Approches du
christianisme
Jésus-Christ
est-il un personnage historique ?
Selon la plupart des spécialistes du
christianisme, 1994 a été le deux millième anniversaire de la naissance de
Jésus de Nazareth. Le christianisme a connu un succès phénoménal au cours des
deux premiers millénaires qui ont suivi la naissance de son fondateur à
Bethléem. La Bible est un best-seller, c'est le texte le plus édité. Copiée,
recopiée sur papyrus, la Bible est imprimée pour la première fois par Gutenberg
en 1455. Elle est aujourd'hui traduite en plus de trois cents langues et elle
est accessible à 98% de la population mondiale.
Il y a 1,8 milliard de chrétiens dans le monde
aujourd'hui. Il faut dire que le terme chrétien n'est pas d'origine chrétienne.
Les disciples se désignaient entre eux sous le nom de « frères », de
« disciples », de « ceux qui suivent la Voie », de
« saints ». C'est dans des milieux non-chrétiens d’Antioche que ce
concept a été formé et que « pour la première fois, le nom de chrétiens
fut donné aux disciples » (Ac. 11, 26). L'apparition de ce terme
manifeste que l'Eglise n'est plus considérée comme une secte juive, mais comme
un groupe religieux nouveau. Ce terme n'est pas un terme honorifique, c'est
plutôt un sobriquet insultant à l'égard de ceux qui considèrent que Jésus est
le Christ. Qu'est-ce qui fait l'identité du chrétien ? On peut appeler chrétien
tout homme qui, dans sa pensée et dans son action, se réfère explicitement à
Jésus-Christ, non pas seulement comme à une personne du passé historique, mais
comme à une personne toujours agissante, susceptible d'apporter une lumière
définitive sur le sens de la vie, sur le sens de la mort.
Il n'existe pas d'autre personnage qui ait exercé
une influence comparable à celle de ce prophète galiléen, puisque son
influence se fait sentir encore aujourd'hui. Même les adversaires les plus
acharnés de la religion, reconnaissent qu’il a été un personnage hors du
commun et que son message a marqué l'humanité, bien que sa prédication n'ait
duré que quelques années et que sa mort fut ignominieuse. Pourtant, aussi
extraordinaire que cela puisse paraître, cet homme n'a laissé aucun écrit. Et
il est pratiquement impossible de retracer une histoire de sa vie, car les
évangiles, seule source d'information sur sa vie, ne sont pas des livres
d'histoire, des biographies, mais des témoignages sur son message. De plus,
ces témoignages ont subi l'influence de l'interprétation des communautés
chrétiennes dans lesquelles ils ont été rédigés. L'historien se trouve
dépourvu quand il entreprend de retracer ou de décrire ce que fut son
existence.
Une question se pose avec acuité chez ceux qui
s'opposent violemment à la foi : y a-t-il eu à l'origine du christianisme une
personnalité réelle, celle de Jésus, ou bien l'histoire évangélique n'est-elle
qu'un mythe et Jésus n'a-t-il eu de réalité que dans l'imagination et le coeur
de ses adorateurs ? Ce n'est pas une question nouvelle, elle s'est posée à
partir du dix-huitième siècle... tout comme on s'interrogeait aussi peu de
temps après sur l'existence de Napoléon, en se demandant s'il n'était pas qu'un
mythe, qu'une légende. C'est au début du vingtième siècle que la discussion
sur l'historicité de Jésus s'est amplifiée, parce que les matériaux évangéliques
ne permettaient pas d'écrire une vie de Jésus et que les témoignages
non-chrétiens le concernant étaient peu nombreux.
L'histoire de Jésus n'est consignée ni dans les
actes officiels ni dans les Annales de l'empire romain, ni dans aucun ouvrage
d'histoire juive, et il n'a guère été pris en considération par l'histoire
mondiale. Il fait son entrée dans l'histoire profane à l'occasion d'un échange
de notes administratives. Gaius Plinius Secundus, généralement appelé Pline le
Jeune, légat en Bythinie, écrit à l'empereur, vers 112, pour lui faire part de
quelques-uns de ses problèmes. Il a comme soucis importants des grèves, des
scandales municipaux et une morosité politique. Il constate aussi un grand
malaise religieux : les temples sont désertés, dans quelques-uns même, le culte
a cessé. Cela a conduit à une crise agricole, puisqu'il n'y a plus d'acheteurs
pour les animaux destinés aux sacrifices. Tout cela est imputable, selon les
informateurs de Pline, aux chrétiens qui forment une société secrète manquant
certainement de loyauté envers l'empire. Cette lettre est importante pour
connaître l'Eglise ancienne, mais c'est certainement des adversaires des
chrétiens (donc des gens qui ont eu affaire à ceux-ci) que le gouverneur de Bythinie
tire ses informations. Il demandait des instructions au sujet de « chrétiens »
qu'une lettre anonyme avait dénoncés : « J'ai l'habitude, Seigneur,
de vous consulter, sur mes doutes. Voici la règle que j'ai suivie à l'égard de
ceux qui ont été déférés à mon tribunal comme chrétiens. Toute leur faute ou
toute leur erreur s'était bornée à se réunir habituellement à date fixe, avant
le lever du jour et de chanter entre eux un hymne à Christ comme à un dieu, et
de s'engager par serment (non, comme il semble que Pline s'y attendait, à
quelque crime, mais) à observer la loi morale : ne pas commettre de vol, de
violence, d'adultère, de ne pas manquer à leur parole, ne pas nier un dépôt
réclamé... Ils se retrouvaient pour prendre ensemble un repas, mais un repas
ordinaire et innocent. A ceux qui avouaient, je l'ai demandé une deuxième et
une troisième fois, en les menaçant de supplice. Ceux qui persévéraient, je
les ai fait exécuter. Ceux qui niaient être chrétiens ou l'avoir été, s'ils
invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et sacrifiaient par
l'encens et par le vin devant ton image que j'avais fait apporter à cette
intention avec les statues des divinités, si, en outre, ils blasphémaient le
Christ - toutes choses qu'il est, dit-on, impossible d'obtenir de ceux qui
sont vraiment chrétiens, j'ai pensé qu'il fallait les relâcher. Ce n'est pas
seulement à travers les villes, mais aussi à travers les villages et les campagnes
que s'est répandue la contagion de cette superstition. Je crois pourtant qu'il
est possible de l'enrayer et de la guérir ». Trajan répond de ne pas tenir
compte des dénonciations anonymes et de punir ceux qui s'obstineraient à s'affirmer
chrétiens : « Il ne faut pas rechercher les chrétiens. Mais s'ils
sont dénoncés et convaincus, qu'on les châtie. Pourtant, si quelqu'un nie être
chrétien et le prouve en sacrifiant aux dieux, qu'il obtienne le pardon ».
La lettre de Pline n'est pas la seule source non
chrétienne à désigner « Christ ». Trois ou quatre ans plus tard,
Tacite écrit ses Annales, il dit que Néron était soupçonné d'être l'instigateur
de l'incendie de Rome en 64. Pour faire taire les rumeurs, la police romaine
avait recherché un bouc émissaire. Elle en trouva un dans un groupe de personnes
connues sous le nom de chrétiens, qui étaient méprisées par la populace à
cause de leur conduite scandaleuse à ses yeux. Aussi un certain nombre de
chrétiens furent-ils torturés et condamnés à mort : « Néron produisit
comme inculpés... des gens détestés pour leurs turpitudes, que la foule
appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ que, sous le principat de
Tibère, le procurateur Ponce-Pilate avait livré au supplice. Réprimée sur le
moment, cette exécrable superstition perçait de nouveau, non seulement en
Judée où le mouvement avait pris naissance, mais encore à Rome où tout ce
qu'il y a d'infâme et de honteux afflue et trouve des sectateurs... ».
Tacite ne semble pas croire au bien-fondé de
l'accusation portée contre les chrétiens, mais il n'hésite par à les présenter
comme des ennemis de la société romaine. Il nomme le Christ comme fondateur de
ce mouvement et donne des renseignements qui reprennent les évangiles : Tibère
et Ponce-Pilate. Malheureusement la mort du fondateur n'a pas stoppé le
mouvement, et à l'époque de l'incendie de Rome, soit trente ans après sa
mort, les partisans de cette superstition étaient devenus une multitude. Mais
Tacite n'aurait-il pas utilisé des documents d'origine chrétienne, en recourant
à des témoignages de croyants inculpés, conservés dans des rapports de police ?
Nous savons que Pilate fut préfet de Judée de 26 à
36. Son nom, Pontius Pilatus, est gravé sur une pierre qui fut réemployée dans
la construction du théâtre de Césarée Maritime, et qui a été redécouverte en
1961. Mais il n'est resté aucune trace de sa correspondance avec le pouvoir.
Philon d'Alexandrie attribue à Pilate des violences, des exécutions sans
jugement. Pilate passa outre la sensibilité juive en voulant exposer des
enseignes militaires dans le Temple, il fallut que l'empereur s'en mêle pour
le faire céder. Pour financer l'aqueduc devant amener l'eau à Césarée, il voulut
puiser dans le Trésor du Temple, cet incident tourna à l'émeute et s'acheva
dans la violence. Pilate fut révoqué en 36 par Vitellius, légat de Syrie, et
envoyé à Rome pour se justifier devant l'empereur d'avoir maté dans le sang une
manifestation messianique samaritaine : des gens s'étaient rassemblés, à
l'appel d'un prophète exalté, dans l'intention de gravir le mont Garizim, pour
y découvrir les vases sacrés cachés depuis les premiers temps de l'occupation
de Canaan par les Hébreux... Pilate fut condamné par Caligula soit à l'exil
soit à la mort...
Vers l'an 120, dans sa Vie des douze Césars,
Suétone écrit la vie de Néron. Dans une série de mesures prises par l'empereur,
il note : « On livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à
une superstition nouvelle et dangereuse ». Et, dans la vie de Claude, on
peut lire : « Comme les juifs se soulevaient continuellement, à l'instigation
d'un certain Chrestos, il les chassa de Rome ». Dans tout cela, il n'y a
rien de très précis concernant Jésus qui mourut sous Ponce-Pilate. Mais un fait
est capital : dans la deuxième décennie du deuxième siècle, les autorités
impériales connaissent les chrétiens comme un mouvement spécifique, et elles
ont eu affaire à eux déjà sous Néron. Trois témoins romains font mention du
Christ, ce qui empêche de mettre en doute son existence historique.
Indirectement, les textes du Talmud établissent également
qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute son existence. Une tradition antérieure
à l'an 200, venue du traité du Sanhédrin, dans le Talmud de Babylone, indique :
« A la veille de la fête de la Pâque, on pendit Jésus. Quarante jours
auparavant, le héraut avait proclamé : il est conduit dehors pour être lapidé,
car il a pratiqué la magie et séduit Israël et l'a rendu apostat. Celui qui a
quelque chose à dire pour sa défense, qu'il vienne et le dise. Comme rien
n'avait été avancé pour sa défense, on le pendit à la veille de la fête de la
Pâque ».
Pour poursuivre l'enquête, on peut apporter un
autre document juif. Vers 93, Flavius Josèphe mentionne le Christ dans deux
passages de son livre, les Antiquités juives. Le premier rapporte la
condamnation et l'exécution de Jacques, le frère de Jésus, et le second parle
de Jésus comme d'un sage dont beaucoup de juifs et de non-juifs sont devenus
les disciples, croyant qu'il était le Messie : « A cette époque vécut
Jésus, un homme exceptionnel, car il accomplissait des choses prodigieuses.
Maître de gens qui étaient disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon
aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les juifs et jusque parmi les
hellènes. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l'eut condamné à
la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas
de l'aimer, parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant,
comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles
à son sujet. De nos jours ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de
lui on appelle chrétiens ». Les examens littéraires et les critiques des
historiens laissent à penser que ce passage n’est pas de la main de Flavius
Josèphe, parce qu'il souligne trop la pensée chrétienne.
Si c'est en langue hébraïque ou araméenne, et si
c'est probablement à Jérusalem qu'est née la littérature concernant Jésus,
depuis lors, il n'y a guère eu de littérature juive concernant Jésus, venant
des descendants à qui le prophète de Nazareth avait pu s'adresser. Quelques
lignes dans toute la littérature non-chrétienne, c'est tout ce que nous
pouvons savoir de Jésus de l'extérieur. Le seul intérêt qu'il est possible de
trouver dans ces témoignages non-chrétiens, c'est que même les plus ardents
détracteurs de la prédication du Nazaréen n'ont jamais mis en doute son
existence historique, ce qui sera fait par les critiques les plus tendancieux
de l'époque moderne... Mais ceux qui ont entendu parler de ce prophète
galiléen considèrent toujours son arrivée sur la scène publique comme un
événement quelconque, sans grande importance.
On aurait tort de penser que les seules sources
non-chrétiennes ont une valeur probante. Les textes du Nouveau Testament
permettent aussi d'affirmer, sans la moindre hésitation, l'existence historique
de Jésus, même si les premières communautés chrétiennes n'ont pas cherché à
mettre en valeur le rôle historique mondial que pouvait avoir celui en qui des
hommes mettaient leur foi, au point de mourir pour son nom au lieu de le
renier.
Pour connaître Jésus de Nazareth, il faut accepter
de franchir le pas de la foi et de s'en remettre au témoignage que les premiers
chrétiens ont porté sur lui. Les lettres de l'apôtre Paul, facilement datables,
permettent d'affirmer un fait qu'aucune communauté chrétienne n'a pu inventer
: Jésus est mort sur une croix, sans doute le vendredi 7 avril 30 (date très
vraisemblable, quoique pas entièrement certaine, d'autres historiens estiment
que la mort de Jésus eut lieu le 27 avril 31). Cette mort est loin d'être
« noble » pour le fondateur d'une religion ! En effet, un texte
terrible de la Loi de Moïse concerne ce châtiment : « l'homme ayant en
lui un péché passible de mort, qui aura été mis à mort et que l'on aura pendu à
un arbre : un pendu est une malédiction de Dieu » (Dt. 21, 23).
A partir du milieu du deuxième siècle, les
chrétiens se définissent de la manière suivante : « Autrefois, nous
prenions plaisir à la débauche, aujourd'hui la chasteté fait nos délices. Nous
pratiquions la magie, aujourd'hui, nous sommes consacrés au Dieu bon et non
engendré. Nous étions avides d'argent, aujourd'hui, nous mettons en commun ce
que nous possédons, nous partageons avec quiconque est dans le besoin. Les
haines, les meurtres nous opposaient les uns aux autres, la différence des
moeurs ne nous permettait par de recevoir l'étranger dans notre maison.
Aujourd'hui, après la venue du Christ, nous vivons ensemble, nous prions pour
nos ennemis, nous cherchons à gagner nos injustes persécuteurs, afin que ceux
qui auront vécu conformément à la sublime doctrine du Christ puissent espérer
les mêmes récompenses de Dieu, le Maître du monde » (Justin, vers 150).
« Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays ni par le langage, ni par les vêtements... Ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie leur est une terre étrangère... Ils sont dans la chair mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lis établies et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois. Ils aiment tous les hommes et tous les persécutent... Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre... On les persécute et ils bénissent. Châtiés, ils sont dans la joie comme s'ils naissaient à la vie. En un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde » (Epître à Diognète, fin du deuxième siècle).
Des témoignages dignes de foi attestent donc
l'existence de Jésus. Les documents chrétiens sont les plus nombreux pour
affirmer qu'un personnage réel se trouve derrière la tradition évangélique.
Ainsi encore, aux environs de l'an 200, mourut à Lyon saint Irénée, évêque de
cette ville, l'un des hommes les plus marquants de la cité. Une de ses
lettres, adressée à son ami Florinus, nous est parvenue. A celui qu'il avait perdu
de vue depuis un certain temps, Irénée rappelle des souvenirs de vie étudiante
en Asie Mineure, évoquant leurs études auprès de Polycarpe, évêque de Smyrne,
qui mourut aux environs de 155, âgé de plus de quatre-vingt-cinq ans. Il se
souvient que le vieillard les entretenait de « Jean, le disciple du Seigneur »,
qu'il avait personnellement connu bien des années auparavant. Irénée n'aurait
pas fait ce témoignage sans avoir la certitude que son ami pouvait évoquer
les mêmes souvenirs. Donc, aux environs de l'an 200, un homme était en mesure
d'évoquer Jésus par l'intermédiaire d'un maître qui avait connu personnellement
un des disciples de ce Jésus...
En 1970, un dominicain, le père Bro demandait à un
certain nombre de personnalités d'exprimer par écrit leur réponse à la
question : « Pour vous, qui est Jésus-Christ ? » C'était la question
que Jésus avait posée à ses disciples. Parmi les réponses qu'il reçut et
qu'il publia, celle de Roger Garaudy est intéressante, dans la mesure où elle
retrace en quelques lignes ce qu'il est possible de connaître sur ce prophète
que les chrétiens considèrent comme le Fils de Dieu fait homme :
« Environ sous le règne de Tibère, nul ne sait exactement où ni quand, un personnage dont on ignore le nom a ouvert une brèche dans l'horizon des hommes. Ce n'était sans doute ni un philosophe ni un tribun, mais il a dû vivre de telle manière que toute sa vie signifiait : chacun peut, à chaque instant, commencer un nouvel avenir. Des dizaines, des centaines peut-être de conteurs populaires ont chanté cette bonne nouvelle. Nous en connaissons trois ou quatre. Le choc qu'ils avaient reçu, ils l'ont exprimé avec les images des simples gens, des humiliés, des offensés, des meurtris, quand ils rêvent que tout est devenu possible : l'aveugle qui se met à voir, le paralytique qui se met à marcher, les affamés du désert qui reçoivent du pain, la prostituée qui se réveille une femme, cet enfant mort qui recommence à vivre. Pour crier jusqu'au bout la bonne nouvelle, il fallait que lui-même, par sa résurrection, annonce que toutes les limites ont été vaincues, même la limite suprême, la mort. Tel ou tel érudit peut contester chaque fait de cette existence, mais cela ne change rien à une certitude qui change la vie. Un brasier a été allumé… ».
Il faut se mettre à l'écoute des conteurs
populaires qui transmis aux générations ultérieures ce qu'ils avaient perçu
de Jésus. La question se pose de savoir qui a pu écrire les évangiles. Jusqu'à
une époque récente, les plus anciens manuscrits dont on disposait remontaient
au deuxième siècle. Et l'on pensait que les évangiles avaient d'abord été
véhiculés par un enseignement oral, puis mis par écrit à la fin du premier siècle,
après la disparition des témoins oculaires. Et l'on affirmait avec plus ou
moins de véhémence que ces évangiles étaient surtout et même uniquement des
témoignages de foi. Cela reste vrai : les évangiles ne sont pas des chroniques
de la vie de Jésus, ils ont été composés pour donner sens à l'activité de
Jésus, mais ils ne sont plus considérés comme des textes composés par d'habiles
compilateurs qui auraient travaillé à partir de sources aujourd'hui disparues.
A la fin de 1994, un savant allemand, Carsten
Peter Thiede, analysant les plus anciens manuscrits de l'évangile selon
Matthieu, affirme que les textes sur papyrus dont dispose l'université d'Oxford
datent des années 50, c'est-à-dire une génération, après l'ère chrétienne. Il
continue en affirmant que le texte de Matthieu a été dicté par un témoin direct
de l'enseignement de Jésus. Qu'est-ce que cela peut bien changer de savoir que
l'évangile était composé vers 50 au lieu des années 70 ou encore de la fin du
premier siècle ? Il ne s'agit pas simplement d'une affaire pour spécialistes,
mais de quelque chose de vital pour ceux qui cherchent à comprendre. Un événement
raconté par un journal au moment où il est arrivé, même s'il faut lire ce récit
de manière critique, comporte plus de vérité qu'un récit rapporté après plus
de cinquante ans : plus la distance est courte entre l'événement et le récit,
moins le risque de déformation est élevé. Avec une composition complète de
l'évangile de Matthieu en l'an 50, il est possible d'affirmer qu'il ne s'agit
pas d'une spéculation, très éloignée des faits. Et l'on pourrait dire que les
premiers lecteurs de Matthieu ont été ceux qui avaient entendu les paroles de
Jésus dans les enseignements qu'il pouvait donner sur les routes de Palestine.
La tradition de l'Eglise a limité le nombre des
évangélistes à quatre, bien que le quatrième évangile soit davantage une
construction théologique élaborée qu'un conte populaire... Les trois premiers
évangiles sont appelés synoptiques, parce qu'il est possible de les lire en parallèles,
même s'ils ne sont pas toujours unanimes. Ce ne sont pas des biographies de
Jésus, mais des témoignages de foi et des annonces du mystère de Jésus. Jamais
un récit ne rapporte un fait brut, mais toujours, quand il présente un acte ou
une parole de Jésus, il cherche à transmettre un enseignement qui remonte au
maître, qui lui est fidèle sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit.
Comment a été fixée le début de l'ère chrétienne ? Au sixième siècle, un moine, Denys le Petit, instaura un comput des dates à partir de la naissance de Jésus, en la fixant en l'an 753 de la fondation de Rome. Il se trompa sans doute de quelques années. Néanmoins on peut parvenir à des hypothèses assez probables. Ce calcul, même erroné, a permis d'illustrer, par un texte poétique, la situation du monde au moment de la naissance de Jésus :
« Des milliards d'années depuis qu'au commencement roulèrent les galaxies dans l'immensité du monde, des millions d'années depuis que la terre avait balbutié les premiers hommes, près de deux mille ans depuis qu'Abraham avait fait route vers l'inconnu, quinze siècle depuis Moïse et la sortie d'Egypte, mille ans après le règne de David, au cours de la cent quatre vingt quatorzième Olympiade, dans la sept cent cinquante quatrième année de la fondation de Rome, et la quarante deuxième année du règne d'Auguste, après tant de déluges, de gloires et d'empires écroulés, six siècles après le Bouddha, et cinq après Socrate, Jésus-Christ, Dieu éternel, Fils du Père éternel, conçu dans le temps par une femme, naît à Bethléem, en Palestine, pour sanctifier le monde ».
L'évangéliste Luc (3, 1) fixe le commencement du
ministère public à l'an 15 du principat de Tibère César, ce qui permet de le
dater des années 27-28. Cette date se trouve en quelque sorte justifiée par
l'évangéliste Jean (2, 20) quand il parle des quarante-six années qu'il a fallu
pour reconstruire le Temple de Jérusalem. La vie publique de Jésus aurait duré
deux ou trois ans, ce qui correspond aux trois fêtes de Pâques mentionnées par
Jean.
