Le Shinto comme religion
L'exaltation du shinto, par l'approfondissement méthodique du sentiment national, entraînait presque nécessairement un mépris et un rejet du bouddhisme et de toutes les idées venues de l'extérieur. Pour étayer leurs thèses, les ardents théoriciens de la dynastie impériale se référaient à des textes très anciens, mais aussi à des écrits relativement plus récents, comme ceux de Hayachi Razan qui, au dix-septième siècle, prônait déjà le retour au confucianisme :
Le confucianisme est vérité, le bouddhisme est mensonge : entre le mensonge et la vérité, qui pourrait choisir le mensonge et rejeter ainsi la vérité ?
De cette manière, le shinto trouvait aussi des racines profondes dans les grandes idées confucéennes, qui répondaient sans doute mieux aux besoins exprimés dans le pays des dieux. Néanmoins, ultérieurement, le confucianisme fut, à son tour, écarté : la nature insulaire du Japon résistait à toute influence extérieure, étrangère au pays. Il s'agissait, avant tout, de maintenir l'estime accordée aux dieux locaux vénérés traditionnellement par tous les anciens. Et le shinto se replia alors sur lui-même, retrouvant sa source, redevenant ce qu'il était à l'origine : une religion populaire se fondant sur le respect de la voie des kami. L'archétype, le modèle standard du shinto, devint le culte impérial, le mikado étant lui-même considéré confie un kami, une manifestation présente et historique de la divinité supérieure.
En 1868, Mutsuhito sépara officiellement le shinto des
autres cultes présents sur le territoire japonais. Ce faisant, il désirait et
voulait renforcer les liens déjà profonds qui l'unissaient à son peuple.
C'était un premier pas décisif vers la promotion du shinto comme religion
nationale. Mais devant la multiplicité des rites, qui pouvait donner naissance
à des nombreuses sectes, comme devant l'impossibilité radicale de définir des
dogmes communs à toutes les formes du shinto, cet empereur finit par décréter
que le shinto impérial serait désormais le culte de l'État japonais dans son
ensemble, culte nationaliste et laïque. Il n'était cependant pas nécessaire
d'abjurer son ancienne religion pour pouvoir adopter la pratique du shinto
impérial : le peuple avait l'entière possibilité de conserver ses anciennes
pratiques religieuses, dans les différentes acceptions du shinto qu'il pouvait
connaître, aussi bien que dans les différentes sectes du bouddhisme installé
sur les îles japonaises, aussi bien également que dans toutes les autres
religions qui avaient pu éclore au Japon, tout en adhérant positivement, mais
presque impérativement au culte de l'empereur De tous les Japonais seront alors
désormais exigées une fidélité absolue et une soumission parfaite à
l'empereur, en tant qu'il est le descendant direct du grand kami Amaterasu, la
déesse du soleil.
Le premier article de la constitution impériale présente l'empereur comme une personne sacrée et inviolable.
Les militaires qui se trouvaient au pouvoir n'hésitèrent
pas à user de cet article fondamental de la constitution pour exiger du peuple
une soumission aveugle à leurs édits. C'est ainsi que, pendant les vingt
premières années du règne d'Hiro-Hito, ils permirent au Japon de connaître
une très grande période d'expansion territoriale, notamment par la conquête
de la Mandchourie et par leur intervention militaire en Chine. Mais, en 1941, ce
même empereur déclarait la guerre aux États Unis d'Amérique. Après le
désastre de 1945, marqué par les bombardements atomiques d'Hiroshima et de
Nagasaki, Hiro-Hito annonçait lui-même, le 1er janvier 1946 qu'il renonçait
à toutes ses prérogatives divines. Cette affirmation de la bouche même de
l'empereur, qui reconnaissait de fait qu'il n'était pas d'origine divine, amena
la renonciation à la doctrine du shinto impérial, qui n'est plus guère
observé que par la famille impériale. La nouvelle constitution japonaise, de
1946, consacre désormais la neutralité de État en matière de culte et
d'enseignement religieux.
Toutefois, comme cette nouvelle forme de pensée se trouvait plus ou moins imposée directement sous une influence étrangère, la nation elle-même ayant été complètement vaincue par une arme autrement efficace que les me. , cette version moderne et motorisée des vents divins, les partisans les plus rétrogrades du shinto continuèrent à se poser en victimes et à recommander un nouveau retour aux plus anciennes traditions nationales, susceptibles de redonner sa puissance à État lui-même. Ce sont ces adeptes du shinto, qui se voulant également les théologiens actuels de cette religion, rencontrent désormais les plus hautes personnalités religieuses de l'occident, notamment pour leur expliquer les fondements du shinto, puisque l'ignorance de la langue constitue manifestement un obstacle majeur pour comprendre et saisir le shinto dans toute sa profondeur.
