Une chose paradoxale pour commencer un
exposé sur les différentes religions, c'est de parler de l'athéisme, c'est-à-dire
du refus de Dieu. Dans les siècles qui ont précédé, l'athéisme s'est fait
actif, et parfois même violent à l'égard de tous ceux qui avaient adopté une
attitude croyante. A l'heure présente, l'athéisme ne cherche même plus à
combattre Dieu ou les religions : il les laisse simplement en dehors de
toutes les affaires humaines. Le monde actuel semble devenu un monde sans Dieu,
un monde dans lequel la religion ne serait plus qu'une survivance d'un passé révolu.
Le jeune Karl Marx écrivait, sous une
forme percutante demeurée célèbre : la religion est l'opium du peuple,
et il poursuivait en appelant de tous ses voeux la suppression de toute forme
religieuse. Celle-ci fait toujours miroiter aux yeux des fidèles un état
paradisiaque qui les détourne des tâches urgentes de l'action. En réalisant
un paradis sur la terre, comme Marx le souhaitait, on supprime, du fait même,
la nécessité de poser l'existence d'un paradis céleste. Celui-ci devenu
superflu, la religion serait appelée à disparaître d'elle-même.
Marx a très bien compris que l'athéisme
vient après la religion et qu'il en reste tributaire : on ne peut être
athée que par rapport à Dieu ou à des dieux, l'athéisme ne procède pas de
la pure abstraction mais bien d'une négation des croyances religieuses.
D'ailleurs, une fois la religion disparue définitivement, l'athéisme est appelé
à disparaître lui aussi : l'homme sera à lui-même son propre dieu.
Cette position irréligieuse naît
certainement d'une notion fausse de la divinité. L'athéisme postule que l'idée
de Dieu n'est qu'une projection plus ou moins confuse des craintes de l'homme
peu évolué ; c'est la somme de tous les interdits qui pèsent sur son développement.
L'homme projette dans un Dieu lointain tous ses désirs vitaux, et
principalement ses désirs d'immortalité, de liberté et de justice.
L'absence de Dieu, la négation même de
Dieu a purifié les conceptions religieuses : la foi a dû passer par le
désert, mais celui qui ne traverse pas le désert ne découvre jamais l'oasis.
Aujourd'hui encore, la civilisation
pousse d'ailleurs les individus sur les voies d'un matérialisme pratique et athée,
sans souci de Dieu, matérialisme caractérisé particulièrement par le souci
du confort, par une mentalité critique, voire sceptique à l'égard de tout ce
qui ne peut pas être expliqué par les seules voies de l'intelligence humaine.
Croire n'est jamais si facile. Il faut
d'ailleurs dire que la foi n'a jamais été facile, pas même pour ceux qui
ont pu bénéficier d'expériences spirituelles d'une présence de Dieu au
coeur de leur existence concrète, pas davantage pour ceux qui ont essayé de
prouver son existence.
Il faut du courage pour croire, il faut
du courage pour risquer son existence sur ce que, depuis Pascal, il est convenu
d'appeler un "pari". Car, croire, ce n'est pas savoir des choses sur
Dieu ou sur ses envoyés, ce n'est pas connaître son message, ni admettre les
dogmes des sociétés religieuses. Croire ne relève pas d'une expérience intellectuelle.
C'est accueillir le don que Dieu fait de lui-même et accepter de le laisser
agir à travers la vie humaine.
Le courage de la foi, c'est le courage du
croyant qui accepte de se soumettre, non pas comme un esclave, mais comme un
homme libre face à Celui qui lui permet de devenir chaque jour un peu plus
homme.
Le courage du croyant, à l'heure
actuelle, c'est un renoncement à tout ce qui pourrait être considéré comme
un refuge dans un ciel paradisiaque, pour travailler à l'établissement d'un
monde où règne plus de justice et de solidarité entre les homes, non
seulement entre les partisans d'une foi identique, mais encore entre tous les
hommes.
