie foi est la capacité de vivre avec ses doutes. Si vous n’avez pas de doute, vous n’avez pas la foi : vous êtes dans l’évidence… ou dans l’illusion ! Celui qui croit à tout ne croit peut-être à rien. La foi est un mélange de lumière et d’obscurité : assez de lumière pour admettre, assez d’obscurité pour refuser, assez de rai­sons pour por­ter ses objec­tions, assez d’espérance pour endurer son désespoir.

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Nous préférons souvent être en pleine lumière ou en pleine obscurité. Mais la condi­tion humaine est de cheminer sans renier dans les ténè­bres ce qu’on a vu et ce qu’on reverra dans la lumière.

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S’engager com­porte des ris­ques, mais on ne de­vient homme qu’en prenant des ris­ques.

Dans un sens, nous croyons tous en « quelque chose », soit que nous tenions pour cer­taine une ré­alité que nous n’avons pas expérimentée, soit que nous pla­cions notre confiance dans un être que nous aimons ou dans nos propres capacités...

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Croire fait partie de notre bagage mental pour appréhender la vie, de même que douter occupe éga­le­ment une place non négligeable dans notre désir de saisir le monde et ce qu’il contient.

 

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Et vous, en quoi ou en qui voulez-vous ou acceptez-vous de croire ?

Ou encore, en qui placez-vous votre confiance pour votre vie pré­sente et éventuel­lement votre vie future ? Prenez au moins la peine de vous rensei­gner, ne croyez pas n'importe quoi.

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Acceptez de vous remettre en question, acceptez de remet­tre l’autre en question, même s’il peut présenter l’autorité du savoir.

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Agir de la sorte, ce n’est pas être sceptique, mais c’est devenir vraiment homme,

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et de plus en plus adulte dans sa foi, en affirmant sa manière personnelle d’exister, de se manifester, de se développer, de se réali­ser pleine­ment.

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Quand on dit « je crois en Dieu » et « j’ai la foi » (en Dieu), les deux  expressions ont bien le même sens. Et cela ne vaut pas que du do­maine religieux : en effet, on emploie souvent certes le terme de croire pour sous-entendre qu’on n’est pas certain, mais on l’emploie aussi très souvent pour montrer qu’on est convaincu.

La foi n’est pas une sensation, un sentiment, une expérience reli­gieuse. Elle a un objet, et cet objet c’est une personne présentée ici en tant que maître. Il ne s’agit pas de croire en Dieu, mais de croire Dieu !

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La foi n’a pas besoin de preuves (même s’il existe beaucoup de preu­ves rationnelles et objectives qui montrent que la foi est intelli­gente). La foi est preuve en elle-même. Elle est confiance dans la sa­gesse divine. Dieu dit, j’obéis, parce que j’ai confiance que ses voies et sa voix sont meilleures que les miennes !

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De plus, la foi est quelque chose qui se cultive, qui se développe. Cela se fait par la prière

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mais aussi par l’étude et la réflexion.

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Dieu ne nous donne pas une intelli­gence, une capacité de réfléchir, un esprit d’analyse et de critique pour que nous ne nous en servions pas !

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Bien des gens quand on leur demande pourquoi ils croient ou ne croient pas à telle ou telle chose sont incapables de dire pour­quoi… ils ont sim­plement accepté les thèses d’autres personnes sans faire l’effort d’une réflexion et donc d’une adhésion personnelle.

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Cela est dommage car ils limitent ainsi leur cheminement spirituel, leur découverte même de Dieu et de son amour. Le croyant se trouve confronté avec la difficile nécessité de conci­lier la foi et la raison.

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Les vérités de la foi ne sont pas les vérités de la raison. Les vé­rités de la raison sont celles que tout esprit peut re­connaître par la seule lumière de la rai­son. L’évidence mathéma­tique qui me permet de reconnaître que 2 + 3 = 5 ne de­mande rien d’autre qu’une intelli­gence claire et dis­tincte. Les vérités de la foi ne com­portent pas d’évidence, elles sont incompréhen­sibles au regard de la raison. La Passion du Christ, la virginité de Marie, les miracles, consti­tuent un défi que la raison ne peut relever et il est dès lors possible de penser que devant la foi, la raison ne peut que s’incliner.

Les vérités de la foi impliquent une confiance en Dieu. La dé­cision de les accep­ter ne repose pas sur la raison, mais sur une adhé­sion per­sonnelle. La religion vient apporter des réponses aux questions que se posent les hommes sur le sens de l’existence.

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Et nous éprouvons bien des difficultés à dire nos rai­sons de croire, même si saint Pierre, dans une de ses lettres, nous invite « à être toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en nous ». De fait, parler de la foi n'est pas banal parce que nous ne pou­vons pas réduire la foi à des idées, à des théories bien fi­celées, parler de la foi est difficile. D'autant que, dans la perspec­tive chré­tienne, croire c'est entrer en relation avec quelqu'un, c’est donner sa confiance en ré­ponse à un amour qui nous a été accordé sans condition.

Parler de la foi c'est donc parler d'une relation d'amour ; et vous savez tous qu’il n’est guère possible de don­ner les raisons objectives qui nous pous­sent à aimer ou à ne pas aimer telle ou telle per­sonne. On ne peut pas ex­pliquer une relation d’amour, si­non qu’en reprenant ce que Montai­gne pou­vait dire de son amitié avec La Boétie : « si on ne demande pour­quoi je l’aimais, je di­rai : parce que c’était lui, parce que c’était moi ». L'acte de croire, comme l'acte d'aimer, ne s'explique pas. Et pour­tant, il faut bien parler, rendre compte de la foi, réfléchir sa foi. La foi des chrétiens ne peut pas en rester à un vague « je crois en quelque chose », une re­lation mystérieuse avec « un je ne sais quoi ».

