La vie chrétienne au quatrième et au cinquième siècles

 

La paix de l'Eglise que Constantin avait permise devait profiter à la hiérarchie ecclésiastique ; un tournant de l'histoire de l'Eglise était pris par le christianisme qui avait maintenant derrière lui près de trois siècles d'existence.

L'organisation interne de l'Eglise

Constantin, converti au christianisme à la veille de la bataille du pont Milvius, si on en croit la légende qui courait dans les milieux de cour, dès 320, c'est-à-dire moins de dix ans après cette bataille contre Maxence, combat qui devait donner à Constantin la suprématie impériale, quoi qu'il en soit de cette sorte de révélation lumineuse qui lui fut faite alors. Constantin parle et agit désormais en chrétien, même s'il ne demanda pas le baptême avant de se trouver sur son lit de mort. Dans une loi, connue sous le nom d'Édit de Milan, il impose à l'empire d'Orient d'appliquer la législation qui avait cours déjà en Occident : restitution de tous les biens confisqués à l'Eglise au cours de la grande persécution précédente, exemption d'impôts et de toutes les charges pour le clergé chrétien... A côté du paganisme, le christianisme devient lui aussi une religion officielle pour tout l'empire romain, et l'inspiration des textes évangéliques se trouve dans la législation, soucieuse de respecter la moralité pour l'ensemble des citoyens. C'est alors que le dimanche devient un jour férié... 

Mais, de plus, les nouvelles lois impériales interdisent le divorce, la prostitution sous toutes ses formes ; elles suppriment les mauvais traitements que devaient supporter les esclaves. Le clergé reçoit des subventions de l'État pour construire de nouveaux lieux de culte, appelés 'basiliques', comme le Latran et le Vatican à Rome, comme la basilique de la Nativité à Bethléem ou le Saint Sépulcre à Jérusalem... L'empereur lui-même se chargea de régler les conflits ecclésiastiques qui pouvaient opposer l'hétérodoxie à l'orthodoxie, ce qu'il fit particulièrement au cours de la crise arienne qui secoua l'Eglise pendant tout le quatrième siècle. Mais l'exercice du pouvoir de l'empereur sur l'Eglise, le contrôle qu'il pouvait exercer sur les affaires religieuses, ce que l'on appelle le césaro-papisme, n'eut pas que des avantages pour l'orthodoxie chrétienne ; l'Eglise était soumise aux fantaisies et caprices des empereurs, qui pouvaient disgracier et exiler les plus ardents défenseurs de l'orthodoxie chrétienne ; Athanase d'Alexandrie connut ainsi cinq périodes d'exil. En moins de quarante-cinq ans d'épiscopat, il vécut près de dix-huit ans éloigné de son siège épiscopal.

L'expansion du christianisme, à l'époque constantinienne et post-constantinienne, peut certainement trouver sa source dans le fait que les chrétiens appartenaient principalement aux classes moyennes et inférieures des cités romaines. A cette époque on assiste à une percée impressionnante des classes moyennes de la société, en raison du développement de la bureaucratie ; cette promotion d'une classe sociale ne pouvait qu'entraîner la promotion du christianisme qui s'était bien enraciné dans la bourgeoise romaine. La conversion de l'empereur permit enfin d'établir un parallélisme entre la monarchie civile et la monarchie chrétienne, non pas celle qui pourrait s'exprimer dans une suprématie de l'évêque de Rome, le pape, sur les autres évêques, mais bien la monarchie divine, dont la monarchie terrestre était un des reflets les plus évidents.

L'organisation ecclésiastique copia l'organisation impériale. L'empire lui-même était une vaste mosaïque, un rassemblement de cités autonomes reconnaissant la puissance privilégiée de Rome sur elles. L'Eglise catholique, c'est-à-dire l'Eglise universelle, se coula dans ce moule ; elle regroupe toutes les communautés locales soumises à l'autorité d'un évêque, d'un 'épiscope'. Autrement dit d'un surveillant qui veille s l'orthodoxie de la foi dans la portion de territoire qui lui est confiée. Et les évêques, répartis dans l'empire romain, reconnaissent une suprématie au pontife de Rome, au pape, suprématie qui lui vient du fait qu'il est le successeur de Pierre, le chef du groupe des douze apôtres. Toutefois, l'Eglise épiscopale reste l'unité de base dans le christianisme, qui distingue une certaine hiérarchie à l'intérieur de l'ordre des clercs et de l'ordre de la masse des fidèles. De plus, les clercs sont aussi fortement hiérarchisés, à la manière de l'organisation bureaucratique de l'empire : évêques, prêtres, diacres, sous-diacres, et clercs mineurs, comme les portiers et les fossoyeurs, qui, bien que simples employés d'églises, sont considérés comme appartenant au clergé. Mais les laïcs, cultivés et fortunés, peuvent exercer une certaine influence sur l'administration de l'Eglise locale ; c'est, en effet, tout le peuple chrétien qui est appelé à se prononcer lors de l'élection d'un évêque, même si, de plus en plus, cette élection est prise en charge par le clergé local ou par les autres évêques de la région.

Toutefois, cette multiplicité des Églises locales n'entraîne nullement une dissolution de l'unité à l'intérieur de l'Eglise universelle. Dans une même région ou une même province, les évêques visent à se regrouper autour de l'autorité d'un des leur, choisi pour ses compétences spirituelles, théologiques ou pastorales ; c'est souvent l'évêque de la ville principale qui est choisi comme le métropolitain de la région ; en cela encore, l'Eglise ne fait que copier l'administration impériale. Le rôle de ce métropolitain est particulièrement important en cas de crises à l'intérieur d'une province. C'est ainsi qu'Alexandre réunit autour de lui une centaine d'évêques d'Égypte et de Libye pour examiner, en premier ressort, l'affaire du prêtre Arius, qui commençait à propager ses doctrines peu orthodoxes. Alexandrie jouissait d'une certaine prééminence en Égypte, de même que Carthage pour les différentes communautés chrétiennes d'Afrique latine. Et, si l'Italie était civilement partagée en plusieurs provinces, le siège de Rome était considéré comme la métropole, comme l'Eglise-mère de toute la péninsule. Mais cette suprématie du pape, reconnue aussi par les autres Églises locales qui font part de leurs décisions à l'évêque romain, en lui adressant des lettres. Mais le pouvoir disciplinaire de ce siège apostolique n'apparaît pas encore avec netteté ; on en réfère à Rome, pour obtenir de ce siège des conseils, et non pas pour qu'il prenne les décisions à la place des Églises locales.