Un syncrétisme original
Le shinto apparaît encore actuellement comme une religion
bien vivante, puisque, environ, 80 % des Japonais se considèrent comme les
fidèles du shinto Mais il convient de remarquer que plus de 70 % se déclarent
aussi comme membres d'une obédience bouddhiste, alors que 1 % seulement se
présentent comme chrétiens : d'autre part, environ 70 % des Japonais
reconnaissent ne pas être les fidèles d'une religion et n'observent ni rites
ni croyances. Et si l'on ne considère que le nombre impressionnant de
sanctuaires des différentes religions, répartis dans ce pays, il serait très
facile de penser que le Japonais est un homme très religieux : cent soixante
mille temples et lieux de culte se trouvent édifiés sur la superficie de trois
cent soixante-dix-sept mille kilomètres carrés du territoire national.
Pourtant, l'homme n'a guère le tempérament religieux, au sens où un
occidental peut être un homme à l'esprit religieux ou mystique. Les critères
religieux relèvent d'un grand paradoxe statistique...
Ce qui semble pouvoir concrétiser cette tendance à la religiosité, c'est la crainte de l'inconnu, à laquelle répondait déjà très bien le shinto le plus primitif, avec ses appréhensions quant à l'approche des puissances divines susceptibles d'exister dans le monde. Conscient de n'être qu'un simple élément dans une longue chaîne de générations, mais un élément qui tient cependant toujours à perpétuer la survie de la nation japonaise, conscient également de l'aspect transitoire de son existence dans l'univers, le Japonais tient à garder tous les dieux à une distance respectable de lui-même. En fait, l'essentiel de sa religion peut se résumer dans son désir et sa volonté de ne jamais troubler l'ordre établi, que ce soit l'ordre de la famille, que ce soit celui du travail, ou que ce soit celui de État, ordres qui lui inspirent autant de respect que les différents kami qui peuplent l'univers. Aussi n'éprouve-t-il aucune hésitation à donner son assentiment à plusieurs doctrines en même temps. La philosophie bouddhiste lui enseigne l'impermanence de toutes choses, la vanité de toutes les ambitions humaines : il peut alors supporter avec une grande aisance toutes les médiocrités de l'existence quotidienne. Le confucianisme lui apprend à toujours garder les grandes valeurs supérieures de l'obéissance, de la loyauté et du travail : il peut ainsi acquérir le goût du travail bien fait, le respect filial, l'amour du foyer, le courage, la tolérance, le sens extrême de l'honneur, qu'il porte parfois jusqu'au suicide, le sens patriotique.
Accordant facilement sa créance à plusieurs religions en même temps, de peur d'irriter des dieux qu'il ne connaîtrait pas, le Japonais ne se soucie guère de leurs recoupements doctrinaux ou de leurs oppositions théoriques.
Peu lui importe d'ailleurs l'enchevêtrement des pratiques
différentes dans un même sanctuaire. Peu lui importe également le manque
apparent de cohérence dans son existence : il peut se marier selon la tradition
shinto, vivre dans l'esprit confucéen et mourir en bouddhiste... Le
syncrétisme n'est pas chez lui un obstacle majeur.
Homme de fait très peu religieux, le Japonais serait, semble-t-il, assez facilement superstitieux, fasciné qu'il est par l'avenir et par les mystères dont il voudrait soulever tous les voiles. Que ce soit les femmes pour leurs succès amoureux, que ce soit les paysans pour l'abondance de leurs récoltes, que ce soit les étudiants pour leurs chances de succès aux examens... tous cherchent à découvrir ce que le futur peut leur apporter. Aussi la pratique de la divination est-elle devenue une réalité courante : il suffirait, pour constater ce phénomène, de considérer les tirages fabuleux des recueils d'horoscope et des différents manuels de divination... Si les temples continuent d'attirer les foules notamment à l'occasion des voyages, et non pas en vue d'une pratique régulière de l'une ou de l'autre religion, c'est surtout la présence d'un devin ou d'une devineresse qui est capable de prédire facilement la bonne aventure qui fait le succès de cette fréquentation des sanctuaires.