La date de la naissance de Jésus est difficile à
établir avec précision. Selon Matthieu, Jésus serait né sous le règne d'Hérode
le Grand, mort en l'an 4 avant le début de l'ère chrétienne. Les historiens
s'accordent sur l'an 746 ou 747 de la fondation de Rome, c'est-à-dire en 6 ou 7
avant l'ère chrétienne. Luc, qui affirme que Jésus avait environ 30 ans au
début de son ministère, s'accorde avec cette date. Il mentionne le gouverneur
de Syrie, Quirinius. D'après Flavius Josèphe, celui-ci présida au recensement
de la Palestine, en l'an 6 de l'ère chrétienne. Le recensement mentionné par
les évangélistes au moment de la naissance de Jésus ne peut pas être celui de
Quirinius, puisque Matthieu et Luc attestent que Jésus est né au temps du roi
Hérode le Grand, mort en l'an 4 avant l'ère chrétienne. Il y a un désaccord de
dix ans entre les données : si Luc parle d'un premier recensement, il apparaît
informé, mais peu soucieux d'exactitude chronologique. La mention du
recensement impliquerait un fait public qui aurait dû laisser des traces dans
l'histoire. Il n'y a aucune trace d'un recensement universel dans les sources
de l'histoire, mais on sait qu'Auguste a organisé des recensements dans
diverses provinces : le plus probable est que Luc ait regroupé divers recensements
qui se sont répartis sur une trentaine d'années. C'est une simplification de
l'histoire familière aux historiens de l'antiquité, plus soucieux de la forme
littéraire que des détails matériels.
Les chrétiens sont tellement habitués à fêter Noël
le 25 décembre qu'ils ne se soucient guère de la date de la naissance de Jésus.
Il semble que ce soit vers la fin du règne de Constantin, mort en 337, qu'on
décida de célébrer cette naissance à cette date. Aurélien aurait fixé la date
en fonction du solstice d'hiver, c'est-à-dire le moment où la force solaire,
jusqu'alors décroissante, commence à grandir. C'était la fête du
« Natalis solis invicti, du soleil renaissant et invaincu ». C'est
pour christianiser cette fête païenne que l'Eglise décida de célébrer le
« Dies natalis », d'où vient le mot de Noël, comme jour de la naissance
du véritable soleil levant. Cette date est donc d'origine romaine, mais elle
s'imposa au cours du quatrième siècle dans la chrétienté pour célébrer la
gloire de Dieu manifesté en Jésus, lumière qui éclaire tout homme en venant
dans le monde.
Si l'on se réfère au texte de Matthieu, relatif à
la naissance de Jésus, et si on s'intéresse à la situation des bergers à qui
la naissance est annoncée, on découvre qu'ils sont dans les champs à garder
leurs troupeaux. Cela exclut une naissance en hiver : l'été sec et chaud a
détruit toute forme de végétation dans les champs, et l'hiver très rigoureux
(surtout la nuit) ne leur permettait par de rester dans les champs. Il faut
attendre les pluies de printemps pour que l'herbe repousse et que les bergers
puissent conduire leurs troupeaux hors des bergeries. Cela permet de penser
que la naissance de Jésus a eu lieu très vraisemblablement au printemps...
Jésus est né à Bethléem, fait attesté par Matthieu
et Luc. Bethléem est la ville de naissance du roi David. La perspective
religieuse affirmait que le Messie, sauveur du peuple, serait originaire de
la cité de David : « Et toi, Bethléem, tu n'es certes pas le moindre des
cantons de Juda, car de toi naîtra un sauveur » (Mi. 5, 1, cité par Mt.
2, 6). Le prophète Michée annonçait de cette manière la naissance de Jésus
dans cette ville. Il est pratiquement certain que la famille de Jésus, comme
d'autres familles juives, ait été de la descendance de David. Pourtant,
Jésus ne se prévaudra jamais de son illustre ascendant... Certains exégètes
récusent l'historicité d'une naissance de Jésus à Bethléem, il serait né à Nazareth,
puis la tradition chrétienne aurait déplacé le lieu de sa naissance en fonction
de la prophétie davidique et messianique de Michée. Même si la naissance de
Jésus a eu lieu à Bethléem, Jésus est toujours reconnu comme venant de
Nazareth, une obscure bourgade du Nord du pays, la Galilée. Cette région, tout
comme le reste de la Palestine était sous influence romaine, et il est attesté
que la société était multilingue (ou polyglotte).
On en trouve une preuve évidente dans le texte de
l'évangile de Jean (19, 20) où il est fait référence à l'inscription que Pilate
fit placer sur la croix de Jésus en ces termes : « Cette inscription a
été lue par de nombreux juifs, car l'endroit où Jésus fut crucifié était
proche de la ville, et elle était écrite en hébreu, en latin et en grec ».
La colonisation romaine avait renforcé le multilinguisme de la région, et il
est pratiquement certain que tous les habitants, à des degrés divers, parlaient
ou comprenaient plusieurs langues.
Ainsi, Jésus, comme les enfants de son temps,
parlait l'araméen, un dialecte issu de l'hébreu, qui était sa langue
maternelle, il connaissait aussi l'hébreu, langue dans laquelle avaient été
écrits les livres saints du judaïsme. Il devait avoir aussi des notions de grec
et de latin, les deux langues culturelles de la Méditerranée orientale, depuis
les conquêtes de grecs et des Romains, langues dans lesquelles s'effectuaient
aussi les échanges commerciaux. Un exemple, tiré de l'évangile selon Marc,
nous apprend que Jésus s'est rendu dans la région de Tyr, qu'il y a rencontré
une syrophénicienne. Marc (7, 24-30) souligne que cette femme parlait le
grec, et donc que la conversation qu'elle a eue avec Jésus a été menée en grec.
Il en est de même dans la discussion de Jésus avec les Pharisiens, concernant
l'impôt à payer à César (Mc. 12, 13-17). La Palestine avait comme monnaie des
pièces portant une inscription latine au « Divus Augustus », le
divin Auguste. Jésus ne demande pas ce que signifie l’inscription, mais de qui
il est fait mention sur cette pièce, signe qu'il comprenait le sens de la
phrase... Il faudrait encore évoquer l'interrogatoire de Jésus par Pilate :
il n'a pu être mené qu'en grec ou en latin. Cependant, si Jésus parlait plusieurs
langues, il faut savoir qu'il avait un accent, l'accent rugueux des paysans
galiléens, celui-là même qui fit repérer Pierre dans la cour du grand-prêtre au
moment du procès de Jésus.
Le climat dans lequel s'est déroulée l'enfance de
Jésus est celui de la spiritualité de l'Ancien Testament. L'élément essentiel
du culte synagogal ou domestique repose sur la bénédiction par laquelle chaque
croyant remercie Dieu à chaque instant de sa vie, à chaque geste qu'il
accomplit. La bénédiction constitue la trame de toute la prière, car
l'essentiel est de bénir. Les bénédictions s'échelonnent tout au long de la
journée. Au réveil, il convient de bénir Dieu pour avoir reçu de lui la
conscience de ses pensées et des ses actes.
« Quand le croyant ouvre les yeux, il dit : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui ouvres les yeux des aveugles. Quand il se lève, en s'étirant : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui délivres ceux qui sont liés. Quand il se met debout : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui élèves ceux qui sont courbés. Quand il se tient sur le sol : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as étendu la terre au-dessus des eaux. Quand il commence à marcher : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as affermi les pas de l'homme. En s'habillant : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui vêts ceux qui sont nus. Quand il met ses sandales : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as paré à tous nos besoins. Quand il met sa ceinture : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as ceint Israël de puissance. En mettant son couvre-chef : Béni sois-tu, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, toi qui as couronné Israël de gloire ».
Si chaque jour s'accompagne de formules
religieuses, à plus forte raison en est-il du sabbat qui est consacré à la
prière et à la méditation : toute vie profane cesse pour vingt-quatre heures,
du vendredi soir au samedi soir. Tout commence au souper du vendredi soir, pour
l'ouverture du sabbat. Le chef de famille tient à la main une coupe de vin,
symbole de la vie et de la joie, il bénit Dieu pour le don du sabbat et prononce
les bénédictions tout au long d'un repas festif :
« Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as créé le fruit de la vigne. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui nous as sanctifiés par tes commandements, qui nous as agréés pour ton peuple, et qui, dans ton amour, nous as donné le saint jour du sabbat en commémoration de la création. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui as sanctifié le sabbat. Sois loué, YHWH notre Dieu, roi de l'univers, qui tires le pain de la terre ».
Le matin et le soir, la prière est précédée par la
récitation du « Shema Israël », forme primitive de la confession de
foi d'Israël :
« Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force. Les paroles des commandements que je te donne aujourd'hui seront présentes dans ton coeur. Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras quand tu resteras chez toi et quand tu marcheras sur la route, quand tu seras couché et quand tu seras debout, tu en feras un signe attaché à ta main, une marque placée entre tes yeux, tu les inscriras sur les montants de ta porte et à l'entrée de ta ville ».
Avant de s'endormir, chaque juif récite la prière
du Shema Israël, puis appelle la bénédiction de Dieu sur le sommeil et demande
la paix pour le repos nocturne :
« YHWH, notre Dieu, fais que nous nous endormions dans l'apaisement et que nous réveillions pour la vie. Dresse au-dessus de nous ton pavillon de paix. Inspire-nous de hautes pensées et entoure-nous de ta protection. Préserve-nous de la malveillance des hommes. Éloigne de nous les épreuves trop cruelles. Écarte de nos pas la pierre d'achoppement et abrite-nous sous ta mansuétude. Tu es notre gardien et notre Sauveur, le Dieu tendre et miséricordieux. Dirige nos pensées et nos actes dans le sens de la vie et du bien. Sois loué, Seigneur, toi qui étends sur nous, sur tout ton peuple Israël, sur Jérusalem et sur tous les peuples ta paix tutélaire. Amen ».
La loi prévoyait trois pèlerinages par an, pour
tous les hommes, à partir de douze ans, âge où l'enfant entre dans la vie
adulte, après un temps de catéchèse : l'enfant devient Bar Mitzva, un fils de
la loi. Ce jour-là, on lui demande de monter à l'ambon et de lire, dans la synagogue,
un passage de la Torah.
A l'âge de douze ans, Jésus accompagne ses parents
à Jérusalem. L'évangéliste Luc rapporte ce moment de la vie du jeune Jésus
(Lc. 2, 41-52). Après la fête, Jésus reste au Temple, sans que ses parents ne
s'en aperçoivent. Quand ils découvrent son absence dans la caravane du
retour, ils regagnent Jérusalem et le cherchent pendant trois jours. C'est dans
le Temple qu'au bout de trois jours, Jésus est retrouvé. Il était assis parmi
les docteurs, ce qui fait ressortir l'intelligence et la sagesse de l'enfant.
Les Évangiles gardent le souvenir de paroles très
dures de Jésus à l'égard de sa famille. Luc qui rapporte la seule parole de
Jésus enfant souligne comment Jésus s'est démarqué de la paternité de Joseph,
que Marie lui rappelait : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ?
Vois, ton père et moi, nous te cherchions, tout angoissés » (Lc. 2, 48).
C'est sans hésitation que Marie désigne Joseph comme le père de Jésus. La
paternité de Joseph eut pour Jésus plus d'importance qu'on ne le pense
habituellement. D'ailleurs, pour désigner Dieu, Jésus emploiera le terme
affectueux que les enfants donnaient à leur père : « Abba, papa ».
Mais, la réponse de Jésus à sa mère, dans l'épisode du Temple, sera
particulièrement déroutante : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne
saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon père ? » (Lc. 2, 49). Jésus
revendique une autre paternité, une autre filiation. C'est Dieu qui est son
seul Père, même si, du point de vue légal, Joseph est vraiment père de Jésus,
puisque c'est par lui que Jésus peut s'inscrire dans la descendance du roi
David.
Après la manifestation de Jésus au Temple, les
évangiles ne rapportent rien de son existence jusqu'au début de sa vie
publique. Jésus grandit, il apprend le métier de Joseph, que l'on a l'habitude
de présenter comme un charpentier. En fait, le terme grec de l'évangile qui
désigne le métier de Joseph est : tecton, mais plutôt bâtisseur, sens qui lui
est resté dans le terme « architecte ». Et l'on pense que Joseph et
Jésus ont travaillé tous les deux à la construction de la nouvelle capitale de
la Galilée, Sephoris. Même si l'évangile ne le précise pas, Jésus travailla
avec lui comme apprenti. Selon les directives des livres saints, un père ne
doit pas seulement nourrir son fils, mais lui apprendre un métier : « Qui
n'enseigne pas à son fils une profession manuelle, c'est comme s'il en faisait
un brigand ».
Les gens qui ont fréquenté Jésus durant sa vie
publique l'ont souvent appelé « rabbi », terme qui veut dire
« maître » en hébreu. Jésus devait être considéré comme un
enseignant, même s'il n'avait pas effectué d'études auprès des scribes et des
docteurs de la Loi. Charpentier, il faisait partie du milieu des artisans qui
étaient les dépositaires de la sagesse populaire véhiculée dans le cadre des
ateliers. Le travail des mains délie l'esprit, dans les ateliers, chacun
pouvait s'exprimer librement, et la langue devait être aussi habile que les
mains. C'est ce qui est exprimé par un dicton à valeur proverbiale, qui a été
repris par la tradition orale : « N'y a-t-il pas un charpentier, fils de
charpentier, pour résoudre cette question ? »
Après la manifestation de Jésus au Temple, les
évangiles ne rapportent rien de son existence jusqu'au début de sa vie
publique. Faudrait-il admettre l'hypothèse qui identifie Jésus avec un
personnage connu dans les légendes tibétaines sous le nom de saint Issa, qui vécut
vers l'an 30 et mourut crucifié ? Issa a voyagé par terre et par mer pour
arriver jusqu'à l'Indus, il y a étudié les Écritures saintes du bouddhisme.
Issa fut reçu avec joie par les brahmanes qui lui apprirent à guérir par la
prière, à chasser les esprits mauvais et à restituer au corps la forme humaine
après blessure ou mutilation. Alors les miracles de Jésus sembleraient naturels
pour ceux qui ont accédé à la véritable connaissance spirituelle. Issa se
serait rendu à Bénarès, aux bords du Gange, fleuve sacré de l'hindouisme, là
où les pèlerins se purifient de leurs péchés et espèrent mourir, puisque la
mort à Bénarès rompt le cycle des réincarnations.
A proximité de Bénarès, Bouddha avait fait son
premier sermon. Il convient de dire que bouddhisme et hindouisme étaient
florissants au temps de Jésus et que le monothéisme était vivant en Inde. Et le
saint personnage de la légende exprime des vérités qui sont celles de toutes
les religions :
« Le Créateur ne partage son pouvoir avec personne… Dieu a voulu et le monde fut, il a fixé à chacun sa propre durée… Dieu ne fait pas de différences entre les hommes, car ils lui sont tous également chers… Ne croyez pas les écrits dans lesquels la vérité est travestie… Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse… N'admirez pas d'idoles, car elles ne vous entendent pas… Ne vous croyez pas supérieurs aux autres… Soutenez le faible…Ne faites de mal à personne ».
Des traces de la présence de saint Issa ont été
retrouvées au Tibet ; c'est là que les rouleaux, rapportant ses aventures, ont
été conservés. De plus, un disciple de Jésus, Thomas, celui qu'on appelle
l'incrédule, est aussi allé jusqu'en Inde après la mort de Jésus. C'est l'encyclopédie
catholique qui l'affirme, en soulignant qu'il y est allé proclamer l'Évangile.
Il existe une église saint Thomas à Madras, avec une communauté chrétienne
encore vivante, en cet endroit où Thomas est arrivé vers l'année 50... A 26
ans, Issa aurait quitté l'Inde pour Persépolis, puis Athènes et l'Égypte, pour
rentrer à 29 ans en Palestine, afin d'y accomplir son destin. A l'âge
d'environ trente ans, Jésus quitte son village de Nazareth et son travail pour
se rendre sur les bords du Jourdain, où Jean donnait aux pécheurs le signe de
la purification du coeur, en les plongeant dans l'eau.
Au premier siècle de l'ère chrétienne, le judaïsme
est fragmenté en de multiples tendances dont les traces sont perceptibles dans
les différents écrits. Pour faire passer son message, Jésus devait s'inscrire
dans l'un ou l'autre courant de la pensée mystique de son époque. Son choix
sera difficile, car l'époque est portée par une attente messianique profonde,
et les courants spirituels ont un large impact sur la société juive.
Les Pharisiens constituent un courant de piété.
Ils refusent la lutte armée pour l'indépendance nationale et gardent des
objectifs religieux, centrés sur la fidélité absolue à l'enseignement de la
Torah. Ils souhaitent que les affaires de l'État soient traitées sans autre
considération que celle de la Torah, comprise non seulement comme la Loi écrite
remontant à Moïse mais aussi comme la Loi orale qui s'était transmise, de
génération en génération, depuis l'Exode. Ces hommes, dont le nom veut dire
« séparés », ne participent pas nécessairement à la classe supérieure
juive. Ils étaient issus, sociologiquement parlant, du laïcat et non des
castes sacerdotales ; ils n'avaient pas reçu de formation spéciale, comme celle
des scribes, avec lesquels ils entretiennent des relations très étroites.
Toutefois, s'ils sont d'origine populaire, ils n'hésitent pas à se considérer
comme supérieurs à l'ensemble du peuple qui n'observait pas les prescriptions
rigoureuses, aussi bien au niveau religieux que sur le plan de la morale quotidienne.
Ils apparaissent donc souvent comme de faux dévots hypocrites, que le Nouveau
Testament stigmatise avec ardeur, imposant aux autres un joug pénible de
prescriptions légales et rituelles. Leur différend avec Jésus repose sur le
fait que ce dernier méprise leur interprétation très étroite de la Torah et
les barrières qu'ils s'imposent pour que celle-ci soit respectée. Dans ses discussions
avec les pharisiens, Jésus ne se situe jamais sur le plan de la spéculation intellectuelle
ou des questions théoriques. II se place plutôt sur le plan des questions
pratiques ou tout au plus sur des questions d'exégèse de la Torah. Ils ne le
critiquèrent jamais pour ses prétentions messianiques : eux aussi attendaient
le Messie-Roi qui devait libérer le peuple de la domination étrangère. Aussi ne
sont-ils pas intervenus dans le procès qui opposa Jésus et les chefs des
prêtres.
Les sadducéens sont de fermes conservateurs, ils
ne reconnaissent l'autorité que des écrits les plus anciens, notamment la seule
Torah mosaïque refusant toute la tradition orale, refusant de reconnaître les
progrès doctrinaux et les nouvelles croyances, qui n'étaient pas fondés dans
les premiers écrits. Ainsi, ils ne peuvent admettre la croyance aux anges, à la
résurrection des morts et à la rétribution universelle après la mort. Les
sadducéens forment un groupe organisé comprenant les grands prêtres, les
anciens, la noblesse sacerdotale et la noblesse laïque. La théologie
sadducéenne se ressent du conservatisme religieux de ses membres. YHWH est
exclusivement le Dieu national d'Israël, et c'est en cela qu'ils s'opposèrent
farouchement aux pharisiens. Il leur faut nécessairement se soucier de
l'opportunité politique et des intérêts économiques. Aussi ne faut-il pas
s'étonner de les voir collaborer avec la puissance politique en place, fut-elle
étrangère. Ils acceptent le joug de Rome, en s'accommodant tant bien que mal
des circonstances les plus défavorables. Les masses populaires ne purent jamais
accepter de telles compromissions et elles se rangèrent sous l'autorité du
mouvement pharisien : et les grands prêtres perdirent toute importance politique,
vers le milieu du premier siècle de l'ère chrétienne.
En réaction contre l'oppression et la misère
subies par les juifs, sous les Hérode, certains hommes, qui seront appelés
Esséniens, décident de se mettre à l'écart du monde mauvais et de vivre
désormais dans la piété et la sécurité de la religion. Certains suivirent les
conseils de vie des Esséniens, mais ne quittèrent pourtant pas leur existence quotidienne,
si bien qu'il existait des communautés esséniennes locales, chargées surtout
d'oeuvres de solidarité envers les frères de passage dans les villes et les
villages. Mais la plupart des fidèles de la secte se retiraient dans les
voisinages de la mer Morte, pour pratiquer un ascétisme très rigoureux. La
communauté ressemblait donc assez étrangement, quant à son mode de vie, à un
monastère dont les membres travaillaient dans la copie soigneuse des textes
scripturaires. Plus soucieux de la pureté du judaïsme que les pharisiens
eux-mêmes, les Esséniens recherchaient la perfection absolue. Pour ce faire,
certains se vouèrent au célibat, dans l'attente de la venue imminente du
Messie. Ce célibat rompait avec la tradition entière du judaïsme qui prône le
mariage et la fécondité. Ceux qui recherchaient la plus grande sainteté
devaient considérer comme préférable de n'avoir point charge de famille. Jésus
eut sans doute des contacts avec les communautés esséniennes, même si rien n'en
transpire dans les évangiles. Toutefois, il semble qu'il prit son dernier repas
dans le quartier essénien de Jérusalem. Pour préparer ce repas, il envoie
deux disciples, en leur disant de suivre un homme portant une cruche d'eau. Or,
ce travail était une tâche exclusivement féminine, sauf chez les Esséniens,
qui voulaient éviter tout contact féminin, surtout pendant la préparation de
la Pâque.
Les Esséniens apportaient une réponse négative à
la misère et à l'oppression qu'ils pouvaient connaître, en se réfugiant dans
des communautés qui leur apportaient une relative sécurité. Les zélotes, eux,
entendaient trouver une solution pratique à cette oppression : ils refusaient
de se cacher du monde et se préparaient activement à la lutte contre toute
tyrannie. En cela, ils s'opposaient aux pharisiens et aux saducéens, qui
étaient prêts à collaborer avec la puissance d'occupation pour bénéficier d'une
relative sécurité. Pourtant, les zélotes n'étaient pas des nationalistes
fanatiques : ils étaient prêts à lutter et à mourir pour l'amour de la patrie,
mais ils vivaient aussi dans un profond attachement à la Torah, pour laquelle
aussi ils auraient accepté de subir la persécution et la mort. Forts de cette
Torah, qui se présentait à eux comme la révélation même de la volonté de Dieu,
ils se sentaient la force de provoquer tous les ennemis du peuple que Dieu
s'était choisi. Jésus a eu des contacts parmi les zélotes, notamment par l'un
de ses disciples, Simon, non pas celui qui sera surnommé Pierre, mais un autre
Simon qui est toujours qualifié de son titre de zélote. Et sans être affilié au
parti des zélotes, il est vraisemblable que Judas Iscarioth était un de leurs
sympathisants, puisqu'il souhaitait faire advenir le Royaume de Dieu par la
force, tout comme ces révolutionnaires partisans d'une guerre sainte.
Au lieu de calmer l'ardeur de ces patriotes, les
vexations et les persécutions subies par les juifs ne firent que les
exacerber, et les zélotes appelèrent le peuple à la lutte sans merci contre
son oppresseur. Les pharisiens tentèrent d'écarter Israël de la révolte armée,
et d'empêcher une guerre qui ne pouvait que conduire à la perte du peuple. Ils
ne furent pas suivis dans leurs raisonnements : la situation politique que
connaissait alors Israël était telle qu'il lui était impossible de subir
davantage l'oppression. Les zélotes entraînèrent le peuple dans la révolte, et
le résultat en fut la catastrophe de 70 : Jérusalem tomba et le Temple fut
détruit par les flammes. La nation juive disparaissait de l'histoire pour près
de vingt siècles...