Toutefois, le christianisme qui triomphe, ou plus exactement qui commence à triompher sous Constantin, n'est encore que très limité ; il n'a pas encore gagné toutes les couches sociales. Ce sera la grande oeuvre de l'Eglise du quatrième siècle de le répandre dans les couches aristocratiques et paysannes de la population de l'empire ; issu des cités romaines, le christianisme devra lui-même se convertir pour gagner les couches plus populaires de la société, alors que l'aristocratie pourra reconnaître l'immense effort intellectuel de la nouvelle religion qui s'installe. A la campagne, le christianisme trouvera un terrain propice pour recevoir sa prédication ; le merveilleux, le mystère même de la religion chrétienne, s'épanouira dans la mentalité paysanne, disposée à croire aux miracles. La vie religieuse des masses rurales s'était limitée à des croyances ancestrales, comme le culte de la nature qui se manifestait par des rites traditionnels et par la vénération de certains lieux sacrés ; la civilisation polythéiste de Rome n'avait pas réussi à faire pénétrer entièrement le panthéon gréco-romain dans les campagnes. Et malgré un masque d'adaptation à la religion officielle de l'empire, c'était bien les traditions anciennes qui continuaient de survivre. 

A la fin du quatrième siècle, l'évangélisation se tourna résolument vers le monde des campagnes que les missionnaires voulaient convertir. Le plus connu de ces missionnaires, par la légende qui fut la sienne, à la suite de la diffusion de sa biographie par Sulpice Sévère, est Martin de Tours. Fils d'un tribun militaire, il naquit vers 316, à Sabaria, en Hongrie actuelle, et il passa sa jeunesse à Pavie. Très jeune, il pensait devenir moine ; mais, en tant que fils de soldat, il devait nécessairement servir dans l'armée, dans la garde impériale à cheval. Toutefois, cela ne l'empêche pas de pratiquer les vertus chrétiennes ; c'est ainsi qu'il donne à un pauvre la moitié de son manteau, aux portes d'Amiens. Libéré du service militaire, il demande le baptême et se soumet à l'enseignement de l'évêque de Poitiers, Hilaire. Quand des hérétiques ariens arrivent au pouvoir, l'évêque est exilé et son disciple retourne auprès de sa mère qu'il convertit au christianisme. Revenu en Italie il s'installe près de Milan, où il essaye de vivre selon un idéal monastique. Mais l'évêque arien de Milan le chasse. Martin, ayant appris le retour d'exil d'Hilaire, repart vers Poitiers, où il fonde, à Ligugé, le premier monastère en Gaule. Sa réputation s'étend alors dans toute la région ; on lui attribue de nombreux miracles, et particulièrement la résurrection d'un catéchumène. Après la mort de l'évêque de Tours, on appelle Martin, sous le fallacieux prétexte d'assister un malade ; contre son gré, il sera élu évêque de Tours. Mais il continuera de mener son existence comme un moine. Pourtant, il entreprend de vastes tournées d'évangélisation dans les campagnes de toute la Gaule. Malgré les résistances des villageois, il entreprend de les convertir et de détruire les idoles qu'ils vénéraient ; pour ce faire, il s'appuie sur ses talents de prédicateur et sur ses dons de thaumaturge... Toujours, selon les écrits de Sulpice Sévère, l'évêque Martin de Tours n'hésite pas à recourir à la violence pour détruire tous les lieux de cultes païens (temples, arbres sacrés, statues...) et pour édifier, en leurs lieu et place, des lieux de culte chrétien (autels, chapelles, églises...) afin d'éviter tout retour au paganisme. Saint Martin, mort en 397, fut le premier à être vénéré comme saint, sans avoir connu le martyre ; et de nombreuses églises, dans toute la France actuelle, lui sont encore dédiées. Mais Martin de Tours ne fut pas un cas isolé dans l'évangélisation des campagnes ; de nombreux évêques, tant en Orient qu'en Occident, entreprennent de mener à bien l'évangélisation des campagnes, en employant des méthodes similaires à celle de saint Martin.

L'aristocratie se rallia plus rapidement au christianisme ; elle comprenait que l'exemple même de l'empereur devait être suivi, jusque dans le choix de sa religion. Et, en raison de sa culture, cette même aristocratie convertie procura à l'Eglise une grande partie de son haut clergé. Être chrétien, c'était, à la fin du quatrième siècle, trouver sa place dans la société romaine qui avait reconnu le christianisme comme la religion officielle du monde romain tout entier, dans les dernières années du règne de Théodose.

Les origines du monachisme

Le monachisme n'est pas une institution proprement chrétienne, il appartient aux religions les plus diverses. Mais aucun monachisme n'a pu influencer le monachisme chrétien quand il prend un essor considérable au quatrième siècle. Étymologiquement, le moine est celui qui vit seul, isolé, retiré de tout commerce avec le reste de l'humanité ; c'est un ermite, un anachorète qui place toute son existence sous le signe de la prière et du service de Dieu. Dans le vocabulaire courant, le terme de 'moine' a pris une autre signification ; il désigne tous les ascètes qui se séparent de l'ensemble de l'humanité, même s'ils vivent en communauté fraternelle avec d'autres qui ont choisi le même style de vie consacrée à Dieu. Le monachisme chrétien trouve son origine dans la mise en application d'une parole de Jésus : Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Cette parole trouvait un écho particulier au moment des grandes persécutions qui ont secoué l'Eglise des premiers siècles ; mais elle trouve encore un écho, au moment de la grande paix de l'Eglise : des hommes et des femmes apporteront une réponse totale à cette invitation, en consacrant toute leur vie a Dieu, dans une forme d'existence monastique.

