Confucius et la sagesse humaniste

 

En Chine, la pensée philosophique, comme le mouvement religieux, naquit et se développa pendant une longue période. Celle-ci permit de nombreux changements dans l'art de vivre et dans l'organisation sociale et politique du pays. Au cinquième siècle avant Jésus-Christ, la Chine était divisée en de nombreuses petites principautés de type féodal ; il lui fallut attendre 221 avant Jésus-Christ pour être unifiée en un seul empire, sous la domination de la dynastie des Tsin, une principauté qui remporta la victoire sur toutes ses rivales. Les trois siècles qui précédèrent cette unification sont appelés par les historiens la période des Royaumes combattants, en raison des conflits qui survenaient régulièrement entre les différentes puissances de ce pays ; mais cette période pourrait tout aussi bien être qualifiée de période philosophique, car elle vit la pensée spéculative prendre un essor considérable, en se dégageant progressivement des manifestations religieuses traditionnelles et anciennes.

Parmi les nombreuses écoles de pensée qui voient le jour à cette époque, celle qui s'est groupée autour de Confucius apparaît comme celle qui a exercé une influence déterminante sur l'ensemble de la pensée chinoise, pendant de nombreux siècles, puisque, selon l'optique même de son fondateur, cette école voulait façonner l'esprit des Chinois en lui donnant les bases les plus fondamentales, aussi bien dans le domaine de l'éthique que dans celui de la politique.

En effet, il semble que Confucius ait voulu avant tout sauvegarder l'ordre traditionnel, qui commençait à tomber en décadence, à la fin de l'époque qui précéda immédiatement l'ère des Royaumes combattants. Il paraissait important à Confucius de sauver l'ordre, dans une société de type féodal qui permettait d'établir un certain équilibre entre les différentes forces en présence, et particulièrement les seigneuries dont les dynasties s'étaient déjà imposées par des structures sociales qui pouvaient diriger l'ensemble de la société, en vue d'assurer la civilisation.

Si l'école de Confucius apparaît comme la première école en date, elle ne tarda pas à être singulièrement imitée par beaucoup d'autres, donnant naissance à ce qu'il est convenu d'appeler les cent écoles, signe que le confucianisme marquait de son influence toute l'existence de la société chinoise, en agissant sur la rte publique pour lui proposer une morale officielle.

Enfance et jeunesse de Confucius

La biographie de Confucius n'est guère assurée, d'autant plus qu'il n'a rien écrit et qu'il ne voulait nullement se présenter comme un penseur original : il prétendait simplement poursuivre et transmettre l'enseignement des sages les plus anciens. La source essentielle, sinon unique, pour connaître la destinée de Confucius, se trouve dans un ouvrage, qui parait quelque peu désordonné, le Louen-yu, souvent appelé également les Entretiens. Il s'agit d'un recueil rassemblant des notes de ses élèves, prises au cours des différents entretiens que le Maître put avoir avec eux. Ces propos ont ainsi été rédigés par des disciples et rassemblés au plus tôt plus d'un siècle après la mort de Confucius lui-même.

Le nom de Confucius est une forme latinisée par les missionnaires occidentaux, les jésuites, au dix-septième siècle, du nom de Kong-tseu ou Kong fou-tseu. Son nom de famille est Kong, son prénom personnel est Kieou, et son surnom par lequel il était surtout connu est Tchong-ni, soit Ni le Cadet. Il est aussi parfois appelé Maître Kong. Selon certains renseignements à visée historique, il est né dans une petite bourgade de la principauté de Lou, en Chine orientale, l'actuelle province de Chantong, cette bourgade ayant pour nom Tseou. Sa naissance aurait eu lieu, selon le calendrier traditionnel : le vingtième jour (le jour du onzième rat) du dixième mois, de la vingt-et-unième année du duc Siang de Lou, soit de la vingtième année du roi Ling de la maison suzeraine de Tcheou. Selon les calculs des spécialistes, pour situer cet événement dans le calendrier solaire, sa naissance aurait donc eu lieu le 277 Août 551 ou 552 avant Jésus-Christ. Cela situe approximativement Confucius à la grande époque de la naissance des grandes civilisations : il est le contemporain du Bouddha en Inde, des grands prophètes d'Israël pendant l'époque de la captivité à Babylone, des mathématiciens et des sophistes de la Grèce antique.

