La théologie de l'Eglise orthodoxe

 

 

Le Symbole de la foi chrétienne, telle qu'elle a été définie aux conciles oecuménique de Nicée et de Constantinople, fait proclamer aux fidèles : "Nous croyons en l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique". La visibilité de l'Eglise, ce qui constitue son principe d'organisation, son aspect hiérarchique, n'est certainement pas un objet de foi, mais simplement de connaissance. L'institution est visible, et c'est l'invisible qui est l'objet de la foi. Le chrétien croit à la présence réelle et incessante de Dieu au milieu de l'assemblée des fidèles réunis au nom de Jésus-Christ ; il croit à la vocation spirituelle et divine de toute l'humanité, à l'image du Fils unique. C'est l'unité entre la vie humaine et la vie divine qui est le centre même de la foi. L'Eglise est le lieu de la continuation de la Pentecôte, elle est la figure terrestre de la Trinité, tout en étant également le Corps visible du Christ ressuscité.

Le mystère de l'Eglise

La description de l'Eglise, comme "une, sainte, catholique et apostolique", laisserait facilement entendre qu'elle constitue une réalité déjà connue. Or, l'Eglise se présente comme un "mystère", car elle est, avant tout, une communauté où Dieu est présent sacramentellement, le sacrement étant le mode par lequel la mort et la résurrection du Christ sont commémorées, par lequel également son retour dans la gloire, sa Parousie, est annoncée et réalisée par anticipation. Déjà, l'apôtre Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, soulignait l'aspect du mystère de l'Eglise : "C'est ainsi que le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps.

Celui qui aime sa femme s'aime lui-même. Jamais personne n'a pris sa propre chair en aversion : au contraire, on la nourrit, on l'entoure d'attention comme le Christ fait pour son Eglise : ne sommes-nous pas les membres de son corps ? C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous deux ne seront plus qu'une seule chair. Ce mystère est grand : je déclare qu'il concerne le Christ et l'Eglise (Eph. 5, 22-32).

L'apôtre fonde la relation conjugale sur la relation qui doit exister entre le Christ et l'Eglise, et cette relation du Christ à son Eglise est de la même manière éclairée, à, son tour, par la relation conjugale. Paul ne fait d'ailleurs que reprendre le courant prophétique qui célébrait l'amour de Dieu et de son peuple, en soulignant l'alliance conjugale, à laquelle Israël s'est toujours montré infidèle. " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle ; il a voulu ainsi la rendre sainte, en la purifiant avec l'eau oui lave, et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même, splendide, sans tâche ni ride, ni aucun défaut : il a voulu son Eglise sainte et irréprochable " (Eph. 5, 25-27). L'allusion au sacrement du baptême est évidente dans cette relation : selon les coutumes ancestrales de l'ancien Orient, la fiancée était baignée et paré" avant d'être présentée à celui qui allait devenir son époux. Ici, le Christ lui-même se charge de ce bain nuptial qui s'est exprimée par son sang versé sur la croix : le baptême est d'ailleurs un plongeon du chrétien dans la mort du Christ Seigneur pour qu'il puisse partager avec lui la gloire de sa résurrection.

Le thème de l'époux et de l'épouse permet à Paul d'éclairer et de préciser l'autorité que le Christ peut exercer sur celle qu'il s'est choisie, en allant pour elle jusqu'au sacrifice de sa vie ; il peut également préciser la responsabilité de l'Eglise, qui doit affirmer sa foi, dans la proclamation de la Parole qui lui est confiée. Dans cette Eglise, les chrétiens sont tous les membres d'un même corps, le Corps du Christ, puisque l'épouse est la propre chair de l'époux, ainsi que le soulignait le texte du livre de la Genèse, cité par Paul (Gen. 2, 24).

