L'eucharistie, sacrement de l'Eglise

 

Il n'existe pas d'eucharistie sans Eglise : c'est l'Eglise qui célèbre l'eucharistie, en rassemblant les croyants autour de Jésus, crucifié et ressuscité, que ces croyants confessent comme leur Seigneur et leur Dieu. Ce premier geste aboutit à un rassemblement. C'est à ce signe extérieur que l'on peut découvrir de l'intérieur l'existence du peuple de Dieu. Certes, avant de se retrouver pour célébrer l'eucharistie, ces croyants sont déjà attachés au Christ par la foi. En célébrant ce qui constitue le mystère de la foi, ils réalisent la présence continuée de Jésus-Christ dans le monde et ils savent qu'ils ne formeront réellement le Corps du Christ qu'en venant le recevoir tel qu'il se révèle et se communique à eux dans le sacrement eucharistique, dans l'action de grâce qui prolonge celle de Jésus lui-même au soir de la Cène. A travers ce signe du rassemblement, l'Eglise a conscience de répondre à un appel de Dieu.

Selon les évangiles synoptiques, la préparation de la Cène a eu lieu l'après-midi du jour où il fallait immoler l'agneau pascal. Jésus est mort le vendredi 15 nisân, son dernier repas aurait eu lieu la veille, le jeudi 14, après 18 heures. L'immolation de l'agneau devait normalement avoir lieu après le coucher du soleil, mais étant donné le grand nombre d'agneaux à immoler pour cette fête, elle pouvait être avancée à l'après-midi de ce jour. Selon saint Jean, Jésus est le véritable Agneau pascal dont aucun os ne devait être brisé. Le repas pascal a lieu normalement le soir de la mort de Jésus, au commencement du sabbat, cette année-là. Les Galiléens, qui s'étaient déplacés de leur province, avaient la possibilité d'avancer ce repas jusqu'au mardi avant la fête. Un climat festif préside toujours à cette célébration domestique.

Un climat festif a présidé à la Cène. Il ne fait pas de doute que Jésus ait dit beaucoup plus de choses que ce que les évangélistes ont rapporté. Ils n'ont retenu que ce qui était nouveau, soit parce que le rituel juif était assez connu pour les chrétiens venus du judaïsme, soit parce que ce rituel n'offrait que peu d'intérêt pour les chrétiens venus du paganisme.

A l'approche de la fête juive de la Pâque, Jésus monte à Jérusalem pour la dernière fois. Pour les juifs pieux, dont il était, c'était la ville sainte par excellence. Pour les chrétiens, Jérusalem est maintenant la ville où Jésus vécut sa passion, sa mort et sa résurrection, pour eux aussi, elle est une ville sainte, parce que sanctifiée par la présence de Jésus. C'est dans cette ville, au moment de la fête juive de la Pâque qu'eut lieu la Cène que rapporte l'apôtre Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe, l'un des plus anciens textes du Nouveau Testament :

Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j'ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur. La nuit même où il fut livré, le Seigneur prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit et dit : Ceci est mon Corps qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. Après le repas, il fit de même avec la coupe en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. Ainsi chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1 Cor. 11, 22-26).

Pour préparer le repas pascal, Jésus donne des consignes nettes et très précises à ses disciples. Comme à l'occasion de son entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, Jésus veut montrer sa volonté de Jésus de tout ordonner selon son intention propre, qui est nette : les consignes sont précises et ne laissent place à aucune équivoque.

Le premier jour des pains sans levain, où l'on immolait la Pâque, ses disciples lui disent : Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? Et il envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez à la ville, un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d'eau. Suivez-le, et là où il entrera dites au propriétaire : Le Maître dit : Où est ma salle où je vais manger la Pâque avec mes disciples. Et lui vous montrera la pièce du haut, vaste, garnie, toute prête, c'est là que vous ferez les préparatifs pour nous. Les disciples partirent et allèrent à la ville. Ils trouvèrent tout comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque (Mc. 14, 12-16).

Ainsi, quelques jours avant sa mort, peut-être la veille, Jésus demande à ses disciples de préparer la Pâque pour qu'il la mange avec eux. Dans tous les préparatifs de ce repas pascal, l'initiative est toujours prise par Jésus : c'est lui qui envoie ses disciples préparer la salle dans laquelle doit se dérouler le repas, comme si tout avait été organisé d'avance par ses propres soins.

Rien ne permet d'établir avec certitude la date exacte à laquelle Jésus a partagé son dernier repas avec ses disciples. Il se peut que, suivant les accords sacerdotaux pour les Galiléens, Jésus ait célébré la Pâque dans la nuit du mardi au mercredi avant d'être arrêté, jugé et crucifié dans la journée du vendredi, veille officielle de la Pâque.

La maison où eut lieu cette célébration pascale est inconnue. Ce peut être n'importe quelle maison dans le labyrinthe des ruelles de la ville. Et pourtant, en se référant aux indications précises concernant l'homme qui porte une cruche d'eau, il est légitime de situer plus précisément ce lieu dans le quartier des Esséniens. En effet porter l'eau était une tâche exclusivement féminine dans le judaïsme de l'époque. Seuls, les Esséniens, par souci de pureté rituelle absolue, effectuaient eux-mêmes cette tâche.