Au milieu d'un monde favorable au christianisme et que l'Eglise elle-même envisage de copier, dans son administration, oubliant la tension spirituelle permanente que les hommes doivent maintenir vers l'idéal évangélique, dans une Eglise qui est susceptible de succomber à la tentation de la sécularisation, des hommes et des femmes se retirent de la société pour essayer de vivre une existence plus parfaite, plus conforme à l'idéal évangélique. Ces moines peuvent être considérés comme des marginaux qui veulent fuir le monde et toutes ses compromissions, mais ils peuvent aussi être considérés comme des précurseurs dans le retour à la pureté évangélique. Partis au désert pour y rencontrer Dieu, ces moines n'y trouvent que la tentation sous toutes ses formes possibles. C'est la raison pour laquelle les anachorètes, ermites solitaires, vont se regrouper en communautés animées par un même esprit.

L'idéal de vie monastique entre dans l'histoire avec celui qui allait devenir saint Antoine, 'le père des moines'. Athanase d'Alexandrie dressera sa biographie quelques années seulement après la mort d'Antoine, qui mourut plus que centenaire, en 356. Athanase présente Antoine comme un paysan égyptien de condition modeste, qui, alors qu'il était encore un homme jeune venant d'hériter de quelques biens, entra dans une église et y entendit cette parole : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi.

Chrétien de naissance et déjà pieux, il sortit de cette église et obéit sur-le-champ à cette parole de Jésus-Christ. Puis il se retire dans le désert, en prenant au sérieux le conseil de l'évangile ; il ne sortit que deux fois de son 'désert' pour se rendre à Alexandrie, une première fois pour soutenir les chrétiens persécutés sous Dioclétien - s'exposant ainsi lui-même au martyre - et une seconde fois pour soutenir la hiérarchie alexandrine en butte à la campagne arienne. Dans son désert, il devait mener une vie héroïque, faite de renoncement à lui-même, beaucoup plus que de renoncement aux conditions de confort ou de nourriture ; l'idéal qu'il développe réside dans la maîtrise de ses propres passions, en luttant contre toutes les formes du mal, car le désert apparaît très vite comme le lieu de la tentation suprême, que Breughel illustra dans ses compositions de la Tentation de saint Antoine. Pour résister, le moine Antoine ne peut que s'en remettre aux conseils évangéliques qu'il veut réaliser dans leur littéralité même, et vivre dans la plus grande ascèse. Mais, pour le moine chrétien, l'ascèse n'est pas et ne sera jamais un but à atteindre, mais une préparation à la rencontre de Dieu, dans une expérience de prière et de méditation de l'Écriture. Si le moine se retire du monde, il ne se sépare pas de la vie de l'Eglise ; la sainteté à laquelle il aspire lui procure un rayonnement tel que les foules viennent le visiter, afin d'obtenir de lui des conseils, des secours dans la prière et parfois même des guérisons corporelles. La sainteté est contagieuse... et rapidement des hommes viennent s'installer aux côtés d'Antoine pour imiter son style de vie et pour rayonner l'idéal qu'il propose, dans l'ensemble de l'Eglise. Ainsi, du vivant même d'Antoine, le monachisme va se répandre, en prenant des formes très diverses.

Les anachorètes, qui représentent la forme la plus ancienne d'une organisation entre moines, viennent Installer leur habitation rudimentaire à proximité de celle d'un sage chrétien, généralement un vieillard dont la sainteté a été reconnue par les foules qui l'ont fréquenté, et adoptent une existence réglée sur la sienne, participant à la prière commune, mais vivant dans la plus grande solitude le reste de leur temps. C'est le style de vie adopté par les disciples de saint Antoine ; mais il comportait des dangers d'ordre spirituel, puisqu'il pouvait favoriser un très grand individualisme, ou d'ordre purement matériel, quand le nombre de moines réunis autour d'un ancien devenait trop élevé. C'est saint Pacôme qui sera à l'origine d'une nouvelle forme de vie monastique, en insistant davantage sur l'aspect de la vie communautaire : le cénobitisme. La communauté reçoit de son fondateur une structure, une règle, qui lui permet de rythmer sa vie selon les conseils évangéliques et selon la spiritualité particulière de son fondateur ; cette communauté s'organise pour assurer sa propre subsistance, en utilisant les capacités propres à chacun des moines. Dans la ligne de Pacôme, il convient de signaler saint Basile, dont la vie monastique fut brève, puisqu'il fut rapidement choisi pour devenir évêque, mais qui rédigea des règles monastiques qui permirent de structurer les différentes communautés, avec la mention de l'obéissance et la nécessité de renoncer à sa propre volonté pour s'en remettre entièrement entre les mains des supérieurs. L'Occident romain allait découvrir le monachisme, d'une part au cours des exils d'Athanase d'Alexandrie, et d'autre part grâce à saint Jérôme qui, après quelques années de désert, était venu se fixer auprès du pape Damase. Il fit connaître à l'Eglise romaine l'idéal monastique et ascétique, non sans que cette découverte ne suscite des réticences et des polémiques. Jérôme dut quitter Rome et il se retira en Palestine, à Bethléem, en demeurant lié à une communauté de femmes décidées à vivre elles aussi selon l'esprit monastique. Cette mise à l'écart de Jérôme n'empêcha pas le monachisme de se propager dans tout l'Occident, puisque Martin de Tours fonda, lui aussi, une communauté monastique, en Gaule, à Ligugé. Et les évêques eux-mêmes rêvent d'idéal monastique, regroupant même leurs prêtres dans des communautés de vie, proche de la vie monacale ; ils rassemblent leurs disciples dans des communautés qu'ils dirigent eux-mêmes.

