CALVIN,

UN SECOND SOUFFLE POUR LA REFORME

 

Luther n'est pas le seul initiateur de la Réforme, même s'il lui a permis de trouver sa première expression publique. D'autres tentatives ont été faites, qui subirent l'influence des théologiens de Wittenberg, mais qui poussèrent le mouvement au-delà de ce que pouvait prévoir le premier patriarche de la Réforme. Ce mouvement va connaître un second souffle, en la personne de Jean Calvin, qui se distinguera surtout de Luther, par son souci constant d'organiser l'Eglise réformée : Martin Luther fut le prophète, Jean Calvin sera l'organisateur. Mais entre ces deux hommes, il faut signaler Uldrich Zwingli, le troisième homme de la Réforme, celui qui la fit entrer en Suisse.

La Réforme Zwinglienne

Après Wittenberg, Zurich fut le deuxième pôle du mouvement réformateur ; comme la bourgade d'où se leva le souffle de Martin Luther, Zurich n'était qu'une petite ville de sept mille habitants, au début du seizième siècle. Mais elle allait connaître un grand rayonnement grâce à la personnalité de Zwingli. Celui-ci était né en 1484, quelque semaines seulement après le réformateur de Wittenberg ; et il fut comme lui un homme d'Eglise. Il fit ses études à Vienne, puis à l'université de Bâle, où il obtenait ses grades de bachelier et de maître ès arts, avant de recevoir la prêtrise A vingt-deux ans seulement, il était choisi comme curé de la paroisse de Glaris. Il est très attaché à l'Eglise catholique romaine et dévoué au service du pape. Il poursuit sa carrière ecclésiastique, en étant aumônier militaire des troupes suisses en Italie. Ayant vu les horreurs de la guerre notamment à Marignan, et jouissant d'une pension romaine, lors de son retour au pays, il laisse sa paroisse de Glaris aux bons soins d'un vicaire, et il s'installe comme prédicateur à Einsiedeln, un célèbre lieu de pèlerinage marial, en 1516.

Il ne cesse d'améliorer sa culture : il avait déjà appris le grec, il étudie l'hébreu, à partir de 1520, il lit les classiques de l'époque et se met à approfondir l'enseignement de la Bible, qu'il prêche à tous les pèlerins. Au lieu de faire des homélies sur des passages des évangiles, il se lance ainsi dans un grand commentaire de l'Évangile selon saint Matthieu. Depuis 1116, il était en relations suivies avec Érasme, qu'il considère comme un maître vénéré. Plus que théologien, Zwingli ressemble plutôt à un humaniste chrétien, en quête de sanctification et non avide de parvenir au salut éternel. Dans son étude de la Bible, il ne cherche donc pas les moyens de parvenir au salut, mais plutôt la vérité sous sa forme la plus pure, d'autant qu'il découvre, à la lecture des Lettres de saint Paul la vérité et la certitude du pardon offert en Jésus Christ.

En décembre 1518, le conseil de Zurich le nomme prédicateur et curé de la cathédrale. Il s'était fait connaître, en prêchant, à la demande du vicaire général de Constance, contre les indulgences, lesquelles étaient prêchées par un franciscain, qui faisait de son office un commerce. Pour Zwingli, le chrétien devait être un homme qui suivait la philosophie du Christ : il ne peut donc chercher son salut dans des oeuvres humaines. Déjà, le prédicateur de Zurich se séparait de l'Eglise : il nia cependant avoir subi l'influence de Luther, il voulait simplement parvenir à une réforme prudente, dans le style érasmien. Et ce n'est qu'en essayant d'appliquer son réformisme qu'il se découvrir une sorte de parenté spirituelle avec le réformateur de Wittenberg. Certes, il accepte certains principes luthériens, mais il les modifie sensiblement. Il faut dire qu'il n'a pas connu les mêmes angoisses spirituelles que Martin Luther. Aussi pour lui, ce n'est pas la grâce obtenue par la mort de Jésus Christ qui peut constituer le centre de la doctrine chrétienne, mais la Loi qui est l'expression parfaite de la volonté divine ; il ne prêche pas la justification, mais un appel à la sanctification pour suivre le modèle du Christ. Rapidement, sa doctrine devait le conduire au moralisme. A propos des sacrements, il enseigne que ce sont simplement des symboles.

Fort des paroles mêmes de Jésus Christ : Faites ceci en mémoire de moi, il affirme que la Cène est simplement un mémorial de la mort de Jésus ; pas plus que le baptême, elle n'a une efficacité particulière dans la sanctification des chrétiens. La rupture effective avec l'Eglise romaine ne pouvait plus tarder : dès 1521, il renonce à sa pension pontificale, puis il dénonce le jeûne du carême et l'obligation du célibat ecclésiastique. Il demande au conseil de la ville de Zurich de donner l'ordre à tous les prédicateurs de n'utiliser que la seule Écriture comme fondement de tout leur enseignement. Et c'est en 1522 qu'il effectue ses premiers actes proprement réformateurs : il adresse une lettre à son supérieur hiérarchique, l'évêque de Constance, dans laquelle il lui demande l'abolition du célibat ecclésiastique et la liberté de la prédication évangélique. L'évêque répondit à cette demande par un mandement qui condamne les désordres de Zurich. Bénéficiant du soutien du conseil de la ville, c'est à lui que Zwingli demande de trancher la question. Le conseil demande alors à l'évêque la convocation d'un concile locale pour régler le différend ; sa demande n'ayant pas été entendue, le conseil organise un débat théologique, où l'évêque de Constance ne se fait représenter que pour condamner la légitimité d'une telle dispute.

Au cours de ce débat, en 1523, Zwingli présente soixante-sept thèses, fortement inspirées des écrits pauliniens, et dans lesquelles il expose toute sa pensée théologique, rejetant la hiérarchie de l'Eglise romaine, le sacrifice de la messe, dénonçant les voeux religieux et les jours de jeûne, confiant l'autorité ecclésiastique au gouvernement civil.

Le débat s'achève par la victoire de Zwingli, le conseil de la ville de Zurich ordonnant aux pasteurs de se conformer aux thèses du réformateur de la ville.

Forts de l'appui du gouvernement local, quelques iconoclastes saccagèrent des sanctuaires en septembre 1523. Une nouvelle dispute théologique eut lieu en Octobre ; il y fut question de la messe et du culte des images. La décision finale fut de laisser au conseil de Zurich le soin de fixer le moment où devraient disparaître tous les vestiges de l'ancien culte. En janvier 1524, après une troisième dispute théologique, le conseil proclame l'interdiction des processions et des pèlerinages, la suppression des couvents qui seront transformés en écoles. En moins de deux semaines, les églises de la ville furent purifiées de tous les restes du culte romain : leurs murs sont blanchis, les orgues sont démontés, les cierges sont supprimés... En 1525, peu avant Pâques, la messe est abolie, elle est remplacée par un culte extrêmement dépouillé, entièrement centré sur la proclamation et la prédication de la Parole de Dieu. Le nouveau culte s'en tient strictement à ce que peut présenter la Bible : prières, sermons, pas de chants par souci de pureté et de simplicité. Les sacrements sont réduits au baptême, qui signifie l'appartenance chrétienne, et à la Cène qui ne sera célébrée que quatre fois par an sur une table ordinaire, avec une coupe et un plat de bois ; la Cène ne sera qu'une action de grâces pour le sacrifice du Christ, qui a été accompli une fois pour toutes.