Les sanctuaires, temples des ancêtres
L'architecture religieuse japonaise a longuement subi
l'influence du bouddhisme. Les premiers édifices élevés en l'honneur des kami
n'étaient que des sanctuaires provisoires : c'étaient simplement des abris
réservés aux dieux lors de leur passage sur la terre à l'occasion des grandes
fêtes sacrées. L'arrivée des Coréens bouddhistes permit aux Japonais de
s'initier à l'architecture bouddhique. Aussi les édicules primitifs se
transformèrent-ils alors, au septième siècle, en des temples permanents.
C'est d'ailleurs également à cette époque que l'on identifiera certaines
divinités aux ancêtres, fondateurs des principaux clans qui ont constitué
l'empire. Il fallait bien assurer une résidence aux kami-ancêtres, un domicile
fixe au milieu de leurs successeurs. Aussi le style de ces constructions, les
plus archaïques, ressemble-t-il assez étrangement au style des constructions
prévues pour emmagasiner le grain des différentes récoltes. Les chefs les
plus anciens des clans avaient sans doute leur résidence particulière dans ou
auprès de ces greniers dont ils pouvaient être considérés comme les gardiens
traditionnels. Il ne serait donc guère étonnant de voir dans ces sanctuaires
shintoïstes la reproduction même du domicile des ancêtres fondateurs du clan
et kami protecteurs privilégiés de celui-ci.
Comme pour ces greniers à grains, le rez-de-chaussée de ces sanctuaires est nettement surélevé par rapport au sol. Sans doute faut-il y voir la crainte de l'humidité en ce pays où les pluies sont abondantes, aussi bien en été qu'en hiver. Pour accéder à ce rez-de-chaussée, une échelle ou un escalier extérieur se trouve dressé en face de la porte d'entrée, laquelle ouvre sur le plancher surélevé. Une galerie fait le tour du bâtiment. Le tout, ainsi que la charpente, est soutenu par d'énormes poteaux, semblables à ceux des constructions sur pilotis, fichés en terre. Sur le faite du toit, des arêtiers s'entrecroisent : les rondins dont ils sont formés servaient, primitivement, à retenir le chaume, la matière originaire de la toiture. Ces éléments, les arêtiers, bien qu'ayant perdu leur rôle fonctionnel à la suite de l'apparition de matériaux plus récents, n'en demeurent cependant pas moins des ornements, des signes très distinctifs des temples traditionnels.
Contrairement à l'usage en vigueur dans le monde occidental, les temples japonais, qu'ils soient édifiés par les adeptes du shinto ou qu'ils soient élevés par les fidèles du bouddhisme, ne connaissent pas une régularité de pratique de la part des membres de la communauté religieuse.
Le Japonais, ainsi qu'il l'a déjà été montré, n'a
certainement pas la fibre religieuse : il visite les temples à l'occasion de
ses voyages ou à l'occasion des fêtes traditionnelles qui sont données soit
dans un quartier soit dans une ville déterminée. De grosses cordes descendent
du toit de ces sanctuaires : le fidèle les tire pour appeler le dieu à son
aide et lui faciliter tous ses déplacements.
Le goût de la fête
L'année est marquée par de nombreuses fêtes, qui offrent le privilège d'offrir des congés plus ou moins longs à ceux qui accordent une très grande place au travail dans leur existence quotidienne. Parmi ces fêtes, il faut tout d'abord noter les dates familiales que sont les anniversaires des moments les plus importants de la vie et pour lesquels on offre régulièrement les cadeaux appropriés. Puis, ce sont les fêtes locales, d'inspiration religieuse ou historique. Dus les différents quartiers, on célèbre chaque année le sanctuaire local : c'est alors un déploiement de danses, de défilés, de spectacles hauts en couleurs, de manifestations sportives, une véritable foire où tous les plaisirs possibles sont offerts aux habitants. De plus, il existe aussi de véritables fêtes professionnelles : fête des aiguilles pour les couturières, fête des rotatives pour les travailleurs des différents journaux. En certains lieux, on célèbre également des anniversaires beaucoup plus tragiques, c'est ainsi que de grandes cérémonies rappellent, à Hiroshima et à Nagasaki, l'explosion de la bombe atomique du mois d'Août 1945.