L'acte de foi, l'acte du sujet croyant,
ce n'est pas une soumission aveugle à Dieu, ce n'est pas un esclavage comme on
peut le penser trop facilement en ne considérant la religion que de l'extérieur.
La soumission à la volonté divine est une invitation à marcher de l'avant,
une provocation à progresser sans cesse vers l'avenir.
Même s'il est légitime de constater que
toutes les religions ont véhiculé une certaine dose d'intolérance et de
fanatisme, en exerçant une puissance contraignante sur leurs fidèles, en déployant
également des moyens violents pour convaincre ceux qui ne partageaient pas
leurs convictions, il faut remarquer qu'elles ont aussi souvent exalté la
valeur de la liberté humaine, de la responsabilité individuelle en face des régimes
sociopolitiques les plus tyranniques.
Dans la mentalité occidentale, la foi
(du latin fides) se rattache immédiatement à la notion de fidélité (fidelitas).
La foi serait alors une sorte de fidélité à un passé originel qui aurait
encore aujourd'hui une valeur normative.
Si la foi est fidélité au passé, elle
est aussi tension et attente de l'avenir : elle ne peut être un carcan qui
emprisonne, elle est puissance de libération pour un avenir meilleur. Pour
marquer sa véritable fidélité, le croyant n'a d'autre chose à penser, à
vouloir, et même à espérer que le changement, dans la densité du présent, là
même où il lui est possible d'exprimer sa foi.
La foi est composée d'un élément
subjectif, celui de la relation de l'homme avec son Dieu, et d'un élément
objectif, celui de la méditation par une communauté d'hommes de la dite
relation. Il importe à chaque croyant d'exprimer sa relation à Dieu dans le
cadre même de cette médiation : l'homme n'est pas seul, il ne saurait être
enfermé à l'intérieur de lui-même pour résoudre l'énigme du Dieu qui
traverse son existence.
Toute religion cherche à établir un
lien entre l'humanité et la divinité. De tout temps et en tout lieu, l'homme
a tenté, d'une manière ou d'une autre, de s'approcher de celui qui lui
paraissait inaccessible et qu'il nommait Dieu. La relation qui s'établit entre
l'homme et Dieu s'appelle religion, d'un terme latin signifiant relier.
Depuis ses origines, l'homme ne s'est guère
reconnu comme le maître de l'univers dans lequel il se trouve inséré et il a
cherché à connaître cette puissance supérieure qui pouvait diriger le monde
naturel. C'est de cette manière que les différents cultes ont pu se constituer
à l'égard de certains éléments qui prouvaient la réalité d'une puissance
étrangère à l'homme : le soleil ou les astres, la pluie qui permet à la
terre d'être fertile, la mer qui effraye l'homme naviguant... Mais au-dessus de
ces forces de la nature, il semblait qu'il existait une puissance nettement
supérieure et qui se signalait dans le monde par ces éléments naturels ;
la divinité, qu'elle soit une ou multiple, intervient dans le monde de la
nature par des forces que l'homme est incapable de contrôler mais qu'il tente
de s'allier par le culte qu'il rend aux éléments naturels.
Il existe encore aujourd'hui des
religions qui honorent d'un culte les éléments de la nature comme autant de
manifestations possibles de l'élément divin répandu dans le monde. Pour ces
religions, Dieu ou les dieux se signalent ou signalent leur présence dans le
monde ; elles sont appelées "religions naturelles", en ce sens
que l'homme essaye d'apprivoiser la divinité en dominant, autant qu'il le peut,
les différentes manifestations.
Ces religions naturelles se caractérisent
par le fait que l'homme s'est mis lui-même à la recherche de Dieu.
A côté de ces manifestations
religieuses que la mentalité occidentale considère comme primitives, il existe
des religions révélées, qui sont le fait d'une intervention particulière de
Dieu dans l'histoire des hommes.
Le terme même de "révélation"
implique que le Dieu a dévoilé une partie du mystère qui l'entourait, qu'il
a fait connaître ce qui était caché aux hommes. Et cette connaissance que
l'homme peut avoir vient du fait que c'est Dieu lui-même qui s'est mis en
recherche de l'homme, et non l'inverse : l'initiative vient de Dieu.