Les recherches archéologiques récentes confirment l'hypothèse de l'existence d'un quartier essénien sur le mont Sion. Si l'évangile ne mentionne pas le fait que Jésus pouvait fréquenter les Esséniens, au point de faire dire au propriétaire : " où est MA salle ? ", ne faut-il pas chercher une explication dans le fait que la première communauté chrétienne ait voulu se démarquer de cette secte juive qui avait des ramifications politiques et qui finira par rejoindre la lutte armée des zélotes, réfugiés à Massada au cours de la guerre juive contre les romains ?

La célébration pascale au temps de Jésus

La fête de la Pâque commence par la bénédiction d'une première coupe de vin, dite coupe de Qiddush : Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui nous donnes le fruit de la vigne.

Après un rite d'ablution et de purification, on mange des herbes amères (en souvenir de l'amertume de la captivité en Égypte, avant la première Pâque). C'est alors que commence la liturgie pascale proprement dite : le plus jeune interroge le père de famille ou le maître de maison sur le rituel pascal. Et le président explique : Pâque signifie passage, car Dieu est passé au milieu de son peuple en Égypte Le pain est azyme, sans levain, car les fils d'Israël sont partis, emportant la pâte qui n'avait pas eu le temps de lever, l'agneau rappelle l'agneau dont le sang avait protégé les maisons d'Israël au passage de l'exterminateur, les herbes amères rappellent l'amertume de la servitude, et l'eau salée, les larmes versées en Égypte par les fils d'Israël. Puis, on chantait des psaumes, le grand Hallel (psaumes 113 et 114), avant de bénir et de partager une seconde coupe de vin, dite coupe de haggadah.

Et le repas proprement dit commence avec une bénédiction sur le pain qui est alors rompu : Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui fais produire le pain à la terre. On mange ensuite l'agneau pascal et on bénit une troisième coupe de vin, la coupe de bénédiction, afin de bénir Dieu pour les merveilles qu'il avait accomplies en faveur de son peuple, en le bénissant pour la tendresse et la fidélité qu'il continue de lui témoigner, en le bénissant aussi pour l'amour qu'il va encore porter à Israël dans les âges à venir :

Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, toi qui nourris le monde dans ta bonté, ta grâce et ta miséricorde, toi qui donnes sa nourriture à toute chair, car tu nourris et soutiens tous les êtres et tu procures leur nourriture à toutes les créatures. Béni sois-tu, Seigneur, toi qui donnes à tous la nourriture.

Nous te rendons grâce, Seigneur, notre Dieu, pour ce pays désirable, bon et vaste, qu'il t'a plu de donner à nos pères, pour l'alliance dont tu as marqué notre chair, pour la Torah que tu nous as donnée, pour la vie, la grâce et la miséricorde, pour la nourriture que tu nous as accordée en toute saison. Pour tout cela, Seigneur, notre Dieu, nous te rendons grâce et nous te bénissons. Béni soit ton Nom. Béni soit ton Nom toujours et à jamais.

Béni sois-tu, Seigneur, pour ce pays et pour la nourriture. Aie pitié, Seigneur, notre Dieu de ton peuple Israël, de ta cité sainte, Jérusalem, de Sion, la demeure de ta gloire, du royaume de David, ton Oint et de ta grande et sainte maison qui a été appelée de ton nom.

Et puissent Élie et le Messie, le fils de David, venir en notre vie, le royaume de David retourner en son lieu, et toi-même régner sur nous, toi seul ! Et veuille nous y conduire, nous y réjouir et nous consoler en Sion, ta cité.

Notre Dieu et le Dieu de nos pères, que le mémorial de nous-mêmes et de nos pères, le mémorial de Jérusalem, ta cité, le mémorial du Messie, le Fils de David, ton serviteur, et le mémorial de ton peuple, de toute la maison d'Israël, se lève et vienne, qu'il arrive, soit vu, accepté, entendu, rappelé et mentionné devant toi, pour la délivrance, le bien, la grâce, la compassion et la miséricorde en ce jour de Pâque.

Souviens-toi de nous à son propos, Seigneur, notre Dieu, pour nous faire du bien. Visite-nous à cause de lui et sauve-nous pour lui, nous vivifiant par une parole de salut et de miséricorde. Épargne-nous et fais-nous grâce. Montre-nous ta miséricorde, car tu es un Dieu bon et un roi gracieux et miséricordieux.

Béni sois-tu, Seigneur, toi qui reconstruis Jérusalem !

Formulaire du Seder Rav `Amram

En conclusion de ce repas, on chantait de nouveau des psaumes, la fin du grand Hallel (les psaumes 115 à 118). Après avoir chanté les psaumes d'action de grâce, comme c'était la coutume, Jésus se retire au Jardin des oliviers.

Le déroulement de la Cène du Seigneur

Quand on regarde les évangiles avec la structure du repas pascal juif, il est facile de constater que la Cène s'est coulée dans ce moule rituel, même si les évangélistes n'ont voulu retenir que ce qui était absolument nouveau dans la manière de procéder de Jésus. Le rite d'ablution a été remplacé par le lavement des pieds, par lequel, dans une sorte de parabole en action, Jésus apprend à ses disciples qu'ils doivent se faire les serviteurs les uns des autres. Les herbes amères font place à ce que pouvait être l'amertume de Jésus en annonçant que l'un des douze allait le trahir et le livrer. La haggadah pascale a fait place, dans l'évangile de Jean, à une suite de discours d'adieux de Jésus à ceux qui avaient été ses collaborateurs. Les bénédictions sur le pain et sur la troisième coupe de vin sont traduites par le récit de l'institution de l'eucharistie.