Confucius appartiendrait à l'une des familles de la noblesse locale, apparentée sans doute à une dynastie des rois Yin. Son père pourrait être Chou Leang Ho, mais on n'en est pas très sûr, lui-même fils de Po-hia et petit-fils de Kong Fang Chou, ce dernier ayant été gouverneur de Tseou, d'où le nom parfois attribué à Confucius : ' fils de l'homme de Tseou' . Le père de Confucius aurait épousé, à un âge très avancé, plus de soixante-dix ans, une fille très jeune, de quinze ans environ. Cette jeune fille, du nom de Tcheng-Tsai était la plus jeune des filles de Yen, qui voulait allier sa famille avec celle, très respectable des rois vénérés : Yen souhaitait que cette alliance soit conclue par le mariage du commandant de Tseou avec l'une de ses filles. Alors que les aînées se récusaient par leur silence, la plus jeune accepta donc d'épouser cet homme qui lui avait été cependant dépeint comme un vieillard au caractère austère. La légende rapporte une anecdote relative à la naissance de Confucius.

Après son mariage, Tcheng-Tsai éprouva de la crainte de ne pouvoir concevoir un enfant avec cet homme qu'elle considérait aussi comme un vieillard vénérable ; elle partit donc faire une sorte de pèlerinage pour prier en silence dans un temple situé sur le mont Ni-Keou (ce qui serait à l'origine du prénom de Confucius). Comme elle montait la pente de ce mont, les feuilles des arbres et des plantes se dressèrent à son passage, et alors qu'elle descendait, après avoir prié longuement, ces mêmes feuilles s'inclinèrent avec respect.

La nuit suivante, elle vit un songe : le Seigneur Dieu des eaux vint la visiter, en lui annonçant qu'elle donnerait le jour à un garçon, qui serait à l'avenir un véritable sage pour l'ensemble du pays, et en lui demandant d'aller déposer son fils, aussitôt après sa naissance, dans un endroit appelé le mûrier creux . Le moment de son accouchement approchant, elle se renseigna auprès de son mari de l'existence de cet endroit qui lui avait été révélé au cours de sa vision, afin d'aller s'y enfermer pour donner le jour à son enfant. Son mari, surpris, finit par lui donner les renseignements qu'elle réclamait, et elle partit se réfugier dans une grotte située sur une colline proche, qui portait ce nom de mûrier creux . Au moment où elle donnait le Jour à son fils, deux dragons veillaient aux abords de la colline et deux esprits féminins arrosaient de parfums l'intérieur de la grotte ; une source d'eau chaude jaillit pour permettre à Tcheng-Tsai de laver le corps de son enfant, et cette source sécha aussitôt après ; une musique céleste remplit toute la grotte, tandis qu'une voix annonçait : Le Ciel, ému de tes prières, t'a donné un fils saint.

De l'enfance et de la jeunesse de Confucius, les livres anciens ne rapportent que très peu de choses : tout ce qu'il est possible de savoir, c'est qu'il perdit son père très jeune, alors qu'il était à peine âgé de trois ans. Sa mère, veuve, dut ainsi l'élever seule, se contentant uniquement du produit que pouvait leur rapporter la culture d'un petit lopin de terre, accordé à celles qui devenaient les veuves des fonctionnaires sans fortune personnelle. Pour subsister, Confucius, dès sa plus tendre enfance, dut se livrer à des travaux manuels en tous genres... Il aurait rapidement manifester un certain goût pour les différents instruments du culte et des sacrifices, sans doute parce que les cités provinciales étaient très portées sur l'aspect cultuel et sur les cérémonies du culte religieux traditionnel. Dès l'âge de sept ans, il aurait commencé à fréquenter l'école.

Mais ce n'est vraisemblablement qu'à l'âge de quinze ans qu'il entreprit réellement d'approfondir l'ensemble de l'existence humaine, ce qu'il appelle lui-même étudier', en s'interrogeant lui-même ou en interrogeant le réel qui pouvait l'entourer. Il aurait décrit son itinéraire spirituel de la manière suivante :

A quinze ans, je décidais d'étudier.