Le mystère du mariage est grand, affirme Paul : il concerne le Christ et l'Eglise : mais, réciproquement, le mystère de l'union du Christ et de l'Eglise dépasse celui du mariage, qui en est une illustration : le mariage a pour mission de refléter cette union spirituelle du Christ avec l'Eglise, union qu'il n'est pas possible de définir rationnellement, mais qu'il est possible de découvrir, pour peu que l'homme accepte de se laisser saisir par l'Esprit de Dieu qui transforme l'humanité à la ressemblance du Fils unique, le seul engendré du Père avant tous les siècles. Le mariage est une figure symbolique de l'union du Christ et de l'Eglise, et le chrétien qui se laisse saisir par l'Esprit, celui qui accepte de vivre selon ce même Esprit, pénètre, dès le monde présent dans le coeur même de Dieu : il entre dans la vie intime de la Trinité, dont l'Eglise est la figure visible dans ce monde.

L'Eglise, icône de la Trinité

Par sa nature même, l'Eglise n'est pas simplement une institution humaine. De même que le Dieu, Père, créateur, modelait l'homme è l'image du Fils, de même il instituait l'Eglise, dès les commencements du monde. Les Pères de l'Eglise ancienne n'hésitaient guère à commenter métaphoriquement la création de l'homme et de la femme en y découvrant le symbole du Christ et de son Eglise. Ainsi, saint Clément de Rome pouvait écrire : " Dieu a créé l'homme et la femme, l'homme est le Christ et la femme est l'Eglise ". Pour la théologie orthodoxe, l'Eglise existe bien avant l'histoire des hommes.

D'ailleurs, l'apôtre Paul lui-même, dans sa lettre aux Éphésiens, bénit le Dieu Père de la préexistence de l'Eglise des croyants bien avant l'histoire :

"Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ : Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux, en Christ. Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard dans l'amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ, ainsi l'a voulu sa bienveillance, à la louange de sa gloire, et de la grâce dont il nous a comblés en son bien-aimé : en lui, par son sang, nous sommes délivrés, en lui, nos fautes sont pardonnés, selon la richesse de sa grâce. Dieu nous l'a prodiguée, nous ouvrant à toute sagesse et intelligence. Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même, pour mener les temps ; leur accomplissement : réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. En lui aussi, nous avons reçu notre part : suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés pour être à la louange de sa gloire, ceux qui ont d'avance espéré dans le Christ. En lui encore, vous avez entendu la parole de vérité, l'Évangile qui vous sauve. En lui encore, vous avez cru et vous avez été marqués du sceau de l'Esprit promis, l'Esprit Saint, acompte de notre héritage, jusqu'à la délivrance finale où nous en prendrons possession, à la louange de sa gloire" (Eph. 1, 3-14).

L'Eglise préexistait en Dieu avant toute création, ce qui peut souligner son caractère de méta-historique : l'Eglise ne fait pas irruption dans le monde des hommes comme une création venant de la part des hommes, mais elle fait son entrée dans le monde pour répondre au dessein que le Père avait prévu de toute éternité, puisqu'elle était cachée en lui dès "avant la fondation du monde", puisqu'elle devait répondre à son dessein providentiel de récapituler l'ensemble de l'humanité sous un seul chef, le Christ. Ainsi, l'Eglise était pré-commencée dans le paradis de la création biblique, elle était préfigurée dans le peuple d'Israël, elle faisait son entrée dans l'histoire au jour de la Pentecôte, sous la forme de langues de feu, figures de la puissance de l'Esprit d'amour qui brûlerait le monde à la Parole entendue du Fils ressuscité. Descendue du ciel, elle est appelée à y retourner, à la suite de son chef, le Christ Jésus, entré dans la gloire du Père, lors de son Ascension.

Dans l'Eglise, toutes les créatures, du ciel et de la terre sont récapitulées sous un seul chef, le Christ, pour rendre un témoignage de louange et de gloire au Dieu Père de Jésus Christ dans l'unique Esprit-Saint. C'est aussi dans l'Eglise que peut se réaliser la vocation divine de l'être humain : la chrétienté est alors appelée à réaliser dans la visibilité et tout au long de son existence ce qui fait la réalité de la vie divine. Cette vie divine est commandée par la communauté d'amour qui existe entre les trois personnes de la Trinité, le Père, le Fils et l'Esprit-Saint ; cette communauté d'amour exprime, à la perfection, le principe de l'unité dans le multiple.