Pendant le repas, il prit du pain, et après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit : Prenez, ceci est mon corps. Puis il prit une coupe et après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l'alliance versé pour la multitude. En vérité, je vous le déclare, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu (Mc. 14, 22-25).

Les évangélistes précisent enfin qu'après avoir chanté les psaumes, ils se retirèrent au Jardin des Oliviers.

 

Rite d'entrée

(Bénédiction de la coupe de Qiddush)

Rite d'ablution 

herbes amères 

 

Liturgie pascale

Haggadah 

(Chant du grand Hallel)

(Bénédiction de la coupe de Haggadah)

Repas

Bénédiction du pain 

(Manducation de l'agneau)

Coupe de bénédiction 

Conclusion

Fin du grand Hallel 

 

 

Lavement des pieds

annonce de la trahison de Judas

et du reniement de Pierre

 

Discours d'adieux

 

 

 

Ceci est mon corps

 

Ceci est mon sang

Après avoir chanté les psaumes,

ils se retirèrent au Jardin...

 

L'interprétation de la première communauté

L'eucharistie, la Cène du Seigneur est un repas, mais ce n'est pas un repas ordinaire, c'est un repas festif, situé dans le cadre d'une grande action de grâce. De la même manière que, dans le peuple juif, tous les repas étaient messianiques, situés dans l'espérance de la venue imminente du Royaume de Dieu par l'avènement du Messie, de même le dernier repas de Jésus a été placé dans la perspective de la venue imminente du Royaume. Pour les disciples, manger et boire avec Jésus, c'est prendre part au banquet de la fin des temps. Rien, dans les textes, ne permet de savoir si Jésus s'attendait à une mort violente à ce moment précis. Son attitude est faite de confiance envers Dieu qui interviendra pour le sauver et confirmer son message.

Il ne boira plus du fruit de la vigne, il ne célébrera plus la Pâque ici-bas, puisque Dieu va intervenir en sa faveur. D'une certaine manière, Jésus sait qu'il participe déjà au banquet eschatologique, celui qui rassemblera tous les élus, au moment de l'avènement du Royaume de Dieu sur ce monde.

Il faut être prudent dans le rapprochement des paroles de Jésus sur le pain et le vin. Il n'y a pas de relation immédiate entre ces deux paroles, étant donné le fait de la longueur du repas, puisque, entre ces deux paroles, se situe la manducation de l'agneau.

Néanmoins, les premières communautés ont fait apparaître la Cène comme une prophétie exacte de la mort sacrificielle de Jésus, en interprétant ses paroles sur le pain et le vin.

En disant : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, le sang de l'alliance, versé pour la multitude, Jésus apprend à ses disciples que le sens qu'il avait donné à sa vie et qu'il continue de lui donner, c'est le don, et le don total de soi. Et c'est cet aspect du don total que les premiers chrétiens ont retenu, en soulignant que le dernier repas de Jésus revêtait toutes les caractéristiques d'une annonce de sa mort sacrificielle pour le salut des hommes.

En partageant le pain et le vin avec ses disciples, Jésus leur fait comprendre que l'important, c'est le don, le partage. Le support qu'il donne à son geste, ce n'est pas la matière des objets partagés (le pain et le vin), c'est l'acte de les donner.

Les premières communautés ont rapidement compris que l'acte de donner était inséparable de celui de se donner. Le repas du Seigneur est inséparable du sacrifice que Jésus fera de lui-même sur la croix, dans son sang répandu pour une alliance nouvelle et définitive entre Dieu et son peuple.

Si l'alliance nouvelle est plus forte que celle du Sinaï, si elle n'est pas conditionnée par l'obéissance d'un peuple - mais par celle de Jésus seul -, si elle revêt un caractère définitif, il n'en demeure pas moins vrai que ce qui compte principalement c'est l'engagement que Dieu prend vis-à-vis des hommes, qui sont libres de l'accepter ou de la refuser. Et l'évangéliste Marc souligne l'incapacité humaine à tenir cette alliance, en encadrant son récit de l'institution de l'eucharistie par l'annonce de la trahison de Judas d'une part et par l'annonce du reniement de Pierre d'autre part.

Au moment même où l'alliance nouvelle entre Dieu et les hommes prend corps, les hommes sont incapables de prendre des engagements définitifs. L'alliance nouvelle est scellée par la seule obéissance de Jésus. Dès lors, la mort de Jésus, dans les heures qui suivent ce repas, sera interprétée comme une mort sacrificielle. Jésus est le Serviteur souffrant dont parlait le prophète Esaïe : S'il s'offre en expiation, il verra la postérité (Es. 53).

Jésus meurt pour un ensemble, il est le juste qui meurt pour la multitude des pécheurs, il verse son sang pour une alliance nouvelle. Alors, ce repas prend une dimension sacrificielle, et l'eucharistie, l'action de grâces, c'est le don du Christ lui-même. C'est pour sa mort, qui est ignominieuse, mais qui est déjà donnée dans ce repas et qui devient glorieuse, que les fidèles bénissent Dieu.

La substitution dans les religions sacrificielles

Dans les religions sacrificielles, tout sacrifice comporte une mise à part, une séparation : la victime est un trait d'union entre la communauté humaine et le sacré divin. La victime n'appartient pas totalement à la société : le meurtre, même rituel, d'un membre de celle-ci exigerait et engendrerait la vengeance. La victime n'est jamais le coupable lui-même, car faire violence au violent, c'est rester dans le monde de la violence, alors que l'on veut précisément exorciser celle-ci.