Toutefois, l'attitude austère de Zwingli ne pouvait pas recevoir un accueil chaleureux de la part de tous ses concitoyens ; certains dénonçaient une sorte de césaropapisme chez le réformateur de Zurich, mécontents de la collusion qu'il entretenait entre le pouvoir civil et l'autorité religieuse. Les anabaptistes, entre autres, qui avaient d'abord accueilli avec enthousiasme la prédication zwinglien ne, furent déçus : ils refusaient le baptême aux enfants et prétendaient réaliser la communion des saints. Zwingli, dont l'autorité est incontestée, condamne sans pitié : le chef des dissidents, Félix Manz, est condamné à mort par noyade : il avait péché par l'eau (celle du baptême), il devait périr par l'eau, en janvier 1527. En Suisse, Zurich devient un centre de la Réforme semblable à ce que pouvait être Wittenberg, en Allemagne. Mais le succès de la Réforme à Zurich provoque aussi de sérieux remous dans la Confédération suisse, qui est menacée d'éclatement : les cantons forestiers veulent rester fidèlement attachés à la foi traditionnelle tandis que les cantons citadins adoptent rapidement la prédication évangélique. Se sentant menacés, les cantons catholiques s'allient avec l'Autriche, oubliant que cette puissance était l'ennemie séculaire de la Confédération... Toutes les conditions étaient réunies pour que la question religieuse, en Suisse, se transforme en une véritable guerre de religion. En 1529, ce conflit fut évité de justesse. Mais les cantons protestants organisèrent un blocus économique contre les catholiques. Ceux-ci se mirent en campagne contre les Zurichois qu'ils battirent à Kappel, en Octobre 1531. Zwingli, qui avait repris sa fonction d'aumônier aux armées, prit les armes. Il fut tué aux premiers rangs ; son cadavre fut écartelé et brûlé. La défaite des Zurichois régla la question religieuse : désormais, chaque canton, comme les villes et les États allemands, pouvait régler elle-même toute question de foi. A Zurich, la Réforme est maintenue, notamment grâce à deux pasteurs et théologiens de valeur : Léon Jude et Henri Bullinger. Ce dernier, qui fut le premier pasteur de la collégiale de Zurich, fit de sa ville un centre de culture et de conciliation, travaillant à la rédaction d'une confession de foi helvétique, et parvenant ainsi à un accord avec Calvin, un compromis qui unissait la réforme zwinglienne et la réforme calvinienne, le Consensus Tigurinus , en 1549. Tout en maintenant le caractère symbolique de la Cène, comme le souhaitait Zwingli, il reconnaissait, avec Calvin, la réalité de la présence spirituelle du Christ. Ce compromis était important pour l'histoire du protestantisme : il unissait Zurich et Genève, dans une même visée évangélique.

La Réforme à Strasbourg

Après Wittenberg et Zurich, Strasbourg fut un des foyers de la Réforme. Ville libre et très peuplée, dans la vallée du Rhin, aux frontières de l'empire, Strasbourg constituait une charnière entre le monde germanique et le royaume de France. A l'origine de la Réforme dans les villes d'Alsace, on trouve Matthieu Zell, le curé de la cathédrale de Strasbourg qui, tout en étant évangélique, se défendait d'être luthérien. Sa prédication de Évangile ayant un grand succès, les autorités civiles suivirent le mouvement avec un certain libéralisme, à partir de 1121. Il préparait le terrain à Martin Bucer.

Celui-ci, né à Sélestat en 1491, dans un milieu pauvre, s'était fait dominicain afin de pouvoir faire ses études. Ayant été acquis aux idées érasmiennes pendant son séjour au couvent d'Heidelberg, puis par la prédication de Luther en 1518, il avait commencé à prêcher la Réforme à Wissembourg, avant d'être appelé par Matthieu Zell, également conquis par les idées du réformateur de Wittenberg.

Tandis que le catholicisme s'effondre, Strasbourg devient une ville-refuge pour tous les réformateurs et les prophètes évangéliques : Bucer et ses amis commentent les différents livres de la Bible, réforment le culte en expliquant aux populations les raisons des changements qu'ils apportent.

Ayant rassuré les chanoines soucieux de préserver les bénéfices auxquels ceux-ci étaient attachés, ils peuvent poursuivre leur oeuvre sans difficulté. Les couvents sont fermés et transformés en écoles ; la messe est supprimée en 1529, alors que Strasbourg s'est rapproché de Zurich pour adopter l'évangélisme. Rangés du côté des protestants , lors de la diète de Spire, les représentants de la ville préparèrent également leur défense et leur confession de foi pour la diète d'Augsbourg, en 1530 : ce fut la Confession tétrapolitaine, puisque les villes de Constance, de Lindau et de Memmingen se joignirent au document élaboré par Bucer, qui cherchait à pacifier toutes les querelles passionnelles de la Réforme. Il croyait, en effet, à la possibilité d'une unité entre tous ceux qui croient au Christ, qu'ils soient catholiques ou qu'ils soient réformés, dans toutes les obédiences de la dite Réforme.

Charles-Quint, quant à lui, espérait liquider la Réforme, et, pour ce faire, il obtenait du pape Paul III la convocation d'un concile à Trente, pour l'année 1545. Il espérait que les protestants refuseraient de se rendre à une telle convocation, venue de l'Eglise romaine ; il ne fut pas trompé dus ses espoirs ; il n'attendait d'ailleurs que leur refus pour leur déclarer immédiatement la guerre, en s'attaquant aux princes unis par la ligue de Smalkalde. A la bataille de Mühlberg, le 24 Avril 1547, l'électeur Jean-Frédéric de Saxe fut fait prisonnier, la lige fut anéantie. Et, en attendant les décisions du concile de Trente, l'empereur imposait aux protestants l' Interim d'Augsbourg , qui admettait sans doute la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres, mais qui méconnaissait les doctrines les plus profondes du mouvement réformé, la doctrine de la justification, en particulier. Cet Interim fut imposé à Strasbourg. Bucer refusa de l'accepter et se trouva ainsi contraint de quitter la ville et de se réfugier en Angleterre, où il devait mourir deux années après son arrivée. Mais il avait pu contribuer à la réforme de l'Eglise anglicane par son enseignement à l'université de Cambridge. Pourtant, l'oeuvre de Bucer devait lui survivre, en portant ses fruits surtout à Genève, avec Calvin qui l'avait rencontré, lors de son séjour à Strasbourg. Dans cette dernière ville, le protestantisme se fige dans un luthéranisme étroit, alors qu'auparavant la Réforme y avait trouvé un accueil chaleureux et indulgent.

Au-delà de la ville-frontière de Strasbourg, la Réforme avait aussi pénétré en France. La doctrine de Luther s'était rapidement répandue, dès 1520, à Lyon, en Avignon et dans le Dauphiné, où elle connaissait de nombreux adeptes. En Avril 1521, le parlement français condamnait l'hérésie, et les premiers bûchers s'allument alors à Paris.

