La communauté monastique
Le sermon de Bénarès était vraisemblablement adressé en
priorité à cinq moines qui avaient rejeté Gautama de leur communauté, à
dater du jour où celui-ci avait rompu toutes les prescriptions du jeûne
ascétique, pour rechercher une autre voie la voie moyenne entre l'ascétisme
absolu et la jouissance légitime et entière des biens du monde présent. En
entendant cette nouvelle forme de prédication, ces cinq moines se convertirent
aussitôt à la nouvelle doctrine, et ils entraînèrent à leur suite soixante
nouveaux disciples, eux-mêmes déjà engagés dans la vie monastique. Le fait
même que cette première prédication de celui qui vient d'être illuminé et
de parvenir ainsi à la connaissance de la vérité est destinée aux moines se
trouve déjà dans l'adresse signification qui en est faite : Prêtez l'oreille,
ô moines. Le nouvel enseignement n'est donc pas destiné à la foule, mais bien
à ceux qui cherchent la perfection dans l'état de la vie monastique. Et
rapidement, ceux qui se mettent à l'écoute de l'Eveillé, même s'ils ne
partageaient pas encore l'état de vie monacale, abandonnent toute vie active
pour embrasser eux aussi l'existence monastique. Il faut dire que les méthodes
préconisées par le bouddha exigeaient une discipline d'existence très
sévère et si stricte qu'il devenait impossible qu'elle soit mise en pratique
par des hommes se contentant de suivre le cours commun de leur propre vie : il
fallait en quelque sorte des âmes d'élite pour qu'elles paissent déjouer tous
les pièges de la tentation, insinuée par les conditions familiales, sociales,
économiques ou politiques : il fallait être un individu hors du commun des
mortels pour accepter les obligations imposées par le Bouddha et risquer ainsi
toute son existence sur sa première prédication.
Les vrais disciples se trouvent dans les rangs de ceux qui ont complètement renoncé à la vie courante : ils ont accepté, comme leur maître, de tout quitter pour mener une vie plus austère, semblable, toutes proportions gardées, à celle des brahmanes. La communauté des disciples du Bouddha s'est forgée au cours de l'existence même du maître : c'est lui qui rassemble la première confrérie de moines décidés à suivre son exemple et la voie qu'il préconise pour que tout homme puisse parvenir à la pleine délivrance.
Une communauté sans castes
Ceux qui se mettent à l'écoute de l'Eveillé abandonnent toute forme de vie laïque pour embrasser l'état de vie monastique : c'est par ce seul état qu'il est possible aux hommes de parvenir également à la libération définitive, en commençant par se conformer à la discipline stricte de la communauté, qui est appelée sangha, cette discipline reposant principalement sur l'adhésion aux quatre vérités saintes définies par la doctrine initiale, et impliquant le respect du style de vie unique susceptible de conduire à cette pleine délivrance.
La grande innovation du Bouddha, c'est le renoncement au système des castes. Alors que les brahmanes hindous étaient très attachés aux castes, dans le cadre de leur recrutement des moines qui souhaitaient parvenir à la libération définitive, à l'extinction complète dans la forme du parnirvâna.
Celui-ci est ouvert à tous les hommes, quelle que soit leur origine sociale, pourvu qu'ils embrassent et se conforment aux lois strictes de la vie monastique. Ce serait cependant une erreur de croire que Gautama Bouddha ait été tenté d'abolir le cadre même de la société indienne de son époque, en rejetant, de façon systématique, la répartition des individus selon les castes. Ce qu'il veut affirmer avec force, c'est que le moine, par son style de vie, par sa volonté même d'échapper au cycle des renaissances, se place totalement en dehors d'une hiérarchie quelconque, quelle qu'ait pu être la caste à laquelle il appartenait avant sa conversion à la vraie doctrine de la libération. Toutefois, les castes demeurent nécessaires pour permettre à ceux qui n'ont pas encore embrassé l'idéal monastique de mener leur existence de façon correcte, en respectant de la sorte les obligations imparties par leurs positions dans l'échelle sociale. Contrairement aux brahmanes donc, le Bouddha accepte dans ses communautés des hommes venus des différentes couches de la population ; tout ce qu'il leur demande, c'est d'accepter de mener la vie austère des moines errants, les bhiksus, qui propagent au milieu du peuple la vraie doctrine.