Si le terme "religion" dérive
directement du latin "religio", dans son sens premier, il ne désigne
pas ce que les Occidentaux ont appelé religion, sous l'influence du judéo-christianisme.
Ce mot latin indiquait un ensemble d'observances, de règles et d'interdictions,
sans se référer directement à une ou plusieurs divinités, sans se référer
davantage aux mythes et aux légendes, aux célébrations rituelles ou sacrificielles.
Mais, la religion est autre chose que la
simple relation avec le sacré ; pour tout homme, la religion fait partie
de sa vie, au point qu'il lui est souvent difficile, sinon impossible, de
distinguer ce qui serait purement religieux et ce qui ne le serait pas.
Le polythéisme désigne la conception
religieuse qui admet plusieurs divinités qui se répartissent les privilèges
et les attributs des puissances que l'homme reconnaît supérieures à lui-même.
Par sa seule définition, le polythéisme
s'oppose au monothéisme qui ne reconnaît et ne vénère qu'un seul Dieu, il
s'oppose également à l'athéisme qui n'en reconnaît aucun.
Venu au monde dépouillé de tout moyen
naturel de défense contre les agressions des autres êtres vivants, l'homme,
s'il veut survivre, doit lutter contre la nature afin de satisfaire ses besoins
primaires et purement physiques. Mais, la caractéristique fondamentale de
l'homme est qu'il lui est impossible de vivre uniquement en envisageant le monde
sur le mode de ses seuls besoins élémentaires.
Il suppose une réalité cachée,
invisible, dissimulée sous les apparences sensibles, et il perçoit l'écart
entre ce qu'il perçoit et ce qui est en vérité. Toute la recherche humaine
sera marquée par cet appel intérieur d'une réalité invisible, et c'est en
cela que l'homme se distingue radicalement de l'animal, même le plus évolué.
Une carte sommaire de la situation des
hommes se référant aux religions primitives serait relativement facile à
dresser. En Europe, il n'existe pratiquement aucune trace. En Amérique
centrale, quelques petits villages ont encore conservé la civilisation et le
mode de vie qui étaient les leurs avant la découverte de l'Amérique par
Christophe Colomb. En Asie, quelques groupes isolés au Sri Lanka, en Inde du
Sud, en Malaisie et aux Philippines ; en Océanie, quelques peuplades en
Australie et en Polynésie. Mais c'est surtout en Afrique que vit la plus grande
partie des représentants de ces religions. Une boutade recèle une certaine
dose de vérité : on dit que l'Afrique compte 30 % de chrétiens, 39 % de
musulmans et 100 % d'animistes... tant il est vrai que les traditions
ancestrales ont laissé de sérieuses survivances même chez les convertis au
christianisme et à l'islam.
Chaque peuple se forge ainsi un Dieu à
son image, il imagine un monde surnaturel tel qu'il souhaiterait le monde
naturel. La croyance première trouve son origine dans une force vitale qui
exerce son influence dans l'ordre minéral aussi bien que dans l'ordre végétal,
dans le monde animal aussi bien que dans le monde humain. C'est la raison pour
laquelle on a donné un nom à ces formes de religions dites primitives :
l'animisme, qui a été présenté comme la croyance en une âme pour toutes les
choses ou encore comme la croyance en un monde des esprits, en un monde d'êtres
spirituels.
A la frontière de la religion, qui est
une institution à dimension sociale, il convient de situer la pratique de la
magie. Celle-ci vise à exercer un pouvoir direct sur les dieux par le déploiement
d'actes techniques. D'une certaine manière, la magie veut se constituer en
religion. Le magicien, comme le prêtre, cherche à capter les différentes
forces divines répandues à travers le monde, afin de les soumettre à
l'ordre humain. Mais cette pratique ne se situe pas dans le cadre social :
le magicien veut s'approprier le sacré pour le manipuler dans le sens qui lui
convient alors que le prêtre agit sur le sacré en vue de l'intérêt de toute
la communauté qui se rassemble autour de lui. La magie prétend subordonner la
divinité à un homme et à son pouvoir.