La genèse d'un théologien

Jean Calvin naquit à Noyon le 10 juillet 1509. Il est donc de quarante-trois ans le cadet Érasme, et de vingt-six ans celui de Luther. C'est lui qui sera le second patriarche de la réforme. Contrairement aux parents de Luther Gérard Cauvin, son père, et Jeanne Lefranc, sa mère, souhaitaient voir Jean Calvin se lancer dans la carrière ecclésiastique. Dès que j'étais jeune enfant, écrit-il, mon père m'avait destiné à la théologie. Issu d'une famille modeste, Gérard ajoutait à sa charge de greffier communal celle d'avoué, chargé des affaires de l'évêque de Noyon ; il occupait ainsi une place des plus honorables dans la société.

Jeanne Lefranc, femme très pieuse, l'initie religieusement aux pratiques traditionnelles de la vénération des reliques et de la dévotion populaire, en Picardie. Si elle recherche pour son fils des protections surnaturelles, son père lui cherche des protections dans les milieux ecclésiastiques ; et c'est ainsi que Jean Cauvin, dit Calvin, va obtenir, dès l'âge de douze ans, des bénéfices ecclésiastiques, qui vont lui permettre d'effectuer des études complètes.

A Noyon, il s'initie d'abord à la rhétorique et à la grammaire, avant d'être envoyé par son père à Paris, où ce jeune homme de quatorze ans se prend d'amitié pour son maître, Mathurin Cordier, qui lui fait découvrir le plaisir de commenter les auteurs anciens et les joies de l'humanisme. Mais la grande libéralité pédagogique de ce maître ne suffit pas à préparer Jean aux charges que son père brigue pour lui. Gérard Cauvin place alors son fils dans l'austère collège de Montaigu, le brillant bastion de la scolastique médiévale : les étudiants y sont soumis à un régime très sévère, travaillant de l'aube à la nuit tombée, acceptant les jeûnes répétés, nuisant ainsi souvent à leur santé, comme ce fut le cas pour Calvin. Sur les bancs du collège de Montaigu, il rencontra vraisemblablement celui qui allait devenir le fondateur de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola, lequel fréquenta le collège à la même époque. Les deux condisciples recherchaient avant tout la gloire de Dieu, comme en témoignent leurs devises respectives : Pour la plus grande gloire de Dieu et A Dieu seul la gloire.

Les deux condisciples allaient devenir les chefs de file de deux mouvements totalement opposés : les jésuites et les réformés... En 1528, après avoir obtenu de l'Eglise de Noyon un second bénéfice, il devient maître ès arts. Il poursuit ses études de droit à Orléans, animé par le désir d'aider tout homme dans ses rapports avec les autres et même dans ses rapports avec Dieu. C'est à cette même époque qu'il entend parler des courants réformistes et des réformateurs, notamment par un humaniste allemand, Melchior Wolmar, luthérien inconditionnel, qui l'invite à se ranger dans le parti des réformateurs, mais qui ne parvient cependant pas à le détourner de sa fidélité à l'Eglise romaine.

Certes, il lit les traités que publie Luther, mais il ne se soucie guère des querelles religieuses. Wolmar parvient à le convaincre que les études de théologie lui permettront d'orienter jusqu'à leur plein achèvement les connaissances dont il dispose. Calvin hésite, mais il achève d'abord sa préparation d'une licence en droit, qu'il obtient en 1530.

Deux années à Bourges vont compléter sa formation de juriste, et vont lui permettre aussi d'approfondir ses connaissances du mouvement réformateur, puisque l'université de Bourges avait été remaniée par Marguerite d'Angoulême, très favorable aux nouvelles idées religieuses.

Rappelé à Noyon par l'agonie de son père, il assiste aux derniers moments de celui-ci, qui meurt le 26 mai 1531. Cet événement, dans sa vie privée, va orienter sa conversion. En effet, son père avait été accusé de détournements de biens, et comme il ne présentait pas ses comptes, il avait été excommunié. Jean Calvin aimait cette Eglise catholique romaine, dans laquelle il avait grandi, mais, dans son esprit, le doute commençait à naître. Et les incidents qui ont eu lieu entre sa famille et les chanoines de la cathédrale de Noyon, pour permettre l'enterrement de son père en terre chrétienne, font naître en lui un sentiment de rancoeur contre cette Eglise. Il se laisse de plus en plus gagner aux idées nouvelles : la mort de son père le dispensait de poursuivre dans la carrière de juriste que celui-ci souhaitait pour son fils, en même temps qu'il voulait en faire un homme d'Eglise. Calvin se tourne vers les lettres, en s'inscrivant au collège Fortet, en face de Montaigu. Il complète sa formation littéraire et s'adonne à l'étude théologique, en suivant les cours des lecteurs royaux au Collège de France. Brûlant du désir d'être reconnu par eux comme l'un des leurs, il publie, en 1532, un Commentaire sur le De Clementia de Sénèque . L'humanisme Érasme le tentait certainement beaucoup plus que la Réforme de Luther ; mais son oeuvre, qui témoigne pourtant d'un talent authentique d'humaniste, ne rencontre pas le succès escompté. Il se tourne alors vers la théologie seule, de plus en plus favorable à Évangile retrouvé.

Sa conversion subite peut être datée de 1133. Le jour de la Toussaint de cette année-là, Guillaume Cop, recteur de l'université de Paris et ami de Calvin, prononce une homélie de rentrée qui fait scandale. Ce discours fait état longuement des idées nouvelles : en commentant l'évangile des Béatitudes, le recteur faisait une véritable proclamation en faveur de l'évangélisme. On a souvent soupçonné Calvin d'être l'auteur de ce discours ; il semble plutôt qu'il en a seulement surveillé l'élaboration, en fournissant à son ami les références aux écrits Érasme et de Luther. Le parlement ordonna l'arrestation de Cop et de Calvin, mais ce dernier parvint à quitter Paris, pour trouver refuge à Angoulême. Là, profitant de sa retraite forcée dans la bibliothèque d'un de ses amis, il se livre entièrement à l'étude et commence sans doute à écrire les premiers chapitres de ce qui sera l'oeuvre de toute sa vie : l' Institution de la religion chrétienne . Le 4 Mai 1534, il revient à Noyon pour renoncer à tous les bénéfices ecclésiastiques qu'il avait obtenus : il ne veut plus recevoir de secours matériels d'une Eglise qu'il juge déjà comme une maîtresse d'erreurs. Il rompt ainsi les liens qui l'attachaient encore à Rome et fait le pas décisif qui le séparait des idées de la Réforme. Il fait désormais partie de ceux que la justice du roi de France pouvait frapper, en raison de leur foi.

En effet, François Ier, qui avait été fait prisonnier après la bataille de Pavie en 1525, était revenu en France, persuadé que l'unité nationale ne pouvait être rétablie que sur les fondements d'une unité religieuse ; avec l'aide du Parlement et des évêques, il combat le luthéranisme, en allumant des bûchers dans tout le royaume. Les écrits de Luther, condamnés par la faculté de théologie de Paris, avaient été brûlés solennellement en 1523. Après 1126, les premiers martyrs de la Réforme française sont suppliciés ; mais cette Réforme se radicalise, malgré tout, rapidement.