Sur les bords du Jourdain, un dernier prophète -
qui n'est pas reconnu comme tel, par la tradition juive - Jean proposait un
baptême de conversion à ceux qui espéraient la venue de l'ère messianique, dans
l'attente de celui qui devait libérer Israël. On a souvent pensé que Jean,
surnommé le Baptiste, à cause de son activité, avait été influencé par la
communauté essénienne. Ce n'est pas impossible. Cependant, à la différence de
celle-ci, il n'accueillait pas une sorte d'élite religieuse, mais l'ensemble du
peuple. Jean renouait avec le prophétisme le plus ancien d'Israël : à chacun,
il donnait des conseils appropriés à sa situation, l'invitant à suivre la
religion selon son esprit et non pas seulement selon sa lettre. Les évangiles
présentent Jésus se faisant baptiser par Jean et recrutant parmi les disciples
de celui-ci ceux qui allaient devenir les siens. La mort du Baptiste, exécuté
par ordre du roi Hérode, devait permettre à Jésus de mener son action propre.
S'écartant du courant baptiste, il présente un message qui, dans sa forme,
semble nouveau pour le peuple.
On a souvent voulu ramener le comportement et
l'enseignement de Jésus à l'un ou l'autre de ces courants qui se partageaient
la spiritualité de l'Israël du premier siècle. Il les a connus, il les a
fréquentés de manière plus ou moins proche, il lui est même arrivé d'emprunter
des expressions et des convictions de ces différents courants. Mais il ne
s'est jamais identifié à l'un d'eux, et ces premiers disciples ont vite
compris qu'il ouvrait un courant tout nouveau, faisant perdre au judaïsme toute
son identité pour eux. N'a-t-il pas prédit à ses amis : « On vous exclura
des synagogues » (Jn. 16, 2). Après son baptême par Jean sur les bords du
Jourdain, et après avoir séjourné quelque temps au désert pour prier et jeûner,
Jésus est de retour à Nazareth. Il se rend à la synagogue pour y prêcher, mais
il n'y trouve pas l'accueil qu'il pouvait espérer, tant il est vrai qu'aucun
prophète n'est bien reçu dans son pays (Lc. 4, 16-30).
D'après les textes, il ne semble pas que Jésus ait
été un bon « paroissien » par rapport aux offices de la synagogue.
Chaque fois qu'il se trouve dans la maison de prière et d'étude, il arrive des
incidents. Certes, ses auditeurs peuvent être surpris de son enseignement ou de
sa réputation, surtout les habitants de Nazareth qui le connaissaient pour
l'avoir vu grandir au milieu d'eux et pour avoir eu recours à lui pour leurs
travaux de charpente. Jésus enseigne en maître qui a autorité et qui va
directement à l'essentiel sans passer par des arguties subtiles, il donne les
vraies réponses aux questions essentielles que les hommes se posent...
Dès le début de sa vie publique, Jésus a manifesté
qu'il était un homme libre. Il commence sa prédication devant la foule venue de
tous les territoires d'Israël et des pays limitrophes et païens, par un Sermon
sur la montagne, où il présente la loi-cadre de son Royaume. Ce Sermon a
impressionné non seulement ceux qui ont décidé de le suivre, mais aussi des
hommes de tous bords et qui ne vivent pas nécessairement les valeurs
chrétiennes. Jésus présente le chemin pour parvenir au bonheur (Mt. 5, 1-12).
L'homme heureux, c'est celui qui va de l'avant, c'est celui qui consent à
progresser.
Pourtant, la prédication de Jésus, si elle a
d'abord pu enthousiasmer les foules, n'a pas comblé entièrement leurs attentes,
ses miracles même n'ont pas suffi à lui faire garder toute la faveur du peuple.
Etre prophète en Israël n'a jamais été de tout repos : ceux qui, au cours de
l'histoire du peuple, ont voulu parler au nom de Dieu, ont été mal accueillis,
puis rejetés et condamnés aussi bien par les classes sacerdotales que par le
peuple.
C'est l'incident des vendeurs chassés du Temple
qui a mis le feu aux poudres, même s'il a eu lieu plusieurs mois avant la
dernière semaine de Jésus. Par ce geste, Jésus se mettait au-dessus des
autorités de la nation juive, et il s'opposait au culte normal dans le Temple.
De plus, Jésus proférait le blasphème de se prétendre l'égal de Dieu,
annonçant qu'il siégerait à la droite de Dieu à la fin des temps.
La mort de Jésus fut décidée par le sacerdoce de
Jérusalem, notamment par les familles pontificales avec, à leur tête Anne et
Caïphe. L'affrontement que Jésus avait porté dans la capitale ne peut avoir
d'autre issue que son arrestation et sa mise à mort. Ses adversaires sont
d'accord sur ce point, leur principale préoccupation est de trouver le moyen
de l'arrêter sans provoquer d'émeute dans la ville, en période de fêtes, quand
la foule est très nombreuse à Jérusalem. Il leur faut agir par ruse, car ils
ignorent le nombre de ses partisans présents avec lui dans la ville. La proposition
de Judas Iscarioth aux grands prêtres arrivera à point nommé pour hâter les
événements (Mc. 14, 10-11).
Judas avait placé sa confiance dans la personne de
Jésus, en qui il pensait avoir trouvé celui qui allait pouvoir secouer la
tutelle romaine, uniquement pour des motifs religieux. Déçu par Jésus, qui
refusait de se reconnaître comme le libérateur politique, qui allait rendre à
Israël sa dignité royale, sacerdotale et prophétique, Judas aurait découvert
en Jésus une sorte d'imposteur qui allait empêcher la restauration d'Israël
comme une puissance au milieu des autres nations, il devait dénoncer cette
imposture pour le bien de la nation.
C'est au jardin de Gethsémani que Jésus a pu
mesurer le destin tragique qui était le sien. Jusqu'alors, dans la
tranquillité, il manifestait sa certitude d'accomplir le dessein de Dieu sur
le monde, et il va être tenté de refuser d'aller jusqu'au bout du chemin. Il
est effrayé devant un événement qui doit survenir et sur lequel il ne peut
avoir prise, un événement auquel il ne peut donner personnellement un sens. Il
est seul, car les hommes qu'il a choisis sont défaillants, l'un d'eux le
trahit, l'autre le renie, les autres dorment sans se rendre compte de
l'importance de ce qui se déroule. Pour Jésus, c'est l'heure du rejet, l'heure
de l'abandon par ceux qui l'entourent, c'est l'heure de la mort. C'est aussi
l'heure où il surmonte définitivement la tentation. Dans sa prière au Père, à
qui tout est possible, il demande d'écarter la coupe de souffrance. Mais il
comprend quelle est la volonté du Père, il s'y abandonne avec confiance.
Jésus devait pressentir sa mort comme le résultat
du rejet définitif du peuple d'Israël qui ne pouvait admettre sa mission, mais
jamais il ne semble avoir pu imaginer que se mort lui serait en quelque sorte
volée et qu'il connaîtrait l'infamie des agitateurs politiques. Lui, le
prophète envoyé par Dieu, le Fils unique, ne pouvait connaître que le sort des
prophètes, et voilà qu'il va être traité comme le dernier des révolutionnaires.
Comme les prêtres l'avaient souhaité,
l'arrestation de Jésus s'est faite à l'insu de la foule, et Jésus leur reproche
de ne pas avoir osé intervenir devant la foule pendant qu'il enseignait dans le
Temple.
Il fallait alors dépêcher le procès de Jésus,
avant que ses sympathisants puissent avoir le temps de provoquer une émeute
en cette période de fêtes de la Pâque. Dans le récit du procès de Jésus que
dressent les évangélistes, il existe deux jugements séparés, l'un devant le
tribunal juif, le sanhédrin qui n'avait aucun pouvoir pour exécuter les
sentences qu'il prononçait, et l'autre devant le tribunal du gouverneur romain.
Chacun des deux jugements se termine par une condamnation à mort, mais chacun
pour un crime différent.
Après son arrestation, Jésus est traduit devant le
Sanhédrin, grand conseil comprenant soixante et onze membres, chefs religieux
des familles sacerdotales, membres de l'aristocratie et scribes, divisés en
deux tendances ; les pharisiens et les saducéens. Ce conseil se réunit dans
le palais du grand prêtre. Les prêtres cherchent un motif pour le condamner à
mort. Ils avaient de bonnes raisons de refuser son enseignement, ils
souhaitaient qu'il se manifeste ouvertement contre l'occupant pour qu'ils
puissent le condamner sans les faire tremper dans « l'affaire
Jésus ». Ils auraient ainsi pu dégager leur responsabilité, mais Jésus ne
s'est jamais laissé prendre à leurs pièges. Les faux témoins, recrutés pour
la circonstance, se contredisent. Le motif juridique, selon la législation
juive, pour condamner Jésus à la mort, sera finalement trouvé dans une réponse
que celui-ci fera à une question du grand-prêtre : « Es-tu le Messie, le
Fils du Dieu béni ? Jésus dit : Je le suis et vous verrez le Fils de l'homme
siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel ».
C'est la première fois que Jésus rend ouvertement un témoignage sur sa
personne ; il se présente comme le Messie, attendu par le peuple, il s'arroge
le titre de Fils de l'homme qui devait venir juger l'humanité à la fin des
temps, en siégeant à la droite de Dieu. Revendiquer une telle égalité avec le
Dieu unique, se placer soi-même au rang de Dieu était perçu comme le plus
abominable des blasphèmes. Un tel péché devait être puni de mort, par lapidation.
Sous des apparences de procès régulier, ce premier
procès de Jésus devant les autorités juives a été bâclé. Même si le Sanhédrin
avait quelque pouvoir pour ordonner l'exécution d'une sentence pour un motif
religieux, tel que le blasphème, il n'avait pas le pouvoir d'ordonner la mise
à mort. C'est pourquoi il faut porter l'affaire devant le procurateur romain,
Pilate, qui séjournait à Jérusalem, pendant les périodes de fêtes.
Les milieux sacerdotaux livrent Jésus à Pilate, en
invoquant non plus des motifs religieux, mais en présentant Jésus comme un
agitateur qui refuse de payer l'impôt et veut rétablir la royauté sur Israël.
L'intention qui dirigeait les prêtres était double ; il fallait réussir à faire
condamner Jésus, et surtout il fallait réussir à discréditer absolument sa
mémoire parmi le peuple. D'où la conversion du motif religieux en motif
politique d'incitation à la révolte et à la sédition.
Pilate est un procurateur romain ordinaire qui
pense surtout à sa carrière et qui mène une guerre froide contre les chefs
juifs. Quand on enferme Jésus dans ses prisons, il ne représente pour lui qu'un
épisode négligeable. Pilate s'aperçoit certainement qu'on lui présente un
procès truqué, et se trouve dans l’embarras, quand on lui présente Jésus. Il
aurait sans doute aimé trouver le moyen de décliner la compétence de son
pouvoir, mais les grands prêtres, qui jouaient le rôle de procureurs de
justice, lui présentent Jésus comme un dangereux nationaliste, invoquant
contre lui des accusations auxquelles Jésus ne répond pas, car il ne les
accepte pas. Interrogé, Jésus ne répond rien aux accusations portées contre
lui. Il aurait pu protester de son innocence et trouver des témoins de la
défense parmi ceux qui l'avaient écouté durant les années de sa prédication.
Il ne se défend pas, parce que la vérité n'a pas besoin d'être défendue, elle
éclate. Pilate ne trouve pas de motif de condamnation dans la personne de
Jésus et dans ses actes. Mais il va abandonner Jésus, mais auparavant, conscient
du fait que Jésus pouvait être populaire, il va faire un geste susceptible de
lui attirer la faveur des foules, même s’il devait déplaire aux chefs des
prêtres qu'il semblait mépriser. Pilate propose inconditionnellement de remettre
Jésus en liberté ; la foule rejette cette proposition et, sous l'incitation des
prêtres, réclame la mise en liberté de Barabbas et la crucifixion de Jésus. Le
gouverneur romain est alors contraint de se soumettre à la vindicte populaire,
et conformément à l'usage romain, il fait flageller Jésus avant de le faire
crucifier. La foule, en délire, approuve sa condamnation, elle hurle à la mort
et préfère libérer un assassin plutôt que de laisser vivre Jésus. Jésus est
« le prophète assassiné ». Jésus est l'innocent qui souffre à la
place d'un coupable.
Le condamné devait porter lui-même l'instrument de
son supplice, le patibulum, jusqu'au lieu de l'exécution. Jésus, après avoir
été châtié sans raison, doit quand même être mis en croix. Mais les outrages et
les tortures l'ont épuisé. Il n'arrivera sans doute pas au lieu de son
exécution. Il ne convient pas que le condamné ne subisse pas son châtiment
jusqu'au bout. L'épuisement physique de Jésus explique le fait qu'un passant
soit réquisitionné pour porter la croix avec lui. Cet homme sera un certain
Simon qui revenait des champs.
En arrivant sur le Golgotha, Jésus est d'abord
dépouillé de ses vêtements. Dépouillé de tout caractère humain, il connaît la
condition de l'esclave révolté. La crucifixion, comme peine de mort, ne
s'appliquait pas aux citoyens romains qui étaient décapités, les juifs, selon
leur loi, étaient lapidés.
Pour décrire l'exécution, les évangélistes sont
très sobres. Les condamnés, qui devaient subir ce châtiment, habituellement des
esclaves révoltés, étaient cloués, les bras étendus sur le patibulum, puis on
fixait cette barre transversale sur un poteau vertical, le stipes,
préalablement dressé à hauteur d'homme. Les pieds du condamné étaient alors
cloués. Une sorte de siège supportait en partie le poids du corps afin que
celui-ci n'entraîne pas une déchirure des membres supérieurs fixés
préalablement. Le crucifié mettait souvent de très longues heures avant de
mourir, non pas par perte de sang, mais plutôt par une lente asphyxie. Les
inventeurs de ce type d'exécution sont les Perses et les Phéniciens, puis les
Grecs et les Romains l'ont certainement adopté en raison de son caractère très
spectaculaire.
Jésus, comme tous les crucifiés, est accablé des
sarcasmes de la foule, qui passe et qui regarde la mort faire son oeuvre. Jésus
meurt après six heures de souffrances, non sans avoir suscité une véritable
profession de foi de la part d'un centurion romain : « Le centurion qui
se tenait devant lui, voyant qu'il avait expiré, dit : Vraiment cet homme
était Fils de Dieu » (Mc. 15, 39).
La loi mosaïque, en vigueur à Jérusalem, même sous
la domination romaine, ne permettait pas que des cadavres soient exposés en
croix durant la nuit, surtout en période de fête, et encore plus cette nuit-là
qui connaissait la grande préparation pascale. Des soldats viennent briser les
jambes des condamnés, mais s'apercevant que Jésus est déjà mort, ils ne lui
brisent pas les jambes et lui percent le côté d'un coup de lance. Selon la loi
romaine également en vigueur, les exécutés politiques pouvaient bénéficier,
par grâce spéciale, d'une sépulture honorable. Rien n'empêchait qu'un
sympathisant puisse obtenir le corps du crucifié. Joseph d'Arimathée, membre
influent du Sanhédrin, en demanda l'autorisation à Pilate. Avec Nicodème,
disciple de Jésus mais en secret, Joseph descend le cadavre de la croix, le
dépose au pied du Golgotha. C'est là que les femmes firent, selon la
tradition, une onction d'huile parfumée au corps de Jésus, avant que celui-ci
ne soit conduit dans une tombe creusée dans le roc, dans un jardin proche du
lieu de la crucifixion. Les autorités sacerdotales qui avaient réussi à se débarrasser
du prophète galiléen se félicitaient d'avoir réussi à éviter des histoires
avec le gouverneur, surtout en cette période d'affluence. Elles étaient soucieuses
de fêter la Pâque et ne se préoccupèrent pas des déclarations de Jésus qui
avait affirmé qu'il ressusciterait le troisième jour. Elles ne se soucièrent
absolument pas de l'ensevelissement et n'apposèrent donc pas les scellés sur
la pierre du tombeau.
Les premiers récits chrétiens n'ont pas cherché à
évacuer le caractère scandaleux de la croix : l'arrachement de Jésus à
l'existence humaine n'a pas été édulcoré, comme s'il s'était agi d'une sorte
de demi-mal. Pourtant, ses disciples reconnaissent qu’il demeure vivant, non
pas qu'il soit revenu purement et simplement à la vie qu'il possédait avant
son arrestation et sa crucifixion, comme si son cadavre avait été réanimé
d'une manière ou d'une autre. Si son procès et son supplice avaient bien mis en
valeur qu'il avait été rejeté pour avoir revendiqué une relation particulière
avec celui que tous appelaient Dieu, sa résurrection va manifester, à ceux qui
ont des yeux pour voir, la réalité de cette relation et de cette intimité.
« Personne n'a jamais vu Dieu, le Fils nous l'a dévoilé », écrira
saint Jean.
C'est à partir ou à travers l'événement de la
résurrection que les disciples ont pu comprendre tout le sens et tous les
enjeux de la vie de Jésus. Mais c’est aussi à partir de cet évènement fondateur
que s’élaborera d’une manière ou d’une autre l’ensemble de la doctrine
chrétienne.
La doctrine chrétienne
La foi
chrétienne se spécifie en affirmant que, vrai homme, Jésus est en même temps
vrai Dieu. Jésus est Dieu incarné, Dieu en « position » de Fils. Le
chrétien confesse que Dieu est Père, Fils et Saint Esprit. La Foi chrétienne,
reçue des Apôtres, n'est ni monothéiste, ni polythéiste, elle est trinitaire.
Distinguant les chrétiens de ceux qui ne le sont pas, le dogme trinitaire les
unit, malgré ce qui peut les séparer.
Jésus est à
l'origine du rassemblement de ses disciples appelés pour la première fois à
Antioche « chrétiens ». L'Eglise est la communion de ceux qui croient
en lui et ont reçu le baptême. Dans les premiers temps de l'Église, au moment
des apôtres et des premiers disciples qui avaient connu Jésus, la profession
de foi était toute simple. Pour être baptisé, pour faire partie de la
communauté chrétienne, il suffisait de dire : « Je crois que Jésus est
le Seigneur ».
En lisant
l’évangile, on découvre une parole de quelqu’un qui est présenté comme un
mauvais serviteur, cette parole devrait inquiéter les chrétiens qui se
contentent toujours du minimum : « J’ai eu peur et je suis allé
enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient »
(Mt 25, 25). Le chrétien doit prendre le contre-pied de cette attitude
minimaliste d’enfouissement du trésor de la foi. Il faut de l’audace pour faire
du « dépôt de la foi » reçu des disciples, des apôtres, des premières
communautés chrétiennes, de la Tradition toute entière, une semence qui porte
du fruit. Il s’agit de faire un effort intellectuel pour faire exprimer dans un
discours rationnel la relation personnelle avec Dieu. C’est ce qu’on appelle la
« théologie ».
Selon son
étymologie, la théologie est un discours sur Dieu. Il est possible de qualifier
de « théologique » ce qui dit quelque chose à son sujet. Par exemple,
quand le personnage de Meursault dans L'Étranger d'Albert Camus refuse
la visite de l'aumônier de prison, au nom de son athéisme, il développe un propos
théologique. Camus fait là œuvre de théologien. On peut être théologien sans
croire en Dieu, sans croire qu'il existe et agit dans la vie. La foi n'est pas
« prérequise » pour étudier la théologie !
La
théologie n’est donc pas un instrument idéologique au service d’une religion
pour donner des certitudes aveugles ; elle dévoile la profondeur des
mystères de la foi. Celui qui recherche une liste de vérités à croire, qui le
mettrait à l’abri du doute ne sera jamais un théologien. Il ne faut pas se
mettre en quête de réponses mais avant tout il faut se poser des questions
nouvelles, des interrogations de plus en plus profondes sur sa foi. Mais chacun
sait que tout discours sur Dieu est nécessairement incomplet et inadéquat.
Dieu demeure toujours autre. Il ne se laisse jamais réduire à ce que nous en
disons. Il n'est pas prisonnier d'une manière de le croire et de le penser.
Néanmoins, il faut apporter des réponses aux questions des hommes, en veillant
à ce qu’elle soient en harmonie avec ce qui se trouve dans l’Ecriture et dans
le « Credo ». Les chrétiens ont dû rapidement, rendre compte de leur
foi et de l'espérance qui les habitait ; ils ont rédigé des témoignages sous
forme de lettres, d'évangiles… Pour dire l'essentiel de ce qu'ils croyaient,
ils ont élaboré des confessions de foi.
Puisque les
nouveaux chrétiens (ceux de la deuxième et de la troisième génération) ne
l'avaient pas connu directement, il a fallu dire qui était Jésus, en présentant
sa vie, sa mort et sa résurrection. Comme les fidèles affirmaient qu'il est
Seigneur, c'est-à-dire Dieu, il fallait préciser qu'il était le Fils de Dieu et
donc expliquer qui était le Père. Et comme Jésus avait envoyé son Esprit sur
les apôtres, il a fallu expliquer aussi qui était l'Esprit Saint et quel était
son rôle dans Église et dans la vie des communautés chrétiennes.
Et puis,
toujours dans le même mouvement, les chrétiens ont développé tel ou tel point
qu'il fallait clarifier, soit dans le dialogue ou la confrontation avec le
monde ambiant (juif, latin, hellénistique...), soit à l'intérieur de l'Eglise,
dans le cadre des débats internes. C'est ainsi qu'ont été élaborés des « dogmes
», c'est-à-dire des balises, des points de repères, des propositions qui
cherchent à exprimer ce que l'on croyait ou ce que l'on ne croyait pas.
Un dogme au
sens courant est une croyance admise par un groupe ou une organisation comme
indiscutable, sans référence à une preuve, une analyse critique ou des faits
établis. Les dogmes religieux sont des
principes de base auquel tout fidèle doit adhérer, comme étant les repères de
la foi. Le dogme est une vérité révélée dans la Bible ou exprimée dans la
tradition chrétienne. Cette vérité est enseignée par l’Église : il ne
s’agit donc pas d’une opinion que les fidèles pourraient se forger, mais d’un énoncé de la foi qui ne
peut être remis en cause. Il est défini par un concile (depuis le quatrième siècle), ou par un pape (depuis le dix-neuvième siècle).
Il clôt une réflexion sur une question donnée, ou sur des hérésies conçues
comme erreur de la foi. L'Église ne crée pas de dogmes, elle en
énonce.
Le
catholique est tenu de croire explicitement les articles de foi que son Eglise
déclare fondamentaux. Ainsi, tous ceux sont tenus d'apprendre, de savoir et de
professer, au moins quant à la substance, le Symbole des apôtres,
les commandements de Dieu et de l'Église, les mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption,
le nombre, la nature et les effets des sacrements, surtout du Baptême, de la
Pénitence et de l'Eucharistie. Pour les articles moins accessibles aux fidèles,
il leur suffit de les croire implicitement, c’est-à-dire de ne pas les
repousser quand ils leur seront présentés.