Dans les principes qu'il veut inculquer aux moines qui
acceptent de suivre la discipline qui est la sienne, le Bouddha condamne les
austérités inutiles, telles que celles que pouvaient s'imposer certains
ascètes indiens, qui s'infligeaient des tortures ou même des mutilations
volontaires. Toutes ces formes de mortification apparente ne sont pas
nécessaires pour parvenir au salut ; mais la discipline monastique du
bouddhisme n'est cependant pas faite de laxisme, le Maître imposant à ses
disciples une existence très rude. Ses moines auront la tête et la barbe
entièrement rasées, ils ramasseront leurs vêtements parmi les haillons
rejetés par les autres hommes, haillons qu'ils rassembleront par des coutures
avant de teindre l'ensemble en ocre jaune, ils mendieront le peu de nourriture
dont ils auront besoin pour assurer leur subsistance quotidienne, celle-ci
consistant d'ailleurs uniquement en un seul repas vers le milieu de la journée,
ils dormiront, au cours de leurs pérégrinations, au pied des arbres ou dans
des grottes, voyageant sans cesse d'un village à l'autre pendant les trois
quarts de l'année, ne se retrouvant avec leurs frères moines que pendant la
saison des pluies. En plus de ces exigences, propres à tout idéal monastique,
les disciples du Bouddha veilleront toujours à méditer la Loi prescrite par le
Maître, aussi bien dans leurs marches quotidiennes qu'au moment de leur repos,
à la tombée de la nuit. C'est en se livrant à l'étude et à la méditation
qu'ils seront capables de parvenir au but ultime, celui de leur extinction
définitive, dans la pleine délivrance. Les moindres détails de la vie
courante de chacun des moines, que ce soit l'aspect extérieur, que ce soit la
façon de manger ou de s'habiller, que ce soit la façon de marcher ou de se
reposer, tout a été réglé avec précision par le Maître bienheureux avant
sa propre extinction.
L'existence ascétique des moines
Le rituel de l'admission dans la communauté bouddhique est simple, même si elle comporte deux degrés : en effet, le bouddhisme comporte deux cérémonies de l'ordination à l'intérieur de la communauté : l'ordination mineure (pravrajyâ) et l'ordination majeure (upasampadâ). Par la première ordination, celui qui est considéré comme un novice s'engage à quitter le monde laïc dans lequel il vivait précédemment pour se consacrer totalement à la doctrine du Bouddha. En renonçant ainsi au mon de et à ses plaisirs, d'une manière définitive, le postulant s'engage à suivre fidèlement l'enseignement du Maître, tel qu'il a pu être exprimé dans les différents sermons prononcés par celui qui s'est éveillé à la pleine lumière et qui a pu annoncer aux hommes la vérité : il convient qu'il prenne comme ligne de conduite tout ce qui est contenu dans la corbeille des sermons. Mais le postulant s'engage également à suivre les principes édictés par la communauté, principes qui sont contenus dans ce qu'il est convenu d'appeler la corbeille de la discipline, celle-ci réglant, dans ses moindres détails, toute l'existence du moine. L'âge minimum requis pour postuler une entrée dans la communauté monastique est fixé à seize ans, et le postulant doit encore être présenté par un maître, qui se sera déjà chargé de lui présenter l'essentiel de la discipline. Ainsi, c'est souvent dès le plus jeune âge de leur enfant que certains parents placent celui-ci sous l'autorité d'un maître, lui confiant ainsi leur propre autorité : l'enfant partage alors entièrement la vie de son maître, se consacrant déjà entièrement à l'étude de la loi bouddhique, se livrant à la méditation, et mendiant, comme son maître, sa propre nourriture. A l'âge d'au moins seize ans, le postulant est alors présenté par son maître à l'ensemble de la communauté des moines, auxquels il demande son admission comme novice : il se présente à eux, en vêtements laïcs, mais portant lui-même sur les bras sa propre robe jaune de moine-mendiant. En se présentant ainsi devant la communauté, dans laquelle il veut être admis, il s'engage vis-à-vis d'elle par une sorte de profession de foi qui consacre son entrée dans un nouvel état de vie ; pour lui, il ne sera plus question de chercher un sens à son existence que dans les trois refuges du bouddhisme : Je place ma confiance en Bouddha, je place ma confiance dans la Loi, je place ma confiance dans la communauté. Il sort ainsi de son existence antérieure pour se placer uniquement sous le signe de l'enseignement du Bouddha qui peut donner son sens à toute la vie monastique. De cette manière, il s'engage également à observer scrupuleusement les dix préceptes fondamentaux qui sont les éléments constitutifs de toute communauté religieuse, s'inscrivant dans l'esprit du Bouddha. Désormais, il s'abstiendra de détruire la vie, sous quelque forme que ce soit, il s'abstiendra aussi de dérober le bien des autres personnes. Il renoncer de manière absolue à toute forme de fornication, à l'impureté sous tous ses aspects, il proscrira le mensonge de sa bouche. Il renoncera de manière définitive à l'alcool et à toutes les boissons fortes qui constituent autant d'obstacles sur la voie du salut. Il ne mangera plus aux heures qui sont défendues par la Loi, c'est-à-dire entre midi et l'aube du lendemain. Il ne participera plus aux chants, aux danses, aux spectacles profanes. Il ne cherchera pas à embellir sa propre personne par des parfums ou par des couronnes. Il abandonnera tout usage du lit et d'un siège pour se reposer. Il refusera toujours de recevoir de l'or ou de l'argent.