En janvier, l'année commence par les grandes festivités du
Nouvel An, et les traditions ancestrales remplacent les habitudes industrielles
du pays. Les bureaux des différentes administrations civiles, des banques, les
grands commerces sont fermés, dès le 29 décembre, et ils n'ouvriront que le 4
janvier. Pendant toute cette semaine, des décorations de paille de riz ornent
les différentes pièces de l'habitation. A l'entrée de celle-ci, une corde de
paille de riz établit une sorte de barrière de pureté contre toutes les
influences maléfiques des mauvais esprits. Les premiers jours de l'année sont
l'occasion de visites multiples et nombreuses : visites aux parents et aux amis,
visites d'obligation également auprès des différents employeurs... C'est le
moment privilégié de consommer le saké doux et des friandises avec tous ceux
qui viennent offrir leurs voeux et leurs félicitations pour le début de la
nouvelle année. Le premier rêve de l'année est analysé avec le plus grand
soin, car c'est de lui que dépend, parait-il, le bonheur de toute l'année :
aussi a-t-on grand soin de ne jamais s'endormir loin d'un objet favorable à la
prospérité.
En février commencent les grandes prières pour les
récoltes, notamment le jour de l'entrée du cheval dans le ciel zodiacal. Puis,
c'est le jour où il faut absolument chasser tous les esprits mauvais qui
pourraient hanter la maison : on jette des haricots dans tous les recoins pour
les effrayer et pour les chasser. En mars, les petites filles sont à l'honneur
à l'occasion de la fête des poupées. A l'équinoxe de printemps, on visite
les temples, et on fait de nombreuses offrandes aux différentes divinités. En
avril, est célébrée la naissance de Gautama Bouddha : il convient de toujours
se souvenir que le Japonais mélange volontiers toutes les formes religieuses,
pour s'assurer du secours de toutes les divinités. Mai voit la grande fête des
garçons, avec la présentation de leurs armures inspirées de la tradition la
plus ancienne. En juillet, c'est la fête des ancêtres, avec un festival de
danses collectives, de chants sous les lanternes décorées. Cette fête du
souvenir est suivie de la célébration des diverses collectivités : quartiers,
villages, usines, temples... On échange alors des cadeaux, au cours de repas
agrémentés d'anguilles, symboles de fraîcheur pendant cette période de
grosses chaleurs. En septembre, au moment de l'équinoxe d'automne, c'est la
contemplation de la lune qui attire tous les regards et qui offre une nouvelle
source de réjouissances avec les repas traditionnels. En novembre, le
Shichi-go-san (le 7, le 5 et le 3) célèbre les enfants de ces trois âges :
ils sont alors revêtus du costume national traditionnel, et ils effectuent une
visite dans les temples ou dans les sanctuaires locaux. Profitant de cette
circonstance, les Japonais adressent aux dieux des prières de reconnaissance
pour les récoltes effectuées.
Décembre connaît, comme partout ailleurs dans le monde, la grande agitation de la préparation des fêtes du Nouvel An. Et, depuis l'occupation américaine, la fête chrétienne de Noël, est également célébrée, même par les non-chrétiens. C'est la joie des achats les plus divers, des repas et des beuveries, qui contrastent étrangement avec les habitudes de nourritures japonaises...
Les rites familiaux
Parmi les membres de ce peuple désormais hautement industrialisé, les grands moments de l'existence individuelle et familiale ne sont plus tellement marqués par un aspect religieux, comme cela pouvait encore être le cas naguère. Pourtant, il faut remarquer que certaines traditions sont encore ancrées dans un grand nombre de familles.
La naissance ne se déroule plus dans le cadre de la famille : la future mère emporte à l'hôpital tout ce qui est nécessaire à son séjour et aux premiers soins de son enfant.
Le bébé connaît également une plus grande liberté qu'auparavant : il n'est plus serré dans des maillots étroits ni porté sur le dos de sa mère... Le choix de son nom demeure très important, car il est porteur du caractère que ses parents lui souhaitent, il est aussi signe de sa propre place dans la généalogie - premier garçon, troisième enfant... -, il est enfin signe de la tradition familiale. Le nom qui lui est ainsi accordé au jour de sa naissance lui est confirmé le centième jour qui suit cette naissance, célébration qui tient lieu de baptême, mais qui est totalement dépourvue de caractères rituels.
De même, le mariage, le plus ordinairement selon la
tradition du shinto, ne connaît que des rites religieux réduits au maximum.