Finalement,
les dogmes sont des précisions de la confession de foi, du Symbole des
apôtres. Celui-ci contient tous les dogmes : la Trinité, la Création, le Péché
originel, l'Incarnation, la Rédemption, la présence réelle de Jésus dans
l'Eucharistie… Le Symbole des apôtres est un sommaire, un condensé de la foi de
Église.
|
Sa forme
actuelle ne remonte pas au-delà du quatrième siècle. Mais son expression est
certainement plus ancienne. A la fin du quatrième siècle, Rufin composa un
Commentaire sur ce Symbole, dans lequel il en expliquait l'origine : les
apôtres, ayant reçu l'Esprit-Saint au jour de la Pentecôte, décidèrent, avant
de partir en mission, de se mettre d'accord sur un bref résumé de la foi
chrétienne. Ce résumé serait la base de leur enseignement ultérieur.
Il est
pratiquement certain que les énoncés du Symbole remontent à l'âge apostolique,
même si la forme ne s'est développée que graduellement. L'histoire de la
composition de ce texte doit être relié très étroitement à la liturgie
baptismale, au cours de laquelle on interrogeait le nouveau chrétien :
« Croyez-vous en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la
terre ? Croyez-vous en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est
né de la Vierge Marie, a souffert la passion, a été enseveli, est ressuscité
d'entre les morts et qui est assis à la droite du Père ? Croyez-vous en
l'Esprit-Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, au
pardon des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle
? » Par sa réponse affirmative à chacune de ces interrogations, celui qui
allait être baptisé montrait son engagement dans la vie de l’Église.
La
transmission de la foi repose sur la mémoire vivante de l'Eglise, transmise de
génération en génération. Il ne s'agit pas d'une philosophie, mais d'une foi
qui illumine le cœur. C’est ce qui a été manifesté, lors de la séance
d’ouverture du premier concile de Nicée, en 325. Au milieu de l’assemblée des
évêques, qui devaient définir la foi de l’Eglise, se trouvaient des philosophes
païens venus en curieux assister aux débats épiscopaux. L’un de ces
philosophes intervenait régulièrement dans les discussions et embarrassait les
évêques par la subtilité de ses arguments. Soudain, un simple laïc, vieux et
illettré, se leva pour prendre la parole ; même si sur son corps chacun
pouvait voir qu’il avait souffert des persécutions, on s’étonnait de son
geste : les philosophes se moquèrent de lui et les évêques craignaient de
paraître encore plus ridicules, en laissant parler cet homme ignorant :
« Au nom de Jésus-Christ, philosophe, écoute-moi. Il n'y a qu'un Dieu
créateur des cieux et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.
Il a tout fait par la vertu de son Verbe et tout affermi par la sanctification
de son Esprit. Ce Verbe, nous l'appelons le Fils de Dieu. Pris de pitié pour
l'égarement des hommes, il est né d'une Vierge, il a vécu parmi les hommes, il
a souffert la mort pour les en délivrer. Il viendra un jour pour être le juge
de toutes nos actions. Nous croyons simplement toutes ces choses. N'entreprends
point inutilement de combattre des vérités qui ne peuvent être comprises que
par la Foi ; n'essaie point en vain de t'informer de la manière dont elles
purent être accomplies. Réponds-moi seulement si tu crois ». L’ambiance
de l’assemblée changea totalement : les pères conciliaires découvraient
que la mémoire vivante de la foi se trouvait inscrite au cœur des fidèles,
tandis que le philosophe provocateur était amené à embrasser la foi, en
disant : « Suivez l'exemple de ce vieillard. Une inspiration divine
m'a poussé à embrasser la foi de Jésus-Christ ». Ainsi commençait le
concile de Nicée.
Cela montre
que depuis la prédication apostolique, les baptisés avaient toujours confessé
leur foi de manière plus ou moins formalisée. Le Symbole des Apôtres devait
exister de manière orale ; s’il avait été écrit, il aurait été inclus dans
le recueil des Ecritures. Les deux premiers conciles oecuméniques de Nicée et
de Constantinople ont fixé par écrit la mémoire de l'Eglise qui étaient
inscrite depuis les Apôtres dans le cœur des baptisés. Ainsi, les Pères
conciliaires proclamèrent la doctrine sous la forme d'un texte affirmant la
consubstantialité (la même nature) du Père et du Fils. Les Pères de Constantinople
se contentèrent de faire quelques additions aux énoncés de Nicée, à partir
d’éléments qui se trouvaient dans le Symbole des apôtres. Ils développèrent en
outre l'article concernant l'Esprit, en le nommant Seigneur et en déclarant
qu'il est source de vie, qu'il procède du Père (Église d'Occident ajoutera : et
du Fils), qu'il reçoit le même culte que le Père et le Fils, qu'il est Dieu en
un mot.
Ainsi, le
Credo des conciles qui est une expression communautaire vise surtout à expurger
l’Église, à faire sortir ceux qui sont hérétiques. Si le Symbole des apôtres
visait à « l'engagement » du fidèle, le Credo de Nicée-Constantinople
vise plutôt au « dégagement » des non-fidèles...
Nous croyons en
un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de
toutes les choses visibles et invisibles. Nous croyons en
un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous
les siècles, Dieu venu de Dieu, lumière issu de la lumière, vrai Dieu issu
du vrai Dieu, engendré et non créé, d'une même substance que le Père et par
qui tout a été fait ; qui pour nous les hommes et pour notre salut, est
descendu des cieux et s'est incarné par le Saint- Esprit dans la vierge Marie
et a été fait homme. Il a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, il a
souffert et il a été mis au tombeau ; il est ressuscité des morts le
troisième jour, conformément aux Écritures; il est monté aux cieux où il
siège à la droite du Père. De là, il reviendra dans la gloire pour juger les
vivants et les morts, et son règne n'aura pas de fin. Nous croyons en
l'Esprit-Saint, qui règne et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a
parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié ;
nous croyons l'Église une, sainte, universelle et apostolique. Nous
confessons un seul baptême pour la rémission des péchés ; nous attendons la
résurrection des morts et la vie du monde à venir. Amen.
|
Les deux symboles expriment, quoique de manière voilée, l’ensemble
des dogmes de l’Eglise. Ils seront développés au fil des conciles qui suivront
à savoir les vingt-et-un conciles oecuméniques de l'Église catholique romaine.
Seuls les quatre premiers sont reconnus par les églises protestantes, et les
huit premiers conciles par les églises orthodoxes. Ils développent des vérités
de foi contenues dans la Révélation pour les proposer par le Magistère de
l’Église à l’adhésion des fidèles dans le langage d’une période donnée. Cela
donne naissance aux différentes dogmes de l’Eglise, qui sont appelés
« articles de foi » dans les églises issues de la Réforme.
La succession des conciles a élaboré
la dogmatique catholique, sachant que l'Église chrétienne des premiers siècles
s'étendait à l'ensemble du monde connu. Le
Magistère de l'Église, quand il définit des dogmes, oblige le peuple chrétien à
une adhésion de foi : les dogmes sont des lumières sur le chemin de la
foi. Dans l'usage actuel, le dogme est une proposition qui est objet
de foi, une proposition que l'Église enseigne formellement comme révélée par
Dieu, de sorte que sa négation constitue une hérésie.
Concile de Nicée
I
19 juin - 25 août 325 |
L'Église enseigne également comme des
dogmes des vérités qui n'ont pas toujours été enseignées explicitement ni
considérées comme contenues dans la Révélation… Le chrétien doit adhérer à ces
propositions pour être sauvé.
En 325, le Concile de Nicée I
définissait que le Fils était « vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non
créé, consubstantiel au Père ».
En 381, le Concile de Constantinople I
définissait le « Saint-Esprit consubstantiel au Père ». Ainsi se
trouvait exprimée la profession de foi, connue sous le nom de « Credo de
Nicée-Constantinople ». Se trouvait également défini le dogme de la
Trinité.
En 431, le Concile d'Éphèse déclarait
que Marie, Mère de Jésus, était en même temps Mère de Dieu.
En 451, le Concile de Chalcédoine
définissait « la double nature de Jésus » c'est-à-dire que les deux
natures, divine et humaine, se trouvaient en sa seule personne.
En 786, le Concile de Nicée II
reconnaissait la légitimité du culte des icônes.
Si l’on
recherche l’unité des chrétiens, les dogmes proclamés par l’Eglise catholique
seule depuis les scissions (orthodoxie et réforme) sont perçus comme un
problème. En cas de réalisation de l’unité qui est le but du dialogue
œcuménique, les autres chrétiens devront-ils accepter les dogmes romains ?
La question ne se pose pas seulement par rapport au passé : l’engagement
de l’Eglise catholique dans la recherche de l’unité l’empêchera-t-elle de
proclamer de nouveaux dogmes ? En cas de réalisation de l’unité, qui
pourrait engager la foi de tous les chrétiens concernés, afin que l’unité se
situe au niveau de la foi, et de manière stable ?
En 1854, le pape Pie IX proclamait le
dogme de l’Immaculée Conception de Marie, qui signifie que la mère de Jésus,
fut conçue sans le péché. « Nous définissons la doctrine qui affirme la
bienheureuse Vierge Marie, dès le premier instant de sa conception, par une
grâce et un privilège particuliers du Dieu tout-puissant, compte tenu des
mérites du Christ, Sauveur du genre humain, préservée indemne de toute tâche
de culpabilité originelle. Nous tenons cette doctrine pour révélée par Dieu ;
elle doit pour cela être crue avec fermeté et constance par tous les fidèles »
(Bulle Ineffabilis Deus de Pie IX, 8 décembre 1854). Les Eglises de la Réforme
considèrent Marie comme l'instrument privilégié choisi par Dieu pour donner
naissance au Sauveur. Elles découvrent en elle un modèle d'humilité, de foi et
d'obéissance, un exemple à suivre. Là s'arrête l'honneur qu'elles lui rendent.
L'Eglise Catholique, au contraire, a donné naissance à des dogmes mariaux
chargés de justifier le culte qu'elle lui rend.
En 1870, le Concile Vatican I
(interrompu par la guerre de 1870) définissait l’infaillibilité pontificale.
« Le pontife romain, lorsqu'il parle "ex cathedra", c'est-à-dire
lorsque, remplissant la charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens,
il définit, en vertu de son autorité apostolique suprême, qu'une doctrine sur
la foi ou les moeurs doit être tenue par l'Eglise universelle, jouit, par une
assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette
infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue en
définissant la doctrine de la foi et des moeurs. Par conséquent, de telles
définitions du pontife romain sont par elles-mêmes, et non par le consentement
de l'Eglise, irréformables » (Vatican I, Constitution Apostolique Pastor
Aeternus, ch. 4). « Si quelqu'un s'enhardit à s'opposer à cette
définition qui est la nôtre, ce que Dieu veuille préserver, qu'il soit
anathème! » (Vatican I, Canon du même décret).
En 1950, le pape Pie XII définissait
le dogme de l’Assomption, qui signifie que la mère de Jésus est montée au ciel
avec son corps, suivant en cela l'apocryphe La Mort de Marie. L'Assomption
de la Vierge est une participation à la Résurrection de son Fils et une anticipation
de la résurrection des chrétiens : « Dans ton enfantement tu as gardé la
virginité, dans ta dormition tu n'as pas quitté le monde, ô Mère de Dieu : tu
as rejoint la source de la Vie, toi qui conçus le Dieu vivant et qui, par tes
prières, délivreras nos âmes de la mort » (Liturgie byzantine). Ce
concept de l’Assomption est connu également des Églises orthodoxes sous le nom
de Dormition sans bénéficier d'une définition dogmatique.
Au cours de son histoire, l'Eglise
catholique a développé un ensemble de « dogmes », qui sont des
principes de sa foi. Ils ne peuvent être mis en discussion, et les théologiens
qui en doutent sont excommuniés ou suspendus. Un cas récent est celui de Hans
Kung, théologien catholique, professeur de théologie à l'université de
Tübingen : ayant mis en doute le dogme de l'infaillibilité du pape, il fut
« suspendu a divinis », c'est à dire qu'il n'a plus le droit de
s'appeler « théologien catholique » et donc d’enseigner la théologie.
L'Eglise Catholique a élevé au rang de
dogmes beaucoup d'affirmations qui n'avaient pas de fondement dans la Bible.
Dans le tableau chronologique qui suit, il est possible de voir l’évolution de
l’enseignement des doctrines catholiques. Il n'est pas mauvais de montrer que
depuis la prédication du Christ la doctrine a évolué.
La prière pour les morts débute vers
l’an --------------------------------------- 210
On commence à brûler des cierges vers -----------------------------------------
320
Le culte des saints et des anges s'établit vers ---------------------------------
375
Le dogme de la trinité naît en ----------------------------------------------------
381
La messe en latin date de --------------------------------------------------------
394
Le culte de Marie se développe vers --------------------------------------------
430
L'idée de la sainte vierge, mère de Dieu apparaît en ---------------------------
481
Le purgatoire est découvert en -------------------------------------------------
593
Le Pape Boniface (111) reçoit le titre d'évêque Universel en ------------------
606
Le culte des images et des reliques est imposé en ------------------------------788
Le culte de saint Joseph débute vers ------------------------------------------
900
La canonisation des saints en ----------------------------------------------------
993
Le célibat obligatoire des prêtres ----------------------------------------------
1074
L'infaillibilité de l'église est instituée en --------------------------------------1076
L'usage du chapelet s'introduit en ----------------------------------------------1100
La doctrine des 7 sacrements est enseignée en -------------------------------
1140
La vente des indulgences date de -----------------------------------------------
1190
Le dogme de la transsubstantiation date de
----------------------------------- 1215
La confession auriculaire est imposée en ---------------------------------------
1215
La fête-Dieu date de -------------------------------------------------------------1264
L'année sainte est instauré en --------------------------------------------------1300
L'Ave Maria date de --------------------------------------------------------------1316
La procession de Saint Sacrement de ----------
--------------------------------1439
La doctrine du purgatoire n'est officiellement reconnue qu'en ---------------1439
Le concile de Trente proclame la doctrine des 7 sacrements en --------------1547
Le catholique se définit par
l'adhésion à ces dogmes et doctrines dont l'articulation est codifié à partir
des trois mystères chrétiens : la
Trinité, l'Incarnation et la Rédemption. La Trinité peut être définie de la
manière suivante : Dieu est une seule essence en trois personnes : le
Père, le Fils et le Saint-Esprit. L'Incarnation est le fait que Dieu s'est
fait homme en la personne de Jésus. La Rédemption repose sur le sacrifice du
Christ qui rachète le péché des hommes et leur permet d'accéder à la vie
éternelle.
Les protestants sont les chrétiens qui
ont quitté le corps de l'Eglise catholique, à la suite de la Réforme initiée
par Luther en 1517. Il existe aujourd'hui des dizaines d'Eglises protestantes,
qu'elles soient luthérienne, calviniste, anglicane, baptiste, évangélique... La
règle principale des protestants (leur dogme) est le : Sola Scriptura, par les
seules Ecritures ; Sola Gracia, par la seule Grâce de Dieu ; Sola Fide, par la
seule Foi. Les protestants ne reconnaissent donc pas l'autorité de Rome, les
commandements de l'Eglise ne pouvant être comparés aux commandements de Dieu.
Ils prêchent le retour aux seules sources de la Foi : les Ecritures. Les
protestants sont christocentriques et rejettent le culte des Saints et celui
de la Vierge, le Christ étant seul médiateur entre Dieu et les hommes alors que
les catholiques vénèrent les saintes et les saints c'est-à-dire les baptisés
que Dieu a admis au paradis. Calvin accepte les dogmes des premiers conciles
(Nicée, Constantinople, le premier d'Ephèse, Chalcédoine) tenus pour condamner
les erreurs des hérétiques, parce qu’ils n’enseignent rien d’autre que
l’Ecriture : « Car ces conciles ne contiennent rien qu'une pure et naturelle
interprétation de l'Ecriture, que les saints Pères par bonne prudence ont
accommodée pour renverser les ennemis de la chrétienté ».
Le dogme catholique affirme que ceux
qui sont morts dans la foi doivent être purifiées dans un lieu intermédiaire
appelé « purgatoire », avant d'accéder à la béatitude éternelle.
Cette purification a une valeur expiatoire. Selon les Protestants, cette
doctrine qui affirme la nécessité d'une expiation de la part du croyant nie la
perfection de l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ. « Tout péché, même
véniel, entraîne un attachement malsain aux créatures, qui a besoin de purification,
soit ici-bas, soit après la mort, dans l'état qu'on appelle Purgatoire »
(Catéchisme de l'Eglise Catholique,
1472). La tradition catholique affirme aussi l'existence de limbes. Les
« limbes des enfants », dont l'existence est une construction des
théologiens, sont le séjour des enfants morts sans baptême. Sans être soumis à
des peines, ils sont privés de la béatitude auprès de Dieu. La croyance aux
limbes n’est pas un dogme de foi, c’est une explication des théologiens du
Moyen-Âge pour ceux qui voulaient savoir ce qu’il advient aux petits enfants
non baptisés. Le Catéchisme de l’Église catholique n’en parle plus.
Comment définir le christianisme ?
On pourrait dire que le christianisme est une doctrine et que le chrétien est
celui qui adopte cette façon de penser. On pourrait dire aussi que le christianisme
est une pratique et que le chrétien est quelqu'un qui va au culte ou celui qui
est au service des autres. De fait, le christianisme est une vie.
Le message chrétien, même s'il est
adressé à l'homme, est un message qui parle de Dieu, qui entreprend d'agir
pour l'homme et avec l'homme. Le message chrétien apprend à cet homme quelque
chose de Dieu, non pas d'un Dieu lointain, comme pourrait l'être celui des différentes
philosophies, mais d'un Dieu qui s'est fait proche des hommes, au long d'une
histoire. Il est le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et de Jacob, le Dieu qui
s'est révélé à Moïse au Sinaï, il est le Dieu de Jésus-Christ, comme il est,
par ailleurs, le Dieu de Mahomet. La conception de Dieu, dans le christianisme,
conception qu'il partage, à certains égards, avec le judaïsme et l'islam, est
celle d'un Dieu qui agit, qui a un souci personnel de l'homme, d'un Dieu qui
s'engage, dans une alliance, avec des hommes concrets.
Ce message parle premièrement de Dieu
et de ce qu'il fait, et il acquiert la spécificité chrétienne pour autant que
se trouve soulignée l'action de ce Dieu en faveur de l'individu singulier
qu'est Jésus-Christ. Cette action continue de se poursuivre en faveur du groupe
instauré par lui, pour prolonger et parachever l'oeuvre qu'il a entreprise. Ce
groupe, l'Eglise, fondée sur les apôtres, reconnaît l'action de Dieu, dans la
mouvance de l'Esprit-Saint. Dès lors, il ne peut s'agir d'une action
impersonnelle de Dieu, et le message chrétien n'est donc pas un message général
sur l'amour, sur la vie, sur la liberté... Il ne manque pas de philosophies
pour enseigner l'amour, le sens de la vie, la valeur de la liberté...
Le propre du langage chrétien, c'est
d'être référé à Jésus de Nazareth, qui a été crucifié et qui est ressuscité.
En dehors de cette affirmation de la mort et de la résurrection de
Jésus-Christ, le message chrétien perd toute sa signification, toute sa portée.
Une étude sur la vie de Jésus, en tant que personnage historique, dont il ne
reste d'ailleurs guère de traces en dehors des écrits du Nouveau Testament, ne
saurait être chrétienne ; de même, une description unilatérale de ce que
pourrait être la vie de la deuxième personne de la Trinité, indépendamment de
l'existence concrète de Jésus de Nazareth, ne saurait recouvrir la spécificité
chrétienne, mais tomberait ipso facto dans la pure spéculation gnostique.
Être chrétien, se reconnaître
d'Eglise, c'est accentuer l'aspect de la mort et de la résurrection du Christ
Jésus. Et de plus, l'accent peut être mis sur la mort elle-même de ce Jésus,
cette mise à mort n'est pas insignifiante, c'est une mort qui passe par la
souffrance d'être réprouvé de tous, une mort qui passe par le supplice de la
croix, avec toute l'abjection de cette forme d'exécution capitale... La
victoire du Christ sur la mort, c'est la victoire sur cette abjection, sur ce rejet
de la société, sur l'infamie, sur la méchanceté, sur l'ignominie, sur la
déréliction même et l'abandon de tous. A la limite, il serait permis de penser
que la croix est la manifestation même de ce que d'aucuns appelleraient
« l'essence du christianisme ». Ce n'est pas pour rien que, lorsqu'un
archéologue rencontre une croix, il lui est possible d'affirmer, avec une
certitude absolue, qu'il traverse une civilisation chrétienne. Ce signe de la
croix est vraisemblablement un des critères les plus spécifiques de la foi
chrétienne, telle qu'elle a été reçue des apôtres et transmise par leurs
successeurs.
Sur cette base du message repose la
construction de l'Eglise, qui rassemble en communauté ceux qui croient au message
que Jésus apporte. Aussi l'Eglise doit-elle être une réalisation socialement
repérable, puisqu'elle est composée d'hommes qui tentent de témoigner d'une
réalité qui les dépasse, qui les transcende, mais qui se manifeste au coeur
même de leur rassemblement de foi. La forme concrète de l'Eglise dépend
grandement du milieu socioculturel dans lequel elle se trouve implantée, c'est
la raison pour laquelle il a été possible de noter que les divisions dans
l'Eglise se sont manifestées par le biais des conditionnements politiques.
Le christianisme a pris des formes
diverses, au cours de l'histoire, et il existe désormais dans les
déterminations concrètes du catholicisme, de l'orthodoxie et du
protestantisme. A elles trois, ces expressions religieuses forment le
christianisme, mais il ne peut plus être pensable d'étudier le christianisme
comme une entité isolable de ses déterminations. Il n'est pas possible
d'étudier le christianisme en dehors de ses expressions historiques, sinon en
mentionnant simplement les grandes lignes du message que Jésus de Nazareth a pu
livrer à ceux qui sont devenus ses disciples. Ceux-ci l'ont transmis aux
générations ultérieures sous la forme des Évangiles et des lettres qu'ils ont
adressées aux différentes communautés. Le message chrétien trouve son condensé
dans la confession de foi du « Symbole des Apôtres » ; tous les
chrétiens partagent la même foi qui est annoncée dans ce Symbole, devenu signe
de reconnaissance mutuelle.
Il faut tenir compte des déterminations socioculturelles, dans les différentes Églises, pour découvrir le christianisme ; vouloir chercher le christianisme ou l'essence de la foi chrétienne en dehors de toute considération historique amènerait à un syncrétisme de mauvais aloi qui n'aurait alors plus rien à voir avec la vérité du message chrétien, lequel ne peut s'exprimer que dans la pluralité, dans la diversité de perception du même message d'un Dieu unique qui se révèle dans la Trinité, du Père du Fils et de l'Esprit-Saint.
La conception catholique de l'Eglise
En employant pour signifier leur rassemblement le
terme du grec profane « église », les premiers chrétiens ont aussi
voulu dépasser la dimension de l'assemblée populaire, pour indiquer que leur
rassemblement était celui du peuple de Dieu convoqué pour célébrer le culte
divin. Le même mot désigne aussi bien une église locale que l'ensemble de la
chrétienté, ce qui se présente comme l'Eglise universelle.