Ce principe trinitaire est celui qui doit diriger également toute la vie de l'Eglise. Toute la visibilité, c'est-à-dire également toute l'organisation de l'Eglise orthodoxe devra répondre à ce principe de la communion dans l'amour. Son unité se constitue par la communion des membres égaux entre eux, consubstantiels, à l'image de la sainte Trinité, pour que Dieu soit glorifié en tous. Les Églises locales, autocéphales, sont déjà entièrement la totalité du Corps du Christ : ainsi, l'évêque d'une Eglise locale n'est jamais l'évêque d'une partie de l'Eglise, il est l'évêque de la totalité de l'Eglise du Christ, même si son pouvoir juridictionnel, c'est-à-dire humain, ne s'étend que sur une portion du peuple de Dieu, dans un territoire particulièrement délimité. Et c'est précisément parce que les évêques sont différents les uns des autres, parce que les Églises locales elles-mêmes sont différentes les uns des autres, qu'il est possible à l'Eglise universelle de vivre dans la communion : l'identique n'a jamais permis la communion. Les conciles entre les Églises sont les lieux où se manifeste le mieux ce désir de communion dans l'amour mutuel, et ils sont devenus les organes de la proclamation dogmatique.

L'Eglise à l'époque pré-constantinienne

Durant les trois premiers siècles de l'ère chrétienne, même si les prédicateurs chrétiens traitaient les puissances de l'État avec beaucoup de respect, même s'ils recommandaient l'obéissance envers les autorités civiles, qui étaient voulues par Dieu lui-même, l'Empire romain avait adopté à l'égard de l'Eglise naissante une attitude de défiance qui allait de la simple tolérance à la plus violente persécution.

Ce n'est qu'au quatrième siècle que l'Empire cessa de poursuivre sa politique hostile à la nouvelle religion pour en faire même la religion État : Constantin ne cessa de multiplier les privilèges pour l'Eglise, même s'il ne devint lui-même chrétien que sur son lit de mort. Le monothéisme chrétien avait pris la place, pour lui, du monothéisme solaire, et par là il voulait rallier, au coeur d'une même politique religieuse uniformisée, tous les hommes de l'Empire qu'il édifiait sur de nouvelles bases, en adoptant une nouvelle philosophie de gouvernement. Après lui, les empereurs, et surtout Théodose et Justinien, dotèrent également l'Eglise de nombreux privilèges, comme le monopole de la bienfaisance, l'exercice d'un pouvoir judiciaire, comme l'édification de temples dans les lieux saints, sur les tombes des martyrs, et notamment dans la nouvelle capitale, Constantinople, où fut construit la basilique sainte Sophie, en l'honneur du Christ-Sagesse de Dieu. Ayant assuré l'unité religieuse de leur empire, les empereurs voulaient, dans le même temps, assurer l'unité politique de leurs citoyens, chez qui pénétrait la nouvelle doctrine. Celle-ci, d'ailleurs, recommandait toujours l'obéissance aux gouvernants, les autorités voulues par Dieu sur le monde. Toutefois, cette unité politico-religieuse la laquelle rêvaient les empereurs fut souvent contrecarrée par des querelles à l'intérieur du christianisme. Ils souhaitaient asseoir l'autorité politique sur l'unité religieuse, et c'est à ce moment qu'éclate la crise arienne, qui divise l'Eglise... C'est alors également que naissent de grandes querelles christologiques. Pour régler tous ces problèmes internes à l'Eglise, les empereurs auront toujours recours à la procédure conciliaire, bien que celle-ci leur semble souvent manquer de rapidité et de clarté. C'est la raison pour laquelle, après Justinien, ils préfèrent parfois la publication d'édits impériaux dans le domaine de la foi, même si l'Eglise ne leur reconnaissait pas une autorité en matière doctrinale.

L'Eglise conciliaire

Après Justinien, les empereurs recherchaient surtout un accord entre les deux institutions de l'empire et de l'Eglise, une "symphonie" de l'empire pour les choses humaines et de l'Eglise pour le service des choses divines. Leur but n'était pas une inféodation d'une institution par l'autre, mais de rendre possible un système de gouvernement susceptible de mettre un frein à l'arbitraire de certains empereurs, sans pour autant soumettre l'Eglise à la domination de État Historiquement, la période des conciles oecuméniques représentait pour les chrétiens qui les connurent, et encore pour l'ensemble de l'Eglise orthodoxe actuelle, une grande période normative ; car, c'est alors que fut définie la foi dans son expression dogmatique telle qu'elle s'est toujours conservée dans la tradition orthodoxe.