L'opposition entre religion et magie
s'accentue par les pratiques de l'une et de l'autre. La religion est adoration
de la divinité à qui elle présente prières et sacrifices tandis que la magie
ne reconnaît que l'aspect efficace de ses différentes techniques.
Pour les Grecs, les dieux étaient
semblables aux hommes, soumis au même destin que l'ensemble des humains, bien
que l'immortalité leur fût reconnue. Cette religion décrivait l'existence de
chaque divinité comme celle de tout être vivant, avec ses traits physiques,
avec son caractère : c'est pourquoi le phénomène religieux a pu inspirer
si profondément les artistes et les poètes.
Chez Homère, les dieux sont des humains
idéalisés dans les veines desquels coule un liquide mystérieux, l'ichtor, qui
leur assure l'immortalité. Toutefois, bien qu'immortels, ils pouvaient connaître
la souffrance, tant physique que morale ; et, comme les hommes, ils éprouvaient
de la difficulté à vivre en harmonie les uns avec les autres. Dans l'Iliade,
ils prenaient parti dans les querelles humaines et se combattaient entre eux.
Les dieux célestes se regroupaient
autour de Zeus, le fils de Chronos, qui avait détrôné son père et pris le
pouvoir dans le monde divin. Il gouverne le monde de sa résidence située au
sommet du mont Olympe. Avec son épouse Héra, il surveillait les actions des
hommes et punissait ceux qui étaient infidèles à leurs serments. Il est aussi
présenté comme le dieu de l'orage et de la pluie. Dans le ciel également règne
Apollon, dieu du soleil, qui a permis aux hommes d'accéder à la
civilisation. Artémis, déesse de la lune, règne sur la nuit. Hermès est le
messager de Zeus, il fait parvenir les décisions du maître de l'Olympe aussi
bien aux dieux qu'aux hommes. Le royaume de la mer est confié à Poséidon
alors que Déméter règne sur la terre, en compagnie de Dionysos, le dieu qui
fait pousser la vigne. Sous terre, Hadès gouverne le sombre pays de la mort.
Enfin certains dieux personnifient des activités humaines : Aphrodite est
la déesse de l'amour, Arès le dieu de la guerre, Athéna, la déesse de
l'intelligence tant belliqueuse que pacifique, Héphaïstos le dieu des forgerons...
Pourtant, au-dessus de tous ces dieux, au-dessus même de Zeus, se trouve la
Moira, le Destin à qui tous les êtres sont soumis.
Si les Grecs pouvaient paraître
inventifs dans de nombreux domaines, les Romains, quant à eux, se montrèrent
moins imaginatifs et beaucoup plus pratiques. Dans le domaine religieux, il
semble même qu'ils aient été très pauvres puisqu'ils empruntent leurs dieux
à la civilisation grecque, se contentant simplement de changer les noms.
La religion, pour le Romain, c'est une
simple affaire de contrat : moyennant les honneurs, qui doivent leur être
rendus, les dieux sont dans l'obligation de rendre les services que l'on attend
d'eux. La liste des divinités romaines est plus longue que celle des grecques,
puisque les Romains ont non seulement adopté le panthéon grec, mais aussi la
plupart des dieux des pays dans lesquels leurs armées pouvaient combattre.
Zeus est devenu Jupiter, le père des
dieux, son épouse parèdre Héra est devenue Junon, la protectrice des
matrones. Déméter se nomme Cérès, déesse du blé, Dionysos, dieu du vin,
est appelé Bacchus ou Liber Pater. Arès est devenue Mars comme dieu de la
guerre mais aussi comme dieu du renouveau puisque, durant l'hiver, il ne pouvait
être question d'entreprendre une campagne militaire. Les campagnes commençaient
au mois de mars, époque où la nature entre dans un nouveau printemps. Artémis
est devenue Diane, en adoptant aussi les attributs de la chasse. Vulcain, dieu
du feu, a pris le relais du forgeron Héphaïstos. Neptune, dieu d'abord des
eaux douces, a été identifié par la suite à Poséidon. Mercure succède à
Hermès, comme dieu du commerce et du gain. Vénus est identifiée à
Aphrodite... Une déesse est particulièrement vénérée dans la Rome antique,
c'est Vesta, la déesse du feu. Son culte rappelle sans doute les temps anciens
où l'on ne pouvait conserver le feu qu'en l'entretenant régulièrement. Un
collège de vierges était chargé de l'entretien perpétuel du feu sacré, ce
sont les vestales, vouées à la chasteté et menacées d'être enterrées
vivantes si elles négligeaient leurs fonctions.