Le catholicisme souligne premièrement la visibilité de l'Eglise, visibilité qui repose sur le corps social qu'est l'ensemble des hommes rassemblés par leur foi en Jésus-Christ, Sauveur. A la suite du deuxième concile oecuménique du Vatican (1962-1965), le catholicisme s'est affranchi de la hantise de la primauté par rapport aux autres confessions chrétiennes, comme il s'est affranchi de la hantise de la primauté de l'évêque de Rome sur les autres évêques. Le nombre d'Églises chrétiennes historiquement apparues rend impossible la revendication d'absolu par l'une d'entre elles, et particulièrement par l'Eglise catholique romaine, en ce sens qu'elle prétendrait être la seule véritablement universelle, mais aussi la seule voie d'accès au salut pour les hommes. L'Eglise catholique devient une des formes de l'unique Eglise de Jésus-Christ. C'est là une réforme importante, voire une révolution, dans la conception du catholicisme.
La particularité d'une Eglise ne peut couvrir
l'universalité de l'unique Eglise, tout au plus peut-elle signifier un
caractère de visibilité, qui est une nécessité pour les croyants. Le Christ n'a
pas confié son message dans un livre, où il aurait donné lui-même les
instructions nécessaires au salut. Son message, il l'a confié à des hommes,
risquant alors qu'il soit mal compris par les uns, trahi par
d'autres. Confié à des hommes, ce message a été codifié au cours des siècles,
afin d'assurer sa permanence dans une reconnaissance mutuelle des croyants.
Cette codification se trouve dans les symboles de la foi : Symbole des Apôtres
et Symbole de Nicée-Constantinople (325-381). Ce ne sont pas d'abord des
règles dogmatiques de la foi, mais plutôt des opérateurs de reconnaissance
entre croyants. Il est remarquable que ces symboles demeurent dans les
confessions chrétiennes, alors même qu'elles peuvent interpréter différemment
tel ou tel énoncé. Aussi certains pourront-ils être surpris d'entendre, au
cours d'un culte réformé, la proclamation de la foi : « Je crois en
l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique », les protestants
parlant alors de la catholicité de l'Eglise, dans une acception différente de
l'Eglise catholique, qui se spécifie immédiatement dans son rapport à Rome.
La seconde distinction du catholicisme réside dans
l'importance accordée à la Tradition. Sans dire que cette dernière occupe une
place aussi capitale que la Bible, il faut convenir que l'Eglise catholique,
notamment depuis le concile de Trente (1545-1563), reconnaît comme seconde
source de la révélation les traditions dont l'histoire est remplie, comme les
textes des Pères de l'Eglise ancienne et les déclarations des conciles.
Seulement, il ne saurait être question de faire de ces traditions quelque
chose de figé ou de mécanique. Il faut les considérer comme le développement
de l'événement. D'ailleurs, on peut distinguer deux formes à la conception de
la tradition. Premièrement, la tradition apostolique est divine, en ce que les
apôtres sont les organes transmetteurs de l'Esprit qui leur fait découvrir la
profondeur du message. Deuxièmement, par suite de la disparition des apôtres,
s'installe la tradition ecclésiastique : celle-ci est un processus humain,
bien que pas simplement humain, en ce sens que ce sont des hommes qui
transmettent l'héritage du Christ et des apôtres, mais qu'ils ne le font pas
indépendamment de l'action de l'Esprit-Saint. La tradition, dans le sens que
peut lui donner le catholicisme, vient au secours de l'Écriture pour lui
donner un principe d'interprétation, un éclairage qui ne se trouve pas immédiatement
dans Écriture. Il ne s'agit pas pour la tradition de supplanter le message,
mais de lui donner une intelligibilité adaptée à une époque de l'histoire et
reconnue à travers toutes les Églises rattachées à Rome. D'ailleurs, l'Eglise
catholique pourrait se définir comme une tradition vivante : elle a la mission
de transmettre ce qui a été confié aux apôtres, il ne s'agit pas pour elle de
se fixer dans une forme unique de la tradition, en excluant les apports plus
récents du dogme ou de la réflexion théologique.
C'est au sujet de la tradition que s'est
déclenchée, après le concile Vatican II, une crise à l'intérieur de l'Eglise, le
traditionalisme cristallisé autour de Monseigneur Lefebvre ; à toutes les
époques, et particulièrement après les conciles, des hommes ont proclamé leur
attachement aux traditions plus anciennes et manifesté leur scepticisme devant
les innovations. Marcel Lefebvre, depuis l'achèvement du concile n'a cessé de
revendiquer le droit de faire l'expérience de la tradition. Seulement, sa
conception de la tradition, dans l'Eglise, s'arrête à une certaine époque : il
ne voulait pas reconnaître comme faisant intégralement partie de la tradition
les dernières décisions conciliaires. Il est légitime de poursuivre les règles
admises autrefois, mais la tradition de l'Eglise est une tradition vivante,
elle n'est jamais achevée. Aussi ne convient-il pas d'exclure les déclarations
les plus récentes de l'Eglise en son magistère.
La tradition ne peut pas s'ossifier dans des
formules du passé, certainement saintes et d'une vénérable antiquité, mais qui
interdisent tout effort pour une adaptation aux exigences de l'évangélisation
du monde. L'aggiornamento réclamé avec une insistance prophétique par Jean
XXIII, ne va à l'encontre ni de la foi ni de la tradition ; ce n'est pas une
tentative désordonnée, une « mise au goût du jour » de l'Évangile et
du dogme. C'est une bouffée d'air pur, apportée à une Eglise qui se sclérosait
et qui était déphasée par rapport au monde, enfermée dans des schémas hérités
d'un monde socioculturel ancien : « L'Eglise, déclarait Jean XXIII, ne
doit pas se replier sur elle-même, mais aller de l'avant ». Cela ne
peut se faire que dans un langage pouvant être compris par les hommes de l’époque
contemporaine.
L'Eglise de Rome est reconnue depuis les premiers
siècles comme l'Eglise mère de toutes les Églises, mais ce statut n'implique
pas une suprématie tyrannique : être mère des Églises signifie être au service
de toutes les Églises qui rassemblent l'unique peuple de Dieu. C'est une des
redécouvertes du dernier concile que d'avoir restauré cet aspect de service
dans le catholicisme, oubliant la tentation de suprématie absolue, qui avait
été le fait des générations antérieures.
Selon la tradition, le pape, évêque de Rome, jouit
d'une situation particulière ; si la succession apostolique est la permanence
du service confié aux apôtres, un service a été réservé à Pierre, qui a
terminé sa vie, par le martyre, à Rome. Les écrits du Nouveau Testament soulignent
une certaine primauté de Pierre, dans le collège des apôtres. Un changement de
nom est même lié à la vocation de Pierre : Simon, le pêcheur, sera appelé
Pierre, en araméen Céphas, c'est-à-dire Roc. Ce nom est resté, surclassant celui
de Simon ; dans la mentalité sémitique, le changement de nom marque un
changement de personnalité ; en donnant à Simon, dont le caractère était
spontané, impétueux, le nom de Pierre, Jésus lui crée une personnalité
nouvelle, à lui qui était si peu, par nature, un roc. La tradition fait appel
à un texte évangélique pour justifier la primauté de Pierre : dans
l'évangile selon Matthieu, Pierre reçoit une promesse de Jésus : « Et
moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon
Eglise… Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras
sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera
délié aux cieux. (Mt. 16, 18-19). La question importante est de savoir si cette
promesse vise seulement Pierre ou si elle vise également ses successeurs.
Pierre ne semble pas avoir emporté dans la tombe ses privilèges, car l'Eglise
aurait ressenti sa mort comme un événement capital, alors que sa mort ne
semble pas avoir marqué un changement de structure dans la vie de l'Eglise.
Bien que la plupart des écrits néotestamentaires aient été rédigés après sa
mort, aucun n'en fait mention. Aussi les catholiques pensent-ils que la
promesse de Jésus à Pierre a une valeur et une portée pour toute l'histoire de
l'Eglise.
Ce serait faire un anachronisme que de chercher
dans l’Écriture une justification à la compréhension actuelle de la primauté
de l'évêque de Rome. Bien que contestée encore par de nombreux chrétiens, la
papauté, en tant qu'elle manifeste la succession de Pierre, occupe une place
privilégiée dans la conception que les catholiques romains se font de
l'Eglise. La tradition affirme que Pierre est venu à Rome et que c'est sur sa
tombe qu'a été édifiée la basilique Saint-Pierre. Les fouilles, entreprises
sous Pie XII, au cours de la seconde guerre mondiale, ont confirmé que Pierre a
subi le martyre sous la persécution de Néron, aux alentours de l'année 67 et
qu'il a été enseveli à proximité du lieu de son supplice, sur la colline du
Vatican. Et, le 26 juin 1968, Paul VI affirmait : « Les reliques de saint
Pierre ont été identifiées d'une façon que nous pouvons considérer comme
convaincante ». La présence de nombreuses tombes, tassées autour d'une
même tombe, permet de penser que les chrétiens de Rome voulaient recevoir leur
sépulture dans la proximité de celui qui avait été leur premier pasteur. La
construction d'une basilique, sous Constantin, confirme l’hypothèse de la
présence du tombeau de Pierre. La nature et la position de ce terrain où fut
édifiée la basilique apparaissent comme un choix contraire au bon sens, ce qui
marque l'importance que les communautés romaines ont accordée à ce lieu.
En dehors de Rome, les Églises catholiques ont
reconnu que le privilège confié à Pierre s'était transmis à ses successeurs ;
mais, dès les premiers siècles, les Églises d'Afrique et d'Orient ne donnaient
pas le même sens ; l'autorité de Rome n'était pas considérée comme isolée de
l'autorité des autres sièges apostoliques. Le dogme de la primauté de
l'Eglise romaine a été affirmé par le deuxième concile de Lyon, où l'Eglise
d'Orient ne fut pas véritablement représentée : « La sainte Eglise
romaine possède aussi la primauté et autorité souveraine et entière sur
l'ensemble de l'Eglise catholique. Elle reconnaît sincèrement et humblement
l'avoir reçue, avec la plénitude du pouvoir, du Seigneur lui-même, en la personne
du bienheureux Pierre... A elle sont soumises toutes les Églises dont les prélats
lui rendent obéissance et révérence » (6 juillet 1274). Le concile de Florence,
où l'Eglise grecque participa activement, définit, par un décret la primauté
du pape sur toute l'Eglise et l'ordre des sièges patriarcaux : « Nous
définissons aussi que le Saint-Siège apostolique et le pontife romain possèdent
la primauté sur toute la terre ; que ce pontife romain est le successeur du
bienheureux Pierre... En outre, nous déclarons de nouveau l'ordre des autres
vénérables patriarches, transmis dans les canons : le patriarche de Constantinople
est le deuxième après le très saint pontife romain, celui d'Alexandrie le
troisième, celui d'Antioche le quatrième, celui de Jérusalem le cinquième,
tous leurs privilèges et droits étant évidemment saufs » (6 juillet
1439).
Le premier concile du Vatican définit, en des
termes comparables, l'institution de la primauté apostolique du siège romain :
« Nous enseignons donc et déclarons, suivant les témoignages de Évangile
que la primauté de juridiction sur toute l'Eglise de Dieu a été promise et
donnée immédiatement et directement au bienheureux apôtre Pierre par le Christ
notre Seigneur… C'est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition
reçue dès l'origine de la foi chrétienne… nous enseignons et définissons
comme un dogme révélé de Dieu : le pontife romain, lorsqu'il parle ex
cathedra, c'est-à-dire lorsque remplissant sa charge de pasteur et de docteur
de tous les chrétiens,… jouit… de cette infaillibilité dont le divin
rédempteur a voulu que fut pourvue son Eglise lorsqu'elle définit la doctrine
sur la foi et les mœurs » (18 juillet 1870). En fait, les papes n’ont
guère utilisé cette sorte de privilège. La seule occasion où un pape a fait
usage de l’infaillibilité fut la définition solennelle du dogme de
l’Assomption de la Vierge Marie, par Pie XII, en 1950. II ne le fit d’ailleurs
pas sans avoir consulté tous les évêques et obtenu leur adhésion quasi unanime.
Signe que l’assistance divine qui garantit l’exercice de l’enseignement
pontifical ne place pas le pape au-dessus de l’Eglise : c’est au nom de
toute l’Eglise qu’il parle, dans la solidarité avec les autres évêques.
La lumière portée sur le pape et son infaillibilité
a mis les évêques quelque peu dans l'ombre. A la fin du dix-neuvième siècle, et
pendant près d'un siècle, les évêques n'avaient guère leur mot à dire sur la
marche des affaires de l'Eglise. D'ailleurs, juste après Vatican I, le schisme
des « Vieux catholiques » a mis en relief le fait que les évêques
n'avaient qu'un rôle très limité, en face du pouvoir presque inconditionnel du
pape. Vatican II allait rétablir la situation : les évêques forment autour du
pape et avec lui un groupe solidaire dans l'administration et la charge
pastorale.
La grande innovation de Vatican II a été le
renversement de perspective dans la compréhension de l'Eglise. Jusqu'à ce
Concile, l'Eglise était considérée comme une pyramide : le pape au sommet, puis
les évêques soumis au pape, puis les prêtres soumis à leur évêque, et enfin
les fidèles qui devaient être soumis à tous. Le deuxième concile du Vatican a remis
l'Eglise sur ses pieds : l'Eglise est d'abord une institution de service, le pape
n'étant que le premier des serviteurs de Dieu. Ce qui compte, c'est la
dimension de peuple de Dieu. Elle n'est pas simplement constituée par le pape,
les évêques et les curés... Elle est une communion des baptisés, et la hiérarchie
est au service de tout le peuple de Dieu, et non pas l'inverse.
« Un pape, pour quoi faire ? ».
Cette question peut paraître incongrue aux catholiques fervents mais elle se
pose sérieusement dans les mentalités. Le nom de « pape » dérive de « papa »
(titre d’honneur signifiant : père) ; ce titre était donné, jusqu’au
septième siècle, à tous les évêques, même si, à partir du sixième siècle, il
tendait à être réservé spécialement à l’évêque de Rome, qui est aussi alors désigné
sous les noms de « vicaire du Christ » et de « souverain pontife ».
Le terme de « papauté » apparaît à la fin du onzième siècle, en même
temps que l’usage du terme « curie » pour désigner l’administration
centrale et romaine de l’Eglise catholique.
Il est bon de rappeler que ce ne sont pas les apôtres
qui ont choisi Pierre pour être leur chef et le successeur du Christ :
c’est Jésus lui-même qui a institué Pierre comme la pierre sur laquelle il
pourrait édifier son Eglise. On ne connaît pas les noms des successeurs immédiats
de Pierre, bien que la tradition ait suppléé à la carence des documents
authentiques pour établir la succession apostolique de Rome : il n’est
donc pas possible de savoir comment le successeur de Pierre a pu être
choisi... En ce domaine, l’Eglise a aussi tâtonné au cours des siècles pour
parvenir au mode de désignation actuel.
Aux premiers siècles, l’élection de l’évêque de
Rome se déroulait de la même manière que le choix des autres évêques, par le
suffrage du peuple rassemblé autour de ses prêtres. Un tel mode de désignation
ne devait pas tarder à dégénérer, puisque les chrétiens supportaient un
candidat et n’hésitaient pas à en venir aux mains pour imposer leur choix
devant ceux qui en supportaient un autre. Il fallut même que l’administration
impériale intervienne dans une élection, si bien que l’empereur ne résistait
pas à la tentation d’imposer son candidat. Certains papes demandèrent l’appui
des empereurs ou des rois chrétiens pour veiller à l’élection de leur
successeur. La papauté n’allait pas tarder à tomber entre les mains des
grandes familles de l’époque... Une réforme s’imposait : en 1059, Nicolas
II promulguait une loi nouvelle, réservant aux seuls cardinaux le pouvoir
d’élire le pape. L’élection des papes ne devait plus être l’affaire des
laïcs. Malgré les réformes relatives à la modalité du scrutin depuis cette
décision, le principe du monopole des cardinaux n’a jamais été modifié, bien
que certains pères conciliaires, à Vatican II, l’aient trouvé anachronique et
auraient préféré une désignation du pape par les représentants du collège
épiscopal ; Paul VI, d’abord favorable à une telle proposition a
finalement préféré ne pas dénaturer l’élection traditionnelle, arguant du fait
que Pierre n’avait pas été choisi par les apôtres, mais par le Christ, et
qu’un tel mode de désignation n’aurait fait que copier les scrutins humains,
faisant du pape le délégué de ses pairs. En droit, l’évêque de Rome est élu par
le clergé romain, représenté par les cardinaux : la majorité des deux
tiers est requise pour que l’élection soit validée. Mais il fallut attendre Pie
X, en janvier 1904, pour que le droit de veto accordé aux puissances civiles
soit aboli. Les élections se font dans le secret du conclave, terme qui
signifie : « sous clé ». Cette forme d’élection remonte à 1271 :
dix-sept cardinaux ne parvenaient pas à s’entendre pour élire un nouveau pape.
Devant la longueur des délibérations, le peuple mit ces cardinaux au pain et à
l’eau, pour leur apprendre un peu de sagesse : cette méthode, qui forçait
quelque peu la main des cardinaux, fut approuvée par le nouvel élu, Grégoire
X, qui l’érigea en règle pour l’avenir.
Quand les cardinaux se rassemblent pour élire un
successeur au trône de Pierre, ils sont isolés du monde extérieur ...
Tous les accès aux locaux où ils sont enfermés sont scellés... et les locaux
eux-mêmes sont jugés inconfortables par les cardinaux, si bien que la tradition
inaugurée à Viterbe demeure vivante. L’élu n’est pas nécessairement un
Italien, bien que, souvent, dans le cours de l’histoire, ce soit des Italiens
qui ont eu le plus fréquemment accès au trône de Pierre. Sur les 265 papes
jusqu’à Jean-Paul II inclus, 211 furent Italiens, dont 98 Romains, 2 sont
d’origine inconnue et 52 furent étrangers à l’Italie, à commencer par Pierre,
qui était Palestinien. Tout catholique, de sexe masculin, est éligible :
et il est arrivé que des laïcs, tels que Benoît VIII ou Jean XIX aient été
élus; dans le cas où l’élu serait laïc ou simple prêtre, il devrait se faire
ordonner évêque avant un délai de trois mois pour accéder à la charge
pontificale.
Lorsque la majorité est acquise, le cardinal doyen
ou camerlingue de l’Eglise, qui assure l’intérim entre deux pontificats,
demande au nouvel élu s’il accepte son élection : « Acceptez-vous votre
élection, faite selon les règles canoniques, au souverain pontificat ? » L’élu
qui accepte est immédiatement considéré comme le pape, et sa juridiction
s’étend, à l’instant tous les catholiques : chaque cardinal vient faire
obédience au nouvel élu qui choisit le nom par lequel il veut être appelé.
Après cette obédience, le nom du nouveau pape est annoncé aux fidèles assemblés
sur la place Saint-Pierre et au monde entier, par l’intermédiaire de la
télévision : le pape donne alors sa première bénédiction « urbi et
orbi », à la ville de Rome et au monde.
Pendant près d’un millénaire, jusqu’à Paul VI, le
nouveau pontificat était marqué par le rite du couronnement : le pape
était couronné d’une tiare à triple couronne, signifiant qu’il était le père des
princes et des rois, le guide visible du monde et le vicaire du Christ dans
l’ensemble de l’Eglise : la papauté était considérée comme un pouvoir
temporel qui pouvait s’exercer en tous les domaines. Paul VI recommanda de
renoncer à cette pratique anachronique. Jean-Paul I et Jean-Paul II ont
poursuivi cette évolution, en abolissant la cérémonie du couronnement par une
intronisation liturgique, avec la remise du « pallium », bande de
laine blanche marquée de croix noires, dont la signification est la juridiction
archiépiscopale. Au lendemain de cette célébration, purement liturgique, le
nouveau pape prend officiellement possession de son diocèse de Rome, en
visitant la cathédrale romaine de saint Jean de Latran, en présence du clergé
et des fidèles de la cité romaine, réunie dans leur église-cathédrale.