Une fois accueilli dans la communauté, le novice revêt la
robe jaune, qui couvre tout son corps, à l'exception de l'épaule droite ;
désormais, intégré pleinement à la communauté, il partage, plus
entièrement encore, s'il était possible, l'existence de son maître : du lever
du soleil jusqu'à midi, il mendie sa nourriture et s'alimente, dans le courant
de l'après-midi, il se livre totalement à l'étude et à la méditation, sous
la conduite de son maître.
Après une nouvelle période d'instruction des doctrines, mais jamais avant l'âge de vingt ans, le novice peut demander son ordination majeure, qui consacre véritablement son entrée dans la vie monastique. Jusqu'à ce moment, le novice partageait entièrement la vie d'un maître, mais, pour cette ordination, il doit être présenté par deux moines, dont son maître, qui sont susceptibles de répondre pour lui, en le déclarant prêt pour la upasampadâ. Certaines conditions physiques et morales sont exigées de la part de celui qui veut embrasser cet idéal de vie monastique : il ne doit être atteint d'aucune maladie contagieuse, il ne doit pas être handicapé par une quelconque infirmité ; il ne doit être soumis à aucune autorité et jouir de sa pleine liberté, en conséquence de quoi, il doit être majeur et recevoir, en tout état de cause, l'assentiment de ses parents, il ne doit pas être soldat ou esclave ; il doit, en outre, posséder le minimum requis pour devenir moine : trois robes et le bol à aumônes. Par cette seconde ordination, le novice devient un moine confirmé, un véritable bhikshu, un ascète errant susceptible de former lui-même de nouveaux disciples.
Cependant, cette ordination n'a pas un caractère irréversible : à tout moment, le moine peut quitter de son plein gré la communauté dans laquelle il est entré, mais il peut également être exclu par elle, en cas de faute grave contre la discipline.
En fait, les plus infimes manquements à la règle sont punis selon leur gravité. Deux fois par mois, même lors de leur pérégrination errante, les moines doivent réciter le rituel de la confession. Cette cérémonie qui se déroule toutefois très souvent en commun a lieu les jours de la nouvelle lune et de la pleine lune. Devant leurs frères présents, les bhiskhus récitent ce rituel, qui comprend un interrogatoire, une introduction de la confession, ainsi que l'aveu des fautes légères comme celui des fautes graves, certaines d'entre elles entraînant d'ailleurs immédiatement l'exclusion de la communauté ; il s'agit de la fornication, du vol, du meurtre et de l'imposture. Cette cérémonie de la confession des péchés rappelle que, dans les temps primitifs du bouddhisme, les moines ne vivaient pas toujours isolément, comme des ermites, mais qu'ils formaient de petites communautés : comme tous les moines de l'Inde ancienne, ils constituaient de petites sociétés, réglées par leurs propres lois et par une discipline appropriée à leur idéal de vie.