Le Concile de Nicée, en 325, condamne l'hérésie d'Arius qui niait la divinité de Jésus-Christ : ce Concile définit le Fils de Dieu incarné en Jésus Christ comme consubstantiel au Père et proclame le premier symbole officiel de la foi.

Le Concile de Constantinople, réuni en 381, règle d'abord les séquelles de la crise suscitée par Arius au sein de l'Eglise, puis s'attache à préciser la nature et le rôle de l'Esprit Saint, il s'achève par la proclamation officielle du symbole de Nicée, complété par les affirmations des pères conciliaires.

Ce symbole, dit de Nicée-Constantinople, reste, encore aujourd'hui, normatif de la foi dans l'Eglise universelle.

Le Concile d'Éphèse, en 431, condamne l'hérésie de Nestorius, en affirmant dogmatiquement que dans le Christ Jésus il n'existe pas une juxtaposition de deux personnes : Dieu et un homme Jésus, mais que la divinité et l'humanité sont intimement unies en une seule personne, ou hypostase, celle du Verbe, le propre Fils unique de Dieu : en conséquence de quoi, la Vierge Marie, mère de Jésus, est véritablement mère de Dieu, elle est la Théotokos.

Le Concile de Chalcédoine, réuni en 451, réaffirme les conclusions du concile précédent : il n'existe en Jésus Christ qu'une seule personne. Ce faisant, les pères conciliaires condamnent les monophysites qui refusaient de distinguer les concepts de personne (hypostase) et de nature (phusis) : ces monophysites ne voulaient pas reconnaître la dualité de natures dans le Christ : s'il est une personne, il ne peut subsister qu'en une seule nature, affirmaient-ils. Le concile réaffirme l'existence des deux natures unies dans la seule personne du Verbe incarné, Jésus Christ, natures qui ne peuvent pas se confondre, se séparer, se modifier ou se diviser. A la suite des conclusions dogmatiques, de nombreuses Églises non grecque: mais orientales se séparent de l'Eglise orthodoxe, en adoptant des confessions de foi monophysites : ces Églises, souvent minoritaires, existent encore : Eglise copte, Eglise éthiopienne, Eglise syrienne-jacobite, Eglise arménienne.

Le Concile de Constantinople, convoqué en 553, voulait réduire le schisme des monophysites qui persistait malgré les définitions dogmatiques de Chalcédoine. Pour réconcilier les Églises séparées, l'empereur Justinien voulait qu'il soit montré aux monophysites que le concile de Chalcédoine n'était pas tombé dans le nestorianisme : pour ce faire, il fallait condamner comme suspects d'hérésie les écrits de ceux qui avaient pu inspirer Nestorius, Théodoret de Cyr (mort en 466), Ibas d'Édesse (mort en 457) et Théodore de Mopsueste (mort en 428), ce dernier ayant été le maître direct de Nestorius. L'attention des Pères conciliaires se tourna vers l'examen des "Trois Chapitres", nom par lequel on désignait ces trois auteurs et leurs oeuvres. Le Concile condamne, une nouvelle fois, les erreurs nestoriennes, en reprenant les expressions de Chalcédoine pour affirmer l'union des deux natures dans la personne unique du Christ, et en réaffirmant la foi commune en la maternité divine et en la virginité perpétuelle de Marie, mère de Dieu.