Ordre
Année Nom &
Origine
1
33 Pierre
(st) Galiléen 2
67 Lin (st)
3
76 Clet
(st) Romain
4
88 Clément I
(st) Romain
5
97 Evariste (st)
Grec
6
105 Alexandre I
Romain
7
115 Sixte I
(st) Romain
8
125 Télesphore
(st) Grec
9
136 Hygin (st)
Grec 10
140 Pie I (st)
Italien 11
155 Anicet (st)
Syrien 12
166 Soter (st)
Campanien 13
175 Eleuthère
(st) Grec 14
189 Victor I
(st) Africain 15
199 Zéphyrin
(st) Romain 16
217 Calixte I
(st) Romain 17
222 Urbain I
(st) Romain
217-235 Hippolyte (st), antipape
Romain 18
230 Pontien (st)
Romain 19
235 Anthère (st)
Grec 20
236 Fabien (st)
Romain 21
251 Corneille
(st) Romain
251
Novatien,
antipape 22
253 Lucius I
(st) Romain 23
254 Etienne I
(st) Romain 24
257 Sixte II
(st) Grec 25
259 Denys (st) 26
269 Félix I (st)
Romain 27
275 Eutychien
(st) 28
263 Caïus (st)
Dalmate 29
296 Marcelin
(st) Romain 30
308 Marcel I
(st) Romain 31
309 Eusèbe (st)
Grec 32
311 Miltiade
(st) Africain 33
314 Sylvestre I
(st) Romain 34
336 Marc (st)
Romain 35
337 Jules I (st)
Romain 36
352 Libère (st)
Romain
355-365 Félix II, antipape 37
366 Damase I
(st) Espagnol
366-367
Ursinus, antipape 38
384 Sirice (st)
Romain 39
399 Anastase I
(st) Romain 40
401 Innocent I
(st) Albanais 41
417 Zosime (st)
Grec 42
418 Boniface I
(st) Romain
418-419 Eulalius, antipape 43
422 Célestin I
(st) Campanien 44
432 Sixte III
(st) Italien 45
440 Léon I le
grand (st) Italien 46
461 Hilaire (st)
Sarde 47
468 Simplice
(st) Italien 48
483 Félix III
(st) Romain 49
492 Gélase I
(st) Africain 50
496 Anastase II
Romain 51
498 Symmaque
(st) Sarde
498-505 Laurent, antipape 52
514 Hormisdas
(st) Italien 53
523 Jean I (st)
Italien 54
526 Félix IV
(st) Italien 55
530 Boniface II
Romain
530 Dioscore,
antipape 56
533 Jean II
Romain 57
535 Agapet I
(st) Romain 58
536 Silvère
Italien 59
537 Vigile
Romain 60
556 Pélage I
Romain 61
561 Jean III
Italien 62
575 Benoît I
Romain 63
579 Pélage II
Romain 64
590 Grégoire I
le Grand Romain 65
604 Sabinien
Italien 66
607 Boniface III
Romain 67
608 Boniface IV
(st) Italien 68
615 Dieudonné I
(st) Romain 69
619 Boniface V
Italien 70
625 Honorius I
Campanien 71
640 Séverin
Romain 72
640 Jean IV
Dalmate 73
642 Théodore I
Grec 74
649 Martin I
(st) Italien 75
654 Eugène I
(st) Romain 76
657 Vitalien
(st) Italien 77
672 Adéodat
Romain 78
676 Donus Romain
79
678 Agathon (st)
Italien 80
682 Léon II (st)
Italien 81
684 Benoît II
(st) Romain 82
685 Jean V
Syrien 83
686 Conon
Italien
687
Théodore et Pascal,
antipapes 84
687 Serge I (st)
Syrien 85
701 Jean VI Grec
86
705 Jean VII
Grec 87
708 Sisinnius
Syrien 88
708 Constantin
Syrien 89
715 Grégoire II
(st) Romain 90
731 Grégoire III
(st) Syrien 91
741 Zacharie
(st) Grec 92
752 Etienne Italien
celui-ci, étant mort avant sa
consécration qui marquait le début du pontificat officiel, n’est pas
enregistré dans la suite des papes. 93
752 Etienne II
Romain 94
757 Paul I (st)
Romain
767-769 Constantin,
antipape
768
Philippe, antipape 95
768 Etienne III
(st) Italien 96
772 Adrien I
Romain 97
795 Léon III (st)
Romain 98
816 Etienne IV
Romain 99
817 Pascal I
(st) Romain 100
824 Eugène II
Romain 101
827 Valentin
Romain 102
827 Grégoire IV
Romain
844
Jean, antipape 103
844 Serge II
Romain 104
847 Léon I V
(st) Romain 105
855 Benoît III
Romain
855
Anastase, antipape 106
858 Nicolas I
(st) Romain 107
867 Adrien II
Romain 108
872 Jean VIII
Romain 109
882 Marin I
Italien 110
884 Adrien III
(st) Romain 111
885 Etienne V
Romain 112
891 Formose
Italien 113
896 Boniface VI
Italien 114
896 Etienne VI
Romain 115
897 Romain
Italien 116
897 Théodore II
Romain 117
898 Jean IX
Italien 118
900 Benoît IV
Romain 119
903 Léon V
Italien
903-904 Christophore,
antipape 120
904 Serge III
Romain 121
911 Anastase III
Romain 122
913 Landon
Italien 123
914 Jean X
Italien 124
928 Léon VI
Italien 125
928 Etienne VII
Romain 126
931 Jean XI
Romain 127
936 Léon VII
Romain 128
939 Etienne VIII
Romain 129
942 Marin II
Romain 130
946 Agapet II
Italien 131
955 Jean XII
Romain 132
963 Léon VIII
laïc Romain 133
964 Benoît V
Romain 134
965 Jean XIII
Romain 135
973 Benoît VI
Romain
974
Boniface VII,
antipape 136
974 Benoît VII
Romain 137
983 Jean XIV
Italien
984
Boniface VII, de nouveau,
antipape 138
985 Jean XV
Romain 139
996 Grégoire V
Saxon
997
Jean XVI,
antipape 140
999 Sylvestre II
Français 141
1003 Jean XVII
Romain 142
1004 Jean XVIII
Romain 143
1009 Serge IV
Romain 144
1012 Benoît VIII
Italien
1012
Grégoire,
antipape 145
1024 Jean XIX
laïc Italien 146
1032 Benoît IX
Italien
célèbre pour ses dérèglements, il sera déposé 147
1045 Sylvestre
III Romain 148
1045 Benoît IX,
de nouveau déposé 149
1045 Grégoire VI
Romain 150
1046 Clément II
Saxon 151
1047 Benoît IX,
pour la troisième fois 152
1048 Damase II
Bavarois 153
1049 Léon IX
(st) Français 154
1055 Victor II
Allemand 155
1057 Etienne IX
Français
1058
Benoît X, antipape 156
1059 Nicolas II
Français 157
1061 Alexandre
III Italien
1061-1072 Honorius II, antipape 158
1073 Grégoire
VII (st) Italien
1080-1100 Clément III, antipape 159
1086 Victor III
Italien 160
1088 Urbain II
Français 161
1099 Pascal II
Italien
1100
Théodoric, antipape
1102
Albert, antipape
1105-1111 Sylvestre IV, antipape 162
1118 Gélase II
Italien
1118-1121 Grégoire VIII, antipape
163
1119 Calixte II
Français 164
1124 Honorius II
Italien
1124 Célestin II
Romain 165
1130 Innocent II
Italien
1130-1138 Anaclet II, antipape
1138
Victor IV, Grégoire,
antipapes 166
1143 Célestin II
Italien 167
1144 Lucius II
Italien 168
1145 Eugène III
Italien 169
1153 Anastase IV
Romain 170
1154 Adrien IV
Anglais 171
1159 Alexandre
III Italien
1159-1164
Victor IV, antipape
1164-1168
Pascal III, antipape
1168-1178 Calixte III, antipape
1179-1180
Innocent III, antipape 172
1181 Lucius III
Italien 173
1185 Urbain III
Italien 174
1187 Grégoire
VIII Italien 175
1187 Clément III
Romain 176
1191 Célestin
III Romain 177
1198 Innocent
III Romain 178
1216 Honorius
III Romain 179
1227 Grégoire IX
Italien 180
1241 Célestin IV
Italien 181
1243 Innocent IV
Italien 182
1254 Alexandre
IV Italien 183
1261 Urbain IV
Français 184
1265 Clément IV
Français 185
1271 Grégoire X
Italien 186
1276 Innocent V
Italien 187
1276 Adrien V
Italien 188
1276 Jean XXI
Portugais 189
1277 Nicolas III
Romain 190
1281 Martin IV
Français 191
1285 Honorius IV
Romain 192
1288 Nicolas IV
Italien 193
1294 Célestin V
(st) Italien 194
1294 Boniface
VII Italien 195
1303 Benoît XI
Italien 196
1305 Clément V
Français 197
1316 Jean XXII
Français
1328-1330
Nicolas V, antipape 198
1334 Benoît XII
Français 199
1342 Clément VI
Français 200
1352 Innocent VI
Français 201
1362 Urbain V
Français 202
1370 Grégoire XI
Français 203
1378 Urbain VI
Italien 204
1389 Boniface IX
Italien 205
1404 Innocent
VII Italien 206
1406 Grégoire
XII Italien
1378-1394 Clément VII,
antipape
1394-1423
Benoît XIII, antipape
1409-1410 Alexandre V, antipape
1410-1415 Jean XXIII, antipape 207
1417 Martin V
Romain 208
1431 Eugène IV
Italien
1439-1449 Félix V,
antipape 209
1447 Nicolas V
Italien 210
1455 Calixte III
Espagnol 211
1458 Pie II
Italien 212
1464 Paul II
Italien 213
1471 Sixte IV
Italien 214
1484 Innocent
VIII Italien 215
1492 Alexandre
VI Espagnol 216
1503 Pie III
Italien 217
1503 Jules II
Italien 218
1513 Léon X
Italien 219
1522 Adrien VI
Hollandais 220
1523 Clément VII
Italien 221
1534 Paul III
Romain 222
1550 Jules III
Romain 223
1555 Marcel II
Italien 224
1555 Paul IV
Italien 225
1559 Pie IV Italien
226
1566 Pie V (st)
Italien 227
1572 Grégoire
XIII Italien 228
1585 Sixte-Quint
Italien 229
1590 Urbain VII
Romain 230
1590 Grégoire
XIV Italien 231
1591 Innocent IX
Italien 232
1592 Clément
VIII Italien 233
1605 Léon XI
Italien 234
1605 Paul V
Romain 235
1621 Grégoire V
Italien 236
1623 Urbain VIII
Romain 237
1644 Innocent X
Romain 238
1655 Alexandre
VII Italien 239
1667 Clément IX
Italien 240
1670 Clément X
Romain 241
1676 Innocent XI
Italien 242
1689 Alexandre
XIII Italien 243
1691 Innocent
XII Italien 244
1700 Clément XI
Italien 245
1721 Innocent
XIII Romain 246
1724 Benoît XIII
Italien 247
1730 Clément XII
Italien 248
1740 Benoît XIV
Italien 249
1758 Clément
XIII Italien 250
1769 Clément XIV
Italien 251
1775 Pie VI
Italien 252
1800 Pie VII
Italien 253
1823 Léon XII
Italien 254
1829 Pie VIII
Italien 255
1831 Grégoire
XVI Italien 256
1846 Pie IX
Italien (bx) 257
1878 Léon XIII
Italien 258
1903 Pie X (st)
Italien 259
1914 Benoît XV
Italien 260
1922 Pie XI
Italien 261
1939 Pie XII
Romain 262
1958 Jean XXIII
Italien (bx) 263
1963 Paul VI
Italien 264
1978 Jean-Paul I
Italien 265
1978 Jean-Paul
II Polonais |
Jusqu’à une époque récente, les cardinaux étaient
considérés comme des « princes de l’Eglise », et les souverains du
monde les appelaient parfois leurs « cousins ». Depuis Paul VI, ils
ont perdu leur prestige mondain. C’est à Rome, dans les premiers siècles que la
fonction cardinalice a pris naissance. Le titre de « cardinal »
était alors attribué aux prêtres ou diacres, chargés de conseiller un évêque
dans l’administration d’une église locale importante. Plus tard, vers le huitième
siècle, les évêques des diocèses voisins de Rome, appelés « diocèses
suburbicaires », reçurent le titre cardinalice. Plus tard encore, ce
titre fut attribué à des évêques ou à des prélats, qui aidaient le pape dans
son gouvernement : pour ce faire, ils quittaient leur diocèse pour travailler
à l’administration centrale de l’Eglise. Le pape Sixte-Quint établit, en 1586,
une législation à propos des cardinaux : il les établissait comme les sénateurs
de l’ancienne Rome, il prenait également exemple sur le conseil des vieillards
qui aidaient Moïse, au temps de l’exode. Pour cette raison, il fixa à
soixante-dix leur nombre. Mais, dans le même temps, ces cardinaux devenaient
de véritables princes, qui n’avaient plus grand-chose à voir avec la charge
des clercs : que l’on songe au cardinal Mazarin... Le cardinalat ne gardait
pratiquement aucun lien avec l’idéal de la pauvreté évangélique. Une réforme
devenait nécessaire : elle s’est faite par étapes. D’abord Pie XII
entreprit d’enlever à l’Italie le privilège presque exclusif du cardinalat.
Son successeur, Jean XXIII, décidait de ne plus limiter le Sacré-Collège au
nombre de soixante-dix ; sous son pontificat, le collège des cardinaux devait
atteindre quatre-vingt dix membres, tous évêques. Mais c’est Paul VI qui
entreprit la plus grande réforme du Sacré-Collège. En février 1965, il y admet
des patriarches orientaux ; en juin 1967, le Collège regroupe cent
dix-huit membres ; en novembre 1970, il fixe la limite d’âge des cardinaux
électeurs du pape à quatre-vingts ans ; en mars 1973, il élargissait la
possibilité de participer au conclave et donc d’élire son successeur à des
évêques et des patriarches qui n’étaient pas membres du Collège cardinalice.
Le Vatican n'est pas un Etat comme les autres, en
raison de sa taille : quarante-quatre hectares à peine. Pourtant, il reste un Etat,
même s'il est le plus petit du monde, il est reconnu par les nations, alors
que, géographiquement, il ne représente qu'un quartier de la ville de Rome.
C'est un Etat symbolique, si l'on considère sa superficie ou sa puissance militaire,
mais c'est un Etat écouté dans le concert des nations, en raison de la
personnalité morale de son chef et de l'autorité spirituelle qui lui est
reconnue par plus de sept cents millions de fidèles. Le Vatican est représenté
auprès des différentes nations par des nonces ou des délégués apostoliques,
chargés d’entretenir des relations officielles avec les gouvernements des pays
dans lesquels ils sont en mission. Le « Saint-Siège », autre nom
donné à l'Etat du Vatican, dispose d'observateurs auprès des instances
internationales, comme l'Organisation des Nations Unies ou le Conseil de
l'Europe...
Le Vatican compte à peine qu'un millier
d'habitants, dont la moitié seulement jouissent de la citoyenneté ; il s'agit
de cardinaux, de prêtres, de diplomates et des gardes suisses qui assurent la
police et l'armée de cet Etat. Le Vatican émet sa propre monnaie, en euros. Le
chef de cet Etat n'est autre que le pape, la forme de son gouvernement est
celle d'une monarchie élective à vie. Le pape dispose de tous les pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire : il existe au Vatican un tribunal de
première instance, une cour d'appel et une cour de cassation qui exercent leurs
fonctions au nom du pape. Enfin, depuis 1954, cet Etat est placé sous la
protection de la Convention de La Haye, en cas de conflit armé, d'autant plus
que les corps militaires n'existent plus - mise à part la garde suisse - depuis
1970.
Le gouvernement du pape repose sur la Curie, qui
regroupe des organismes dont les institutions remontent à plusieurs siècles.
La
Secrétairerie d'Etat occupe une place importante, elle fait penser au cabinet
privé d'un chef d'Etat. Le cardinal secrétaire d'Etat est le premier collaborateur
du pape, il est chargé des relations du Saint-Siège avec les gouvernements avec
lesquels le Vatican entretient des relations diplomatiques.
Les
congrégations sont des commissions stables qui, sous la direction d'un cardinal,
sont chargées d'étudier les affaires de l'Eglise, dans leur diversité.
La
congrégation pour la doctrine de la foi a pris le relais de la congrégation de
l'Inquisition, instituée en 1542 pour lutter contre les hérésies qui menaçaient
l'Eglise à la Renaissance, devenue le Saint-Office, elle est chargée d'examiner
les questions relatives à la foi et à la morale.
La
congrégation pour les Eglises orientales est chargée des questions relatives
aux chrétiens d’Orient, soit environ onze millions de fidèles, dont près de la
moitié sont persécutés par les autorités civiles de leur pays respectif.
La
congrégation pour les évêques est chargée de tout ce qui peut concerner les
trois mille sept cents évêques, répartis en deux mille trois cent quatre-vingts
diocèses, à l'exception de ceux qui sont soumis à la juridiction de la
congrégation pour les Eglises orientales ; c'est cette congrégation qui est
chargée de la création de nouveaux diocèses ou de la désignation des nouveaux
évêques, en négociant ses décisions avec les pouvoirs civils.
La
congrégation pour les sacrements et le culte est chargée de la discipline en
matière de sacrements, en particulier des conditions de validité du mariage ou
des ordinations sacerdotales.
La
congrégation pour les causes des saints est chargée de l'examen des différentes
causes des serviteurs de Dieu, dont elle entreprend le procès canonique, fondé
sur l'examen de leurs écrits ou de leurs enseignements, de leurs vertus ou des
miracles qu'ils ont pu accomplir, après leur mort, en réponse à leur invocation
par des fidèles ; après le procès canonique, un rapport est adressé au pape qui
procède lui-même à la canonisation solennelle de tel ou tel serviteur de Dieu.
La
congrégation pour le clergé s'occupe de la vie et du ministère des deux cent
soixante mille prêtres séculiers répartis dans le monde, elle est également
chargée de ce qui peut concerner la vie matérielle des prêtres et
l'administration des biens temporels de l'Eglise universelle.
La
congrégation pour les religieux et les instituts séculiers a une juridiction totale
sur tous les religieux, qu'ils soient ou ne soient pas prêtres, et sur toutes
les religieuses de rite latin : elle est chargée de promouvoir le renouveau de
la vie religieuse dans le monde présent.
La
congrégation pour l'éducation catholique est subdivisée en plusieurs bureaux
pour régler les affaires qui concernent l'éducation chrétienne, comme la formation
des prêtres, les universités et instituts d'enseignement supérieur catholique,
les écoles non universitaires quel que soit le niveau de l'enseignement qui y
est dispensé ; sa juridiction ne s'étend pas cependant aux affaires orientales,
qui sont soumises à la congrégation pour les Eglises orientales.
La
congrégation pour l’évangélisation des peuples exerce sa juridiction sur tous
les pays considérés comme « pays de mission » : tout en respectant le
souci premier de l'évangélisation de ces peuples, elle est chargée de veiller,
avec une particulière attention, à la promotion du clergé autochtone, sont
elle doit susciter la vocation et veiller à l'expansion, par respect pour les
Eglises locales.
Ces congrégations, appelées également « dicastères »,
sont animées d'un souci de service de l'Eglise. Le gouvernement de l'Eglise
repose aussi sur différents secrétariats.
Jean
XXIII a ouvert la voie à un nouveau type de dialogue entre la papauté et l'Eglise.
En annonçant l'ouverture du Concile Vatican II, il créa le Secrétariat pour
l'unité des chrétiens afin d'établir des relations nouvelles et fraternelles
avec les chrétiens qui ne sont pas de confession catholique.
Paul
VI créa un Secrétariat pour les non-chrétiens chargé de nouer des relations
avec les croyants qui n'appartiennent pas au christianisme, pour permettre aux
chrétiens de les connaître et de les estimer et pour que les non-chrétiens puissent
connaître et apprécier la foi chrétienne dans toutes ses dimensions.
Après
avoir renoué les contacts avec les non-catholiques, et ouvert le dialogue avec
les non-chrétiens, Paul VI souhaita ouvrir le dialogue avec les incroyants : le
Secrétariat pour les non-croyants trouvait là son acte de naissance ; sa
mission est d'étudier le phénomène de l'athéisme et d'entreprendre des
relations avec (et non pas contre) les incroyants, en s'appuyant sur les
Eglises locales, affrontées directement au phénomène de l'incroyance.
Le
Conseil pontifical pour les laïcs est créé pour le service et la promotion de
l'apostolat des laïcs chrétiens, qui peuvent jouer un rôle important dans la
mission évangélisatrice de l'Eglise dans les différentes communautés au sein
desquelles ils vivent chaque jour.
La
Commission pontificale « Justice et paix » veut favoriser partout
dans le monde la justice ; elle se doit de veiller à la promotion et à
l'essor des nations pauvres et d'inciter les nations à vivre dans la justice
sociale, en travaillant au développement des peuples et en faisant respecter
les droits de l'homme.
L’organisme
« Cor unum » est à lui seul tout un programme : il lui revient
d'apporter les secours d'urgence aux victimes des catastrophes et de
travailler au développement des peuples.
Le
tribunal de la signature apostolique veille à la parfaite administration de la
justice dans toute l'Eglise et à la régularisation des concordats qui peuvent
être conclus entre les nations et le Saint-Siège ; il étend sa compétence sur
les différents contentieux qui peuvent naître des actes de l'administration
ecclésiastique.
La
rote romaine est une véritable cour d'appel qui examine les causes déjà jugées
par les tribunaux ecclésiastiques ordinaires, en particulier les causes de nullité
de mariage, celles qui font qu'un mariage sacramentel n'a pas réuni toutes les
conditions nécessaires à sa validité.
La
pénitencerie apostolique est chargée d'assurer toujours la paix des consciences,
même en cas de vacance du siège apostolique : elle peut examiner les affaires
de conscience, même celles qui ne relèvent pas directement du sacrement de la
réconciliation.
Ces organismes du gouvernement de l'Eglise doivent
avoir pour règle de conduite de toujours remplir leur service qualifié, de
manière profitable aux différents épiscopats du monde, dans leur ministère auprès
des hommes qu'ils rencontrent.
Appelée à travailler à l'évangélisation, l'Eglise
est aussi une institution humaine ; dans ce monde, la puissance de
l'argent est souvent souveraine. Si le Christ n'avait pas une pierre où reposer
la tête, il semble que ce ne soit pas le cas de l'Eglise ; beaucoup pensent
que le Vatican est une puissance financière. La richesse de l'Eglise apparaît
comme un mythe : le Vatican n'est qu'un petit Etat parmi les puissances
mondiales, mais cet Etat a hérité de l'histoire des biens immobiliers et des
richesses enfermées dans ses musées. Ces richesses sont sans prix mais il
est impossible de les monnayer, elles font partie du patrimoine, et leur
entretien est onéreux. D'autre part, il semble que l'argent afflue, du monde
entier vers le Vatican ; mais cet argent est immédiatement mis au service
de l'Eglise universelle. Une partie est destinée à subvenir aux besoins les
plus urgents des jeunes Eglises, fondées dans les pays en voie de
développement et qui ne peuvent survivre que par les allocations du
Vatican... Une autre partie de cet argent sert à subvenir à la marche des
services centraux de l'Eglise... Le budget de l'Eglise est déficitaire.
En France, la réputation de l'Eglise d'être riche
est aussi illusoire. Certes, l'Eglise de France dispose de biens
immobiliers : évêchés, séminaires, presbytères, couvents... tout un
étalage de biens qui semblent être importants. Depuis la séparation de
l'Eglise et de l'Etat, la plupart des églises et des presbytères sont la
propriété des communes. Les autres établissements, affectés aux besoins de l'administration
ou de l'évangélisation, ne sont pas rentables : en France, l'Eglise est
loin d'être riche, une bonne partie du clergé n'a que le minimum pour vivre.
Malgré cela, l'Eglise de France demeure généreuse, avec le souci de partager
avec les jeunes Eglises.
Selon la conception catholique, le diocèse
constitue la communauté de base. Le diocèse regroupe, sur un territoire assez
vaste, une partie du peuple chrétien confié à un évêque. En France, les
diocèses correspondent, en gros, aux départements… Loin d'être un préfet ou un
administrateur, l'évêque apparaît comme le chef d'une équipe, qui se doit de
permettre à tous ses collaborateurs de pouvoir travailler ensemble à
l'évangélisation. Il est parfois aidé d'un évêque coadjuteur ayant droit de
succession ou d'un ou de plusieurs évêques auxiliaires, qui n'ont pas le droit
de succession ; ses collaborateurs immédiats, les vicaires généraux ou
vicaires épiscopaux, forment, sous sa direction, le conseil épiscopal qui
examine régulièrement les besoins du diocèse ; il dispose également d'un
conseil presbytéral, composé uniquement de prêtres, et d'un conseil pastoral,
composé de clercs mais aussi de religieux et de laïcs.
Le diocèse est subdivisé en unités plus
restreintes. L'archidiaconé ou l'archiprêtré correspond à la délimitation administrative
de l'arrondissement, le doyenné correspond au canton, la paroisse correspond à
la commune ou à un grand quartier d'une commune, pour les villes importantes.
La paroisse est la cellule de base de la communauté, puisque sa mission est
de rassembler les catholiques habitant sur un même territoire, sans ternir
compte des milieux socioculturels : la paroisse est confiée soit à un
prêtre seul, le curé, soit à une équipe de prêtres, l'équipe sacerdotale.
Si l'évêque est l'unique responsable du peuple de
Dieu résidant sur un territoire délimité, le diocèse, il n'en demeure pas moins
lié aux autres évêques d'une même nation, afin de former avec eux des conférences
épiscopales. En France, chaque année, début Novembre, les évêques prennent le
chemin de Lourdes pour une semaine de travail en commun. Les Commissions
épiscopales travaillent les nombreux dossiers que la Conférence doit examiner.