Le sacrifice suppose toujours un sentiment de culpabilité mais il comporte aussi une dimension de réconciliation. Il existe comme une structure d'échange entre l'homme et la divinité, un échange qui fait précisément que l'homme reste l'homme et que le dieu reste le dieu.

Le sacrifice du Christ est le sacrifice de Dieu lui-même. Il ne débouche pas sur une génération charnelle, mais sur une postérité spirituelle, une nouvelle race d'hommes engendrés dans l'Esprit. Le Christ est une victime qui n'appartient pas totalement à la société, une victime qui est innocente, une victime qui établit la réconciliation.

Les récits de la Cène sont des récits liturgiques. C'est à partir de leur pratique liturgique du repas du Seigneur que les premières communautés ont compris la dernière Cène. En faisant régulièrement le repas du Seigneur, les chrétiens prenaient conscience d'entrer en communion eschatologique avec Jésus-Christ. Ils baignaient encore dans la lumière de la résurrection : Dieu avait donné raison à Jésus, le Royaume était inauguré par sa résurrection et il serait achevé par la venue du Seigneur, d'où le cri souvent répété de : Marana Tha ! Viens, Seigneur !

La croix s'est estompée derrière la résurrection. Mais les premiers chrétiens cherchaient aussi à comprendre le scandale de cette mort ignominieuse. Ils relisent les Écritures, et ils comprennent que Jésus est le serviteur souffrant, le juste qui expie pour une multitude, celui qui répand son sang pour une alliance nouvelle.

L'eucharistie aux premiers siècles

Dans les premières communautés chrétiennes, l'eucharistie est partagée au cours d'un repas. C'est ce que l'on peut constater en lisant le livre des Actes des apôtres : Unanimement, ils se rendaient chaque jour assidûment au Temple, ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l'allégresse et la simplicité de coeur (Ac. 2, 46).

Ce repas du Seigneur est appelé "fraction du pain", en souvenir de ce geste de Jésus, aussi bien lors de la multiplication des pains que lors de la Cène ou à l'auberge d'Emmaüs... Nous ne savons pas exactement comment se déroulait ce repas dans les premières communautés, mais le livre des Actes des apôtres signale quelques éléments principaux : l'enseignement des apôtres, l'action de grâce, la fraction du pain, le partage du pain et du vin consacrés, des psaumes de louange... La langue qui était employée était l'araméen pour les communautés de Palestine, et, dans les autres Églises, d'origine païenne, c'était le grec, langue la plus connue par ceux qui s'étaient convertis au message évangélique.

Pour connaître le déroulement précis d'une célébration eucharistique, il faut attendre le témoignage de Justin de Rome, aux environs de l'an 150. S'adressant à ceux qui ne partageaient pas la foi chrétienne, il explique, dans une Apologie, les principes fondamentaux de la foi, et à propos de l'eucharistie, il donne une description complète :

Le jour dit du soleil, ceux des nôtres qui habitent les villes ou les champs se rassemblent en un même lieu. On lit les Mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes, autant que le temps le permet. La lecture terminée, celui qui préside prend la parole pour avertir les participants et les exhorter à imiter de si beaux enseignements.

Ensuite, nous nous levons et nous adressons ensemble, à haute voix, des prières à Dieu, pour nous, pour les nouveaux baptisés et pour tous les chrétiens qui sont partout dans le monde. Puis nous nous embrassons les uns les autres, en suspendant les prières.

Alors est présenté à celui qui préside les frères du pain et une coupe d'eau et de vin trempé. Il les prend et exprime louange et gloire au Père de l'univers par le nom du Fils et de l'Esprit Saint, il fait une action de grâce, abondamment, autant qu'il a de forces pour ce que Dieu a daigné nous donner ces choses. Celui qui préside ayant achevé les prières et l'action de grâce, tout le peuple présent acclame, en disant : Amen.

Celui qui préside ayant rendu grâce et tout le peuple ayant acclamé, ceux qui sont chez nous appelés diacres donnent à chacun des assistants une part du pain eucharistié et du vin mêlé d'eau et ils en portent aux absents.

Cet aliment est appelé chez nous eucharistie. Nous ne le prenons pas comme du pain ou un breuvage ordinaires. L'aliment eucharistié par un discours de prière qui vient de Jésus-Christ notre Sauveur est la chair et le sang de ce Jésus fait chair. Car les apôtres, dans les mémoires qui sont d'eux et qu'on appelle Évangiles, nous ont rapporté ce qu'il leur avait ainsi prescrit : Jésus, ayant pris du pain, avait rendu grâce en disant : Faîtes ceci en mémoire de moi, ceci est mon corps. Et ayant pris la coupe semblablement, il avait rendu grâce, en disant : Ceci est mon sang.

Ceux qui sont dans l'abondance et qui veulent donner donnent librement, chacun ce qu'il entend. Ce qu'on recueille est ainsi porté à celui qui préside, et il secourt les orphelins et les veuves et ceux qui sont dans l'indigence par suite de maladie ou pour toute autre cause et ceux qui sont de passage. Bref, il a cure de quiconque est dans le besoin.