A trente ans, j'étais fermement établi dans cette voie.

A quarante ans, je ne doutais plus.

A cinquante ans, je connaissais l'ordre, le décret du ciel.

A soixante ans, je suivais mon entendement intérieur.

A soixante-dix ans, en suivant les inclinations de mon coeur.

Je ne transgressais pas la règle.

Il n'est pas possible de connaître les lieux précis où il effectua ses études, mais il est vraisemblable qu'il fit ses études dans une école fréquentée par les nobles car tout son enseignement ultérieur s'en inspirera : il aurait alors été formé à la vie même de la cour, selon la discipline militaire. Il y apprit à respecter l'autorité établie, à commencer par la piété filiale, par le respect dû au prince, ainsi que les différentes matières intellectuelles mises au programme des études : histoire, littérature, calcul, écriture, mais aussi la musique et la danse, ainsi que les différentes règles de l'art cultuel. A la fin de ses études, tout comme ses condisciples, il prit le bonnet viril, signe de son entrée officielle dans la vie adulte. Par là, il convenait que le jeune homme renonçât à tout ce qui avait pu constituer l'essentiel de son enfance pour s'engager pleinement dans la vie des adultes et pour connaître ainsi le bonheur. C'est à ce moment de son existence qu'il reçut son surnom : Tchong-ni.

La vie adulte de Confucius

Marié à dix-neuf avec une jeune fille originaire de la principauté de Song, d'où sa propre famille était également originaire, il eut un fils l'année suivante : ce fils, il le nomma Li la carpe , en souvenir du cadeau qu'en cette occasion lui fit le prince duc Tchao. Ce cadeau manifeste que malgré sa pauvreté Confucius était considéré comme un personnage respectable dans la capitale de la principauté.

Quelque temps plus tard, il fut nommé intendants des greniers publics, avant d'être désigné comme surveillant des pieux auxquels les boeufs étaient attachés avant d'être sacrifiés rituellement. Dans ces différentes activités, il veillait à ce que ses comptes soient exacts et que les animaux à offrir pour le sacrifice soient toujours bien gras, prétendant uniquement remplir les devoirs de sa charge avec le soin que ces travaux divers nécessitaient.

En 530 avant Jésus-Christ, c'est-à-dire aux environs de sa vingt-deuxième année, il ouvrit une école à Lou, ne demandant comme traitement à ses élèves que ce que ceux-ci pouvaient lui accorder : chacun devait payer selon ses moyens personnels. L'enseignement était ainsi offert même à celui qui ne disposait que de peu de ressources ; ce que Confucius exigeait simplement, c'était une certaine prédisposition de l'intelligence et une volonté manifeste d'apprendre. Le programme qu'il dispensait n'était guère différent de celui qui était enseigné dans les écoles officielles : le maître insistait cependant particulièrement sur les rites, sur l'histoire et sur la musique... Mais il ne voulait en rien innover, se contentant simplement de transmettre ce que lui avait laissé la période plus ancienne. Sa seule publicité était manifestée dans son désir de ne jamais innover ; d'ailleurs, ses élèves, et parmi eux surtout les jeunes nobles, ne cherchaient pas autre chose que d'apprendre ce que l'Antiquité pouvait leur apporter, et ils se seraient certainement méfiés des enseignants qui auraient prétendu révolutionner l'ordre établi, en s'adonnant à une certaine forme de progressisme au mépris des traditions les plus respectables. A vingt-deux ans, il était déjà reconnu comme un maître réputé. Mais cette période d'intense activité fut coupée par la mort de sa mère, en 528. En fils respectueux des traditions, il porta le deuil pendant vingt-sept mois, c'est-à-dire trois fois le temps de la durée de la conception d'un enfant.