Quoi qu'il en soit de l'origine des différentes
divinités qui peuplaient le panthéon romain, le sentiment religieux le plus
apparent était la crainte.
Une des premières caractéristiques de
la religion égyptienne, c'est son aspect local : il y a autant de dieux
principaux qu'il y a de provinces, de nomes (districts) sur tout le
territoire. Un même dieu peut être adoré dans différents districts, mais il
est appelé d'une manière différente et revêt parfois des attributs très
différents.
Les conflits qui ont précédé
l'unification de l'Égypte ont contribué à réduire, dans une certaine mesure,
ce polythéisme de base. Le dieu du nome vainqueur devenait le dieu des vaincus,
puisque sa puissance était supérieure à la divinité qui avait essuyé le même
échec que ses fidèles. Progressivement donc, et pour des raisons politiques,
les dieux furent regroupés en une hiérarchie qui regroupait les familles
divines. Et ce sont les dieux cosmiques qui obtinrent la plus grande place dans
la religion, parce qu'ils se révélaient comme les plus universels.
Sous un polythéisme de fait perçait un
monothéisme de fond : le nom et l'aspect des divinités pouvaient changer
d'un sanctuaire à l'autre, mais les caractères divins se présentaient comme
similaires.
C'est le pharaon Aménophis IV, connu
sous le nom d'Akhénaton, qui entreprit la plus grande réforme religieuse, au
quatorzième siècle avant Jésus-Christ. Sans rompre avec les traditions antérieures,
il met en relief le culte du dieu universel, le soleil, désigné sous le nom d'Aton.
Même si cette réforme n'eut pas un grand retentissement dans l'histoire de la
religion égyptienne, elle indique que, malgré la multiplicité de leurs dieux,
les Égyptiens ont eu un vague sentiment de l'unité du divin.
Le monothéisme désigne la conception
religieuse qui ne reconnaît qu'un Dieu unique, à l'exclusion de toute autre
divinité. Ainsi, ce qui pouvait être considéré comme une tendance monothéiste
dans la religion de l'ancienne Égypte, n'était en fait que de l'hénothéisme,
c'est-à-dire la domination d'un dieu sur les autres.
Les religions monothéistes, que l'on
appelle aussi religions révélées, s'accordent pour reconnaître en Abraham le
père et le modèle de tous les croyants au Dieu unique. Certes, des tendances
monothéistes existaient, de manière latente, avant Abraham, mais elles ne
posaient pas encore l'affirmation absolue d'un Dieu unique à l'exclusion de
tout autre.
Contrairement aux divinités de l'Ancien
Orient, le Dieu d'Abraham ne sera pas un dieu de la nature, ni un dieu local,
limité à tel ou tel pays. Mais, créateur du ciel et de la terre, ainsi que de
tout ce qui vit à la surface de la terre et dans les eaux, il est totalement
indépendant de la nature. C'est aussi un Dieu moral qui recommande la pratique
de la justice et de la droiture dans l'existence humaine.
Personne n'a jamais su, et sans doute
personne ne saura jamais comment Abraham en est venu à cette conception du
Dieu unique ; ce fut peut-être l'aboutissement et le résultat d'un
raisonnement, ce fut peut-être sa grandeur d'âme qui le conduisit à conférer
à la divinité des qualités morales qu'il estimait les plus importantes, ce
fut peut-être aussi une illumination soudaine qui lui révéla la présence à
ses côtés de ce Dieu unique et souverain de l'univers.