Dans une salle spécialisée, le kaikan, l'échange des consentements se fait
par le rite du sansakudo : les jeunes époux s'offrent mutuellement trois coupes
de saké. La jeune mariée est revêtue du costume traditionnel, la tête
voilée de blanc. Elle ne sourit pas : ce serait un mauvais présage et lui
vaudrait de ne donner naissance qu'à des filles. Le mari, quant à lui, est en
costume de fête. Le repas qui suit cette brève célébration est coupé de
nombreux discours faits par les amis du jeune couple, par les employeurs, par
leurs compagnons d'études ou de travail, par les différents membres de leurs
familles... Le gâteau de noces est découpé, parfois au moyen d'un vieux sabre
de samouraï, avant que ne se déroule le moment culminant de cette fête, à
savoir la photographie collective. Puis, ayant revêtu un costume de type
occidental, mais toujours aussi entouré par toutes leurs connaissances, les
jeunes époux prennent le départ pour un voyage de noces. Celui-ci, même s'il
se fait à l'étranger, est toujours très bref... De plus, il convient de
souligner le fait que la société encourageant toujours la plus grande
économie, les mariages sont de plus en plus fréquemment célébrés
collectivement : les municipalités, les usines, les syndicats organisent
eux-mêmes les mariages, que le marieur enregistre à l'état civil. D'ailleurs,
on peut même se dispenser de toute forme de cérémonie : il suffit simplement
de se rendre à la mairie pour faire enregistrer les consentements, l'employé
de service offre alors ses voeux moyennant le règlement d'une petite taxe.
Les funérailles se déroulent le plus souvent suivant les rites du bouddhisme. Le défunt est généralement incinéré : ses cendres, réunies dans une petite urne, prendront ainsi un minimum de place. Les cimetières, ordinairement très proches des temples, se présentent comme des damiers de tombes exiguës. Celles-ci sont décorées soit d'une stèle de pierre, soit de planchettes de bois, sur lesquelles le nom du défunt est gravé, ainsi qu'une formule d'éloge respectueux. Un autel minuscule permet de déposer quelques fleurs et de l'encens. Les cimetières, ou les columbariums très modernes, avec chauffage et ascenseur, sont visités régulièrement chaque année, à l'occasion de la fête des ancêtres, au mois de juillet. Le fils aîné est chargé de l'entretien de la tombe de ses parents. C'est d'ailleurs ce même fils aîné qui est chargé de toute la célébration des funérailles, avec le concours des amis du défunt, ses amis se partageant ainsi les tâches nécessairement au bon déroulement de la cérémonie. Le corps, revêtu du kimono de cérémonie, est exposé dans la maison. C'est là que la famille et les amis viennent le visiter pour faire son ultime éloge.
Le thé est offert : peu de paroles sont adressées à la famille, à qui on laisse, en partant, une enveloppe contenant quelque argent pour l'encens et pour les frais occasionnés par le décès. Pendant la veillée funèbre qui dure généralement toute une nuit, mais qui peut également se prolonger plusieurs jours, on offre de l'encens, on s'incline, on frappe des mains pour appeler les dieux. Les funérailles elles-mêmes sont publiques : le corps est placé derrière le portrait du défunt, entouré de fleurs. Chacun présente des éloges, dont le texte est déposé près du portrait. Après l'incinération rituelle, le fils aîné est chargé de rendre l'argent versé par les amis, argent qui n'a pas été utilisé pour la célébration. Il fait accompagner ce retour d'argent d'une carte ou d'un petit cadeau-souvenir.
La civilisation industrielle, une nouvelle religion ?
Quand la civilisation devient plus industrielle, on abandonne
plus facilement les rites religieux, habituellement signes d'un état de vie
plutôt rural. Le boom économique du Japon, depuis le début de ce vingtième
siècle, et malgré la défaillance due à la seconde guerre mondiale, ne fait
que confirmer cette constatation. Le Japonais, déjà peu enclin antérieurement
à toute forme religieuse, se détourne de plus en plus des formes de
célébration rituelle.
La crainte des dieux s'est, en quelque sorte, transformée en un respect pour les instruments de travail, sources de l'expansion. Plutôt que de révérer un arrière-monde, il est préférable de travailler à transformer le monde présent, grâce aux progrès des techniques. L'avancée scientifique entraîne toujours une forme de matérialisme, lequel se traduit lui-même par un abandon progressif des coutumes traditionnelles de la religion.
Mais, parallèlement au progrès de l'athéisme, on peut noter que recrudescence des phénomènes superstitieux à l'intérieur même de la civilisation japonaise. Moins l'homme est entouré d'une présence divine, plus il recherche à percer l'avenir qui ne casse de l'inquiéter. Cela est vrai dans la plupart des civilisations : la crainte des dieux est rejetée comme un phénomène archaïque, mais l'inquiétude en face de l'avenir ne cesse de subsister. Qui pourra donc lever le voile du futur ?