En 680, un troisième Concile fut convoqué dans la capitale, Constantinople, pour condamner une nouvelle forme de l'hérésie monophysite, le monothélisme. Déjà Sergius, patriarche de Constantinople de 610 à 638, avait tenté de restaurer l'unité de toute l'Eglise en proposant un compromis avec les monophysites : il reconnaissait en Jésus Christ deux natures, mais un seul principe d'opération (monoénergisme) et, en voie de conséquence, une seule volonté (monothélisme). Pour les empereurs, l'occasion était belle de pouvoir également restaurer l'unité de leur empire en favorisant la restauration de l'unité religieuse, ils souhaitaient voir adopter par les évêques de l'Eglise universelle cette proposition de Sergius. Mais le monoénergisme et le monothélisme furent plusieurs fois condamnés, comme des suites logiques du monophysisme, puisque toute opération découle de la nature, s'il n'y a qu'un seul principe d'opération, c'est qu'il n'y a qu'une seule nature en Jésus Christ. Une condamnation officielle fut faite solennellement au cours du concile de Latran, réuni par le pape Martin Ier : ce concile réunissait simplement les évêques d'Italie et d'Afrique, il n'était donc pas oecuménique, néanmoins les décisions de ce synode du Latran en 649 commencèrent à avoir autorité dans l'Eglise universelle, bien que le monoénergisme et le monothélisme demeuraient. Le troisième concile de Constantinople voulut mettre fin aux équivoques soulevées par le monothélisme : le Christ a réellement deux volontés qui ne sont pas opposées l'une à l'autre, sa volonté humaine propre est soumise librement et en toutes choses à la volonté divine.

Le septième concile oecuménique fut convoqué à Nicée en 787 et il eut trait aux images, aux reproductions du Christ. Ce huitième siècle connut d'ailleurs de vastes querelles à propos des images : le culte des icônes donnait parfois lieu à de très graves exagérations, susceptibles d'être condamnées, et certains Pères de l'Eglise craignaient le danger de l'idolâtrie. En 730, l'empereur Léon III fit détruire les icônes, objet de la ferveur populaire dans l'Eglise byzantine. Ce n'est que l'impératrice Irène, elle-même favorable aux images, qui mit fin à cette période iconoclaste : elle fit réunir un concile pour régler la question. Lors de sa septième question, ce Concile reconnut comme légitime la vénération orientale des images. Puisque le Verbe de Dieu s'est vraiment incarné, puisqu'il est devenu un homme véritable, il peut être représenté par des figures humaines ; il en est de même pour les saints. C'est pourquoi les images du Christ et de tous les saints peuvent être vénérées en toute légitimité, mais elles ne peuvent cependant pas faire l'objet d'un culte, au sens où celui-ci serait une adoration (en grec, latréia) : cette adoration est réservée à Dieu seul.

Ces sept conciles oecuméniques ont une très grande importance pour l'Eglise orthodoxe, à tel point que certains écrivains ecclésiastiques n'ont pas hésité à les comparer aux sept piliers de la Sagesse ou encore aux sept dons de l'Esprit, se référant par là au symbolisme du chiffre sept. Mais, si l'Eglise orthodoxe ne reconnaît aucun autre concile comme "oecuménique" (contrairement à ce que fait l'Eglise catholique romaine), elle ne prétend cependant pas que son magistère se limite simplement à cette période conciliaire de l'Histoire de l'Eglise universelle. L'Eglise catholique romaine reconnaît vingt et un conciles oecuméniques ; l'Eglise orthodoxe, quant à elle, se déclare fidèle à l'héritage de ces sept premiers conciles, qui ont défini la foi commune à l'Orient et à l'occident chrétien ; ainsi, l'orthodoxie a conscience de demeurer l'Eglise "une", celle qui a donné une expression dogmatique à la foi des chrétiens des premiers siècles.

Les grands caractères de l'Eglise

Le symbole de la foi de Nicée et de Constantinople précise l'objet de la foi en l'Eglise : "Nous croyons en l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique". Ce sont là quatre notes, quatre attributs qui peuvent exprimer la plénitude de l'Eglise, qui continue la mission du Christ jusqu'à son retour, à la Parousie. Supprimer, réduire, déformer, ou amoindrir une de ces quatre notes de l'Eglise entraînerait la déformation de tout le visage de l'Eglise, de tout son mystère et de toute sa réalité.