Une période propice au développement de la pensée religieuse

En Occident comme en Orient, sous l'influence de la crise arienne, mais aussi sous celle du développement du monachisme, les écrivains chrétiens produisirent des oeuvres, qui permettent de considérer le quatrième siècle comme l'âge d'or des Pères de l'Eglise. L'Eglise universelle se trouve être héritière non seulement de la tradition biblique, mais déjà d'une tradition de pensée qui lui permet de se forger un modèle culturel ; l'étude des textes sacrés de la Bible prend la place de l'étude des oeuvres grecques classiques dans la formation des lettrés. Le domaine des lettres et des arts classiques fait place à des activités chrétiennes ; les homélies et les prédications remplacent les exercices oratoires, la liturgie elle-même succède au spectacle du théâtre. Le paganisme, tombé en désuétude, fait place à l'activité de production d'oeuvres chrétiennes... C'est alors que se sont exprimés les plus grands penseurs de l'antiquité chrétienne, et qui sont les véritables docteurs de l'Eglise. Cet âge d'or est la conséquence logique et nécessaire de la paix constantinienne ; tous les auteurs qui brillent, à la fin du quatrième siècle et dans le courant du cinquième, n'ont pas connu les troubles qui ont agité l'Eglise pendant la crise arienne, et ils peuvent ainsi faire parvenir à sa pleine maturité l'inspiration chrétienne authentique, puisqu'ils se situent dans un climat d'équilibre aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Eglise. Ils sont pratiquement tous nés dans une famille chrétienne, ou du moins ils ont été élevés par une mère fervente chrétienne qui joue dans leur formation un rôle important de guide spirituel. Lettrés, ces penseurs chrétiens le sont pour avoir reçu une éducation profane au point que certains furent même des enseignants de qualité dans les disciplines les plus diverses.

A cette époque, le monachisme attirait les hommes épris d'un idéal de perfection. Tous les Pères de l'Eglise du quatrième siècle ont suivi, pendant une période plus ou moins longue de leur vie, la voie monastique, se mettant à l'école des grands spirituels du désert. L'exception est celle d'Ambroise de Milan qui n'était qu'un néophyte venu pour rétablir l'ordre dans l'assemblée ecclésiale de Milan, agitée après le décès de l'évêque du lieu ; il fit si bien respecter l'ordre que la foule le proclama évêque de Milan sur-le-champ, avant même qu'il ne fut baptisé. Le cas d'Ambroise de Milan mis à part, les Pères de l'Eglise issus du monachisme ont toujours gardé la nostalgie de cet idéal de vie, même s'ils ont répondu rapidement à l'appel de l'Eglise qui leur était adressé.

Avec les conciles de Nicée et de Constantinople, la réflexion théologique s'est tournée vers la définition de l'entité divine : Dieu est unique en trois hypostases ou personnes. Et les discussions entre les lettrés chrétiens sont le reflet de l'insistance que les uns portent sur l'unité de la substance divine ou que les autres portent sur la distinction des personnes ; ces discussions provoqueront de nombreuses réunions synodales qui étudient les relations entre la substance (ou essence) divine et ses trois hypostases (ou personnes). La solution développée par les Pères cappadociens, comme Basile de Césarée, Grégoire de Nysse ou Grégoire de Naziance, consistera à affirmer l'unité de l'essence divine et la trinité des hypostases :

Père très saint, avec ton Fils unique et le Saint-Esprit, tu es un seul Dieu, tu es un seul Seigneur, dans la trinité des personnes et l'unité de leur nature. Ce que nous croyons de ta gloire, parce que tu l'as révélé, nous le croyons pareillement de ton Fils et du Saint-Esprit ; et quand nous proclamons notre foi au Dieu éternel et véritable, nous adorons en même temps chacune des personnes, leur unique nature, leur égale majesté.

Ce texte, tiré de la liturgie actuelle de l'Eglise catholique, ne fait que reprendre les grandes affirmations trinitaires développées au cours du quatrième siècle ; l'essence divine est, en elle-même, inaccessible et transcendante, et elle se caractérise par une vie interne, faite de relations : paternité, filiation, spiration. Les rapports du Christ, Fils de Dieu, avec l'essence même de la divinité, étant définis, il fallait encore préciser les rapports qui existaient entre le Fils de Dieu et l'homme Jésus. Les querelles trinitaires à peine achevées, d'autres querelles apparaissaient ; elles étaient alors christologiques : comment le Verbe de Dieu a-t-il pu s'unir à l'homme Jésus, pour constituer un seul Jésus-Christ, véritablement Seigneur de l'humanité ? En se voulant absolument fidèle à l'orthodoxie définie par le concile de Nicée, Apollinaire de Laodicée propose une doctrine selon laquelle le Verbe de Dieu, le Logos, le Fils de Dieu, entièrement consubstantiel au Père, s'était uni à l'homme Jésus, comme l'âme est unie au corps pour le reste des hommes ; l'humanité du Christ aurait donc été une humanité incomplète, puisque simplement formée par la chair, qui aurait été animée directement par le Logos divin. Apollinaire voulait ainsi libérer l'humanité de Jésus de toutes les entraves du péché, de toutes les distorsions qui existent à l'intérieur même de l'homme entre la chair et l'esprit. 

L'orthodoxie ne pouvait pas ne pas réagir à ce qui apparaissait comme une nouvelle forme d'hérésie ; Athanase d'Alexandrie réunit autour de lui un Concile des Confesseurs, en 362, pour affirmer que ce qui n'a pas été assumé par le Christ ne peut pas être sauvé dans l'homme. Contrairement à Apollinaire, le patriarche de Constantinople, Nestorius, moine puis prêtre à Antioche, appelé à l'épiscopat par l'empereur Théodose II, insiste sur la réalité des deux natures bien distinctes dans le Christ, réunies simplement par un contact divin, mais il mettait l'accent sur l'humanité de Jésus, refusant même de considérer Marie comme 'mère de Dieu', puisqu'elle n'était que la mère du Christ. De même qu'Apollinaire, mais dans l'excès inverse, Nestorius mettait en danger l'affirmation de l'unité de la personne du Christ. Cyrille d'Alexandrie, conscient de ce danger, fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir la condamnation du patriarche de Constantinople ; il réunit un concile à Éphèse, qu'il ouvre sans attendre l'arrivée des évêques orientaux, ni celle des légats romains... 