Le réformateur genevois

Dus la nuit du 17 au 18 Octobre 1534, éclate l'affaire des placards : des affiches pamphlétaires, dénonçant les abus de la messe papale, sont placardées en plusieurs endroits de Paris, et jusque sur la porte de la chambre de François Ier, à Amboise. Cette affaire entraîne un renouveau de persécution contre les novateurs réformés : les suspects sont arrêtés et exécutés, de nombreux partisan: de la réforme sont contraints à l'exil. Au début de l'année 1535, Calvin quitte la France pour trouver refuge en Suisse, là où la Réforme a été accueillie favorablement. En Mars 1536, alors qu'il résidait à Bâle, la cité Érasme et des grands typographes, il fait paraître la première édition, en latin de son Institution , un catéchisme pour adultes, qui procurent à ceux-ci les biens spirituels pour les aider à bien mener leur vie terrestre, tout en les préparant à la vie éternelle. Ce volume, de cinq cent seize pages, paru dans un petit format, qui permet de le dissimuler facilement, obtient un vif succès : en neuf mois, tous les exemplaires disponibles disparaissent des librairies. Calvin travaillera toute sa vie à établir une version définitive de cette Institution , qui devait devenir, avec sa dernière édition, en 1559, la Somme théologique de la Réforme. La préface de cet ouvrage est dédiée au roi de France, afin que celui-ci soit éclairé des positions, tant religieuses que politiques, des protestants : ils ne répandent pas de doctrines pernicieuses, même s'ils proclament que le Royaume de Dieu, quand il s'établira, renversera les puissances humaines les mieux établies, les royaumes qui semblent les plus solides. Dès la première édition de cet ouvrage, Calvin fonde l'orthodoxie réformée sur des assises stables, que ses adversaires ne parviendront jamais à ébranler dangereusement : il apparaît déjà comme le théologien et le second patriarche de la Réforme.

Après avoir publié son Institution , Calvin gagne l'Italie du Nord, où il espère convaincre la duchesse Renée de Ferrare, la belle-soeur du roi de France, qui était déjà sympathisante du mouvement réformateur, de la vérité des idées que lui-même commence à défendre avec ardeur. Après un court séjour à Ferrare, il se décide à rentrer en France, dans l'espoir de s'installer définitivement à Strasbourg, la ville accueillante aux idées réformatrices.

Mais la guerre entre Charles Quint et François Ier a repris, elle l'empêche de regagner Strasbourg ; Calvin passe par Genève, en juillet 1536, il y rencontre Guillaume Farel ; celui-ci le presse d'organiser et d'affermir la Réforme à Genève. Cette ville se trouvait en conflit avec son évêque, depuis quelques décennies, au sujet des libertés communales.

En mai 1536, elle avait décidé de vivre selon l'Évangile et la Parole de Dieu, en se libérant de la tutelle de l'évêque, et de la maison de Savoie qui exerçait une certaine prétention sur elle. Genève s'était alliée avec Berne, ville qui lui avait envoyé Farel, un ardent prédicateur, propagandiste des nouvelles idées religieuses. Celui-ci avait donc acquis la bourgeoisie genevoise aux nouveautés politico-religieuses, et il avait organisé des débats sur le modèle de ceux que Zwingli établissait à Zurich. En réponse à sa prédication, le conseil communal se décida favorablement pour la nouvelle religion, obligeant l'évêque et son clergé à quitter le territoire de Genève. La messe papale fut alors interdite. Mais Farel, s'il était un brillant prédicateur, n'avait rien d'un organisateur ; ayant rencontré Calvin, il découvrit en lui l'homme capable d'effectuer cette organisation de l'Eglise réformée. D'abord, Calvin refuse de s'établir à Genève ; Farel se fait de plus en plus pressent, n'hésitant bientôt plus à menacer Calvin de la malédiction divine : Au nom du Seigneur tout-puissant, tu seras maudit si tu refuses l'oeuvre du Seigneur. Nommé officiellement lecteur en la sainte Écriture, Calvin entreprend de donner à l'Eglise genevoise les structures nécessaires qui lui permettront de rallier pleinement la Réforme, en passant du stade d' une Eglise de convertis à celui d' une Eglise pour convertir. Selon Calvin, l'Eglise est un groupement humain, qui ne rassemble pas la masse, comme peuvent le penser les catholiques, qui n'est pas davantage un petit troupeau, comme le prêchent les anabaptistes, c'est l'ensemble de ceux qui confessent une même foi, en constituant une communauté vivante, une parfaite image du Royaume de Dieu à venir. Ceux qui régissent cette Eglise doivent veiller à la sanctification de chacun de ses membres. Ils disposent, pour maintenir la communauté dans son intégrité, du droit d'excommunication contre tous ceux qui ne veulent pas se ranger sous la conduite de la Parole de Dieu. La discipline qu'il proposait ne plaisait guère aux membres influents de Genève, ville où la liberté se confondait facilement avec la licence. Les magistrats finissent par exiler Farel et Calvin, le 23 Avril 1538.

Tandis que Farel va poursuivre son ministère de prédicateur à Neuchâtel, Calvin se rend à Strasbourg, pour répondre à l'invitation de Martin Bucer, afin d'y devenir le pasteur des Français réfugiés à Strasbourg, à la suite des persécutions religieuses, menées en France. Calvin organise ainsi la paroisse française, en jetant les bases d'une liturgie et d'une organisation ecclésiastique, sous l'influence de Bucer : l'autorité religieuse n'est pas détenue par une hiérarchie, mais par un conseil des anciens. C'est le régime presbytérien qui s'installe dans l'Eglise réformée. Il refond son Institution , dont la deuxième édition latine paraît en 1539, bientôt traduite en français par l'auteur lui-même, en 1541. Il publie également un Commentaire sur l'Épître aux Romains. Et même s'il était entré en conflit ouvert avec l'Eglise genevoise, qui l'avait exilé, il lui conserve un profond attachement : l'évêque de Carpentras, Sadolet, avait considéré l'expulsion de Calvin de la ville de Genève comme une occasion pour ramener ces chrétiens dans le giron de l'Eglise catholique romaine. Les cercles protestants qui avaient exilé Calvin s'adressèrent à lui pour qu'il prenne leur défense, en soulignant que le message du salut en Jésus Christ est obtenu par l'illumination de la Parole de Dieu. C'est aussi pendant son séjour strasbourgeois qu'il épouse Idelette de Bure, la veuve d'un anabaptiste liégeois. De ce mariage naquit un fils, Jacques, qui ne vécut que quelques jours. Idelette, quant à elle, mourut en 1549. Si Calvin peut couler des jours paisibles à Strasbourg, les Genevois se portaient bien mal en son absence. En 1541, il est rappelé à Genève, qui lui réserve d'abord un accueil triomphal, même si Calvin affirme qu'il aurait préféré subir cent autres morts au lieu de cette croix qu'on lui impose sur les épaules.

Les Genevois vont alors s'organiser en une communauté qui n'est pas sans rappeler celle des premiers chrétiens. Ce qui fait la force des idées réformatrices, ce n'est pas simplement la constatation de l'immoralité qui pouvait régner dans certains milieux ecclésiastiques de l'Eglise romaine, c'est bien davantage la constatation que l'Eglise n'est plus la même que celle des premiers siècles.