C'est ainsi qu'a pu être constituée, dans le bouddhisme, la corbeille de la discipline, dans laquelle les lois et les institutions de la communauté bouddhique sont classifiées, répertoriées et expliquées. La première partie de cette corbeille de la discipline réglemente précisément les différentes fautes qui font l'objet d'une confession publique : elle présente tous les crimes et tous les délits que les religieux se doivent d'éviter, ainsi que les sanctions que ces fautes impliquent, lorsqu'elles ont été commises par les moines, ces sanctions allant du simple blâme, en cas de manquement aux menues règles régentant la vie commune, jusqu'au châtiment suprême, qui consiste en l'exclusion de la communauté, en cas de faute grave. La seconde partie de la corbeille de la discipline consiste en une présentation des grandes cérémonies auxquelles doivent participer les moines, et en une réglementation de la vie matérielle jusque dans ses moindres détails : la forme et la dimension des vêtements, la forme et la dimension des huttes sous lesquelles les moines peuvent se réfugier, la grandeur des cellules dans lesquelles ces mêmes moines vont passer la saison des pluies, les remèdes qu'ils peuvent prendre dans le cas éventuel d'une maladie... tout est scrupuleusement détaillé, au même titre que la sorte de jurisprudence qui peut régler les dissensions ou les conflits entre deux moines. Pour faire bref, cette corbeille de la discipline constitue véritablement un droit canonique, tel que les sages indiens de l'Antiquité pouvaient en concevoir, en veillant à ne rien négliger dans quelque domaine que ce soit. Il semble pourtant que ces codes de vie monastique, tels qu'ils ont pu traverser les siècles de l'histoire, soient l'oeuvre de plusieurs générations de moines et de juristes, qui ont pu dresser tous les cas de figures possibles aussi bien dans le concret de l'existence quotidienne des moines que dans les grandes abstractions qui retracent l'idéal de la vie monastique. Néanmoins, malgré cet aspect collectif de l'organisation de la discipline monastique, il apparaît que la pensée ancienne, dont les juristes se sont très largement inspirés, se retrouve sous-jacente à tous les principes fondamentaux de la première communauté bouddhique. Ainsi, dès les origines de ce nouveau mouvement de la pensée indienne, s'est révélée la nécessité de veiller à ce qu'une discipline individuelle mais aussi collective puisse permettre à des hommes de vivre ensemble, en empêchant les mauvais moines de faire du tort aux autres, en ne tolérant jamais qu'un seul moine puisse devenir l'objet d'un scandale de quelque nature que ce soit.
Les femmes dans la communauté bouddhique
Selon les principes mêmes de la pensée indienne, à laquelle il n'échappait pas totalement, le Bouddha éprouvait une grande méfiance à l'égard des femmes. En effet, celles-ci, en raison de l'attrait qu'elles peuvent exercer sur les hommes, suscitent en eux le désir qui met un frein irrémédiable à toute forme de libération définitive. Pour celui qui s'était éveillé à la vraie doctrine, le renoncement ne pouvait être l'affaire que des seuls hommes, les femmes se trouvant ainsi complètement exclues de tout espoir d'extinction libératrice. Pourtant, le Bouddha lui-même consentit à revenir sur sa position initiale, en admettant quelques femmes dans la communauté. C'est par une mesure de faveur envers la soeur de sa propre mère qu'il permit à des nonnes d'entrer dans sa communauté. Après la mort du père du Bouddha, son épouse, qui était la tante de l'Eveillé, vint trouver cet homme qu'elle avait élevé et éduqué comme son propre fils et lui demanda d'entrer dans la communauté : elle était, selon la coutume indienne, parfaitement libre, puisque libérée de toutes ses obligations à la suite de la mort de son mari.
L'Eveillé refusa d'abord, demeurant ferme sur le principe qui affirmait que le renoncement ne pouvait être acquis que par les hommes : l'exclusion des femmes venait du fait qu'à cette époque elles se trouvaient totalement sous la domination et l'autorité des hommes. Mais cette femme manifesta un entêtement qui finit par émouvoir le Bouddha : elle se fit raser complètement la chevelure, renonçant ainsi à tous ses privilèges de reine de Kapilavastu, elle prit elle-même le vêtement des moines mendiants. Devant une telle détermination, le Bouddha consentit à l'accepter dans la communauté, plutôt que de la laisser vagabonder sur les routes, sans aucun soutien et sans aucune protection. L'ordre monastique féminin se trouvait ainsi fondé par la résolution de cette reine. Mais le Bouddha restait, malgré tout très méfiant à l'égard des femmes. On rapporte qu'au cours d'une conversation avec son disciple favori, Ananda, le Maître lui aurait avoué qu'il avait espéré donner une assise solide pour une religion qui devrait durer mille ans, mais qu'avec l'introduction des femmes dans la communauté, l'enseignement de la vraie doctrine ne pourrait pas dépasser les cinq cents ans : Si les femmes n'avaient pas abandonné la vie de ménage pour la vie sans-abri sous l'égide de la vraie Loi et de la vraie doctrine, c'est mille ans que la bonne doctrine aurait subsisté... Mais puisque les femmes ont abandonné la vie de ménage, la religion ne durera pas longtemps, ce n'est que cinq cents ans que subsistera la Bonne doctrine. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir le Maître de la Discipline exigeait une existence beaucoup plus stricte pour ces femmes qui voulaient se mettre totalement sous l'égide de la Loi bouddhique : la règle qu'il leur imposait soulignait les restrictions de la concession qui avait été faite aux femmes.