Pendant les années qui suivirent son deuil, il allait continuer son activité en instruisant et en cherchant à s'instruire lui-même, se perfectionnant plutôt dans l'étude de la musique, à laquelle il était particulièrement sensible, puisqu'il lui attribuait, comme ses contemporains chinois, des vertus susceptibles de maintenir la paix et l'harmonie dans la société civile. A ceux qui vexaient le consulter, notamment les princes ou les gouverneurs, il recommandait le respect des traditions, en les invitant à toujours faire preuve de la plus grande sagesse dans leur propre gouvernement ou tout au moins à s'entourer de sages pour diriger leurs sujets. Il convient cependant de noter que la classe des sages, qui regroupait les intellectuels de l'époque, n'était guère redoutable sur le plan politique, mais qu'elle était susceptible d'apporter des conseils éclairés par la tradition à tous les princes soucieux de bien administrer leur territoire et de garder ainsi leur pouvoir sur leurs sujets. Ayant obtenu l'appui d'un certain nombre de fils de famille puissante, qui étaient devenus ses disciples, Confucius obtint les moyens d'approfondir ses connaissances dans le domaine musical comme dans le domaine des rites, en se rendant à Loyi, la capitale des rois de Tcheou.

Lao-Tseu, le fondateur plus ou moins légendaire du taoïsme, aurait été alors archiviste dans cette capitale et il était chargé de garder les trésors royaux. Confucius désirait l'interroger sur la question des rites. Au cours de cet entretien, Lao-Tseu lui aurait dit :

Toutes les personnes dont tu parles, leurs os sont tombés en poussière ; seules restent leurs paroles... Abandonne cet air arrogant et tes désirs insatiables, ta mine apprêtée et tes ambitions excessives. Tout cela ne t'est d'aucun avantage... J'ai entendu dire que l'homme riche et puissant reconduit les gens en leur donnant des richesses, que l'homme bon les reconduit en leur donnant des paroles. Je ne saurais être riche ni puissant ; mais je prends furtivement le titre de l'homme bon et je te reconduirai en te disant ces paroles Celui qui est intelligent et profond observateur est près de sa mort, car il critique les hommes avec justesse ; celui dont l'esprit est savant et vaste met en péril sa personne, car il dévoile les défauts des autres. Celui qui est fils ne peut pas se posséder, celui qui est sujet ne peut pas se posséder.

A la sortie de l'entrevue, Confucius, ébranlé, aurait confié à un de ses amis : Je sais que l'oiseau vole, que le poisson nage, que les bêtes marchent ; mais les bêtes, on peut les prendre au filet, les poissons à la lige, les oiseaux à la flèche. Quant au dragon, je ne sais rien, sinon qu'il monte au Ciel porté par les nuages et par le vent. Aujourd'hui, j'ai vu Lao-Tseu ; en vérité, il est comme le dragon.

Cet entretien entre les deux grands penseurs de la Chine antique est rapporté à plusieurs reprises dans les livres du taoïsme, notamment dans le Tchouang-Tseu qui s'emploie à exalter le fondateur du mouvement philosophique et religieux du taoïsme ; mais il a fait aussi l'objet de nombreuses reproductions artistiques.

Confucius regagne sa ville de Lou, la même année qu'il l'avait quittée, vraisemblablement en 517 ; il était tout auréolé de prestige. Cela lui valut de conquérir l'estime de nombreux disciples qui vinrent se mettre à son école.

Mais malheureusement pour lui, un conflit d'origine politique bouleversa la ville de Lou, l'année qui suivit son retour de Loyi : le duc qui gouvernait la ville fut contraint de s'exiler, et Confucius, fidèle à ses options faisant valoir la légitimité du pouvoir en place, dut, à son tour, suivre son prince en exil à Tsi.