Malgré toutes les divisions qui sont perceptibles dans la visibilité de l'Eglise, celle-ci est "une", et c'est dans l'affirmation de son unité que s'exprime, d'une manière parfaite, la véritable nature de l'Eglise. Corps du Christ l'Eglise ne peut être qu'une : le Christ n'est pas divisé ; et l'idée même du Corps du Christ s'oppose à toute idée de séparation ou de fragmentation. La pluralité même des Églises n'empêche aucunement le principe de l'unité ecclésiale : l'Eglise est t lieu de communauté et de communion entre tous les fidèles, même s'ils participent à des Églises différentes. Icône de la Trinité, elle exprime aussi l'unité dans la diversité, en professant toujours et partout la même fois. A son Eglise, qu'il a voulu "une" et "unique", en priant pour l'unité de tous les hommes, à la veille de souffrir et de mourir pour eux, le Christ accorde sa propre sainteté : " il l'a voulu sans tâche, ni ride ".

Il s'est livré pour elle afin de la rendre sainte comme lui-même est saint. Malgré le péché de ses membres, l'Eglise est sainte, non seulement par vocation, mais surtout par le sang du Christ qui l'a purifiée définitivement. Une et sainte, elle est appelée à rassembler l'humanité tout entière, sous un seul chef, le Christ : car là où est le Christ, là aussi est l'Eglise catholique, c'est-à-dire celle qui est répandue à travers le monde dans sa plénitude. Celle-ci ne désigne pas uniquement une dimension géographique ; elle exprime l'impossibilité de toute fragmentation du dope de la foi, concernant l'unique Eglise, qui ne dépend pas des conditions géographiques mais qui s'exprime dans la plénitude du Corps du Christ, dont elle est la figure. De plus, l'Eglise est apostolique. Cette apostolicité de l'Eglise ne repose pas simplement sur le caractère historique d'une succession des apôtres, comme si la première Eglise, celle qui reposait directement sur l'autorité des premiers apôtres du Seigneur était la véritable Eglise : le caractère d'"apostolicité" suppose que l'enseignement magistral de l'Eglise est actuellement encore identique à l'enseignement des apôtres. Le véritable sens de l'apostolicité repose donc sur l'identité de la confession de foi à travers toutes les générations, depuis les premiers disciples. Le témoignage de ceux-ci reste le témoignage de toute l'Eglise, malgré les fluctuations de l'histoire. La dimension de la "succession apostolique" ne réside donc pas sur le principe de la transmission d'un pouvoir d'un apôtre à un évêque et de cet évêque à un autre pendant tout l'accomplissement des siècles ; elle exprime l'identité d'un même témoignage, rendu par les apôtres, dès le Jour de la Pentecôte, rendu également par les chrétiens assemblés en Eglise. D'ailleurs, très souvent, les déclarations des Conciles oecuméniques font référence à cette identité de toute la dogmatique ecclésiale, quand elles soulignent : " Ainsi ont enseigné les saints apôtres et les Pères de l'Eglise ".

La succession apostolique n'est pas simplement l'ininterruption dans l'occupation d'un siège épiscopal ou patriarcal, qui se réduirait ainsi à une succession historique dans la plus stricte matérialité : même en cas d'une vacance prolongée d'un siège, la succession apostolique n'est pas interrompue, car elle n'existe que dans toute la collégialité du corps épiscopal. Ce qui importe, pour l'Eglise orthodoxe, c'est qu'une Eglise locale accepte et adhère pleinement aux principes de l'Eglise et qu'elle reçoive ainsi toutes les grâces de l'Esprit-Saint, qui se donne dus les sacrements. La succession apostolique est une succession dans la charge qui tient des apôtres eux-mêmes et qui implique, par l'identité de fonction, une identité absolue de la foi, dus la communion de toute l'Eglise.

C'est par son apostolicité que l'Eglise peut se rattacher de manière visible à Jésus-Christ, par l'intermédiaire des apôtres qui ont été envoyés par lui jusqu'aux extrémités du monde, d'où le caractère de catholique qui lui revient presque naturellement. Sa catholicité exprime sa vocation à une mission universelle : l'Eglise est appelée à rassembler l'ensemble de l'humanité sous un seul chef, le Christ, elle invite les hommes de tous les temps et de tous les lieux à vivre en communion sous la conduite de l'Esprit-Saint. Cette communion la fait vivre dans l'unité et dans la sainteté, car la sainteté de l'Eglise ne vient nullement de la qualité de ses membres, mais uniquement de l'Esprit-Saint qui les anime. L'Esprit est également celui qui réalise l'unité dans la diversité des vocations et des aspirations.