En toute circonstance, le moine, même le plus jeune, même celui qui vient d'entrer dans la communauté le jour même, a la préséance sur toutes les nonnes, même sur la plus ancienne, en âge et en profession religieuse. De la sorte, les nonnes sont entièrement placées sous la protection, et même sous la domination des moines, ceux-ci ayant le droit de blâmer ouvertement une nonne, sans que celle-ci ne puisse bénéficier du même droit à l'égard des hommes. Le Bouddha cantonnait ainsi les bhikshuni, les moniales, dans une vie humble et austère, leur empêchant de jouer un rôle important dans l'évolution et dans l'avenir même de la communauté. Alors que dans de nombreuses religions, la présence féminine consacre pleinement le rôle du service, de la générosité sans limites, la forme intellectualiste du bouddhisme les exclut entièrement : même aux derniers instants de son existence terrestre, le Maître ne voulut pas qu'une femme puisse venir le soulager.
Devant un tel état de fait, il ne faut pas s'étonner de l'absence pratiquement totale de communautés féminines nombreuses. Pourtant, l'histoire et la légende bouddhistes ont gardé le souvenir de quelques femmes pieuses, devenues célèbres dans le cadre même des communautés, en raison de leur grande piété ou en raison de leur propre sagesse.
Le rôle des laïcs dans la communauté bouddhique
Même si la communauté bouddhique est essentiellement constituée sur le type monacal, il est cependant certain que cette communauté ne pourrait absolument pas subsister sans la présence des laïcs. En effet, les moines ne peuvent exercer aucune profession, ils ne peuvent pas davantage travailler pour produire leurs propres biens de consommation, ils ne peuvent même pas louer leurs services ; ils doivent se contenter d'enseigner la bonne doctrine, en mendiant leur nourriture, et en se mettant ainsi sous la dépendance de la bonne volonté des laïcs pour assurer leur propre subsistance. Il importe donc que les moines soient véritablement entretenus par les laïcs qui leur assurent le minimum de subsistance dont ils ont besoin en échange de leur seule prédication de la voie du salut. De la sorte, l'existence même des communautés religieuses, à l'intérieur du bouddhisme, repose principalement, voire uniquement sur la générosité des fidèles qui peuvent s'efforcer, tout en demeurant dans le monde de l'impermanence, de suivre, à leur mesure les enseignements du Bouddha. Les laïcs sont donc invités à observer scrupuleusement quelques principes moraux édictés pour eux par le Maître et à veiller à ce que jamais les religieux ne manquent du nécessaire : la nourriture et les quelques objets que leur règle leur permet de posséder.
La vertu qui est proposée, comme règle de conduite, à tous les fidèles qui restent dans le monde, tout en acceptant de suivre les enseignements du Bouddha et de sa Communauté, c'est la vertu de bienveillance, non pas tant à l'égard de toutes les misères du monde présent qu'à l'égard de la communauté monastique.
Même si le Bouddha avait conçu sa communauté comme une sorte de confrérie monastique, même si la plupart de ses discours et de ses enseignements s'adresse directement à des moines, il ne pouvait absolument pas négliger les fidèles laïcs, de qui ces mêmes moines dépendaient pour leur subsistance, au cours de leur vie terrestre : les textes bouddhiques, même les plus anciens, attestent la présence de ces fidèles à côté de la communauté religieuse.
En se plaçant eux-mêmes sous la Loi bouddhique, en reconnaissant qu'ils cherchent d'abord leur refuge dans le Bouddha, dans sa doctrine et dans sa communauté, de la même manière d'ailleurs que les moines, ces fidèles laïcs prennent aussi des engagements moraux importants. Sans être cependant organisé de manière aussi stricte que l'état religieux, l'état laïc, dans l'esprit même du bouddhisme, doit se plier à certaines exigences : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d'adultère, ne pas mentir, s'abstenir de l'alcool et de toutes les boissons fermentées. Bien qu'étant officiellement exclus de la pleine délivrance et de l'extinction définitive, les laïcs peuvent espérer renaître dans une condition meilleure, celle de moines-mendiants, et parvenir ainsi sur le grand chemin qui mène à l'extinction définitive. Tous les dons qu'ils peuvent faire aux moines ne sont pas des dons gratuits : ils constituent, en réalité, une sorte d'échange, qui est tout au profit des laïcs, ceux-ci mettant à la disposition des moines leurs biens matériels (nourriture, mobilier, demeure...), mais recevant de ces moines un don bien plus supérieur, celui de la Loi, par l'intermédiaire de la prédication monastique. Aussi ne faut-il pas être étonné de découvrir que les textes bouddhiques exaltent longuement la générosité de tous ces fidèles qui accordent des dons aux communautés religieuses : des récompenses célestes incomparables sont prévues pour de tels fidèles, mais la récompense suprême réside dans la grande espérance de renaître dans la condition de moine-mendiant, en acceptant de suivre ainsi le renoncement total, qui conduit à la délivrance authentique.