Avec Jésus de Nazareth, appelé Christ
et Seigneur par ses disciples, le monothéisme juif prend une dimension
nouvelle. La nomination de Jésus comme Seigneur est déjà l'affirmation de son
égalité avec Dieu : le monothéisme juif absolu laisse place à une autre
forme de monothéisme, qui se traduira rapidement par l'annonce de la Trinité.
Dieu n'est pas isolé, il vit de la communion.
Alors que les juifs et les chrétiens
connaissaient de nombreuses discussions religieuses relatives à l'interprétation
des dogmes, l'islam s'est fixé une dogmatique simple, admise par tous les fidèles
sans prêter le flanc à des discussions interminables. Et le premier dogme
affirme l'unicité absolue de Dieu : J'atteste qu'il n'y a pas d'autre Dieu
qu'Allah. Allah est grand et il n'y a pas d'autre dieu que lui.
Le terme de "révélation"
indique que c'est Dieu lui-même qui a levé une partie du mystère qui
l'entourait, il s'est mis à la recherche de l'homme pour lui faire connaître
sa vie.
Livré à ses propres forces, l'homme
n'est toutefois pas capable d'accéder à cette connaissance. Aussi est-ce Dieu
lui-même qui est venu au secours de l'homme, il s'est fait connaître à lui,
il s'est adressé à lui : il lui a parlé.
C'est sans doute une des plus grandes découvertes
du judaïsme antique que l'affirmation d'une parole de Dieu adressée à
l'humanité D'ailleurs, la foi de toutes les religions révélées repose sur
cette conviction fondamentale : Dieu parle aux hommes, il les rejoint dans
leur histoire, non plus de façon commune et indistincte, par les forces de la
nature.
Dieu ne s'impose pas, il tente une
approche de l'homme, sans contraindre ce dernier à répondre positivement à
l'appel qu'il lui adresse. Il ne cherche pas la soumission des esclaves, mais la
décision d'un homme libre.
La révélation de Dieu s'est effectuée
par une prise de parole : il s'est adressé à des hommes, il leur a parlé,
il a fait alliance avec eux, il s'est donné à connaître en Jésus-Christ, il
s'est dévoilé dans le don du Coran. Ce sont les trois formes de la révélation.
Ce qui est remarquable, c'est la mise immédiate
par écrit de cette parole. L'écriture supprime la dimension vitale de la
parole, un texte est toujours plus mort que l'expression orale. Pour connaître
le Dieu des juifs, des chrétiens, des musulmans, le croyant est réduit à lire
des textes. Dieu a parlé, l'homme lit.
Dans toutes les religions révélées,
les croyants se rassemblent régulièrement pour lire la parole de Dieu dans
un texte qui sert de repère à l'expression actuelle de la foi et de l'action
de l'individu croyant.
C'est à Israël que le Dieu unique s'est
d'abord révélé. C'est dans ce peuple qu'il est possible de retrouver les
premières traces de la révélation. Toutes les pages de la Bible parlent de
cette révélation aux pères du peuple. YHWH s'est révélé une première fois
à Abraham, dans la ville d'Ur en Chaldée. A cet homme, il promit une génération
aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ou que le sable sur les rivages
de la mer ; et, en donnant un fils à ce vieillard et à sa femme, Sara, il
conclut une alliance. Abraham, fort de cette promesse, quitta son pays pour
partir vers la terre que Dieu lui montrerait et qu'il donnerait en héritage à
ses descendants. Toute la tradition présente Abraham comme le père des
croyants.