Les quatre notes, les quatre caractéristiques de l'Eglise, telles qu'elles sont définies dus le Symbole de la foi de Nicée-Constantinople ne sont pas des propriétés que l'Eglise posséderait : ce sont des données qu'il lui revient d'effectuer. Le dynamisme missionnaire est finalement la réalité constitutive de l'Eglise : celle-ci est appelée à réaliser ce qu'elle est dans sa vocation et dus sa profession de foi. Et toute cette mission de l'Eglise s'exprime dans le dynamisme qui ne cesse de l'animer depuis ses origines apostoliques. Ce dynamisme est celui de l'Esprit répandu sur tous les fidèles depuis le jour de la Pentecôte, celui de l'Esprit qui sanctifie chacun de ses membres. Par ces quatre notes qui définissent l'essence de l'Eglise, il est possible de percevoir quelque peu le rapport que l'Eglise entretient avec son Seigneur et Christ, le mystère même de l'Eglise qui est le reflet du mystère de Jésus Christ, l'unique, le saint, qui appelle tous les hommes à vivre dus l'unité et la communion, en envoyant ses apôtres jusqu'aux extrémités du monde. Cette Eglise, Corps du Christ, est une parce qu'il n'existe qu'un seul et unique médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ ; elle est sainte, parce que ce même Jésus-Christ réintroduit les hommes dans la communion du Dieu saint ; elle est catholique, parce qu'elle est le sacrement, le signe visible de l'amour du Dieu trois fois saint pour tous les hommes et pour tout l'homme ; elle est apostolique, parce que, par l'intermédiaire des apôtres, elle reçoit sa vie de Jésus-Christ, qui lui révèle le dessein de Dieu : "Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir sous un seul chef, le Christ, l'univers entier, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre" (Eph. 1, 9-10).

L'Eglise de l'eucharistie

L'Eglise, dont la mission est de rassembler l'humanité en Christ, construit dans le monde présent le Royaume de Dieu tel qu'il sera au jour de la Parousie. Mais elle est déjà ce qu'elle est appelée à être ; les croyants sont déjà les enfants de Dieu. Cela, l'apôtre Paul l'exprime assez clairement, dans sa lettre aux Romains : " J'estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la création tout entière attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant - non de son propre gré, mais par l'autorité de celui qui l'y a livrée -, elle garde l'espérance, car elle aussi sera libérée de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet ; la création tout entière gémit maintenant dans les douleurs de l'enfantement. Elle n'est pas seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l'adoption, la délivrance pour notre corps. Car, nous avons été sauvés, mais c'est en espérance " (Ro. 8, 18-24).

Dans l'état actuel de sa condition, l'homme ne peut se faire are idée précise de ce qui sera la gloire réservée aux fils de Dieu qui ont accédé au salut donné : le salut est offert par Dieu, mais il est encore objet de l'espérance. Comme l'adoption des hommes au titre enfants de Dieu dans le Fils unique Jésus-Christ, le salut est acquis, dans la mort et la résurrection du Christ, mais les hommes attendent encore sa pleine réalisation. Dans l'état de sa condition terrestre, l'Eglise, elle aussi, attend la pleine réalisation de ce qui lui a été donné, dans les prémices de l'Esprit-Saint, répandu sur la multitude des croyants, depuis le jour de la Pentecôte.