L'institution des monastères
Officiellement, les moines devaient renoncer à toute possession et à tout esprit de possession, en acceptant de vivre dans la pauvreté et dans l'austérité. Mais, d'autre part, afin que les laïcs eux-mêmes ne perdent pas le bénéfice de leurs actions généreuses, en vue d'un avenir spirituel bien meilleur, il n'était pas permis aux moines de refuser les offrandes, même les plus généreuses, notamment celles qui venaient aux origines du mouvement des puissants souverains. Ainsi, très rapidement, la communauté bouddhiste a pu disposer de richesses considérables, les religieux étant tenus d'accepter tous les dons qui pouvaient leur être faits, du plus petit au plus grand Une telle obligation allait entraîner des changements considérables pour la vie des communautés de moines : ceux-ci étaient, à l'origine du mouvement, des ascètes errants, qui allaient de village en village, annoncer et proclamer la doctrine et la loi de la libération ; cette vie errante allait bientôt être abandonnée : les religieux construisirent des abris durables dans lesquels des dizaines, des centaines, ou même parfois de milliers de religieux allaient venir trouver un refuge pour vivre complètement selon la Loi et la discipline du Bouddha.
La résidence des moines n'est donc plus faite de huttes provisoires dans lesquelles ils pouvaient trouver un abri au long de leurs pérégrinations. Pourtant, malgré la richesse apparente des monastères, les moines continuent à vivre dans un esprit de pauvreté et d'austérité : le jeûne est toujours de rigueur entre midi et l'aube du lendemain, les vêtements et les objets personnels ne connaissent aucun luxe superflu, s'ils ne mendient plus quotidiennement leur nourriture, celle-ci est toujours aussi frugale. Et, en tout état de cause, les moines continuent de se livrer, en ce qui concerne leur principale activité, à l'étude, à la méditation ou à l'enseignement.
Il convient toutefois de remarquer que certains religieux continuent d'observer les plus sévères règles de l'austérité connues dans les origines du mouvement bouddhiste : ils se retirent de leurs monastères pour aller vivre dans des ermitages, perdus dans la forêt, ils reprennent ainsi l'existence des anciens moines-errants. Ils se livrent à cette vie d'érémitisme, soit parce qu'ils éprouvent une volonté de vivre dans le plus grand ascétisme, soit dans la seule intention de se rendre dans un lieu de pèlerinage.
En raison de leur grade richesse, les monastères, tout en restant des foyers de vie spirituelle, devenaient des lieux consacrés à l'étude et à l'enseignement sous toutes leurs formes : par vocation initiale, ils répondaient à l'enseignement des novices qui voulaient suivre la discipline monastique telle qu'elle avait été préconisée par le Bouddha, mais, en plus, ces mêmes monastères ne tardèrent pas à devenir des centres culturels très importants, se livrant à des recherches intellectuelles qui sortaient de la stricte discipline monastique. Les domaines de la connaissance étaient nombreux : étude de la langue et de la grammaire du pâli et du sanskrit, étude de l'art poétique, médecine, architecture, peinture, sculpture, alchimie astrologie, etc... Les laïcs eux-mêmes pouvaient également bénéficier de cet enseignement dispensé par les moines qui devenaient de véritables érudits dans tous les domaines de la connaissance, et en particulier dans le domaine médical. De plus, en raison de leur grande sagesse, les moines étaient également consultés par des souverains, parfois très puissants, qui souhaitaient recevoir de leur part des conseils pour la conduite des affaires de l'Etat, certains même de ces souverains avaient parfois recours aux monastères pour leur emprunter des richesses, en s'engageant à les rembourser avec de très gros intérêts. De cette manière, les monastères jouèrent souvent un rôle politique et économique dans les affaires des Etats dont les souverains avaient accepté l'obédience bouddhique. Les communautés religieuses prenaient ainsi une grande part dans la vie indienne, non seulement en ce qui concerne les dispositions religieuses et morales, mais aussi dans les différents domaines de la culture et du gouvernement.