Abraham transmit sa foi à toute sa
descendance ; celle-ci devint une tribu importante qui rend toujours un
culte à ce Dieu, devenu le Dieu d'Isaac, puis celui de Jacob et des fils de ce
dernier. Les migrations sémites ont conduit la tribu à s'installer en Égypte,
où elle s'amplifia encore, ainsi que le rapporte le livre du Deutéronome :
Mon père était un araméen errant, il est descendu en Égypte où il a vécu
en émigré... Là, il est devenu une nation grande, puissante et nombreuse... "
(Dt. 26, 5-6)
L'accroissement numérique des fils
d'Israël fait oublier le souvenir de Dieu, mais des épreuves leur firent
retrouver la foi : ils crièrent vers celui qui ne pouvait oublier les promesses
faites aux pères. C'est toujours quand le peuple oublie son Dieu que les
malheurs arrivent pour les hommes. Chaque fois qu'Israël trahit l'alliance, la
nation tout entière tombe aux mains de ses ennemis. Mais alors, comme au temps
de l'exode, le peuple se retourne vers son Dieu qui se laisse fléchir et qui
renouvelle l'alliance faite avec les patriarches.
Cette alliance a pris une forme
remarquable au moment de la sortie Égypte Dieu, par la voix de Moïse, donne à
son peuple, un code législatif : la Torah, la Loi. Le don de la Loi
s'accompagne de la promesse d'entrer sur la terre que Dieu avait choisie pour
son peuple. Celui-ci continuera à marcher sans cesse à travers le désert
jusqu'au pays dont il devait prendre possession : Canaan ou la Palestine.
Né au milieu du peuple juif, né sujet
de la Loi de Moïse, Jésus a introduit une dimension nouvelle dans l'approche
que l'homme pouvait faire de Dieu.
Au cours de son existence terrestre, Jésus
n'a cessé d'annoncer que Dieu était Père de tous les hommes. Les apôtres,
premiers disciples du Christ, n'ont reçu d'autre mission que de faire connaître
à toutes les nations ce que Jésus disait de celui qu'il appelait familièrement
son père ; et, ils ont fait cette annonce par le témoignage de leur
existence.
Le Dieu d'Israël demeure celui des chrétiens,
mais son mode de perception devient différent : il est connu par la médiation
de son Fils unique et par le soutien de l'Esprit. Le dogme chrétien enrichit
alors la conception de la divinité : il n'est pas le Dieu inaccessible,
insensible, il mène une existence faite de relation et d'amour.
La forme de la révélation islamique ou
musulmane est quelque peu différente de la révélation judéo-chrétienne.
En fait, les musulmans reconnaissent le même Dieu que les juifs et les chrétiens.
Ils reconnaissent aussi en Abraham le père de leur foi, puisqu'ils se rattachent,
quant à leur origine historique, au fils que le patriarche engendra de sa
servante Agar.
La séparation des deux demi-frères a
entraîné une séparation dans le culte de l'Unique. Et, au cours de
l'histoire, ce culte a été perverti par l'association d'idoles dans le temple
sacré de Dieu, la Kaaba de la Mecque. C'est alors que Mahomet fut envoyé par
Dieu pour détruire tous ces faux dieux. Le fondateur de l'islam fut
certainement influencé par le judaïsme et le christianisme, même s'il a
combattu farouchement ces deux autres formes de religions révélées, après
avoir été tenté par l'une et par l'autre.
La doctrine qu'il a laissée est tout
entière contenue dans un livre qui lui a été transmis par l'archange Gabriel,
au cours d'une révélation qu'il eut en janvier 611. Gabriel lui a remis les
premiers versets du Coran et l'a chargé d'une mission prophétique :
l'annonce du salut universel par l'islam, c'est-à-dire par la résignation
absolue è la volonté du Créateur.
L'Asie est le plus grand des continents :
quarante-quatre millions de kilomètres carrés. Mais aussi, depuis des siècles,
c'est le continent le plus peuplé, puisque soixante pour cent des humains
habitent ce vaste territoire. Et cette population est encore essentiellement
d'origine rurale, à l'exception sans doute du Japon.
Cette origine rurale n'est peut-être pas
sans rapport avec le phénomène religieux : le paysan qui se trouve en
contact immédiat avec les forces de la nature aura plus facilement l'âme
religieuse que le citadin, beaucoup moins influencé par une crainte presque
magique. Aussi ne faut-il pas s'étonner si l'Asie a été le berceau des
grandes religions de l'humanité.