Le troisième concile oecuménique commença dans l'agitation ; Nestorius, qui refusa de comparaître, fut condamné et déposé. Les romains confirmèrent cette décision, mais les orientaux répliquèrent en déposant Cyrille et l'évêque Éphèse.. L'agitation était telle que l'empereur fit emprisonner les trois évêques, mais l'agitation gagna même la foule, et les moines eux-mêmes prennent part aux débats dogmatiques. L'empereur Théodose II finit par se rallier à l'opinion de la majorité et congédia le concile, en regrettant que la réconciliation n'ait pas été possible entre les partis adverses. Le second successeur de Nestorius, au siège apostolique de Constantinople, Proclus, est amené à proposer une formule christologique qui sera reprise par l'orthodoxie chrétienne : Nous confessons l'incarnation du Verbe divin, l'un de la Trinité.

Les querelles christologiques reprennent en 447-448, avec un moine Eutychès, résolument opposé à l'hérésie nestorienne. Avec lui apparaît une nouvelle hérésie, appelée le monophysisme ; la nouvelle doctrine insiste sur l'aspect divin de l'incarnation, au détriment de l'aspect humain. Eutychès voulait bien admettre que Jésus-Christ était issu de deux natures, l'une divine, l'autre humaine, mais il affirmait, qu'à partir du moment de l'incarnation, il n'y avait plus qu'une seule nature (d'où le nom de monophysisme) dans le Verbe incarné. Eutychès ne pouvait admettre que le Fils de Dieu consubstantiel au Père, selon la divinité, puisse être consubstantiel aux hommes, selon l'humanité. Eutychès fut condamné par un synode réuni à Constantinople, le 22 novembre 448, mais il fit appel et obtint de Théodose la réunion d'un nouveau concile, qui aurait dû se réunir à Éphèse.. mais que la mort de l'empereur et la succession qui fut la sienne empêchèrent ; la préparation de cette assemblée avait été faite par des amis d'Eutychès qui avaient intimidé les évêques et qui les contraignaient à la réhabilitation d'Eutychès. Le concile se réunit, mais à Chalcédoine, en octobre 45l, pour définir le dogme des deux natures du Christ, unies dans la deuxième personne de la Trinité ; un symbole de la foi y fut promulgué, établissant une synthèse des écoles théologique et écartant les hérésies de Nestorius et d'Eutychès :

Le concile s'oppose à ceux qui tentent de diviser le mystère de l'Incarnation en une dualité de Fils. II exclut de la participation aux saints mystères ceux qui osent déclarer passible la divinité du Fils unique. Il contredit ceux qui imaginent un mélange ou une confusion des deux natures dans le Christ. II rejette ceux qui déraisonnent en disant que la forme d'esclave prise chez nous par le Fils est de nature céleste ou d'une essence étrangère à la nôtre. Il anathématise ceux qui ont inventé cette fable de deux natures dans le Seigneur avant l'union, et d'une seule après l'union.

A la suite des saints Pères, nous enseignons donc tous unanimement à confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, la même parfait en divinité, et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité, 'en tout semblable à nous, sauf le péché'. Avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et, né en ces derniers jours, né pour nous et pour notre salut, de Marie, la Vierge, mère de Dieu, selon l'humanité. Un seul et même Christ Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. La différence des natures n'est nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés de chacune sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase. Il n'est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais il est un seul et même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes nous l'ont enseigné de lui, comme lui-même Jésus-Christ nous l'a enseigné, comme le Symbole des Pères nous l'a fait connaître.

Ces points ayant été déterminés avec une précision et un soin des plus extrêmes, le saint concile oecuménique a défini qu'une autre foi ne pouvait être proposée, écrite, composée, pensée ou enseignée aux autres par qui que ce soit. (Symbole de Chalcédoine, 22 Octobre 451)

Mais ce concile de Chalcédoine, loin de mettre un terme à toutes les discussions christologiques, soulevées par Eutychès et Nestorius, allait ouvrir une nouvelle crise dans l'EgIise, pendant toute la fin du cinquième siècle et durant le sixième. Les querelles théologiques n'étaient pas achevées quand les invasions barbares se répandirent sur l'empire d'Orient, entraînant d'autres ruptures dans l'Eglise.

La vie chrétienne au quatrième et au cinquième siècle

A la fin du quatrième siècle, l'Eglise chrétienne s'est solidement Implantée dans l'ensemble de l'empire romain, dont elle copie les institutions. Les assemblées épiscopales qui se réunissent pour examiner les questions doctrinales s'intéressent également aux problèmes de l'organisation interne des différentes communautés chrétiennes répandues dans l'empire. Des règles sont formulées par les conciles sur le recrutement du clergé, sur l'administration des sacrements, sur les questions relatives à la hiérarchie ou à la préséance... toutes ces règles serviront à l'établissement du droit ecclésiastique, appelé aussi droit canon. Si les Églises de langue grecque tendent à s'administrer d'une manière autonome, les Églises de langue latine se structurent rapidement sur le modèle du siège apostolique de Rome qui exerce une juridiction et une autorité disciplinaire sur toutes les communautés de l'Occident chrétien. Après le concile de Constantinople, le siège apostolique de cette ville revendique une semblable primauté pour toutes les Églises d'Orient, d'autant plus facilement que l'empire d'Occident, sans encore tomber dans la décadence, est sérieusement menacé sur toutes ses frontières, et que l'autorité de Rome n'est plus aussi ferme que sous le grand empereur Constantin.

Mais, malgré toutes les discussions d'organisation des différentes communautés, en Occident ou en Orient, l'Eglise universelle ne cesse de demeurer uns communauté qui vise à rendre un culte au seul et unique vrai Dieu, annoncé par les prophètes et révélé par Jésus-Christ. La vie religieuse va donc s'organiser autour du culte qui lui est alors rendu, particulièrement pas l'eucharistie qui rassemble les chrétiens dans un sacrifice spirituel. La liturgie eucharistique est devenue presque quotidienne, avec une célébration plus solennelle le dimanche, jour de la Pâque du Seigneur. L'année liturgique va commencer à se construire autour de deux grands pôles : celui de la rédemption et celui de l'incarnation. La rédemption atteint son sommet dans la fête de la Pâque, qui vient après un temps de pénitence et de volonté de conversion (le carême) et qui se poursuit pendant sept autres semaines jusqu'à la fête de la Pentecôte. Le pôle de l'incarnation est souligné par la fête de la naissance de Jésus-Christ. La célébration de la Nativité du Seigneur, le 25 décembre, apparaît à Rome, avant 336 ; le christianisme a sans doute annexé à son profit une fête païenne qui célébrait le soleil invaincu ; le Christ est la vraie lumière qui remplace le dieu du soleil, que pouvaient adorer sous des formes très variées les différentes cultures. Les fêtes célébrées par l'une ou l'autre Eglise locale furent également adoptées par les autres ; ainsi se forma un premier calendrier chrétien, rythmé par les dimanches, jour de la célébration hebdomadaire de la Pâque du Christ. Ce jour, que les païens appelaient 'jour du soleil', devient le jour privilégié du rassemblement des chrétiens autour de l'autel. Ce rassemblement pour la participation à l'office dominical prend le nom de 'synaxe' et au cours de cet office les fidèles se pressent pour entendre les sermons et les homélies de prédicateurs... 