Le bouddhisme devient une forme religieuse
La doctrine première, telle qu'elle fut enseignée par le Bouddha lui-même, repose sur une certaine forme de l'athéisme : l'Eveillé proposait un chemin qui pouvait mener l'homme, qui acceptait le renoncement total, sur le chemin de l'extinction complète, en passant par l'extinction en lui de tout désir, jusques et y compris le désir de contempler la divinité. Son enseignement paraissait être essentiellement un éthique, un moyen de bien mener son existence présente ; en cela, il voulait ignorer Dieu. Et si le Bouddha pouvait paraître un sauveur, c'est aussi précisément parce qu'il parvenait à libérer l'homme, même de la servitude à l'égard d'un ou de plusieurs dieux.
De la sorte, le bouddhisme, dans son état le plus primitif, était agnostique et même athée. Toutefois, en se répandant dans les couches plus populaires, qui ne pouvaient accepter que difficilement cet intellectualisme de la Doctrine professée par l'Eveillé, le bouddhisme lui-même dut se plier à certaines exigences religieuses. C'est ainsi que les funérailles de Gautama Bouddha furent l'occasion de manifestations spontanées du sentiment religieux indien. La doctrine dans toute sa pureté ne pouvait pas se passer d'une dévotion.
Les cendres et les restes du Bouddha furent partagés entre les tribus indiennes qui édifièrent des stûpas, monuments dans lesquels se trouvaient placées les reliques du Maître.
Ces stûpas étaient des monuments se composant d'une
construction rectangulaire, en forme de tour, surmontées d'une calotte
hémisphérique, elle-même couronnée par un parasol stylisé, symbole du
pouvoir royal ou de la sagesse. Et, dès ce moment, de nombreuses villes
devinrent de véritables centres de pèlerinages, où les fidèles venaient
vénérer les reliques de l'Eveillé, déposant leurs offrandes devant ces
stûpas, chantant des hymnes de louange ou récitant des formules sacrées en
l'honneur de celui qui avait ouvert le chemin de la pleine délivrance.
Très rapidement, les fidèles se firent donc un devoir d'aller visiter les lieux saints où étaient conservés les restes du Bienheureux, afin de suivre également les enseignements de ses disciples qui veillaient jalousement sur ces tours-reliquaires. De la sorte, les moines furent bientôt contraints de suivre le mouvement populaire qui rendait un culte à la mémoire de leur Maître, l'élevant pratiquement à la dignité divine. Les pèlerinages étaient devenus la première forme de dévotion dans le bouddhisme : mais ils furent rapidement canalisés simplement vers les grands lieux où le Bouddha avait marqué de son empreinte personnelle telle ou telle ville, tel ou tel lieu. C'est ainsi que certains textes canoniques du bouddhisme recommandent la visite aux quatre lieux véritablement dignes d'être vus : le lieu qui a connu la naissance du Bouddha, le lieu où il est lui-même parvenu à la parfaite illumination, le lieu où il a mis en oeuvre la dynamique de la Roue de la Loi, le lieu enfin où il est entré dans le parnirvana, atteignant ainsi l'extinction parfaite.
Ces quatre lieux sont Kapilavastu, sa ville natale, Bodh Gaya
où il fut illuminé, Sarnâth, ville proche de Bénarès où il fit sa
première prédication, et Kusinâra, ville de sa mort.
Depuis cette époque primitive, ces lieux sont fréquemment visités, et les moines eux-mêmes se font un devoir de les visiter en accomplissant à pied un périple de plusieurs centaines sinon plusieurs milliers de kilomètres, en reprenant à leur compte la grande discipline primitive des moines-mendiants, avant d'aller se recueillir sur ces lieux saints que le Maître a lui-même honoré de sa présence. Ces moines, qui accomplissaient de tels pèlerinages, ou qui les accomplissent encore aujourd'hui, sont parfois absents plusieurs années de leur monastère, heureux d'avoir pu effectuer entièrement ces grands pèlerinages, heureux également d'être retenus sans avoir succombé à la longue fatigue de cette marche solitaire et souvent incertaine. Outre les souvenirs de piété qu'ils peuvent ramener, ils sont aussi porteurs de messages venant d'autres monastères.
En fait, une sorte d'accord tacite existe entre tous les monastères qui accueillent facilement tous ces moines errants en marche vers un lieu de pèlerinage, leur procurant le gîte et le couvert aussi longtemps qu'il est nécessaire à ces hommes qui doivent refaire leurs forces avant de continuer leur longue marche.