Ainsi, les trois religions monothéistes
sont nées au Proche-Orient, c'est l'islam qui y domine encore aujourd'hui,
alors que le judaïsme et le christianisme se sont plutôt développés dans le
contexte occidental. L'Asie du Sud et de l'Est a été le foyer de développement
des principales religions polythéistes qui ont marqué le rayonnement culturel,
artistique et spirituel dans cette partie du monde.
Long de 2700 kilomètres, le Gange est
l'un des plus puissants fleuves du monde. Il draine une grande partie de l'économie
de l'Inde, par l'irrigation des plaines qu'il traverse et qui sont très peuplées.
Si le géographe peut relever l'activité économique qui se déploie autour de
ce fleuve, il doit également le considérer comme LE fleuve sacré pour une
immense population, car il constitue le centre dynamique de la religion :
il est source de régénération pour ceux qui se baignent dans ses eaux, au
cours d'ablutions rituelles.
L'Inde, par sa position à l'intérieur
de l'Asie, s'est trouvée isolée de l'histoire universelle : elle a
toujours résisté, même sous une forme passive, à toute forme d'assimilation
par une culture différente : elle était entièrement absorbée par sa
recherche de l'absolu. Pour des motifs religieux, elle s'est résolument détournée
de l'histoire pour vivre selon son rythme propre.
Aussi, plutôt que de parler d'une
religion pour l'hindouisme, serait-il plus juste de le définir comme la manière
religieuse que l'Inde s'est donnée pour modèle d'existence, en se réclamant
de ses traditions ancestrales.
C'est sur les bords du Gange qu'un sage
indien, menant une existence ascétique et vagabonde, s'est éveillé à la Vérité.
En effet, le nom même de Bouddha signifie "celui qui s'est éveillé".
Cet éveil est celui qui permet de découvrir la réalité profonde cachée sous
les apparences trompeuses des objets. Originairement, c'est un mouvement réformateur
qui est suscité, mais, dans son opposition même aux traditions, le
bouddhisme apparaît comme une hérésie, c'est-à-dire comme une brèche faite
dans l'édifice religieux antérieur.
Le Japonais n'est pas un homme aussi
religieux que l'Indien. En dépit de ses seize mille sanctuaires, temples et
lieux de culte, il ne se soumet pas à une discipline organisée
dogmatiquement, et il ne se reconnaît guère comme le fidèle d'une religion
définie.
Le shinto a pu profiter de ce manque de
caractère religieux de l'âme japonaise : ce n'est pas, comme on a souvent
tendance à le penser, la religion nationale, ou un système religieux semblable
aux systèmes occidentaux, c'est plutôt un ensemble de rites et de pratiques à
l'endroit des divinités, des puissances supérieures à l'homme, de tout ce qui
lui est mystérieux et sur quoi il ne peut avoir aucune prise directe. Dans le
shinto d'origine populaire se dégagent de façon assez nette des éléments
d'animisme, mais aussi des éléments qui font penser au culte romain de
l'empereur.
Le Japonais accepte facilement toutes les
croyances à la fois, sans se choquer de leurs divergences ou de leurs
contradictions. L'essentiel n'est-il pas de ne blesser aucune divinité ?
Quand la civilisation devient plus industrielle, on abandonne plus facilement
les rites religieux.
Le "boom" économique du Japon,
depuis le début du siècle, malgré la défaillance de la seconde guerre
mondiale, ne fait que confirmer cette constatation. Déjà peu enclin à toute
forme religieuse, il se détourne de plus en plus de toute célébration
rituelle. La crainte des dieux s'est transformée en un respect pour les
instruments de travail, source de l'expansion.
Moins l’homme est entouré d’une présence
divine, plus il cherche à percer l’avenir qui ne cesse de l’inquiéter. Le
retour du divin, en cette fin de vingtième siècle, en semble une preuve
suffisante. La crainte des dieux est rejetée dans le passé comme un phénomène
archaïque, mais l’inquiétude de l’homme ne cesse de subsister sur le sens
de sa destinée. Dieu revient : qui pourra lever le voile du futur ?