Mais la communion au repas eucharistique se relâche, au point que certains évêques en viennent à brandir la menace d'excommunication pour les fidèles trop tièdes qui ne participent pas avec assez d'assiduité aux célébrations. C'est aussi à la fin du quatrième siècle que l'ensemble du monde chrétien va se répartir en deux grandes familles ; dans les années 370, sous le pape Damase, le grec va faire place au latin dans les liturgies de l'Eglise d'Occident. De plus, ces liturgies vont se diversifier selon les différents pays dans lesquels elles sont célébrées ; l'unité de la foi célébrée paraissait beaucoup plus importante que l'uniformité des célébrations. Pour participer à la liturgie dominicale, le chrétien doit nécessairement être baptisé ; dans le cas contraire, s'il n'est que catéchumène, il ne lui est pas permis de participer à l'eucharistie proprement dite, il lui est seulement demandé de prendre sa part à l'écoute de la Parole de Dieu proclamée dans les différentes lectures et de la prédication qui est faite par l'évêque ou par son délégué. Le baptême des adultes est le cas le plus fréquent ; il est précédé d'une longue période de préparation et d'initiation aux mystères chrétiens, et d'un temps de formation doctrinale. Le baptême était administré de préférence au cours de la nuit pascale pour signifier que le chrétien passe, comme le Christ, de la mort à la vie. Désormais, le nouveau chrétien est appelé à vivre dans la sainteté ; il fait partie de l'Eglise par son baptême et par la confirmation qu'il reçoit immédiatement après, avant de participer pour la première fois à la grande liturgie eucharistique. Appelé à la sainteté, le chrétien se doit de mener une vie parfaite ; en cas de faute grave, et reconnue officiellement par le magistère ecclésiastique, le chrétien pécheur est appelé à une pénitence, souvent longue et pénible, avant qu'il ne lui soit possible de réintégrer la communion ecclésiale. C'est aussi à la fin du quatrième siècle qu'apparaît l'usage de faire bénir les époux au moment de la célébration du mariage, et de faire bénir les vierges qui se consacrent au Seigneur, comme les épouses du Christ

La piété chrétienne : dévotion et culte des martyrs

Le mystère de Jésus-Christ permet à la foi de découvrir une nouvelle identité de Dieu ; le christianisme reste farouchement attaché au monothéisme juif, même lorsqu'il met au jour la structure interne de la vie en Dieu, dans ses trois personnes distinctes (qui ne sont pas trois dieux), et qui invitent tous les hommes à participer à la communion que le Père, le Fils et l'Esprit vivent dans l'unité de leur nature. L'homme lui-même se trouve engagé dans le processus d'amour qui fait l'unité même du Dieu chrétien. C'est sans doute la raison qui pousse les premières manifestations de la piété chrétienne à imiter le plus possible la perfection qui est celle du Christ Jésus lui-même, en acceptant d'abord les humiliations et le martyre à cause de lui et de l'évangile. Puis, après le temps des grandes persécutions, les chrétiens se tournent vers une autre forme de renoncement au monde qu'ils trouvent dans l'exemple des moines, lesquels vivent selon un style qui se rapproche au maximum des conseils évangéliques. Pour pallier à la soif de piété privée par les laïcs, l'Eglise sera amenée à proposer à ceux-ci des modes de vie dont elle prendra le modèle dans les institutions monastiques, réglant ainsi toute vie chrétienne sur la prière, le jeûne et l'aumône.

Le culte des martyrs est une institution qui remontait au deuxième siècle ; il était fondé sur la conviction que ceux qui avaient confessé leur foi, jusqu'à souffrir et à mourir, pouvaient jouer le rôle d'intercesseurs privilégiés auprès de Dieu ; ils avaient vécu entièrement dans la proximité des chrétiens de leur temps, leur exemple était connu et authentifié par l'Eglise, aussi les fidèles comptaient-ils sur leur appui, non seulement pour obtenir des grâces spirituelles, mais aussi pour bénéficier de leur intercession dans le concret de l'existence quotidienne ; c'est ainsi que les saints martyrs étaient réputés opérer des guérisons miraculeuses. Ce culte des martyrs a également permis un développement de la production littéraire ; les récits des actes des martyrs et de l'enseignement qu'ils avaient pu donner, dans leur chair même, au cours de leurs supplices, servaient à édifier les chrétiens des générations contemporaines et ultérieures, puisque les prédicateurs ne se privaient pas de recourir à ces récits au cours des liturgies célébrées en l'honneur de tel ou tel martyr. De plus, la vénération de ces martyrs entraîne une nouvelle forme de la dévotion, celle des reliques, des restes mortuaires de ces saints ; l'usage de l'inhumation à proximité des sépultures des confesseurs de la foi se généralise, les fidèles cherchent à se mettre dans la proximité immédiate de ces saints qui pouvaient intercéder plus facilement auprès de Dieu et se faire les avocats des chrétiens auprès du Seigneur au moment du jugement des morts. La pratique de la vénération des reliques entraîna aussi rapidement des abus ; chaque communauté chrétienne voulait posséder des restes des martyrs, aussi multiplia-t-on les translations de reliques, celles-ci ne consistant pas seulement dans des restes mortuaires, mais aussi dans des morceaux d'étoffe ayant touché le corps des saints, ou simplement dans de la poussière récoltée sur leurs tombeaux. Le danger était grand de voir cette dévotion se transformer en superstition ; aussi la législation impériale de Théodose, en 386, interdit tout trafic de reliques.