Cette découverte avait permis aux Genevois de s'organiser en une véritable communauté évangélique. Et, même si les notables de la ville s'opposèrent à Calvin, en 1538, il peut être, à bon droit, considéré comme le fondateur de cette Eglise, non seulement le fondateur juridique, mais le fondateur théologique. Il pourrait sembler qu'arrivant à un moment où la Réforme s'est déjà répandue en Occident, Calvin n'ait plus rien à ajouter à ce mouvement, inauguré en Allemagne par Luther, poursuivi en Suisse par Zwingli... Mais, alors que les autres réformateurs faisaient surtout une oeuvre spéculative, s'attachant à montrer théologiquement et exégétiquement le bien-fondé de leurs revendications, Calvin qui est pourtant beaucoup plus intellectuel que les autres va s'attacher à faire de son oeuvre une réforme de la vie chrétienne dans toutes ses dimensions : peu de spéculations, mais une existence menée authentiquement à la lumière de Évangile Calvin n'est pas un théologien en chambre, un homme d'études, c'est, avant tout, un homme d'action, un réalisateur : sa formation de juriste l'aidera à établir une sorte de cité théocratique. L'influence des idées luthériennes est certaine, et pourtant Calvin fait oeuvre originale. Alors que Luther place au principe de sa réforme le problème du salut, et du salut personnel, donnant une double réponse à ce problème par la foi seule et par l'Écriture seule, comme les deux données constitutives du sujet croyant par une opération irrationnelle, puisque le Seigneur Dieu sauve l'homme malgré son indignité..., Calvin, lui, pose une autre problématique, celle du devoir qui revient au sujet croyant. Ce devoir, c'est de connaître Dieu, de lui rendre honneur et de le servir. La connaissance de Dieu se fait uniquement par la Révélation ; contre les catholiques, les humanistes, et même contre les zwingliens, Calvin soutient que les moyens humains sont source de perdition. Puisque le croyant connaît Dieu, qui se révèle à lui, il pourra lui rendre honneur. Il pourra servir ce Dieu qui le sauve en Jésus Christ ; en cela, Calvin s'oppose aussi à Luther. Puisque Dieu lui-même le justifie, le croyant est immédiatement sanctifié. L'Eglise de Calvin est l'Eglise des saints, le rassemblement des élus, et non pas une Eglise de la foi, où le chrétien chercherait à obtenir son salut personnel par la confiance qu'il peut placer en Dieu.

Le premier objectif de Calvin est de purifier l'Eglise de toutes les influences qui sont étrangères à Évangile, notamment des traditions ecclésiales, qui ne sont que des inventions humaines. C'est un effort de lucidité et de repentir qu'il demande aux Genevois pour que leur Eglise soit plus fidèle à la volonté de son Seigneur, et donc plus fidèle à sa mission. Or, les citoyens de Genève aimaient s'amuser, dans leur vi1le de passage et de foires... Calvin n'a nullement l'intention de ruiner sa ville et ses concitoyens, même s'il veut faire de Genève la Jérusalem sainte.

Il transforme la cité en un véritable couvent laïc, en invitant les Genevois à se préserver de tous les abus. Les mauvaises moeurs cléricales, sans être la cause de la Réforme, avaient beaucoup favorisé l'expansion du mouvement ; il ne convient pas de retomber dans les mêmes excès déplorables ; il faut rompre avec le passé de corruption et de vices, pour entrer dans une existence proprement évangélique. Il faut que l'Eglise redevienne la véritable communauté chrétienne, telle qu'elle est présentée dans Écriture C'est à ce niveau que se trouve, semble-t-il, une des plus profondes inspirations du Réformateur. Il n'entreprend pas de faire une étude abstraite de l'Eglise, mais il invite à faire un acte de foi : l'Eglise est à la fois un objet de perception et un objet de foi, elle n'existe d'ailleurs que par la foi de ses membres vivant actuellement : ce n'est pas parce que les ancêtres ont été chrétiens que les hommes d'aujourd'hui sont dispensés de le devenir, à leur tour. Néanmoins, il ne sied pas de remonter de la situation présente de l'Eglise vers son fondateur; il convient de se souvenir que l'Eglise est le Corps du Christ, avant d'être une institution historique : elle est la manifestation même du Christ, elle est le moyen historique par lequel il se rend lui-même présent. Les hommes seuls ont été incapables de donner naissance à l'Eglise ; ils sont incapables de réformer seuls une Eglise déformée. La Parole de Dieu, seule, peut opérer ce renouvellement, cette nouvelle naissance. La tâche du chrétien sera la prédication, l'enseignement, la communication de la vérité évangélique, qui, seule, permet d'engendrer la véritable Eglise, tout en se souvenant que la prédication n'est pas une oeuvre humaine, qu'elle est la voix de Dieu qui résonne. Car c'est Dieu qui est l'auteur de la prédication. L'Eglise authentique se trouve là où la Parole de Dieu est correctement prêchée et où les sacrements sont administrés selon l'institution du Christ. Cette Parole de Dieu, annoncée dans la prédication, donne naissance à la communauté chrétienne, pour autant que celui qui annonce Évangile professe la vraie foi, en demeurant fidèle à l'enseignement évangélique.

Pour veiller au bien de l'Eglise historique, Calvin, s'inspirant du Nouveau Testament et de ce qu'il a appris auprès de Martin Bucer, établit quatre types de ministères : les pasteurs, les docteurs, les diacres, les anciens.

Les pasteurs reçoivent le ministère de prêcher quotidiennement et d'administrer les sacrements, ils sont nommés par leurs collègues, avec l'assentiment du conseil communal, ils se réunissent, une fois par semaine, pour étudier la Bible et pour examiner fraternellement si leur prédication est authentiquement évangélique. Les docteurs ont la charge d'assurer la tâche essentielle de l'enseignement. Les diacres se voient confier le soin des malades et des pauvres dans la communauté. Les anciens sont au nombre de douze laïcs, ils sont nommés également par le conseil, et, ils forment, avec les pasteurs, le Consistoire de l'Eglise, chargé de maintenir la doctrine dans son orthodoxie. Ce sont les Anciens qui détiennent le pouvoir de l'admonestation et de l'excommunication, afin que les moeurs de chaque membre de la communauté soient toujours conformes à l'esprit de Évangile, afin également que, toujours et partout, soit défendu l'honneur de Dieu, cet honneur qui est au centre de toute la doctrine de Calvin. Le Consistoire était une sorte de tribunal d'inquisition qui sanctionnait toutes les infractions à la vie évangélique : les pécheurs notoires lui étaient livrés et devaient subir des punitions, allant de l'amende honorable publique à la condamnation à mort ou au bannissement, en passant par la torture et l'excommunication. De 1541 à 1546, cinquante-six condamnations à mort et soixante-dix-huit bannissements furent prononcés.

Il est certain que toutes ces réformes de la vie sociale elle-même ne furent pas acceptées avec la même faveur par tous les habitants. D'abord, les anciens combattan1 de la liberté voyaient d'un mauvais oeil la tyrannie des ducs de Savoie remplacée par la dictature religieuse du réformateur d'origine française ; les bons vivants ne supportaient guère de voir supprimées toutes les fêtes, celles-ci étant remplacées par une austérité qui interdisait tout luxe et toute occasion d'amusement, comme le théâtre et les bals ; enfin, certains étaient opposés à la théologie même de Calvin.