Nous nous rassemblons tous le jour du soleil, parce que c'est le premier jour où Dieu, tirant des ténèbres la matière, fit le monde, et que Jésus-Christ, notre Sauveur, ce même jour, ressuscita des morts.

Le plus ancien canevas de prière eucharistique que nous possédions remonte au troisième siècle, il a été composé par saint Hippolyte de Rome. Ce dernier l'écrivit en grec parce que tout le peuple, à Rome même, parlait cette langue. Il fut taxé d'intégrisme par le pape qui voulait faire virer la langue liturgique au latin... Le pape Paul VI a rendu à l'Eglise cette prière eucharistique (c'est la deuxième formule du canon romain actuel). Voici le texte d'Hippolyte, dans la Tradition apostolique. Il s'agit d'une eucharistie célébrée après le sacre épiscopal d'un nouvel évêque :

Quand il a été fait évêque, que tous lui offrent le baiser de paix, le saluant parce qu'il est devenu digne. Que les diacres lui présentent l'oblation et que lui, en imposant les mains sur elles avec tout le presbyterium, dise en rendant grâce : Le Seigneur soit avec vous ! Et que tous disent : Et avec ton Esprit. - Élevez vos coeurs. - Nous les tenons vers le Seigneur. - Rendons grâce au Seigneur. - C'est digne et juste. Et qu'il continue ainsi : Nous te rendons grâce, ô Dieu, par ton enfant bien-aimé Jésus-Christ, que tu nous as envoyé en ces derniers temps comme sauveur, rédempteur et messager de ton dessein, lui qui est ton Verbe inséparable, par qui tu as créé toutes choses, et que, dans ton bon plaisir, tu as envoyé dans le sein d'une vierge, et qui, ayant été conçu, s'est incarné et s'est manifesté comme ton Fils, né de l'Esprit-Saint et de la Vierge. C'est lui qui, accomplissant ta volonté et t'acquérant un peuple saint, a étendu les mains, tandis qu'il souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui ont confiance en toi. Tandis qu'il se livrait à la souffrance volontaire, pour détruire la mort et rompre les chaînes du diable, fouler aux pieds l'enfer, fixer la règle de la foi et manifester la résurrection, prenant du pain, il te rendit grâce et dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps rompu pour vous. De même, le calice, en disant : Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand vous faites cela, faites-le en mémoire de moi. Nous souvenant donc de sa mort et de sa résurrection, nous t'offrons ce pain et ce calice, en te rendant grâce de ce que tu nous as jugés dignes de nous tenir devant toi et de te servir comme prêtres. Et nous te demandons d'envoyer ton Esprit-Saint sur l'oblation de la sainte Eglise. En les rassemblant, donne à ceux qui participent à tes saints mystères, d'y participer pour être remplis de l'Esprit-Saint, pour l'affermissement de leur foi dans la vérité, afin que nous te louions et glorifions par ton enfant, Jésus-Christ, par qui sont à toi gloire et honneur avec le Saint-Esprit, dans la sainte Eglise, maintenant et dans les siècles des siècles. AMEN.

On trouve déjà dans ce textes les grands moments qui composent les prières eucharistiques de l'Eglise :

- l'action de grâce. Le Christ a rendu grâce sur le pain et le vin. Ceux qui obéissent à son commandement doivent faire comme lui.

- le récit de l'institution. 

- l'anamnèse. On donne ce nom à la prière qui s'enchaîne au récit de l'institution de l'eucharistie : c'est le rappel de ce qui est accompli, en mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus-Christ.

- l'épiclèse. Ce terme, qui signifie invocation, est appliqué à la prière dans laquelle on demande la venue de l'Esprit-Saint à la fois sur les offrandes et sur les participants aux mystères de la foi chrétienne, pour qu'ils soient affermis dans leur foi.

- la doxologie. La prière eucharistique se conclut toujours par la louange de Dieu : les fidèles rendent grâce au Père, par le Fils, dans l'Esprit et dans la communion de toute l'Eglise.

La présence réelle du Christ dans l'eucharistie

Le débat sur la présence réelle du Christ dans l'eucharistie est un des thèmes classiques, dans le dialogue entre les différentes confessions chrétiennes. C'est un thème qui a donné lieu à de nombreuses controverses dans l'histoire de l'Eglise, alors qu'il y a unanimité entre les différentes Églises pour affirmer la présence du Christ au cours de la célébration eucharistique.

Le Christ ressuscité est présent au monde parce que son Corps glorieux ne connaît plus les limitations de l'espace et du temps, il est partout, il agit partout, particulièrement dans le coeur de chaque homme qui cherche à vivre selon l'idéal évangélique.

Dans les sacrements, cette présence du Christ ressuscité au monde devient une rencontre personnelle. Par sa Parole ou par ses gestes, il rencontre personnellement le croyant dans sa vie spirituelle ou sacramentelle.

Dans l'eucharistie, le Christ est vraiment, réellement, substantiellement présent, comme l'affirmait le concile de Trente. Ce sont là trois termes qui veulent se renforcer les uns les autres, uniquement pour confirmer la réalité énoncée.

Le quatrième concile de Latran avait introduit, dans l'Eglise et dans la théologie occidentale, la notion de transsubstantiation, un terme qu'il convient d'élucider quelque peu. Les théologiens, au début du treizième siècle, étaient fortement influencés par la pensée aristotélicienne.