Au cours de son exil, avec son prince, auprès du duc King de Tsi, Confucius se fit certainement remarquer en raison de sa grande vertu de fidélité à la légitimité du pouvoir politique en place. Cette fidélité était une vertu très appréciée dans ces temps de régime féodal : toute seigneurie reposait d'ailleurs sur elle. Et Confucius ne changeait rien à son enseignement, préconisant au prince de toujours agir en prince et au sujet de toujours se conduire comme sujet de ce prince. Ainsi, il affirmait aussi très nettement son opposition à tous les usurpateurs qui, à cette époque des Royaumes combattants, cherchaient à prendre le pouvoir à la place des princes légitimement institués : il convenait de garder toujours comme principe de vie en société le conservatisme, qui maintient l'ordre social, en faisant une loi de la hiérarchie : le roi partage son pouvoir avec ses vassaux, et ceux-ci avec les familles nobles : mais si le pouvoir passait en d'autres mains que celles du roi, ce pouvoir ne pourrait pas durer, car le prince est le seul titulaire effectif de la domination sur tous les sujets, y compris sur les familles nobles. Pour bien gérer sa puissance, le roi doit respecter une conduite de vie exemplaire, en usant modérément de toutes les richesses dont il pourrait disposer. Cette considération de Confucius sur la modération dans l'usage des biens apparaît comme une consigne émanant d'un homme venu d'une région pauvre et qui se trouve confronté avec le luxe grandiose de la capitale du pays de Tsi, Lin-Tso.

Après le départ des usurpateurs au pays de Lou, la paix se réinstalla dans cette région, même s'il faut reconnaître qu'elle est restée très précaire : le duc, accompagné de Confucius, put revenir de son exil et reconquérir quelque peu son autorité légitime sur ses sujets, il put également l'employer comme il l'entendait puisque Confucius avait réussi dans son exil à ne pas se compromettre avec les usurpateurs, dans les événements qui avaient troublé sa région. Il apparaît ainsi que Confucius était un homme très vue : il était recherché, d'une part, parce qu'il avait toujours affirmé son légitimisme, et, d'autre part, parce qu'il incarnait un type de science et de sagesse. En 501 avant Jésus-Christ, le prince Ting le fit nommer au poste de gouverneur de Tchong-Tou : Confucius règle son gouvernement sur les traditions anciennes, avec l'intime conviction qu'il allait pouvoir rétablir ce qui était considéré comme l'âge d'or, celui des premiers souverains de la Chine. La méthode qu'il appliquait dans la direction des affaires remportait un tel succès que, l'année suivante, le duc lui demanda s'il était possible de l'appliquer avec les mêmes résultats à l'ensemble du pays. Sur la réponse positive de Confucius, le duc lui confia une nouvelle tâche, celle de l'intendance des travaux publics, tâche qui fut ensuite étendue jusqu'à la charge de Ministre de la Justice. Toutefois, il n'est pas assuré que Confucius ait lui-même exercé ces charges : certains spécialistes pensent plutôt qu'il aurait simplement été un assistant auprès de ceux qui étaient officiellement chargés de ces missions importantes dans la vie de l'État.

Mais son idéologie ne correspondait pas toujours à ce qu'espéraient les détenants officiels du pouvoir : elle ne répondait certainement pas aux désirs d'innovation, et Confucius fut amené à résilier sa charge, contraint une nouvelle fois à l'exil.

Les années d'exil et la vieillesse

C'est avec regret que Confucius quitta sa ville, suivi de quelques disciples qui lui étaient restés fidèles.

Ainsi, à partir de 496 environ, il entreprit de mener une existence errante pour une période de treize années. Pendant ce temps, il inculquait à ses disciples sa doctrine non seulement par la parole mais aussi par l'exemple.

Au cours de ses pérégrinations, il eut l'occasion de manifester ses connaissances sur l'antiquité, connaissances qui dépassaient le champ habituel de son enseignement ; d'après ce que ses disciples ont retenu, il serait possible de retrouver tout ce qui pouvait faire la science officielle de cette époque. Il sut aussi faire preuve de sagesse, en recommandant sans cesse a ses disciples de ne pas toujours chercher à exceller dans la pratique des vertus, mais de les bien mesurer et de les harmoniser : il convenait, selon lui, de rechercher simplement le juste milieu. Dépasser les limites n'est pas un moindre défaut que de rester en deçà. Les années d'exil et d'errance lui apprenaient la plus grande modération, c'est dans l'harmonie d'un juste milieu qu'il est important de découvrir la véritable sagesse.