Ces commissions sont au nombre de quinze : Famille et communautés
chrétiennes, Monde ouvrier, Monde rural, Milieux indépendants, Enfance et
jeunesse, Monde scolaire et universitaire, Migrations, Clergé et séminaires,
Etat religieux, Liturgie et pastorale sacramentelle, Commission sociale,
Opinion publique, Enseignement religieux, Missions à l'extérieur, Unité des
chrétiens. Il existe, en outre, six comités épiscopaux : les Finances, la
Mission de France, la Mission ouvrière, les Relations avec le Judaïsme, les
Relations entre la France et l'Amérique latine, le Comité de la Mer. Un
Secrétariat Général de l'épiscopat assure la coordination de tous les travaux
et le fonctionnement normal de toute la structure.
Au niveau international, le concile oecuménique
est le rassemblement de tous les évêques du monde, en une assemblée délibérante
autour du pape, le chef du collège épiscopal. Ce rassemblement a pour objet de
résoudre les grands problèmes qui peuvent se poser à l'Eglise catholique aux
grands moments de son histoire. Les difficultés d'organisation et de
convocation de tous les évêques en conciles ne peuvent rendre ceux-ci que très
exceptionnels. C'est pour répondre à un souhait des évêques qu'a été créé le Synode
épiscopal qui signifie l'esprit collégial qui anime tous les évêques :
cette assemblée apparaît comme le carrefour des différentes expériences des
Eglises locales qui donne à chacune d'elle sa dimension de catholicité.
Il existe aussi des Eglises locales qui ne
relèvent pas directement de la juridiction du pape : ce sont les Eglises
catholiques orientales, elles sont minoritaires parmi leur soeurs, les Eglises
orthodoxes, elles ont gardé avec Rome des liens de solidarité et de communion.
Elles constituent une forme particulière de l'Eglise catholique, qui pourrait
être une voie privilégiée pour l'oecuménisme, puisqu'elles forment le lien entre
l'Eglise d'Occident et les Eglises orthodoxes d'Orient. Les différences
demeurent dans une question de rite. En plus du rite maronite entièrement
catholique, on trouve d'autres rites proprement orientaux : le rite
byzantin (grec, melkites, slaves), le rite arménien, le rite syrien, le rite
chaldéen, le rite copte (égyptien et éthiopien). Ces Eglises catholiques
orientales occupent une position inconfortable entre les deux grandes Eglises,
catholique et orthodoxe. Autrefois considérées comme « traîtres » par
l'Orthodoxie et comme « simples appendices » par le Catholicisme.
Des Eglises locales d'Orient se sont séparées de
Constantinople, bien avant la rupture de Michel Cérulaire, pas seulement pour
des questions de discipline ecclésiastique ou de rattachement à Constantinople,
mais beaucoup plus pour des questions dogmatiques qui mettaient en cause la foi
chrétienne. Considérées comme hérétiques ou comme schismatiques, ces Eglises se
sont fermées sur elles-mêmes, dans un caractère fortement nationalisant :
ce sont les Eglises arménienne, chaldéenne, copte, syrienne. Il est possible de
ranger les Eglises orientales séparées sous deux qualifications, les
nestoriennes et les monophysites, en raison de leurs origines, au cinquième
siècle, dans les discussions à propos de la personne du Christ, prolongeant les
querelles provoquées par Arius. Le problème posé était de connaître le statut
du Christ et de l'union en lui des deux natures, la nature humaine et la nature
divine. Selon qu'en lui est reconnue la nature humaine exclusivement ou la
nature divine exclusivement, on tombe dans le nestorianisme ou dans le
monophysisme.
Malgré les tragédies qu'a pu connaître l'histoire
des Eglises orientales, elles ont survécu au prix de persécutions et
d'humiliations en tout genre, mais en gardant leur fidélité à la tradition
d'origine absolument intacte, ce qui leur donne, à l'époque actuelle, un
aspect très particulier par rapport à toutes les autres Eglises qui ont fait
évoluer leurs propres traditions au fil de l'histoire.
Les théologiens sont unanimes, quant à eux, pour
affirmer que chaque Eglise chrétienne possède quelque chose d'original qu'elle
doit apporter dans l'édification commune, et qu'il serait scandaleux d'effacer
: la spiritualité orthodoxe, l'attachement des protestants à l'Ecriture
Sainte, le sens catholique de la tradition chrétienne. Il faut harmoniser
l'unité et la pluralité ; c'est une rude tâche qui est encore à accomplir dans
la marche vers une seule Eglise, riche de sa diversité, riche de la diversité
des dons de Dieu, riche de la diversité des institutions humaines.
La communion orthodoxe
Dans le contexte
occidental, le terme « orthodoxie » désigne, de manière générale, l'Orient
chrétien. Composé de deux termes grecs, orthos et doxa, ce concept indique, selon
l’étymologie, simultanément : « l'opinion juste », « la juste
doctrine », « la foi véritable », d'une part, et « la
juste glorification » d'autre part. C'est de cette double acception que
découle le sens théologique de l'orthodoxie : le chrétien orthodoxe est le
fidèle de l'Eglise qui est fondée sur la foi véritable, il est chargé d'une
mission de glorification du seul vrai Dieu révélé définitivement en
Jésus-Christ. En soulignant l'aspect de la foi juste et véritable, le terme
d'orthodoxie s'oppose à celui d'hétérodoxie, concept qui souligne le caractère
hérétique de celui qui n'accepte pas la foi définie par l'Eglise et qui adopte
en conséquence des chemins déviés au lieu de suivre la droite ligne décrite
par le magistère ecclésial. En ce sens étymologique, qui est également un sens
théologique, tous les chrétiens peuvent revendiquer, quelle que soit leur
confession, le titre d'orthodoxe.
Cependant, ce terme a pris
un sens plus spécifique pour désigner les chrétiens qui ont accepté les
décisions du concile de Chalcédoine, sommet de la réflexion théologique concernant
le Christ. En 451, ce concile fixait la foi en Jésus Christ d'une manière
précise et irrévocable pour les siècles à venir : « Nous enseignons tous
à confesser (reconnaître) un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le
même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et
vraiment homme, composé d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au
Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l'humanité, "en tout
semblable à nous sauf le péché" (He. 4, 15). Avant les siècles engendré
du Père selon la divinité, et, né en ces derniers jours, né pour nous et pour
notre salut, de Marie, la Vierge, mère de Dieu, selon l'humanité. Un seul et
même Christ Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître en deux natures,
sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. La différence
des natures n'est nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés
de chacune sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule
hypostase. Il n'est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais il est un seul
et même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ, comme autrefois les
prophètes nous l'ont enseigné de lui, comme lui-même Jésus-Christ nous l'a
enseigné, comme le Symbole des Pères nous l'a fait connaître ». D'après la
décision des Pères conciliaires, il ne pouvait plus être proposé d'autre foi
que celle décrite par eux : « Ces points ayant été déterminés avec une
précision et un soin des plus extrêmes, le saint Concile oecuménique a défini
qu'une autre foi ne pouvait être proposée, écrite, composée, pensée ou enseignée
aux autres par qui que ce soit ». Le chrétien orthodoxe est alors celui
qui accepte cette définition relative à la personne du Christ.
S'il est relativement
facile de dater les origines du christianisme, s'il est également facile de
situer les débuts de la Réforme protestante, il est plus difficile de situer
les origines de l'orthodoxie, en tant que confession chrétienne séparée de
Rome. Une chronologie impose l'année 1054, date à laquelle les ambassadeurs
romains, conduits par le cardinal Humbert, jettent l'anathème sur les patriarches
byzantins, lesquels les déclarent, à leur tour, anathèmes : les discussions
entre l'Eglise de Rome et l'Eglise de la nouvelle Rome, Constantinople,
semblaient avoir atteint leur point de rupture sans appel… Mais, en réalité,
les événements des dix premiers siècles de christianisme avaient déjà effectué
cette rupture : l'Eglise romaine s'était laissée gagner par le centralisme de
l'empire romain et prétendait imposer son autorité sur l'ensemble des Eglises
locales répandues à travers le monde. Ce que les persécutions des premiers
temps n'avaient pas réussi à effectuer, l'organisation hiérarchique de
l'Empire le fera d'une manière irréversible.
Alors que le mouvement de
l'évangélisation s'est répandu dans l'Empire, au cours du premier siècle, les
chrétiens ne constituent pas encore une Eglise unifiée. Les Eglises, fondées
par les apôtres ou les missionnaires qu'ils ont délégués, sont différentes et
assez indépendantes les unes des autres. De plus, à l'intérieur de chacune
d'elles, des classes, des tendances, des factions se dressent, s'opposent et
s'affrontent fréquemment. Les lettres de l'apôtre Paul et les « sept
lettres aux Eglises d'Asie » qui ouvrent le livre de l'Apocalypse de Jean
en apportent une preuve évidente. Ainsi, sur la question de l'obéissance au
pouvoir civil, les avis sont divergents. Certains chrétiens insistent sur le
respect et l'ordre qu'il convient d'entretenir vis-à-vis des autorités, tandis
que d'autres expriment leur lassitude en face d'un pouvoir païen. L'Orient
demeure irréductible aux pressions que Rome exerce. L'hostilité s'installe en
face de l'administration, notamment sous le règne sanglant de l'empereur Néron.
Cette hostilité n'est cependant le fait que d'une minorité, mais des voix se
font entendre pour réclamer l'unité des chrétiens dans ce domaine.
C'est dans ce contexte
qu'il convient de placer la lettre du responsable de l'Eglise qui séjourne à
Rome à l'Eglise qui séjourne à Corinthe (« qui séjourne », car le
véritable lieu de l'Eglise ne se trouve pas sur cette terre, le domaine de
l'Eglise se situe dans les cieux). Cette lettre de l'année 96 est un texte de
Clément, que les écrivains chrétiens ultérieurs présenteront comme le
troisième évêque des Romains, après Lin et Anaclet : il tient fermement le
gouvernail de l'Eglise de Rome et prétend aussi réglementer l'Eglise de
Corinthe, ce qui est une nouveauté radicale dans la conception de l'Eglise. Clément
évoque brièvement le témoignage (marturion) rendu jusqu'à la mort, par les
colonnes de l'Eglise, Pierre et Paul, qui ont péri, au milieu d'une multitude
de frères, sous la persécution de Néron, en 64.
Ce sont ces événements qu'a
connus l'Eglise de Rome qui ont empêché son évêque de se pencher sur les
problèmes de Corinthe. Que s'était-il passé à Corinthe ? Un conflit avait
éclaté entre les presbytres, les prêtres, et certains individus qui les
avaient destitués de leur charge. Ce qui inquiète l'évêque de Rome, c'est le
soulèvement des chrétiens contre l'autorité de leurs prêtres. Il souhaite que
chacun rentre dans le rang, afin que l'ordre puisse régner de nouveau dans
l'Eglise de Corinthe. Pour justifier l'obéissance due aux évêques et aux
prêtres, Clément va employer un argument qui fera autorité : il justifie
l'ordre hiérarchique par le fait que Jésus a été envoyé par Dieu, il a envoyé
ses apôtres, qui ont établi les évêques, les prêtres et les diacres. Ce
faisant, Clément fondait théologiquement ce que, par la suite, on appellera « la
succession apostolique » : obéir aux prêtres, c'est obéir à Dieu ; aussi
chaque fidèle doit-il chercher à plaire à Dieu dans le rang qui est le sien. De
quel droit Clément intervenait-il dans les affaires d'une Eglise qui n'était
pas la sienne ? Non content de mener son troupeau à la baguette, il étendait
son pouvoir sur les autres Eglises. Il ne fondait pas ce droit sur le privilège
d'être le successeur de Pierre, ni sur celui de représenter l'Eglise qui avait
connu la présence et la mort des apôtres Pierre et Paul. Il semble que c'est
simplement le prestige de la capitale impériale qui a donné à ce responsable ecclésiastique
un aplomb tel qu'il se considérait comme chargé d'une fonction de présidence
sur l'ensemble des Eglises. La réaction de l'Eglise de Corinthe n’est pas
connue, mais ce qui est certain, c'est que le centralisme entrait dans
l'Eglise.
Néanmoins, les évêques
gardent leur autorité sur le peuple qui leur est confié, car ils représentent
ensemble et simultanément l'unité de la foi. L'action des évêques s'exerce sur
la communauté qu'ils dirigent en succédant aux apôtres, mais, à partir du
deuxième siècle, leur action se généralise : ils se rassemblent en synodes locaux
pour régler telle ou telle question, ils s'organisent en provinces religieuses,
sur le modèle des provinces impériales.
Dans cette confédération
d'Eglises, l'Eglise de Rome semble détenir une autorité particulière ;
Polycarpe vient à Rome, en 155, pour traiter divers problèmes avec l'évêque
Anicet ; Denys de Corinthe écrit à Sôter et à l'Eglise des Romains. L'importance
politique, culturelle et intellectuelle de la capitale rejaillissait sur le
caractère ecclésial : Rome n'est plus seulement considérée comme une des
traditions héritées des apôtres, c’est l'Eglise qui conserve la tradition de
Pierre, et de ce fait se trouve investie d'une autorité particulière. Les communautés
reconnaissent une présidence pour l'épiscope de la capitale. Dès lors, une
hiérarchisation des évêchés va s'opérer, selon l'ancienneté de la fondation ou
selon le prestige du fondateur, ou selon l'importance civile de la ville.
Le message chrétien a
retenti dans le monde oriental : les premiers missionnaires ont été des Orientaux,
et ils ont adopté la langue commune de l'époque, le grec, qui servait aux
échanges entre les nations et qui allait devenir la langue liturgique des
premières générations. Seulement, dès la fin du deuxième siècle, le latin tend
à se répandre de plus en plus comme seule langue officielle dans l'ensemble de
l'empire. IL est possible d’y trouver la première distinction entre les
chrétiens d'Occident et ceux d'Orient : un mouvement de latinisation vise à
faire de cette langue la seule reconnue officiellement en Occident, alors que
le monde oriental, tout en laissant au grec une prédominance, admettra l'usage
des dialectes locaux, pour l'usage liturgique et pour la lecture de la Bible.
Cette distinction
linguistique serait sans grande importance si, de part et d'autre, les concepts
théologiques recouvraient les mêmes acceptions. Or, il arrive souvent que les
mêmes termes finissent par donner lieu à des interprétations différentes. Sans
être cause de division de l'Eglise, la querelle linguistique ne va pas tarder
à donner le jour à une méconnaissance réciproque et à une séparation entre les
deux cultures. Ce phénomène d'ignorance mutuelle ira s'aggravant avec la
division de l'empire romain en un empire d'Orient et en un empire d'0ccident,
avec la création d'une nouvelle capitale, Constantinople, qui remplacera
rapidement, aux yeux des Orientaux, l'antique capitale. Par voie de
conséquence, l'autorité privilégiée de l'Eglise de Rome sera mise en question,
signe que la prééminence de l'Eglise romaine tenait beaucoup plus à sa place
dans la capitale impériale qu'à une succession apostolique de Pierre martyrisé
dans cette ville.
La rupture sera donc plus
une question politique qu'une affaire religieuse : la rivalité entre les
capitales a joué un rôle considérable, indépendamment des questions
théologiques, puisque, face à certaines hérésies, Rome et Constantinople
finissaient par trouver un accord, pour sauvegarder la vérité de la doctrine
chrétienne. Les deux Eglises méritaient également le titre « d'orthodoxe »,
elles détenaient conjointement la doctrine dans sa pureté. Pourtant, avec une
grande souplesse, l'Eglise orientale s'adaptera aux divisions administratives
de l'empire, s'organisant en provinces ecclésiastiques, en métropoles, en supermétropoles,
tenant beaucoup plus à l'importance civile des localités qu'à la fondation des
premières communautés à travers le pays par les apôtres ou leurs disciples
immédiats. La nouvelle capitale n'est qu'un petit évêché, en face des six
supermétropoles des deux empires : Rome, Alexandrie, Antioche, Césarée de
Cappadoce, Ephèse et Héraclée de Thrace. Le deuxième concile oecuménique, en
381, mettra la nouvelle capitale à égalité d'honneur avec la supermétropole
romaine, promotion qui sera consacrée au concile de Chalcédoine, en 451. En
revanche, l'Occident restera attaché au principe de l'apostolicité, de la fondation
de la communauté romaine par les apôtres Pierre et Paul : la ville éternelle
reste le seul siège de la primauté pour l'Eglise d'Occident alors que, sous la
pression des invasions barbares, l'Empire se disloque de toutes parts.
Tandis que, grâce à
Constantin, les persécutions avaient cessé, des crises internes vont ébranler
la foi de l'Eglise. Dans l'état de paix qui s'instaurait depuis l'édit de
Milan, en 313, une doctrine théologique se développait, mettant en cause la
personne même du Christ, le Fils éternel du Dieu Père. Arius, prêtre
d'Alexandrie, voulait conserver au Père la seule absolue divinité, renouant
avec le caractère du monothéisme absolu, à la manière du judaïsme, faisant
du Fils une créature particulière, mais une créature quand même : il lui
refusait donc l'égalité avec Dieu. Son évêque le fit condamner par un concile
local, mais l'affaire n'en resta pas là, elle s'étendit même hors des frontières
de l'Egypte, au point que l'agitation se répandait dans l'empire romain.
Constantin, décidé à faire du christianisme une religion d'Etat, convoqua un
concile, le premier à être dit « œcuménique », c'est-à-dire regroupant
tous les évêques du monde, afin d'exprimer clairement la foi. Ce fut le
concile de Nicée, en 325, qui proclama que Jésus-Christ est « le Fils
unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé, de
même nature que le Père ». Cependant, la crise arienne et ses conséquences
n'étaient pas encore totalement expurgées. Pour tenter d'en terminer avec ces
erreurs et ces discussions, l'empereur Théodose, à son tour, convoqua un nouveau
concile à Constantinople, en 381 ; mais à ce deuxième concile, les évêques
occidentaux ne furent même pas invités. Ce concile réaffirma la foi de Nicée,
c'est-à-dire l'unité absolue de Dieu inséparable de sa diversité, non moins
absolue, dans les trois personnes, du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint.
Ainsi, la réflexion théologique commençait dès le quatrième siècle, en se donnant
des concepts philosophiques ; elle allait se poursuivre jusqu'au second
concile de Nicée, en 784. Elle était centrée sur le problème du Christ, vrai
Dieu et vrai homme, fils de Dieu et fils de Marie, laquelle est présentée
comme « Mère de Dieu », au concile d'Ephèse, en 431. Puisque le
Christ est véritablement homme, il est possible de le représenter dans des images,
comme le permet le second concile de Nicée, favorisant un culte particulier à
l'0rient, celui des icônes.
Pendant ces cinq siècles
de méditation sur le mystère du Christ et de son incarnation, les Eglises d'Orient
se sont organisées autour des patriarches, dont les sièges sont alors à
Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Avec l'accession de
Constantinople au titre de patriarcat, les sièges supermétropolitains de
Césarée, d'Ephèse et d'Héraclée redeviennent simplement métropolitains. Le
choix d'un siège à Jérusalem porte à cinq le nombre de sièges patriarcaux,
puisque Rome garde aussi ce titre.
Les empereurs assument la
tutelle du christianisme : s'il ne leur est pas donné de dire la foi, ils
n'hésitent pas à promouvoir l'unanimité religieuse sur toute l'étendue de leurs
territoires, en consolidant les structures des communautés placées sous leur responsabilité.
Ils se chargent de la nomination de certains patriarches orientaux, alors que
l'évêque de Rome est élu parmi le clergé de cette Eglise par les membres de la
communauté chrétienne. Ce sont aussi les empereurs qui convoquent les conciles
où sont discutées les questions relatives à la foi : ces assemblées sont
également sanctionnées selon l'autorité impériale Et, fait notable, les sept
premiers conciles oecuméniques se réunissent sur le territoire du patriarcat
grec, ce qui explique la large majorité de ce patriarcat sur l'ensemble de
l'Eglise.
Mais il y a plus qu'une
simple tutelle impériale ; les empereurs ne se contentent bientôt plus
d'entériner les décisions ecclésiastiques sur le plan civil, ils se décident à
imposer leur discipline à l'ensemble de l'Eglise, sans se soucier des
particularismes grecs ou latins. L'Eglise d'Orient se trouve facilement
asservie au pouvoir politique, alors que l'Eglise d'Occident cherche à s'en
libérer, imposant son autorité sur les décisions politiques des chefs des
nations occidentales. Néanmoins, une communion de pensée et même une grande
solidarité unissent l'empereur de Constantinople et le patriarche de cette
ville.
La désagrégation de l'empire
d'Occident était compensée en Orient par la prédominance de l'empire autour de
Constantinople. En Occident, l'administration ecclésiastique sombrait
également dans l'anarchie, à l'exception de l'Italie centrale. Le prestige de
l'ancienne capitale déclinait et la nouvelle Rome, Constantinople, espérait
prendre le relais. Il en était de même dans l'organisation religieuse
orientale. Le patriarche de Constantinople envisageait de prendre à son propre
compte l'autorité qui était celle du pape, évêque de Rome. Tout le litige qui
séparait l'Eglise de Rome et celle de Constantinople repose sur une conception
différente du gouvernement de l'Eglise. Pour Rome, l'autorité venait du fait
de la fondation de l'Eglise sur la colonne de l'Eglise qu'était l'apôtre
Pierre, tandis que, pour l'Eglise d'Orient, le principe d'autorité ne résidait
pas dans la personne du fondateur, même si, ultérieurement, elle finira par
invoquer le patronage de l'apôtre André, le premier appelé par le Seigneur
Jésus : l'autorité ecclésiastique ne vient pas d'un type d'origine apostolique,
mais bien plus du droit positif qui est conféré à une cité par les événements
politiques. Cette opposition entre Rome et Constantinople ne pouvait
qu'engendrer des conflits : le pape s'estimait avoir le droit, sinon le devoir,
de déposer des patriarches grecs, en raison de la suprématie de droit divin
qui lui était conférée en tant que successeur de Pierre. Si le pape n'avait pas
été un sujet de l'empereur au même titre que les autres, la rupture entre les
Eglises serait venue de manière plus rapide ; mais l'Italie était restée une
base militaire et diplomatique, une sorte de plaque tournante dans le monde
antique, aussi la rupture fut-elle souvent évitée.