Les foules de fidèles se rendaient sur les lieux où avaient vécu les martyrs vénérés dans des sanctuaires, ou sur les lieux mêmes où le Christ avait vécu. Les constructions de Constantin en terre de Palestine témoignent de cette naissance des pèlerinages : la basilique de la Nativité à Bethléem, qui demeure le plus ancien édifice de toute la chrétienté, la basilique de la Crucifixion, celle de la Résurrection et celle de l'Ascension. D'autres pèlerins ne se rendaient pas en des lieux où avaient vécu les saints des générations précédentes, mais venaient rencontrer des personnages réputés de leur vivant, comme les moines ou les ascètes, auprès de gui l'on pouvait trouver des conseils ou des exemples, à moins qu'ils n'obtiennent en faveur de ces fidèles quelque miracle. Après la mort de ces hommes vénérés, leur tombeau devenait un lieu nouveau de pèlerinage. Le culte des martyrs prenait une nouvelle forme, en devenant le culte de tous ceux qui avaient confessé leur foi, par une vie parfaite selon les conseils évangéliques, sans avoir à subir la persécution, avec son cortège de tortures, de supplices et de morts violentes.

Avec le commencement des invasions barbares et la chute de l'empire d'Occident en 476, l'antiquité faisait définitivement place à un nouveau régime qui sera celui de la chrétienté, qui hérite de toute la tradition gréco-latine mais qui en change toute la mentalité et toute la culture. Rome, ville impériale, va devenir la ville éternelle du christianisme, centre de l'Eglise universelle ; en effet, c'est vers Rome, qui dispose des tombeaux des grandes colonnes de l'EgIise, Pierre et Paul, que se tournent les Églises locales du monde occidental. Les évêques des différentes communautés s'efforcent de répondre aux besoins de leurs fidèles et se constituent comme de véritables docteurs de la foi.

Une conversion qui révolutionne la pensée chrétienne : Augustin

Ayant reçu une formation particulièrement poussée dans le domaine des sciences profanes, ayant reçu de celles-ci toutes les lumières qu'elles pouvaient lui apporter, ayant même cédé à leurs tentations, Augustin s'est mis en quête d'une vérité plus grande et plus noble ; il l'a découverte dans le christianisme.

Né à Thagaste de Numidie, en 354, d'un père païen et d'une mère chrétienne, Augustin fut d'abord admis dans les rangs des catéchumènes de l'EgIise, mais sa mère, Monique, différa longtemps l'administration du baptême pour son fils. En revanche, elle lui permit de recevoir une formation strictement humaine dans les études les plus poussées, alors que le jeune Augustin se laissait séduire par tous les attraits d'une vie facile. Dans ses Confessions, Augustin fait lui-même le récit de tous les désordres dans lesquels il trouvait son plaisir, éprouvant même de la honte à ne pas être encore aussi corrompu que ses camarades du même âge ; malgré les remontrances de Monique, déçue par la vie de débauche de cet adolescent de seize ans, Augustin ne trouvait son bonheur que dans des plaisirs charnels, connaissant déjà la débauche et l'adultère. A dix-neuf ans, alors qu'il recherchait encore l'amour, la lecture d'un livre de Cicéron le tourna vers la recherche de la sagesse et lui inspira véritablement un amour de la sagesse ; il avoue lui-même que cette lecture marque le début de son itinéraire vers Dieu, l'invitant à se détourner de toutes les fausses joies terrestres pour qu'il s'attache aux biens qui ne passent pas. Animé d'une pareille conviction, il se mit à étudier Écriture Sainte ; toutefois, comme elle lui paraissait s'adresser aux petits et aux faibles, il ne lui trouva guère d'intérêt. Tourmenté par son orgueil - il voulait être un homme fort - et aussi par la question du mal, il se laissa gagner par les idées de Mani. Pendant une dizaine d'années, il enseigne les doctrines manichéennes, au grand désespoir de sa mère, qui offrait pour lui le sacrifice du coeur et des larmes. La rencontre à Carthage d'un prédicateur manichéen lui permet de découvrir l'inanité des doctrines qu'il professait ; Augustin quitte alors Carthage pour se rendre à Rome, puis à Milan où il rencontre l'évêque Ambroise, qui l'accueille comme un père. Auprès d'Ambroise, Augustin découvre non seulement le moyen de réfuter les erreurs manichéennes, mais aussi l'interprétation du sens spirituel des Écritures saintes chrétiennes. Il comprend ainsi la richesse de l'enseignement chrétien, mais il n'est pas encore prêt à se soumettre aux exigences de la foi et de la morale chrétiennes ; il demeure esclave de ses passions et de sa volupté. La lecture d'ouvrages platoniciens ne l'aide guère à effectuer une conversion vers plus de simplicité de vie et vers l'humilité du Christ Jésus. Pourtant la lecture de Écriture sainte qu'il entreprend lui permet de découvrir des vérités que le platonisme ne lui avait pas permis de découvrir. A trente-deux ans, il rencontre un vieux prêtre, qui avait été le père spirituel d'Ambroise de Milan ; ce prêtre lui fait découvrir comment le christianisme est supérieur à la doctrine platonicienne, et lui explique pourquoi des hommes ont tout quitté pour servir Dieu, dans l'ascétisme et la recherche de la perfection intérieure... Ce récit marque le début de la grande conversion augustinienne, Augustin se détourne du grand attachement à lui-même. Il va trouver sa mère, puis se retire dans une maison de campagne, à proximité de Milan, et là, il se prépare à recevoir le baptême des mains d'Ambroise en 387. Quelques mois plus tard, Monique mourait à Ostie, ayant en quelque sorte achevé la conversion de son fils. Celui-ci est ordonné prêtre en 391, puis il est appelé à l'épiscopat à Hippone, en 396 ; il demeurera évêque de cette ville jusqu'à sa mort, le 28 Août 430. A la date de son accession à l'épiscopat, il est en possession des idées maîtresses qui le dirigeront tout le reste de sa vie. Et il n'hésite pas à séparer lui-même sa vie en deux grandes périodes ; celle qui a précédé son épiscopat et celle qui l'a suivi. Dans sa dernière oeuvre, les Retractationes, les 'Révisions', il rejette catégoriquement toutes les opinions qui avaient pu être les siennes avant sa conversion à la Vérité, toutes les doctrines humaines qui ne sont que de fausses approches de la Réalité divine. Mais il ne cesse d'affirmer que la foi ne peut pas se passer de l'intelligence.