C'est celle-ci qui permet de distinguer celui qui la pratique de l'homme vulgaire : certes, le sage peut connaître, tout comme le vulgaire, la détresse et même la faim, mais, à la différence de l'insensé, il demeure toujours capable de se contenir. Et devant le fait que peu d'hommes acceptaient de suivre sa doctrine, il convenait que c'était parce qu'il manquait encore de sagesse que les hommes ne suivaient pas ses préceptes : Quand la sagesse n'est pas pratiquée par nous, la honte est pour nous ; mais, quand, l'ayant pratiquée, nous ne sommes pas employés, la honte est pour les seigneurs , aurait affirmé le disciple préféré de Confucius. Toutefois, pendant la plus grande partie de son exil, il resta dans l'ombre la plus totale sans que personne n'entendit parler de lui.

En 483, un de ses disciples, entré depuis quelques années au service du nouveau prince de Lou, permit à ce dernier d'emporter un grand succès militaire. Ce disciple fit alors au seigneur de Lou, Ki Kang, l'éloge de son maître, si bien que le prince envoya une délégation auprès de Confucius avec des présents. A soixante-neuf ans, Confucius pouvait enfin rentrer dans sa ville ; il fut sans doute comblé d'honneurs: puisque les princes eux-mêmes venaient parfois lui demander conseil, mais il ne reçut jamais d'eux aucune fonction importante. Il continua certainement son enseignement, sans chercher à plaire aux puissants.

Chaque mois, il rendait visite au duc de Lou. Toute son activité au sein de la vie sociale et politique se limitait d'ailleurs à cette simple entrevue : s'il était très honoré, comme pouvait l'être un sage de cette époque, il n'était absolument plus utilisé dans la direction des affaires publiques. Il s'employa alors à mettre de l'ordre dans les livres classiques dont il avait fait l'objet de son étude et de son enseignement. Vieillissant, il ne voyait plus guère ses amis qui l'avaient naguère suivi dans son exil, les uns avaient retrouvé une fonction publique, les autres avaient quitté ce monde.

Confucius lui-même mourut le onzième jour du quatrième mois de la seizième année du duc Ngai de Lou et de la quarante et-unième année du règne du roi King de Tcheou, en l'année 478 avant l'ère chrétienne. Ses disciples portèrent son deuil, pendant trois ans, sans cependant le manifester extérieurement. Le duc fit ériger un temple funéraire à sa mémoire, auprès de sa tombe : ce temple, où se retrouvaient les disciples de Confucius, devint par la suite le lieu de culte privilégié du culte confucéen, d'autant plus que le duc fit aussi rassembler en cet endroit tous les objets qui avaient appartenu au Maître.

Le prestige de l'école confucéenne

Ce qu'a enseigné Confucius, c'est surtout un art de vivre de façon noble, par une méthode qui reposait sur la transmission orale et sur la pratique : jamais il n'a composé lui-même une doctrine qu'il aurait fait appliquer à ses élèves ou à ses disciples. Tout ce qu'il essaya de faire, c'est d'inculquer à ses contemporains une morale dans laquelle l'effort personnel tenait la plus grande place, selon ce que pouvait affirmer la tradition la plus ancienne ; en effet, Confucius tenait à tout prix à conserver la tradition en lui redonnant un véritable souffle de vie nouvelle. Il voulait principalement transmettre à ceux qui se mettaient à son école l'enseignement des sages anciens, se plaisant toujours à répéter qu'il n'innovait en rien et qu'il refusait d'introduire une quelconque originalité dans l'enseignement qu'il avait lui-même reçu, dans les grands ouvrages qu'il citait comme principales références et qu'il se plaisait également à commenter. Ses principales sources se trouvent dans le Chou King (le livre des Documents), le Che King (le livre des Odes) et dans une chronique du pays de Lou, le Tchouen Tsieou (Printemps et Automne). Il aurait apprécié particulièrement le Y King (le livre des Mutations) qu'il commentait longuement, souhaitant, à la fin de sa vie, pouvoir encore vivre une cinquantaine d'années pour l'étudier plus en profondeur encore... Toutefois il faut remarquer que certains critiques pensent que ces grands Classiques (les King) auraient été rédigées, sinon en totalité, du moins en partie, par Confucius lui-même ; toujours selon ces mêmes spécialistes, Confucius aurait été un réformateur hardi, cachant derrière des textes, en apparence anodins, une vérité profonde qu'il faudrait dé couvrir. Pour la plupart des spécialistes cependant, il fut simplement un relais important de la transmission des textes les plus anciens ; il se servit des textes des sages de l'antiquité pour asseoir sa doctrine personnelle, mais celle-ci n'avait rien d'are nouvelle philosophie, et encore moins une nouvelle religion. Il prétendait simplement enseigner un art de vivre, une sagesse qui repose sur les traditions les plus respectables de la noblesse, en accentuant vraisemblablement la tendance humaniste qui pouvait inspirer les puissants dans leur gouvernement. Sa plus grande innovation est certainement à chercher dans le fait qu'il a ouvert son école à tous ceux qui souhaitaient suivre son enseignement, sans chercher à établir des distinctions entre les différentes classes de la société. C'est là que réside son originalité et l'importance qu'on a pu attribuer à l'ensemble de l'école confucéenne : il réussit à insuffler un esprit nouveau à une civilisation décadente et à réveiller un intérêt intellectuel parmi les membres de la classe dirigeante.