La substance désigne ce qui est essentiel, la réalité profonde : c'est ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est et non pas autre chose. Ainsi, la substance du pain, c'est ce qui fait que le pain est bien du pain. Mais en plus de la substance, il y a ce que les théologiens, à la suite des philosophes depuis Aristote, appellent les accidents, les apparences : c'est ce qui se voit, ce qui se touche, ce qui peut être mesuré, ce qui tombe sous les sens. Pour le pain, les accidents sont sa forme, son goût, sa couleur, tous les éléments physico-chimiques... Et une analyse de laboratoire manifesterait que, matériellement parlant, le pain eucharistié reste bien du pain. Il est donc faux de dire que le Christ a remplacé le pain et le vin : son Corps ressuscité ne peut pas prendre la place des éléments physiques ou chimiques. Quand on s'interroge sur le contenu d'un discours, sur ce que dit 'en substance' un orateur, on cherche simplement à découvrir ce qui fait l'essentiel de son discours. La substance, c'est ce que l'on cherche et ce que l'on trouve au-delà des apparences premières.

La doctrine de la transsubstantiation affirme que, dans la célébration eucharistique, les éléments du pain et du vin sont réellement le corps et le sang du Christ. Il y a transformation de la substance, même si les apparences restent les mêmes. Reprenant les paroles mêmes de l'institution : Ceci est mon corps... Ceci est mon sang... le concile du Latran enseignait :

Son corps et son sang, dans le sacrement de l'autel, sont vraiment contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstancié au corps et le vin au sang par la puissance divine; pour que nous recevions de lui ce qu'il a reçu de nous, et que le mystère de l'unité s'accomplisse (11-30 novembre 1215).

L'insistance sur la transformation de la substance même du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ entraîne l'affirmation de la présence du Christ dans les éléments restants, d'où le respect que l'Eglise catholique accorde à la réserve eucharistique, pour sa vénération et son adoration. Dans le pain eucharistié, le chrétien cherche et trouve vraiment le Corps glorieux du ressuscité. Toutefois, mettre l'accent, dans l'eucharistie, sur autre chose que de la nourriture, ce serait déformer la volonté du Christ : Prenez et mangez, car l'eucharistie a été instituée, avant tout, pour être mangée. Aussi la Tradition des premiers siècles, et celle de l'Orient chrétien actuel ne connaît la "réserve eucharistique" que pour la communion des malades, et non pas pour un culte particulier ou pour une communion en dehors de la célébration communautaire de l'eucharistie. Ainsi, même dans la tradition catholique, un tabernacle délaissé n'est pas un tabernacle devant lequel personne ne se trouve en adoration. Un tabernacle délaissé, c'est surtout une communauté chrétienne qui ne se soucie pas de transformer sa communion en un engagement actif, en un don de soi. Ce qui est donné au fidèle dans l'eucharistie, celui-ci doit le réaliser à son tour. En communiant au Corps du Christ, les fidèles deviennent eux-mêmes Corps du Christ, ils participent à l'oeuvre de salut que Dieu opère dans le monde. Tout leur est déjà donné, mais ils doivent le réaliser, devenant également "pain rompu pour un monde nouveau". La vocation chrétienne, c'est de former un seul corps, c'est de constituer ensemble le Corps du Christ en qui sont abolies toutes les divisions par le don total de soi pour le salut de tous les hommes. C'est dire que la finalité du sacrement de l'eucharistie n'est pas et ne peut pas être dans une transformation, ni même dans une conversion des " espèces " du pain et du vin, mais dans une conversion et une transformation des coeurs et des communautés chrétiennes, de façon à rendre vraiment le Christ présent au monde d'aujourd'hui.

La messe est-elle obligatoire ?

L'eucharistie des catholiques, appelée plus communément la messe, a été présentée comme une obligation faite à tous les fidèles de participer, du moins physiquement, à cette célébration. En fait, le rassemblement des chrétiens pour l'eucharistie s'enracine donc dans une longue tradition qui remonte à l'âge apostolique, puisque le dimanche représentait l'anniversaire hebdomadaire de la résurrection du Seigneur :

Le premier jour de la semaine (juive, c'est-à-dire le lendemain du sabbat), de grand matin, elles (les femmes) vinrent à la tombe, en apportant les aromates qu'elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau. Étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus (Lc. 24, 1-3).

Le premier jour de la semaine, le lendemain du sabbat, c'est le jour de la résurrection. Ce jour deviendra le dies Domini, le jour du Seigneur, le dimanche. L'Eglise reste à tout jamais marquée par son premier dimanche...

Il se passe beaucoup de choses dans la première journée de la semaine de la résurrection de Jésus. Ce même soir, selon Luc, deux hommes quittent Jérusalem pour regagner leur village d'Emmaüs. Tout le monde connaît le nom de cette cité vers laquelle marchaient ces deux disciples. Il s'agissait de Cléopas et de son compagnon, deux hommes découragés que Jésus rejoint sur le chemin de la désespérance, chemin qu'il transformera en chemin de confiance et de joie.