Le culte de l'image du Bouddha
Bien que le bouddhisme primitif ait renoncé à toute
représentation de Bouddha, dans la noble intention de ne pas faire de lui un
dieu au même titre que ces dieux qui eux-mêmes n'étaient pas encore parvenus
à l'extinction définitive, les premières générations de fidèles
imposèrent rapidement une matérialisation des symboles essentiels du
bouddhisme. Le Maître lui-même avait pourtant recommandé, au moment de sa
mort, de ne plus s'attacher à sa personne, mais de rester simplement fidèle à
sa doctrine : La doctrine et la discipline que j'ai enseignées et que je vous
ai imposées doivent être vos seuls maîtres quand je ne serai plus. L'image
même du Bouddha historique n'était que de peu d'importance par rapport à la
grandeur et à la noblesse de son enseignement. Il avait semblé légitime aux
premiers disciples de ne s'en tenir qu'au seul enseignement du Maître, puisque
celui-ci lui-même recommandait de garder la Loi comme le seul pilier de son
souvenir Les artistes se contentaient de figurer les symboles qui avaient pu
marquer l'existence du Bienheureux : le figuier sous lequel il s'était
éveillé à la vérité, et la roue de la Loi, symbole du sermon de Bénarès,
qui avait inauguré l'enseignement de celui qui avait reçu l'illumination.
C'est seulement au premier siècle avant l'ère chrétienne que l'iconographie
bouddhique prit de l'extension avec une représentation figurative du Maître.
Dès lors, les artistes se mirent à rechercher dans les Ecritures Bouddhiques
tout ce qui pouvait avoir trait à l'existence concrète de Gautama Bouddha ;
ils s'attachèrent à suivre les descriptions fournies par ces textes, et ils
finirent par imposer un véritable canon iconographique des représentations du
Bienheureux, canon auquel se plient encore actuellement les artistes
contemporains.
Ce qui semble avoir le plus d'importance, c'est la posture et
les gestes, dans la représentation du Bouddha.
Le langage conventionnel de la posture exprime différents
moments ou différents modes de vie : debout, il signifie la souveraineté
suprême ; assis, il signifie à la fois la concentration mentale et l'attitude
royale : couché, il signifie et manifeste la proximité du parnirvâna. Les
gestes des mains de Bouddha indiquent l'activité qu'il déploie dans cette
présentation particulière. Cela peut être la prédication, la méditation,
l'argumentation, la sérénité, le don, la prise à témoin de la terre, la
volonté de l'apaisement... C'est tout un art nouveau qui a ainsi vu le jour
dans l'Inde bouddhique, qui manifestait ainsi une rupture d'avec les
enseignements les plus primitifs de la vraie doctrine : contrairement aussi aux
traditions iconographiques, les artistes s'en sont tenus, dans leur
représentation du Maître de la véri
té, à des formes sobres et solides, qui
ne sont pas sans rappeler l'esthétique grecque, lointain vestige peut-être des
conquêtes d'Alexandre le Grand, ayant mené l'expansion de la Grève jusqu'à,
la vallée de l'Indus ; par certains aspects, les figurations du Bouddha
rappellent les figurations des dieux grecs, faisant ainsi du Bouddha une sorte
de fils des dieux grecs . Mais, fait particulièrement significatif, dans la
tradition esthétique, cette représentation étrangère à l'exubérance
asiatique s'est imposée avec force, et le type grec du Bouddha a
particulièrement résisté à toutes les tentatives de récupérations par
l'art traditionnel local. Les artistes se sont simplement contentés de parer le
Bouddha de signes caractéristiques rappelant très souvent les pratiques et les
attitudes rituelles.
Des milliers de statues ont fini par peupler les lieux saints du bouddhisme. C'est ainsi que, par exemple, Rangoon est appelée la ville aux mille bouddhas. Ces statues sont proposées à la vénération des fidèles qui finissent par reconnaître dans ce Maître de vérité une authentique incarnation de la divinité. Il n'y a cependant pas lieu de penser qu'il s'agisse d'une pure et simple idolâtrie, Bouddha lui-même aurait certainement désapprouvé cette forme de culte à son égard. Mais, dans l'esprit des artistes, comme dans celui des moines ou des simples fidèles laïcs, par ces représentations, le Bouddha continue de faire passer son enseignement.
Ses paupières closes, protégeant ses yeux de la dure réalité de ce monde, enseignent toujours que l'homme est invité à se détourner des réalités trompeuses et éphémères pour rechercher, dans la quiétude et la méditation, la voie de la grande délivrance, le chemin du parnirvâna.