Augustin fut la plus grande autorité patristique de son époque ; les années 410 marquent un tournant dans la vie de l'Eglise, comme dans la pensée de l'évêque d'Hippone. A la suite de l'invasion par Alaric de la ville de Rome, Augustin entreprend d'écrire la Cité de Dieu pour démontrer que les malheurs qui s'abattent sur la ville éternelle ne sont pas une conséquence de la religion chrétienne, ainsi que les détracteurs du christianisme le prétendaient ; pour Augustin, la cité divine est ouverte à tous les hommes qui reconnaissent le même vrai Dieu, tout en demeurant dans la cité humaine ; il ne saurait y avoir de vertu authentique s'il n'existe pas une véritable religion fondée sur un culte légitime du vrai Dieu qui établit un ordre auquel les hommes se soumettent librement ; et cette religion elle-même est un facteur qui procure la paix, ce souverain bien auquel toute l'humanité aspire. Et l'évêque d'Hippone trace le portrait du chef État chrétien qui, tout en se souvenant qu'il est un homme comme les autres, commande à ses semblables, dans le souci de servir la majesté divine. 

Parmi les réfugiés, qui étaient arrivés en Afrique après la prise de Rome, se trouvait un moine originaire de Grande-Bretagne, Pélage, qui s'était acquis une solide réputation de vie chrétienne par sa vie exemplaire inspirée d'un idéal ascétique et par son autorité comme directeur spirituel des milieux ecclésiastiques et de la noblesse romaine qu'il avait fréquentés ; la théologie, qu'il professait en harmonie avec son ascétisme très poussé, présentait l'homme comme disposant d'un pouvoir personnel sur sa nature mauvaise. La doctrine de Pélage souleva immédiatement des réticences de la part d'Augustin, dès son arrivée en Afrique. Pélage ne demeura pas longtemps dans les milieux africains ; il gagna la Palestine, imitant de la sorte de nombreux réfugiés italiens ; pourtant, il laissait à Carthage un de ses disciples des plus convaincus, Caelestius, contre lequel l'évêque d'Hippone se dressa très rapidement. La doctrine de Pélage se résume dans un grand effort de moralisme et dans la prédication d'un idéal de vie parfaite inspirée des préceptes évangéliques ; c'était un idéal de renoncement rigoureux qui finissait par enfermer l'homme dans une observance de lois et de commandements qui n'était pas sans rappeler les observances du judaïsme ancien, comme si l'Évangile n'était venu qu'apporter de nouvelles contraintes aux hommes. Pour Pélage, l'important dans la vie chrétienne se trouvait du côté de l'homme qui devait pratiquer la lutte contre sa nature mauvaise, une lutte qui impliquait des efforts constants. La doctrine de perfectionnement moral ne pouvait trouver son enracinement que dans un aspect trop humain, en portant un regard très attentif sur la liberté de l'homme ; la notion même de péché était en quelque sorte évacuée puisqu'elle empêchait le plein exercice de la liberté. Du fait de l'évacuation du péché dans l'existence humaine, Pélage en venait aussi à évacuer la notion même de la grâce de Dieu, la réduisant à l'état de nature, à l'état de libre-arbitre qui donnait la possibilité aux hommes de parvenir à la vertu. On comprend facilement la réaction immédiate d'Augustin, ce pécheur converti, qui avait expérimenté, dans son existence personnelle, l'inanité de tous les efforts humains pour parvenir à la connaissance du vrai Dieu et à une vie authentiquement évangélique. 

En 411, un concile provincial réuni à Carthage condamne Caelestius, qui quitte l'Afrique pour aller semer la doctrine hérétique jusqu'en Asie Mineure. Mais en 415, un autre concile provincial en Palestine innocente Pélage. Tout l'épiscopat africain est scandalisé d'une telle décision et renouvelle ses condamnations antérieures, en alertant le pape Innocent qui ratifie leurs condamnations du pélagianisme. En 417, profitant de l'élection d'un nouveau pape, Zosime, Caelestius obtient de ce dernier sa réhabilitation ainsi que celle de Pélage. L'épiscopat africain ne désarme cependant pas et multiplie ses interventions auprès du pape et de l'empereur ; Augustin écrit traité après traité pour réfuter les erreurs pélagiennes, prononce également de nombreuses réfutations de cette hérésie au cours de ses sermons. Le pape Zosime, mieux instruit de l'affaire, condamne solennellement la doctrine pernicieuse et l'empereur Honorius se décide à agir avec fermeté contre tous les adeptes hérésiarques. La crise doctrinale était achevée, mais le pélagianisme n'était pas encore définitivement mort, et Augustin luttera contre ceux qui continuaient à propager ses erreurs jusqu'à sa mort.Le génie d'Augustin fascina ses contemporains et son influence fut grande sur les générations ultérieures. L'héritage augustinien est considérable, dans l'histoire de la pensée occidentale et chrétienne. Pourtant, il n'a laissé aucun système positif, alors même qu'il essayait de concilier les systèmes antiques de la philosophie avec le christianisme. Augustin a laissé comme héritage aux penseurs le soin non pas de reconstruire le monde, fût-ce pour en faire une cité de Dieu, mais de l'observer et de vivre au milieu de ce monde, en exerçant sa pensée vers la recherche du bonheur et de la vérité. D'autre part, il lançait dans le monde chrétien de très nombreuses idées qui servirent d'aliment à de nombreux ordres religieux au moment de leur fondation, ou à certains courants qui ont voulu réformer l'Eglise catholique au cours des siècles : le luthéranisme, le calvinisme, le jansénisme se réclameront de lui, ainsi que toutes les formes pessimistes ou rigoristes de la foi chrétienne...