Bien que le Louen-yu soit la première des sources d'information sur l'existence et sur la doctrine de Confucius, cette dernière n'est cependant pas exposée de façon systématique dans ce livre : les auteurs de ce recueil des entretiens de certains disciples avec leur maître ont simplement consigné quelques propos tenus par le Maître en diverses circonstances, sans vouloir en faire un exposé dogmatique ou synthétique. Néanmoins, il est possible de dégager les caractéristiques de sa pensée concernant notamment la religion et l'humanisme qu'il développait. Au point de vue religieux, il semble que Confucius ait été un agnostique et un sceptique, même s'il lui arrivait d'invoquer le Ciel comme juge suprême de toutes les actions humaines, et même s'il se considérait lui-même comme un sage envoyé du Ciel pour sauver le monde des hommes. De cette manière, au lieu de rejeter les différents éléments des croyances religieuses traditionnelles, il les partageait dans le but certain de ne pas se lever contre les traditions, mais s'il accordait quelque respect aux différentes divinités, il préférait accorder sa dévotion à la divinité la plus haute, le Ciel, trouvant nettement plus sage de s'adresser à lui plutôt que de se mettre au service ou à la dévotion des divinités inférieures. Toutefois, alors que la tradition religieuse faisait du Ciel une sorte de Dieu personnel, le Seigneur le plus élevé dans la hiérarchie divine, la Providence pour les desseins humains, chez Confucius et surtout chez ses successeurs, il cessera d'avoir un caractère personnel pour devenir une entité abstraite, identifiée par la suite au ciel sidéral, qui règle le cours du monde de manière purement mécanique. En ce qui concerne la religion la plus traditionnelle, la plus ancestrale, à savoir le culte qui revient aux ancêtres de la famille ou de la société, comme il répondait aux aspirations du système social que Confucius voulait sauvegarder à tout prix, ce culte se doit d'occuper une large part dans enseignement du sage, puisque c'est ainsi que la société peut se maintenir dans un parfait équilibre, en respectant ce qui s'est toujours fait dans le domaine religieux surtout, il ne faut jamais innover, car tout changement important, toute révolution dans ce domaine finit toujours par troubler l'ordre social établi. Pourtant, dans son enseignement, Confucius recommanda de proscrire les sacrifices humains, lors des célébrations funéraires des personnages importants des différentes sociétés : le sacrifice humain est contraire à toute forme d'humanisme, à tout ce qui vise à protéger l'être humain dans sa réalité personnelle.

Si Confucius fut relativement méconnu au cours de son existence personnelle, peu de temps après sa mort, la doctrine qu'il avait mise en place se transforma très rapidement en religion, Confucius étant lui-même vénéré immédiatement après sa mort. La doctrine confucéenne s'imposa comme religion État, se manifestant comme le fondement même du système social chinois. Jusque 1948, la doctrine servit de guide à l'ensemble de la nation chinoise, mais après cette date, la nouvelle politique en vigueur dans la République Populaire de Chine s'est efforcé de déraciner tous les germes de confucianisme dans les mentalités chinoises, en raison de son caractère aristocratique et familial, ce qui ne concordait plus avec les nouvelles aspirations de la politique sociale.