Elle est tout entière dans cette tension dynamisante du déjà donné et du pas encore reçu. Le Christ lui-même est celui qui assure à tous ceux qui croient en lui l'union dans cette tension : il unit son Eglise par la grâce des sacrements, par le baptême qui incorpore le croyant à son Corps ressuscité et par l'eucharistie qui est communion à son même Corps. Comme le dit Paul, dans la lettre aux Corinthiens : " La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps ; car tous nous participons à cet unique pain " (1 Co. 10, 16-17). A la suite des affirmations apostoliques, les Pères de l'Eglise ont toujours considéré que l'Eglise est une communion au Corps du Christ ressuscité, notamment par la participation à l'eucharistie. Elle est le lieu de la communion, de la koinônia, ce terme grec qui désigne la situation de quelqu'un qui a part avec d'autres à quelque chose. Premièrement, c'est la communauté elle-même que les croyants ont avec le Christ Jésus ; secondement, c'est la communauté des biens qui sont propres à la communauté chrétienne, la foi, le corps et le sang du Christ ; enfin, c'est la communauté qu'ils peuvent former entre eux par une même communion au Christ et aux biens que celui-ci leur donne par sa grâce. La communion apparaît ainsi comme le fondement même de toute l'existence chrétienne. Les fidèles, entrant en communion avec Dieu par Jésus-Christ, entrent en communion les uns avec les autres, par celui qui les institue comme enfants de Dieu, comme ayant part à sa propre condition de Fils. L'eucharistie est le sacrement des sacrements, et l'Eglise est véritablement la koinônia eucharistique, perpétuée depuis la résurrection du Christ jusqu'à son retour dans la gloire à la Parousie.

La qualité de membre de l'Eglise appartient à celui qui participe à la communion eucharistique, puisque l'excommunication entraîne explicitement la privation d'une telle participation. " Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur Jusqu'à ce qu'il vienne. C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun s'éprouve soi-même, avant de manger ce pain et de boire cette coupe ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation " (1 Cor. 11, 2629). Cette condamnation que rapporte l'apôtre Paul ne s'applique pas à un état moral, mais à une faute de discernement, à un manque de foi. Le discernement auquel Paul appelle n'implique pas que le coupable ait confondu le repas eucharistique avec d'autres aliments, mais souligne la nécessité de découvrir toutes les exigences de la communion au Corps du Christ. Et l'exigence qui rassemble toutes les autres est celle de vivre dans l'unité, puisque ceux qui communient à un seul et unique pain forment un seul et unique corps.

Ainsi, la "communion des saints" ne désigne pas tant la communion des fidèles entre eux (qui seraient déclarés "saints" parce que leur Père céleste est le Saint) que la participation aux mêmes "choses saintes", le pain et le vin de l'eucharistie, qui font entrer les fidèles dans le mystère divin, par l'action de l'Esprit. L'Eglise ne peut donc se définir, théologiquement, par des fonctions ou par son organisation, mais par le culte qui la rassemble, dans une communauté de table autour du Ressuscité. Et c'est l'Esprit Saint lui-même qui convoque la multitude des hommes autour de la table sainte pour rendre z culte spirituel au Père de toute gloire.

L'ecclésiologie eucharistique renvoie toujours à la théologie trinitaire : puisque l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, le secret de l'existence humaine ne se trouve pas en l'homme, mais en Dieu. Ce secret se manifeste alors dus la vie de l'Eglise qui appelle tous les hommes à vivre dans la communion avec la Trinité des Personnes divines. Et la présence divine ne peut jamais être morcelée, même si les Églises locales sont différentes les ares des autres : toute Eglise locale est la totalité de l'Eglise du Christ : un évêque n'est pas l'évêque d'une partie de l'Eglise, il est l'évêque de toute l'Eglise du Christ, qui est une et indivise. La communion ecclésiale s'exprime dans une consubstantialité semblable à celle qui existe entre les Personnes divines. Les différentes communautés locales ne sont pas des morcellements de l'Eglise universelle : chaque communauté réalise, d'une manière sacramentelle, la plénitude du Corps du Christ, dans le mystère eucharistique. De cette manière, chaque Eglise locale suppose toutes les autres, elle se rassemble, non pas isolément, mais avec toutes les autres, pour se réaliser dans son être profond, qui est le "Corps du Christ", qu'elles constituent toutes ensemble. Elles sont unies par l'identité de leur foi et de leur témoignage, autour d'une même table eucharistique.

Pour l'orient orthodoxe, l'Eglise est avant tout are communauté où Dieu est présent sacramentellement, car le sacrement est le mode par lequel la mort et la résurrection du Seigneur Jésus Christ sont annoncées et commémorées, jusqu'au jour où il viendra dans la gloire de sa seconde venue, à la Parousie.