Ces derniers furent éliminés sans pitié. Ainsi, le médecin humaniste espagnol, Michel Servet, l'un des correspondants de Calvin, sinon un de ses amis, contestait la doctrine de la Trinité et refusait de reconnaître la préexistence divine du Christ ; Calvin le fit dénoncer à l'Inquisition catholique de Lyon. Arrêté à Vienne, en Isère, où il exerçait sa médecine, Servet, interrogé par l'Inquisition, est jeté en prison, d'où il parvient à s'échapper. Jugé par contumace, il est condamné au bûcher. Il tente de trouver refuge à Genève où, au cours d'une prédication, Calvin le reconnaît. Aussitôt, il est arrêté ; un nouveau procès commence pour lui, procès que Calvin mène lui-même, sur le plan théologique. Le conseil de Genève consulte les autres villes suisses qui concluent toutes à la culpabilité de Michel Servet. Le 26 Octobre 1553, tombe la sentence : il est condamné au bûcher et exécuté. Après cette exécution, Calvin estime qu'il a réduit tous ses adversaires, il ne pense plus qu'à remanier une fois de plus son Institution chrétienne, tout en administrant l'Eglise genevoise et en veillant à l'expansion pacifique du parti protestant dans tous les pays d'Europe.

Son oeuvre connut son apogée, à Genève, avec la création d'une Académie, dont Théodore de Bèze fut le premier recteur. Calvin souhaitait faire de cette Académie un grand centre pour la formation supérieure des pasteurs, qui lui sont réclamés de toutes parts. Créée en 1559, autour d'un corps professoral constitué par les réformateurs qui avaient dû fuir Lausanne, elle rayonna rapidement, comptant plusieurs centaines d'étudiants : Calvin et Bèze y enseignaient la théologie et commentaient Écriture sainte, tandis que d'autres professeurs enseignaient la philosophie, le grec et l'hébreu, les mathématiques... Genève, la cité de Calvin, est devenue la Rome du protestantisme : depuis la première publication de l' Institution chrétienne , en 1536, les groupes réformés se sont multipliés, notamment dans les différentes régions de France. Le 25 Mai 1559, un premier synode des Églises réformées se tient à Paris : la nouvelle Eglise s'y déclare majeure par rapport à l'Eglise romaine, et, forte de la paix d'Augsbourg, qui avait été signée quatre années plus tôt, elle demande au pouvoir civil une reconnaissance officielle de sa foi. En réaction contre ce synode, le roi de France, Henri II, promulgue, en juin, l'édit d'Écouen, pour lutter contre la canaille luthérienne. L'Eglise huguenote était créée en France ; ses membres fondaient également un parti politique qui cherchait à s'affirmer comme tel, alors que l'autorité royale déclinait. Le 10 juillet 1559, Henri II succombe, à la suite d'un coup de lance dans l'oeil, en joutant dans un tournoi contre Montgomery ; que mon peuple persiste et demeure ferme dans la foi , aurait-il dit, en mourant. François II lui succède, mais en réalité le pouvoir est entre les mains de la reine, Catherine de Médicis, et des Guises. Ceux-ci concluent des dernières paroles du roi que deux religions ne peuvent pas subsister ensemble sur la terre de France. La persécution fait rage : l'unité de la foi est indispensable pour la bonne marche de l'État. En face du roi, maître des armées et allié de l'Eglise, les protestants se retrouvent seuls ; quelques huguenots se tournent alors vers Calvin, lui demandant de les rassurer dans leur projet de résister à la tyrannie qui opprime les enfants de Dieu, dans le royaume de France. Bien qu'il leur recommande de fomenter une émeute, des huguenots exaltés fomentent un complot, qui visait à arracher le jeune roi François II à l'influence des Guise. Leur entreprise échoue et se termine dans un bain de sang. Malgré cet échec, les Églises réformées ne cessaient d'augmenter en France, si bien que la reine Catherine de Médicis, conseillée par le chancelier Michel de l'Hospital, comprend qu'il est nécessaire de composer avec le parti de la Réforme et de rapprocher les catholiques et les protestants. Dans ce but, elle convoque le colloque de Poissy, en septembre l561, où Théodore de Bèze défendit avec ardeur les thèses huguenotes, si bien que le colloque finit par admettre la coexistence des deux cultes, la pratique de la religion réformée étant tolérée seulement en dehors des villes. Mais la rémission accordée aux huguenots fut de très courte durée : le 1er Mars 1562, François de Guise fait massacrer soixante-dix protestants parmi le millier d'auditeurs d'un culte, à Vassy, en Champagne. Les guerres de religion venaient de commencer...

Si la tuerie de Vassy avait été organisée par ordre du roi, Calvin l'aurait sans doute tolérée, comme un droit du chef de État Mais il ne se sent nullement lié par l'autorité des Guise, et il consent à appeler à la lutte contre ces barbares qui persécutent ses frères dans la foi. I1 permet qu'une armée soit levée et exhorte les Églises réformées à cotiser pour l'entretien de cette année. Le 18 février 1563, François de Guise, blessé mortellement, les chefs des deux partis faits prisonniers, la place est nette pour Catherine de Médicis, qui négocie le mois suivant un édit de pacification à Amboise. Elle reconnaît la liberté de conscience à tous les sujets du royaume français mais restreint la liberté de culte à certaines personnes et à certains lieux : ainsi, à Paris, seul, le culte catholique est autorisé. Tout en regrettant que cet édit n'assure la liberté de culte qu'à certaines personnes, notamment les gentilshommes, Calvin déclare qu'il est décidé à ne jamais appelé ses fidèles à la révolte contre la royauté française, il regrette même d'avoir poussé les siens à la lutte contre les Guise.

Obligé de renoncer à son enseignement public, en février 1564, Calvin consacre ses dernières forces à préparer sa mort. Le 25 Avril, il dicte un testament spirituel d'une rare sobriété, dans le dessein de se présenter sans malice devant Dieu ; connaissant la vénération dont l'entouraient ses fidèles amis et les genevois, il leur demande des funérailles communes et une sépulture anonyme ; il répartit ses biens entre les membres de sa famille... Le 28, il rassemble autour de lui ses collègues, afin de leur faire ses adieux et de les encourager à poursuivre l'oeuvre qu'il a entreprise avec eux, assuré que Dieu gardera lui-même cette Eglise réformée ; il leur recommande de ne rien innover, non pas qu'il désire pour lui par ambition que le sien demeure et qu'on le retienne sans vouloir mieux, mais parce que tous les changements sont dangereux et quelquefois nuisent. Ensuite, comme le note un témoin de la scène, il prit congé de tous les frères qui le touchèrent en la main, l'un après l'autre, fondant tous en larmes . Néanmoins, il demeure en vie pendant un mois encore, s'endormant paisiblement dans le sommeil de la mort, le 27 mai 1564, vers huit heures du soir. Conformément à ses désirs, il est inhumé sans cérémonie, sans discours, au cimetière de Plainpalais : aucune pierre, aucune inscription ne marque le lieu de sa sépulture.