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Pourtant, la réflexion religieuse ne peut pas se situer uniquement sur le plan de l’émotionnel ou du passionnel. Il y a une place pour la reli­gion aux côtés de la rai­son ou de la science. Il n’est pas bon de penser les rapports entre raison et reli­gion sous une forme qui soit seule­ment polémique.

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La foi et la raison ne devraient jamais aller l’une sans l’autre.

Le christianisme peut se présenter comme une religion de la relec­ture et de l'in­ter­prétation de ce qui peut exister. C’est la rai­son du succès de ce qu’en philosophie on ap­pelle l’herméneutique et qui, depuis pratiquement l’époque hellé­nique, avec des hauts et des bas, a servi de moteur à la réflexion intellectuelle.

Mais, en plus, le chris­tianisme est la reli­gion de la contradiction, le religion qui unifie des données qui paraissent par­fois contradictoires : c’est la religion que l’on pourrait qualifier du « jamais l'un sans l'autre ». Cela vaut pour les comman­dements fonda­mentaux : aimer Dieu et aimer les hommes ; cela vaut pour la vie hu­maine : être pleinement sur la terre, tout en visant l’au-delà… Le christianisme ne peut pas s'enfermer sur lui-même, mais il s'ouvre toujours vers la société, les autres religions et les autres cultures. Le « jamais l'un sans l'autre » vaut éga­lement pour la relation entre la foi et la raison.

La foi chrétienne doit aider la raison à ne pas désespérer d'elle-même devant le champ immense de ce que l’on ne peut pas connaître. Il incombe d'encourager l'homme et non pas de le condamner. La foi chrétienne, qui ne doit pas avoir peur du regard critique que la raison porte sur elle, apporte à l'homme le désir de connaître l'autre et de connaître Dieu, le désir de s'ouvrir vers l’altérité.

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« Je suis un mécréant »

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Déjà les premiers chrétiens étaient accusés d’athéisme, et je dirais volontiers qu’en un certain sens je suis moi-même « athée »,

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toute la question étant de sa­voir : de quel Dieu suis-je athée ?

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L’homme de­vient athée quand il est meilleur que le Dieu qu’il sert. Si vous croyez en un Dieu qui récompense les bons et qui punit les méchants, vous devriez être athée, parce que j’espère que vous valez mieux que cela.

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Il n’est pas vrai que Dieu soit juste : il ne récompense pas les bons, il ne punit pas les méchants. Il est plus que juste : il justifie les mé­chants, il les rend justes. Si vous pensez que Dieu punit les méchants et récompense les bons, vous faites de Dieu un païen. Si Dieu se borne à ce rôle de commerçant et de juge, c’est un dieu païen.

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Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens ne sont pas vraiment chrétiens. Ils appar­tiennent à une religion sociologique. Leur éducation reli­gieuse a servi à les dis­penser de faire une rencontre personnelle. C’était tout fait, ils n’ont plus eu qu’à s’installer dans une religion éta­blie. C’est exactement ce que le Christ n’a pas voulu. 

 

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Ce qui permet au mécréant que je suis de croire en Jésus et me convainc de son identité avec Dieu, ce n’est peut-être pas tant sa ré­surrection, qui est pourtant importante dans la foi, mais c’est surtout sa vie, son message et sa mort. Je n’adhère pas à un personnage du passé, mais j’adhère à la vie dont Jésus a vécu et dont je vis actuel­lement si peu que ce soit. Je ne vis pas de Jésus, mais je souhaite toujours vivre de la même vie que lui. Je vis, infiniment moins, bien sûr, du même Esprit dont Jésus a vécu.

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Pour terminer, une brève allégorie

Une pauvre femme vivait dans la capitale d’un pays au nord de l’Europe, non loin du palais royal. Sa fille gravement malade désirait ardemment un peu de raisin, mais comment en trouver en magasin à cette époque de l’année ? La mère se sou­vint tout à coup qu’elle avait vu, en traversant le parc du palais ouvert à tous, de magnifiques grappes de raisins dans les serres chauffées.

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S’armant de courage, elle alla trouver le jardinier en chef pour lui demander de lui en ven­dre une ou deux grappes. Elle se heurta à un refus catégorique.

 

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Vous êtes folle, lui dit le jardinier. Le roi n’est pas un marchand. La pauvre femme s’en allait fort déçue quand un monsieur, qui avait tout entendu, s’approcha d’elle. Le jardinier a raison, dit-il. Mon père, qui est le roi, n’est pas un marchand. Mais s’il ne vend pas son raisin, il peut en donner !

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Sur ces paroles, il choisit plusieurs belles grappes qu’il plaça dans le panier de la pauvre mère tout émue et reconnais­sante.

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Combien y en a-t-il qui désirent acheter le salut, pas seulement avec de l’argent, mais par leurs efforts, leurs mérites ou leurs prières ?

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Ils ne comprennent pas que le salut de Dieu est gratuit. Le Roi des rois ne vend rien à personne. D’ailleurs, quel prix pourrions-nous payer ?