Et voici que, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un village du nom d'Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. Ils parlaient entre eux de tous ces événements. Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : Quels sont les propos que vous échangiez en marchant ? Alors, ils s'arrêtèrent, l'air sombre. L'un d'eux nommé Cléopas, lui répondit : Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n'ait pas appris ce qui s'y est passé ces jours-ci. Quoi donc ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié, et nous, nous espérions qu'il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus, voici le troisième jour que ces faits se sont passés. Toutefois quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés. S'étant rendues au tombeau de grand matin et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues nous dire qu'elles ont même eu une vision d'anges qui le déclarent vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau et ce qu'ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit, mais lui, ils ne l'ont pas vu. Et il leur dit : Esprits sans intelligence, coeurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? Et commençant pas Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d'aller plus loin. Ils le pressèrent en disant : Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre coeur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? A l'instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons qui leur dirent : C'est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. Et eux racontèrent ce qui s'était passé sur la route et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain (Lc. 24, 13-35).

La résurrection du Seigneur est l'événement central de la foi des chrétiens, et ce qui est célébré le dimanche, c'est précisément la résurrection. Chaque dimanche est un jour de Pâques. Aussi, dans l'Eglise primitive, la célébration de la Pâque n'était-elle pas annuelle mais hebdomadaire. Ce n'est que vers le milieu du deuxième siècle que la fête de Pâques sera instituée, solennisant la résurrection, solennité qui ne revient qu'une fois par an. Mais chaque dimanche est célébration de l'événement pascal : il n'y a pas de "bons dimanches" et les autres, car chacun d'eux est profondément inscrit dans le mystère de la Pâque du Seigneur. Et il ne saurait être question pour un chrétien de se contenter seulement de quelques fêtes religieuses spécialement marquantes.

Le rassemblement des chrétiens pour l'eucharistie s'enracine donc dans une longue tradition, qui remonte à l'âge apostolique. Pourtant, le rassemblement des chrétiens chaque dimanche n'a pas toujours été chose facile (du moins aussi facile qu'à notre époque). Il convient de se souvenir que, dans le monde juif, ce n'était pas un jour de repos, puisque le premier jour de la semaine marquait le retour au travail après le sabbat, et que, dans le monde romain, les persécutions n'ont pas tardé... La lettre aux Hébreux est assez éloquente à ce sujet :

Ne désertons pas nos assemblées comme certains en ont pris l'habitude, mais encourageons nous et cela d'autant plus que vous voyez s'approcher le Jour... Souvenez-vous de vos débuts. A peine aviez-vous reçu la lumière que vous avez enduré un lourd et douloureux combat, ici donnés en spectacles sous les injures et les persécutions, là devenus solidaires de ceux qui subissaient de tels traitements. Et, en effet, vous avez pris part à la souffrance des prisonniers et vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, vous sachant en possession d'une fortune meilleure et durable. Ne perdez pas votre assurance, elle obtient une grande récompense. C'est d'endurance, en effet, que vous avec besoin pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir la réalisation de la promesse (Heb. 10, 25 et 32-36).

En pleine persécution, Ignace d'Antioche n'hésite pas à écrire une exhortation aux chrétiens d'Éphèse : Celui qui ne vient pas à la réunion commune, celui-là s'est jugé lui-même. C'est autour de l'autel, lorsque la communauté des frères est rassemblée, que l'unité de l'Eglise s'exprime. Ne pas venir habituellement à cette réunion, c'est se couper de l'Eglise, c'est donc se séparer de Dieu.

De même, Justin écrit son Apologie, déjà citée, en pleine persécution pour signifier à l'empereur romain ce que font les chrétiens le jour dit du soleil...

La foi dans l'eucharistie ne peut pas s'exprimer en termes d'obligation, car il s'agit d'une rencontre avec le Ressuscité. Une rencontre d'amour n'est pas, ne doit pas être, ne peut pas être une chose pesante, pénible : la foi, l'eucharistie ne sont pas des obligations au même titre que d'autres qui, tel le code de la route, imposent une contrainte sociale, sur les automobilistes ou les piétons, dans ce cas présent... L'obligation, dans le domaine religieux, devrait davantage être une exigence intérieure, le besoin d'exprimer une réponse à une invitation. Mais cette exigence intérieure ne peut pas davantage se réduire à un simple sentiment, comme celui de l'envie d'aller à la messe. C'est une question de foi, car c'est une obligation première pour l'Eglise de se rassembler. D'ailleurs la définition même de l'Eglise n'est autre que : l'assemblée des fidèles. Et que serait une assemblée qui ne se réunirait jamais ? L'Eglise ne peut être l'Eglise sans se rassembler pour rendre grâce au Père de ce qu'il a accompli pour le salut des hommes en son Fils.

Dimanche, c'est un mot qui veut dire : Jour du Seigneur. C'est le nom que les disciples de Jésus ont donné au jour de la Résurrection, parce que, ce jour-là, ils ont découvert que Jésus était leur Seigneur, et pour tous les chrétiens ce jour est inoubliable. C'est le jour-repère, celui où ils se reconnaissent entre eux en se réunissant, celui aussi où on les reconnaît. Cela devient, en quelque sorte, leur carte d'identité : les chrétiens sont les gens qui se rassemblent le dimanche pour célébrer le Seigneur ressuscité. Nous sommes loin d'une obligation : c'est la foi qui s'exprime, c'est un élan intérieur et communautaire. Dans les premiers temps de l'Eglise, des hommes préféreront mourir plutôt que de renoncer à ce rassemblement : nous ne pouvons pas vivre dans nous rassembler.