L'expansion du calvinisme

La doctrine de Calvin, diffusée par les éditions successives de l' lnstitution , s'est rapidement répandue dans toute l'Europe, avant même la mort du second patriarche de la Réforme. Fuyant les persécutions, les réformateurs accourraient pour trouver refuge à Genève, d'où ils étaient ensuite renvoyés pour devenir les missionnaires de la foi nouvelle, et ce au péril de leur vie. Sur la fin de son existence, Calvin avait lui-même suivi les événements politiques qui agitaient l'Eglise de France. Malgré la menace des condamnations à mort, les huguenots restaient fidèles à leur foi, célébrant la cène autour de leur ministre, mais se manifestant le moins souvent possible. Ils étaient répandus dans toutes les classes de la société, de la haute noblesse jusqu'à la petite bourgeoisie, celle des commerçants, en particulier. Très souvent, Calvin intervint en leur faveur, en leur envoyant des pasteurs rigoureusement formés à la discipline ecclésiastique genevoise, leur recommandant de fuir le nicodémisme , la timidité, et de renoncer aux coutumes véritablement païennes du catholicisme romain, leur enjoignant de gagner Genève, en cas de nécessité. De plus, comme le protestantisme français se constituait sur le modèle strasbourgeois bien plus que sur le modèle genevois, Calvin souhaitait organiser l'Eglise réformée de France, c'est-à-dire lui annoncer la pure doctrine et lui distribuer les sacrements, selon l'institution du Christ. En 1555 eut lieu le premier baptême réformé à Paris ; l'exemple fut suivi de beaucoup d'autres, et le protestantisme progressa jusque dans l'environnement immédiat du roi de France. C'est Calvin qui inspira la Confession de foi proclamée par le Synode parisien de 1559, confession qui fut reconnue définitivement au septième synode national, en 1571, et qui prit le nom de Confession de la Rochelle . Cette Confessio gallicana , inspirée d'une ébauche faite par Calvin lui-même, admettait cependant une possibilité de révélation naturelle de Dieu aux hommes ; elle établissait aussi une organisation ecclésiastique pour la France, organisation d'inspiration plus nettement calviniste que les courants évangéliques qui avaient vu le jour précédemment dans ce Royaume. Le massacre de Vassy, en 1562, déclenchait le mécanisme des guerres de religion, faites de conflits sanglants et de trêves boiteuses. Bien que Catherine de Médicis ait choisi le parti de la tolérance, en promulguant l'édit d'Amboise, les protestants craignaient toujours une coalition avec l'Espagne catholique. Pendant une quarantaine d'années, la France sera le théâtre d'une guerre civile aux origines purement religieuses. La reine-mère constate la faillite totale de sa politique de modération et se tourne définitivement du côté des catholiques. Par deux édits, en septembre et en décembre 1568, le roi Charles IX accorde la liberté de conscience à tous ses sujets mais interdit l'exercice de toute autre religion que la catholique romaine : les ministres réformés disposent d'un délai de quinze jours pour quitter le territoire national... Par le traité de paix de Saint-Germain, signé en août 1570, la reine-mère accordait l'amnistie à tous les huguenots et la liberté de conscience totale. Ils auront la possibilité de célébrer leur culte en tout endroit sauf à Paris et dans les villes où pouvait séjourner la cour royale.

La réconciliation entre le parti catholique et le parti protestant devait être scellée par le mariage de la soeur du roi, Marguerite de Valois, avec le fils du roi de Navarre, le calviniste Henri de Bourbon. Un autre réformé, l'amiral de Coligny exerçait une grande influence sur le roi Charles IX et cherchait à entraîner la France dans une guerre contre la dangereuse Espagne catholique. Catherine, dont l'autorité était ainsi battue en brèche, décida entraîner Coligny dans un guet-apens. Son entreprise échoua. Mais comme la reine-mère craignait une réaction de vengeance de la part des huguenots, au cours d'une séance du conseil privé, il fut décidé d'assassiner tous les chefs huguenots venant à Paris pour le mariage d'Henri de Bourbon et de Marguerite de Valois ; ce qui sera un massacre est présenté comme une mesure de salut public au roi qui donne son assentiment au projet. Dans la nuit de la saint-Barthélémy, le 24 Août 1572, l'amiral de Coligny et ses coreligionnaires les plus en vue périrent sous les coups de poignards des hommes à la solde des Guise. Le massacre se poursuivit trois jours durant à Paris, puis il se répandit en province : plusieurs milliers périrent ainsi dans une tuerie où la populace, avide de sang et de butin, se mêla aux troupes royales. Pour éviter que les victimes de ce massacre soient considérées comme les martyrs de leur foi, on les présenta comme des criminels qui avaient collaboré à une grande conspiration contre le roi et contre sa cour. Le pape, Grégoire XIII, en apprenant l'anéantissement des rebelles, ne cacha pas sa satisfaction, et il fit célébrer un Te Deum : il espérait, sans doute, que la France allait enfin retrouver une attitude purement catholique, sans accorder désormais de place à l'hérésie... Le parti huguenot avait perdu ses chefs : ceux qui n'avaient pas péri dans le massacre, comme Henri de Bourbon-Navarre, avaient été contraints d'abjurer leur foi ; mais, le mouvement de la Réforme devenait désormais un vaste mouvement populaire : les membres les plus fortunés avaient émigré, la masse des fidèles, quant à elle, se groupait dans la résistance au pouvoir royal. La démocratie protestante allait sauver ce qui avait été perdu par son aristocratie.

Les martyrs criaient vengeance, et les villes, comme La Rochelle, dont les habitants des deux confessions voulaient vivre en paix, voient arriver les fugitifs et organisent une résistance active, dans l'ouest et dans le Midi. Les résistants réclament la réhabilitation des victimes du massacre de la saint-Barthéllémy et la liberté du culte protestant dans tout le royaume de France. Un État protestant s'installait ainsi en France. Après la mort prématurée de Charles IX, le 30 Mai ib74 - il avait vingt-quatre ans la cour royale doit signer la trêve avec les protestants, puis la paix de Beaulieu, en mai 1576 : la liberté de culte est accordée une nouvelle fois aux Réformés, sauf à Paris et dans les villes de résidence royale. Le parti catholique ne désarme pas pour autant, Le nouveau roi, Henri III, semble bien incapable d'assurer la paix religieuse ; le jeune duc de Guise organise une union sainte et chrétienne des catholiques dont il sera le chef, et qui est connue sous le nom de ligue . Cette ligue obtenait du roi la suppression des garanties accordées aux protestants : le culte ne pourra plus être célébré que dans les faubourgs d'une ville par bailliage. De son côté, Henri de Bourbon, le roi de Navarre, revenu au protestantisme après sa conversion de la nuit de la saint-Barthélémy et sa fuite du Louvre, tente de renforcer l'unité des protestants autour de lui. A la mort du duc d'Anjou, le 10 juin 1584, une délicate question se pose, quant à la succession au trône de France, puisque Henri III n'a pas d'enfant. L'héritier, selon la loi salique, qui assurait la transmission de l'autorité royale par la descendance masculine uniquement, ne pouvait être, qu'Henri de Navarre, le chef de la maison des Bourbon. Le roi de France pouvait il être un hérétique et un relaps ? En 1585, la Ligue obligeait Henri III à interdire, sous peine de mort, le culte protestant ; avec l'aide du roi d'Espagne, elle demandait également du pape Sixte-Quint l'excommunication du roi de Navarre, ce qui impliquait qu'il serait déchu de tous ses droits à la couronne de France. Le pape ne se laissa toutefois pas entraîner dans une alliance avec la Ligue, qui ne tarda pas à entrer en conflit ouvert avec le roi. Celui-ci doit quitter Paris : en décembre 1588, il ordonne l'assassinat du chef de la Ligue, Henri de Guise ; et il s'allie avec Henri de Navarre pour marcher sur Paris. Mais le ler Août 1189, il meurt, assassiné par un dominicain, partisan fanatique de la Ligue, Jacques Clément. En mourant Henri III désigne Henri de Navarre comme son successeur, en l'exhortant à se faire catholique. La conversion d'Henri IV fut sanctionnée à Saint-Denis par la célèbre abjuration : Paris vaut bien une messe. Déconcertés et irrités par la conversion de leur ancien chef, les protestants s'organisent à nouveau entre eux. Finalement, Henri IV fit un pas vers eux, en proclamant l'Édit de Nantes, le 30 Avril 1598.

Cet édit proclamait que la religion catholique était la religion dominante de la France, il restaurait le culte catholique partout où il avait pu être supprimé ; mais il accordait, en même temps, aux adeptes de la religion prétendue réformée la liberté de conscience et la liberté de culte dans deux localités par arrondissement ainsi que dans les domaines de la noblesse. Cet édit est déclaré perpétuel et irrévocable... Il sera, en fait, révoqué, le 18 Octobre 1685 : les réformés n'auront alors plus de lieux de culte établis, plus d'écoles, plus de réunions autorisées. Pour échapper aux poursuites organisées contre eux, les protestants reprenaient la route de l'exil ; c'est ainsi que près d'un million de réformés quittèrent alors la France pour gagner Genève, l'Allemagne, les Pays-Bas... pays où la Reforme avait obtenu un bien meilleur accueil que dans le Royaume de France.

Aux Pays-Bas, le calvinisme s'introduisit, alors que le luthéranisme avait rapidement pénétré ces provinces, à la suite de la prédication de moines augustins, lesquels avaient importé les idées de leur confrère Martin Luther. Dès 1520, le prince-évêque de Liège avait dû prendre des arrêtés contre les idées réformatrices qui menaçaient la paix religieuse : les livres de Luther furent condamnés à la destruction, après l'édit de Worms en 1521. L'édit ne fut certainement pas appliqué à la lettre, si bien qu'en 1529, Charles-Quint se crut obligé de menacer de la peine capitale les hérétiques et tous ceux qui possédaient des livres interdits. Ces mesures n'avaient cependant pas pu enrayer les progrès de la nouvelle doctrine. A partir de 1535, les persécutions se font plus violentes, surtout dans les milieux baptistes. Après 1540, la politique religieuse impériale s'assouplit quelque peu ; et c'est à la même époque que le calvinisme s'introduit auprès des Néerlandais. Calvin traita durement les nouveaux croyants, leur reprochant leur attitude trop réservée, les considérant comme des nicodémites : il leur envoya un prédicateur virulent, qui devait poser les fondements de la nouvelle Eglise dans leur pays. Ce prédicateur fut brûlé en 1545, mais il avait soulevé l'enthousiasme et les Néerlandais allaient se former, de plus en plus nombreux, à Genève. Des communautés évangéliques se constituèrent en prenant comme modèle la communauté genevoise, à l'initiative de Guy de Brès, un belge poussé par la persécution à trouver refuge en Suisse et qui y avait rencontré Bèze et Calvin. De retour dans sa province de Tournai et d'Anvers, il donna une confession de foi à l'Eglise des Pays-Bas, la Confessio Belgica, établie sur le modèle de la confession française et qui fut acceptée par Calvin lui-même, en 1561.

Quelques années auparavant, l'empereur Charles-Quint avait abandonné à son fils, le futur roi d'Espagne, Philippe II, l'administration des provinces néerlandaises : ce dernier s'efforça de protéger le pays contre toute nouvelle pénétration calvinienne. Pour ce faire, il obtient du pape Paul IV la création de dix-huit diocèses, à la place des quatre qui existaient déjà. Les premiers évêques furent des hommes de confiance du roi, qui s'aliénèrent l'opinion publique des provinces, habituées au libéralisme. Philippe II confie la répression de la Réforme au duc d'Albe qui, muni de directives sévères de la part de son roi, fait régner une terreur sanglante sur ces États, pour lutter contre toutes les insurrections menées pour l'obtention de la liberté de conscience et pour l'indépendance du pays, par Guillaume de Nassau, prince d'Orange, luthérien d'origine et ayant embrassé le calvinisme. Guillaume fonde, en 1575, l'université de Leyde, qu'il destine à être le centre intellectuel du calvinisme hollandais.

L'orthodoxie réformée, avec Théodore de Bèze, le successeur de Calvin dans l'Eglise genevoise, allait connaître quelques ennuis doctrinaux avec les professeurs de cette université hollandaise. Théodore de Bèze avait organisé la doctrine réformée autour d'un thème théologique, celui de la double prédestination : pour lui, les hommes sont d'avance prédestinés par Dieu, les uns pour l'enfer et la mort éternelle, les autres pour le paradis et pour la vie éternelle. Calvin, quant à lui, n'avait insisté que sur l'élection divine, laissant la damnation à l'arrière-plan : pour lui, la prédestination n'était que l'illustration de l'oeuvre de grâce voulue par Dieu. Bèze durcissait ainsi la doctrine de son prédécesseur. Un juriste d'Amsterdam, Dirk Coornhert, attaque ce doge, en 1589 ; le pasteur Jacques Arminius, ancien élève de Théodore de Bèze, est chargé de réfuter la critique faite contre la doctrine en vigueur. Mais, décevant l'attente de ceux qui l'avaient chargé de défendre l'orthodoxie calvinienne, Arminius découvrit le bien-fondé de la critique adressée au dogme de la double prédestination. A la suite de Mélanchton, il est amené à affirmer que la grâce de Dieu est offerte à tous les hommes, et qu'elle est acceptée ou refusée par eux en vertu d'une libre décision de leur volonté. Arminius se présente ainsi comme un libéral dans la théologie réformée ; il se heurte à un autre professeur de l'université de Leyde, François Gomar, qui défendait le prédestinationisme le plus strict : Dieu a pris son décret de prédestination des hommes avant même qu'il ait créé les hommes et permis la chute de l'humanité. Aucun des deux professeurs ne parvient à convaincre l'autre ; ils continuent à se battre jusqu'à la mort d'Arminius, en 1609. Cette même année, les arminiens, avec à leur tête Jean Uytenbogaert, présentent aux États Généraux une Remontrance en cinq articles. Ils admettent qu'avant la création du monde Dieu a décidé de sauver ceux qui persévèrent dans la foi en Jésus Christ et d'abandonner ceux qui le rejettent ; ils refusent de reconnaître la grâce comme irrésistible ; ils fondent la prédestination sur la prescience absolue de Dieu ; ils professent que le Christ n'est pas mort pour les élus seulement, mais pour tous les hommes ; ils demandent le rétablissement des autels et le contrôle de État sur l'Eglise. Les partisans de Gomar présentent aussitôt une contre-Remontrance. Les deux partis réclament la réunion d'un synode pour trancher le débat. Ce synode, réuni à Dordrecht, en 1618, conduisit à la condamnation des arminiens, considérés comme perturbateurs et profanateurs.

Les décisions du synode sont rassemblées dans des articles qui excluent de la prédestination toute participation de l'homme : la seule cause de l'élection gratuite est le bon plaisir de Dieu. L'orthodoxie réformée triomphait de la querelle : les arminiens s'exilèrent, surtout en Angleterre après avoir été condamnés dans leur propre pays. Les violences qui suivirent ce synode ne durèrent pas, et rapidement le pays redevient une terre d'asile et de tolérance.

La querelle était même arrivée à Genève, qui renforça son orthodoxie. L'Eglise réformée renforçait sa théologie et durcissait sa doctrine, en refusant tout libéralisme et en s'imposant comme la forme dogmatique du protestantisme.