L'Eglise, la famille de ceux qui croient au Christ, de ceux qui ont compris que la foi était une affaire communautaire, a derrière elle vingt siècles d'expérience du dimanche. Depuis le soir d'Emmaüs jusqu'à dimanche dernier (et dimanche prochain), elle en a besoin pour vivre, elle en a besoin pour faire signe aux autres. Nul ne peut parler de sa foi comme d'une possession individuelle. La foi est en quelque sorte un jeu de société : j'ai besoin des autres, et les autres ont besoin de moi. C'est ce que Paul expliquait aux chrétiens de Corinthe :

Le corps est un, et pourtant, il a plusieurs membres, mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps, il en est de même du Christ. Le corps ne se compose pas d'un seul membre mais de plusieurs. Si le pied disait : comme je ne suis pas une main, je ne fais pas partie du corps, cesserait-il pour autant d'appartenir au corps ? Si l'oreille disait : comme je ne suis pas un oeil, je ne fais pas partie du corps, cesserait-elle pour autant d'appartenir au corps ? Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté. Si l'ensemble était un seul membre, où serait le corps ? Il y a plusieurs membres mais un seul corps (1 Co. 12, 12-18).

Nous avons besoin de nous confronter aux autres. La communauté chrétienne doit être attentive à celui qui est différent. Ensemble, il nous faut assurer la présence de l'Eglise dans le monde, c'est ainsi que l'on devient responsable du Christ : la foi est l'affaire de tous. La vie chrétienne engage toute la vie. Venir à l'Eglise, c'est répondre à l'appel du Seigneur, prier en union avec tous les chrétiens, célébrer le Christ ressuscité présent au milieu des siens.

En mettant l'accent sur l'obligation, comme commandement de l'Eglise, et non pas sur le fait qu'il est vital pour l'Eglise de se réunir, on se range immédiatement sous le régime de la Loi, identique à celle que condamnait l'apôtre Paul :

C'est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l'esclavage... Vous avez rompu avec le Christ si vous placez votre justice dans la Loi, vous êtes déchus de la grâce. Quant à nous, c'est par l'Esprit, en vertu de la foi, que nous attendons fermement que se réalise ce que la justification nous fait espérer (Gal. 5, 1-5).

Si les chrétiens découvraient que le dimanche est le jour où ils se reconnaissent comme authentiquement chrétiens, en reconnaissant en Jésus leur Seigneur ressuscité des morts, ils ne trouveraient aucune obligation à répondre à l'invitation eucharistique : il n'y a pas obligation dans un sens légaliste mais une exigence vitale. L'obligation disparaît derrière la nécessité de la conversion toujours à refaire de l'Eglise qui rencontre son Seigneur : il ne sert à rien d'imposer une loi quand le désir de rencontre n'existe pas, et quand le désir de la rencontre est une dimension essentielle de la vie, la loi, le commandement n'existe pas.

La perception de l'obligation dominicale se fait ressentir à propos des enfants et des jeunes qui refusent de participer à l'eucharistie. Au lieu de rappeler ce qu'on appelait naguère le précepte dominical, ne vaudrait-il pas mieux que les chrétiens eux-mêmes s'interrogent sur le visage de la communauté chrétienne qui est présentée aux jeunes ? Car les célébrations sont avant toutes choses marquées par la dimension de l'accueil. Les chrétiens viennent de lieux ou d'horizons différents pour se retrouver une fois par semaine, avec le poids de ce qu'ils ont vécu, avec ce qui les fait vivre, souffrir, espérer, avec aussi ce qui fait leur vie dans ce monde... C'est tout cela qu'ils accueillent, en mettant en commun dans la prière leur espérance de conversion ou de réconciliation (ce qui est marqué par la prière pénitentielle), leur espérance de renouvellement du monde dans lequel ils vivent (ce qui est exprimé dans la prière universelle). En se rassemblant, les chrétiens acceptent d'accueillir Celui qui vient les rejoindre sur leurs routes, Celui qui leur explique " en commençant par Moïse et tous les prophètes " le sens des événements qu'ils ont vécu ou que le monde a vécu en même temps qu'eux (ce qui est perceptible dans la liturgie de la Parole). Ils prennent également au sérieux l'accueil du Seigneur qui vient communier à leur vie comme eux-mêmes communient à la sienne (dans la liturgie eucharistique). Enfin, ils savent qu'ils sont sans cesse renvoyés à un chemin nouveau, celui de la rencontre avec tous les hommes, en situant cette rencontre dans sa véritable optique, celle de la résurrection du Christ qui ouvre des voix nouvelles pour chaque homme. En découvrant davantage le sens de l'accueil sous toutes ses formes, les chrétiens peuvent susciter une invitation permanente à ceux qui se situent hors de l'Eglise, invitation à venir partager eux aussi ce que les chrétiens vivent à l'intérieur de ce rassemblement.

Bâtir ensemble l'Eglise de Jésus-Christ

Dans l'eucharistie, les chrétiens affirment la présence du Seigneur et ils participent à la croissance de son unique Eglise, la faisant exister au coeur du monde présent : l'eucharistie fait l'Eglise alors que l'Eglise célèbre l'eucharistie. Avant le concile Vatican II, on avait l'habitude de désigner le prêtre comme " le célébrant ", les fidèles étant simplement ceux qui assistaient à la messe, tels des spectateurs. Vatican II a renoué avec la tradition ancienne de l'Eglise, en soulignant le rôle de l'évêque ou du prêtre et celui des fidèles dans la célébration. L'assemblée est signe de l'Eglise qui se construit autour de son Seigneur, et il appartient à chacun de ses membres de la faire grandir au coeur du monde.