La séparation ne fut
jamais aussi proche qu'au début du neuvième siècle. Le couronnement de
Charlemagne par le pape Léon, en 800, inaugurait la création d'un nouvel empire
chrétien en Occident, au profit des barbares, francs et germaniques. En effet,
pour les grecs, il ne pouvait y avoir qu'un seul empereur légitime, qu'un seul
empire chrétien, celui de la nouvelle Rome. A ce déchirement fortement politisé
s'est aussi ajouté une problématique théologique : la question de l'Esprit
Saint dans la Trinité divine. Les théologiens de Charlemagne ont irrité les Orientaux
par leur attitude narquoise à l'égard des icônes ; ils les ont scandalisés en
glissant, à la suite des Espagnols, le « Filioque » dans le symbole de
Nicée-Constantinople. Au deuxième concile oecuménique, réuni dans la ville
impériale, les pères avaient défini l'origine de l'Esprit, en disant qu'il « procédait
du Père ». Les Espagnols avaient ajouté « et du Fils » (en
latin, Filioque) à cette affirmation : le Fils se trouvait uni au Père, dans
la procession de l'Esprit. Si l'Eglise d'Orient acceptait de reconnaître que
la vie divine venait du Père, principe et source de toute la divinité, si elle
acceptait de reconnaître également que cette vie divine venait par le Fils,
elle refusait de faire de l'Esprit une personne issue du Fils, de la même
manière qu'elle est issue du Père. Cela aurait pu être une simple querelle
théologique, sans grande conséquence sur la vie des chrétiens, si les
empereurs carolingiens, puis germaniques, n'avaient accusé les Grecs d'avoir
amputé le Symbole de la foi de la mention du « Filioque ». Cette question
ne fut pas la seule à troubler l'Eglise...
En 858, par la décision de
l'empereur, Photius prenait la place du patriarche Ignace qui avait été
déposé. Le pape se mêla de cette question ; simultanément, il envoyait des
missionnaires latins en Bulgarie pour répandre la foi romaine, en dénigrant
les pratiques et les rites de l'Eglise de Constantinople. Photius n'apprécia
guère cette décision papale qui empiétait sur sa juridiction territoriale et
qui manifestait également un sentiment de suspicion à l'endroit de sa propre
Eglise. Photius dénonça alors les erreurs des latins ; il réussit même à faire
déposé le pape par un concile ; mais il fut lui-même déposé, rétabli, puis
déposé de nouveau ; il mourut en communion avec l'Eglise de Rome, mais sans
avoir renié sa conduite antérieure.
Il apparaît que les
origines de la séparation entre Occident et Orient chrétiens se trouvent non
dans des questions théologiques mais dans des conflits juridiques. Les papes
qui se succédaient à Rome souhaitaient transformer la primauté de fondation
apostolique en primauté juridique, avec un pouvoir de décision effectif sur
toutes les Eglises. Après le retour dans la communion de Rome du patriarche
Photius, tout était rentré dans un ordre relatif : les Eglises ne se fréquentaient
que très peu, le patriarche oubliant même souvent de mentionner le pape dans
la prière. Le « statu quo » aurait pu durer longtemps, sans
l'affrontement de caractères de personnages qui portèrent sur le plan politique
des questions strictement religieuses.
Michel Cérulaire,
patriarche de Constantinople, de 1043 à 1O58, était particulièrement ambitieux.
Alors qu'il était laïc, il prit part à une conspiration visant à renverser
l'empereur afin d'accéder lui-même au trône impérial. Cette entreprise échoua
et Michel Cérulaire fut exilé ; il se fit moine, dirigeant son ambition vers
le siège patriarcal, dont il rêvait de faire une papauté byzantine. Il devient
patriarche et convaincu de la dignité de sa charge, il souhaite non seulement
faire de Constantinople un siège apostolique égal en honneur et dignité à
celui de Rome, mais supérieur : Constantinople ne peut-il pas revendiquer la
présence sur son territoire de l'apôtre André, le premier appelé par Jésus ?
Constantinople pourrait supplanter la papauté romaine. Aussi Michel Cérulaire
ne peut-il supporter les accords entre le pape et l'empereur, afin de protéger
les chrétiens de Sicile, envahis par les Normands, d'autant que la Sicile et
une partie du Sud de l'Italie sont placées sous la juridiction de Constantinople.
La papauté voulait
latiniser ces régions proches de Rome, mais la menace des Normands obligea
Léon IX à chercher une alliance avec le patriarche de Constantinople. Léon IX
envoie le cardinal Humbert auprès de Michel Cérulaire : ce cardinal-légat
voulait imposer la volonté du pape partout. L'affrontement avec Michel
Cérulaire était inévitable. Devant la résistance du patriarche à se soumettre
à l'autorité romaine, le cardinal Humbert essaya de le faire déposer, mais son
clergé fit bloc pour le maintenir dans ses fonctions. Ne pouvant parvenir à
une conciliation, Humbert déposa, le 16 juillet 1054, sur l'autel de sainte
Sophie, une sentence d'excommunication, avant de quitter Constantinople. Blessé,
Michel Cérulaire, avec l'appui de l'empereur, convoqua un synode local qui
excommunia le légat et les envoyés du pape. Ainsi, à proprement parler, seul,
le patriarche est excommunié par Humbert, et, seuls, les ambassadeurs du pape
sont excommuniés par le synode : les Orientaux se sont abstenus de toute
attaque directe contre le pape et contre l'Eglise latine. Le schisme n'était
donc pas consommé ; des négociations furent entreprises de part et d'autre, en
vue d'une entente commune, mais sans succès.
L'irréparable ne fut
atteint qu'en 1204, lors de la quatrième croisade, par le pillage de
Constantinople et de ses églises. Contre la volonté d’Innocent III, les
croisés avaient dévié de leur route pour gagner Constantinople ; ils
s'emparèrent de la ville en 1203, sous prétexte d'introniser un nouvel
empereur dans la capitale d'Orient. L'intronisation officielle d'Alexis eut
effectivement lieu : Alexis s'engageait à rétablir l'union de l'Orient et de
l'Occident. Avant d’avoir pu mettre son projet à exécution, il était assassiné,
à la suite d’un complot. Un des conjurés prit sa place à la tête de l'empire,
ce qui permit aux Croisés d'intervenir une nouvelle fois dans la capitale : la
ville fut prise, et les Croisés se livrèrent au pillage systématique des palais
et des églises. Ils placèrent un nouvel homme à la tête de l'empire, Baudouin
de Flandres : un latin se trouvait à la tête de l'empire d'Orient. Baudouin
fit connaître au pape son intronisation en lui faisant serment d'allégeance et
en lui laissant entendre que l'Eglise d'Orient réintégrerait rapidement le
giron de l'Eglise latine. Même si ce pape s'inquiétait des pillages qu'avait pu
connaître Constantinople, il ne pouvait que se réjouir de la perspective d'une
unité de la chrétienté. Le but de la quatrième croisade lui avait échappé ;
mais il lui semblait qu'un autre dessein de Dieu venait de s'accomplir sous son
pontificat.
L'Eglise orthodoxe n'était
pas morte pour autant. Certes, l'installation d'un royaume latin à
Constantinople se présente comme une déchirure dans le monde oriental, mais
les Eglises qui n'étaient pas soumises à Rome avaient gardé une importance, que
ne connaissaient pas celles qui avaient été soumises par la force à Rome. Des
tentatives d'union eurent lieu, mais elles se soldèrent régulièrement par des
échecs, car les latins ne voulaient pas traiter avec les grecs, à moins que
ceux-ci ne rentrent sans condition sous la conduite du pape : exiger une capitulation
sans condition dans les domaines les plus litigieux de la doctrine et de la
discipline ne pouvait naturellement pas recevoir l'assentiment des chrétiens
grecs cultivés.
En 1259, un nouvel
empereur d'origine grecque prend le pouvoir à Nicée et reprend Constantinople
en 1261 : il devait fonder une nouvelle dynastie impériale : Michel VIII
Paléologue. Aussitôt au pouvoir, il entreprend des tentatives d'union avec
Rome : le pape Urbain IV répond favorablement à l'ouverture de nouvelles
négociations. Mais celles-ci furent davantage placées sous le signe du
politique que du religieux : l'Eglise orthodoxe refusa toute forme de
latinisation dans l'étendue de son territoire. Pourtant, toujours sous le règne
de Michel Paléologue, on faillit parvenir au but espéré. Au milieu de toutes
les influences politiques, avait été élu un pape, dont le souci majeur était
la réunification des chrétiens pour rétablir le contrôle de l'Eglise sur la
Terre sainte, sous emprise musulmane : pour ce faire, il lui fallait réformer
l'Eglise tout entière. Le pape Grégoire convoque un concile à Lyon, en 1274.
Les envoyés de l'empereur acceptèrent les conditions de Rome : ils commencèrent
par promettre obéissance au pape au nom de l'empereur et en leur nom propre,
ils reconnurent la primauté de juridiction du pape, ils acceptèrent que
celui-ci soit mentionné dans la prière liturgique de l'assemblée chrétienne d'Orient,
ils acceptèrent même de chanter la profession de foi de Nicée-Constantinople en
mentionnant le « Filioque ».
L'union des chrétiens
semblait en bonne voie, lorsque Grégoire X meurt, en 1276 : ses successeurs ne
le suivirent pas dans la voie qu'il avait tracée, ils se laissent prendre au
piège des manoeuvres politiques des rois chrétiens d'0ccident. L'oeuvre de
réunification, entreprise par Michel Paléologue, ne survécut pas à la mort de
l’empereur, en 1282 : il mourait excommunié par l'Eglise romaine qui n'avait pu
obtenir sa complète soumission et excommunié par l'Eglise byzantine qui ne
voulait pas souscrire au « Filioque » et à la doctrine de la primauté
pontificale qui leur étaient imposés par le concile de Lyon.
D'autres tentatives de
réunification virent le jour au quatorzième siècle, notamment parmi les
intellectuels byzantins, cependant que la majorité du clergé et du peuple demeuraient
hostile à une telle union, qui aurait nécessairement impliqué la reconnaissance
du « Filioque » et de la primauté pontificale romaine.
Les empereurs, soucieux de
sauvegarder l'intégrité de leurs territoires, cherchaient une alliance avec
l'Eglise de Rome, en vue de résister à la pression de plus en plus forte des
Turcs qui, au milieu du quatorzième siècle, entreprenaient la conquête des
Balkans. L'empereur Jean V, à l'occasion d'un voyage à Rome, en 1369, embrasse,
à titre privé, la foi catholique : c'est une tentative certainement sincère de
conciliation, mais elle est sans lendemain, car sa foi personnelle et son
adhésion tout aussi personnelle au catholicisme n'engagent nullement son
peuple et n'apportent même pas un avantage matériel et militaire pour la
défense de son Empire.
Ce fut certainement au
concile de Florence que les plus grands efforts furent accomplis pour
restaurer l'union de l'Eglise. Ce concile s'ouvrit à Ferrare, en 1438, avant
d'être transféré à Florence l'année suivante pour s'achever en juillet 1439
par la proclamation de l'union. L'empereur Jean VIII conduisit lui-même la
délégation des pères grecs entourant le patriarche de Constantinople, Joseph.
Les byzantins étaient en position de faiblesse, d'une part parce qu'ils
n'étaient qu'une minorité en comparaison de l'écrasante majorité des latins,
et, d'autre part parce qu'ils devaient négocier rapidement les conditions d'une
entente pour que l'Occident leur apporte une aide militaire conséquente devant
le péril que les Turcs faisaient peser sur Constantinople. Le pape Eugène IV
exigea une soumission sans réserve à la position romaine dans toutes les
questions en suspens, notamment le « Filioque », la primauté pontificale
de l'évêque de Rome, le purgatoire et la liberté des rites. Malgré leur hâte à
voir ce concile s'achever et se solder par une aide militaire précieuse, les byzantins
menèrent la discussion très longuement sur les problèmes les plus litigieux,
tout en voulant restaurer l'unité chrétienne dans sa perfection. Le 5 Juillet
1439, l'union était signée par la grande majorité des pères orthodoxes, qui
acceptaient, au nom de toute l'Eglise d'Orient, la doctrine romaine du « Filioque »,
la suprématie pontificale, dont l'expression finale était rédigée avec
beaucoup d'ambiguïté, afin de ne pas échauffer la susceptibilité des grecs ;
d'autre part, les grecs étaient reconnus dans leur droit de célébrer le mystère
eucharistique avec du pain au levain et non pas avec du pain azyme, comme cela
se faisait en Occident.
Les suites de cette union
furent rapidement défectueuses : les byzantins ne tardèrent pas à s'apercevoir
que l'union s'était faite au profit des latins, qui avaient profité de manière
abusive de la position de faiblesse dans laquelle se trouvait l'Empire d'Orient
pour asseoir le prestige de l'Eglise romaine : les concessions étaient le fait
d'une politique impériale. De plus, l'aide militaire promise tardait à venir...
Et ce ne fut bientôt plus qu'une minorité, parmi les intellectuels et le clergé,
qui demeurait favorable au principe de l'Union de Florence. Les latins,
installés en Orient, se comportaient comme les occupants du pays, le peuple ne
pouvait supporter cette attitude, il s'apercevait que l'empereur avait échangé
la pureté de la foi contre des avantages politiques douteux. Dès leur retour
dans leur pays, certains pères conciliaires qui avaient signé le décret de
l'Union de Florence, renièrent leur signature. Officiellement, le décret
d'union fut proclamé, dans la basilique sainte Sophie de Constantinople, le 12
juillet 1452, à peine quelques mois avant que les troupes musulmanes, conduites
par Mahomet II, n'investissent la ville. Les tentatives d'union entre l'Eglise
d'Orient et celle d'0ccident sombraient dans l'oubli en même temps que Constantinople
tombait aux mains des Turcs.
Pour réaliser l'unité des Églises, deux voies sont
ouvertes aux chrétiens : le régime de la communion et le régime de l'organisation
unitaire, voire totalitaire, Le régime de l'organisation unitaire est celui
adopté par le catholicisme romain, qui a voulu constituer l'Eglise en un seul
peuple disposant d'une structure visible reposant sur la papauté. Le régime de
la communion a été celui de l'Eglise ancienne et demeure celui de
l'ecclésiologie orientale orthodoxe.
L'aspect primordial de la pensée orthodoxe est son
désir de communion : c'est en intégrant ce principe que l'orthodoxie peut
exprimer le plus adéquatement les dogmes concernant le Christ, l'Esprit-Saint
et la Trinité. L'Eglise de la communion se manifeste dans la visibilité, à
travers l'espace et le temps, par le rattachement à l’évêque. Ainsi que le
soulignait Ignace d'Antioche : « Là où parait l'évêque, que là soit
la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l'Eglise ». En dehors
de l'évêque, il n'existe pas de légitimité authentique : l'évêque est, par
son titre apostolique, l'image et la manifestation visible du seul évêque
suprême qu'est le Christ. C'est en étant unies au Christ que les communautés
locales, fussent-elles les plus petites, constituent la communion de l'Eglise.
Toute communauté qui s'éloignerait de son évêque se sépare de l'Eglise, dans
sa plénitude, sans que cette dernière en soit le moins du monde diminuée : elle
devient une secte, une communauté séparée de la communion ecclésiale.
Les laïcs qui forment le peuple de Dieu détiennent
un rôle très important dans la vie de l'Eglise, particulièrement dans la
recherche et l'enseignement de la théologie. Dans l'Eglise orthodoxe, l'autorité
magistérielle ne peut s'exercer qu'en tenant compte de l'ensemble du peuple de
Dieu : la vérité n'est pas détenue par les clercs, mais par l'ensemble du
peuple, dont chaque membre est animé de l'intuition de l'orthodoxie, de la foi
authentique. La vérité ne peut s'imposer aux consciences par l'exercice d'un magistère
souverain, comme dans l'Eglise catholique, elle s'impose intérieurement aux fidèles
qui vivent dans la communion à l'Esprit de Dieu. Le prêtre ne s'identifie pas
au Christ, il n'est que son image ; en tant que tel, il n'est pas séparé des
laïcs, il n’est pas revêtu d'un caractère propre qui le situerait à part des
laïcs ; en vertu de cela, l'Eglise orthodoxe n'a jamais cessé d'appeler au ministère
des hommes mariés, puisque le prêtre ne bénéficie pas d'un statut particulier
et privilégié dans l'ensemble du peuple.
Tous les fidèles orthodoxes, prêtres ou laïcs,
sont appelés à exercer une coresponsabilité dans l'organisation. Contrairement
à l'Occident, l'Orient orthodoxe n'a jamais connu de chef unique, mais des
patriarches occupant des sièges apostoliques qui, dans leurs différences,
continuent de manifester l'unité des apôtres. L'Eglise orthodoxe peut se
caractériser par son attachement au gouvernement conciliaire, exigence qui
repose sur le principe de l'unité dans la diversité.
Rapidement, au cours de l’histoire, les Églises
d'une province se sont organisées autour d'une métropole, à la tête de
laquelle se trouvait plaçait un métropolite. Ces Églises se sont alors agencées
en de vastes ensembles qui se sont administrés eux-mêmes : les Églises autocéphales
qui regroupaient des chrétiens d'une même civilisation. C'est ainsi que le
monde latin s'est rassemblé autour du patriarche d'Occident, l'évêque de Rome,
que la civilisation grecque s'est retrouvée autour du patriarche de Constantinople,
que les chrétiens d'origine sémitique se sont regroupés autour du patriarche
d'Antioche, que les chrétiens d'Égypte se sont organisés autour du patriarche
d'Alexandrie, que les Palestiniens se sont regroupés autour du patriarche de
Jérusalem. La tradition ecclésiastique préconise l'union avec cette pentarchie,
ces cinq patriarcats qui structuraient toute l'Eglise avant le schisme.
Les évêques d'une province sont unis comme des
frères, et leur patriarche, primat dans l'autocéphalie est élu par l'ensemble
de l'Eglise, c'est-à-dire non seulement par les évêques, mais aussi avec la
participation du clergé et du peuple entier. De plus, il doit être reconnu par
les autres patriarches, et, surtout par le premier d'entre eux. Ce premier
patriarche, dans l'ordre de l'honneur, était le patriarche de Rome, avant la
séparation, puis le patriarche de Constantinople, la seconde Rome. Au sommet
de la hiérarchie de la communion, Rome jouissait d'une primauté, acceptée par
l'Orient : les évêques reconnaissaient en lui le « primus inter pares
» et ne faisaient rien sans lui. Les orthodoxes reconnaissent que cette primauté
unique reviendra de nouveau à l'évêque de Rome, lorsque les divergences de
doctrine et de structure ecclésiale auront été résolues. Pour l'Eglise
orthodoxe, la place de Pierre est assumée historiquement par l'évêque de
Rome, qui est présenté comme le premier au milieu de frères égaux : à cette
place n'est accordée aucune infaillibilité particulière au milieu des Églises
soeurs ni aucun pouvoir juridique supérieur sur elles. Les décisions du
Concile romain de Vatican I sont inacceptables pour l'orthodoxie, puisque la
primauté du premier évêque est simplement celle de l'honneur. Aucun concile
n'a défini une infaillibilité en matière de doctrine et un pouvoir juridique à
l'évêque de Rome, avant le premier concile du Vatican. Et c'est alors que
l'Eglise romaine s'est coupée de la tradition la plus ancienne dans l'histoire
de l'Eglise. Pour l'orthodoxie, la succession de Pierre se trouve à tous les niveaux,
aussi bien dans les croyants qui confessent la même foi apostolique que dans
les évêques, chargés à la suite des apôtres du ministère pastoral auprès de
l'ensemble du peuple chrétien.
Si l'Eglise d'Orient a connu dans les premiers
siècles de son existence de grandes difficultés, qu'elle partageait avec
l'Eglise d'Occident, il semble qu'elle se soit fixée dans son héritage
traditionnel remontant aux apôtres. Dans l'ensemble de la chrétienté, l'orthodoxie
occupe une place privilégiée, du fait même qu'elle n'a pas connu, les chocs
apportés contre l'édifice de l'Eglise de Rome, à l'aube des temps modernes,
avec la naissance de nouvel les communautés chrétiennes, issues de la Réforme.
Elle est restée fidèle aux enseignements de la tradition la plus ancienne et
elle se présente comme la gardienne de la vraie foi, celle des apôtres et des
premiers chrétiens.
Depuis la dispersion des Orientaux en Occident,
les contacts entre chrétiens se sont multipliés. Le Concile oecuménique, propre
à l'Eglise romaine, de Vatican II n'a fait qu'entériner la recherche de
l'unité. A ce concile, des observateurs non catholiques, particulièrement orthodoxes,
eurent une présence active, favorisant le rapprochement entre les communautés.
Après un passé d'ignorance, on s'écoutait les uns les autres, dans le respect
des traditions. Ainsi, lors d'une rencontre entre le patriarche de Constantinople,
Athénagoras, et le patriarche de Rome, le pape Paul VI, en 1964, fut décidée
la levée des excommunications de 1054. Cela ne supprimait pas les différences,
mais permettait de soulever une espérance au coeur des fidèles.
La séparation n'a pas été supprimée entièrement
par ce geste de conciliation et de réconciliation. Les Églises orientales
étant autocéphales, indépendantes les unes des autres, le patriarcat de
Constantinople, même s'il jouit actuellement de la primauté d'honneur, n'est
pas habilité à parler au nom de toute l'orthodoxie, et chaque Eglise locale est
libre d'entretenir personnellement des relations avec Rome, sans engager la
responsabilité de l'orthodoxie. L'unité entre l'Orient et l'Occident ne pourra
être réalisée qu'après de sérieuses discussions théologiques et une collaboration
mutuelle. Néanmoins, il convient de reconnaître qu'un acte aussi signifiant que
la levée mutuelle des excommunications indique qu'un obstacle important a été
franchi et que le dialogue est devenu possible.
Si les tentatives de rapprochement entre les
Églises ont été mises en oeuvre avec un certain succès depuis le début du
vingtième siècle, il ne faudrait cependant pas penser que l'orthodoxie se
résume exclusivement à la seule Eglise de rite byzantin, répartie dans les
patriarcats traditionnels (Constantinople, Antioche, Alexandrie, Jérusalem).
Les Églises locales, autocéphales ont obtenu leur autonomie, tout en demeurant
dus la communion orthodoxe. Avec plus de cent soixante millions de baptisés,
l'Eglise orthodoxe est répandue dans le monde entier : elle regroupe, à l'époque
actuelle : le patriarcat oecuménique de Constantinople, dont dépendent la
Diaspora (la Dispersion) grecque ainsi que les Églises autonomes de Crète et
de Finlande ; le patriarcat apostolique d'Alexandrie, dont dépendent les
communautés noires, converties rapidement à l'esprit de l'orthodoxie, et les communautés
nées des missions africaines notamment au Kenya, en Ouganda et au Tanganyika ;
les deux patriarcats apostoliques d'Antioche et de Jérusalem ; le patriarcat
de Moscou, dont dépend l'Eglise autonome du Japon, et dont dépendait également
l'Eglise autonome de Chine, laquelle, pour des raisons politiques, est
considérée comme officiellement éteinte, sans qu'il soit possible d'affirmer
qu'elle ne subsiste pas comme Eglise du silence, persécutée ; les Églises patriarcales
de Serbie (devenue autonome en 1832, autocéphale en 1879, unie aux autres
communautés orthodoxes de la nouvelle Yougoslavie, érigée en patriarcat en
1922), de Roumanie et de Bulgarie (l'Eglise bulgare s'est proclamée autocéphale
en 1860 mais n'a pas obtenu sa reconnaissance officielle de la part de Constantinople
qu'en 1945 ; elle s'est érigée en patriarcat en 1953, celui-ci étant reconnu
par Constantinople en 1960 ; l'Eglise archiépiscopale de Grèce s'est proclamée
autocéphale en 1833 et a obtenu sa reconnaissance par Constantinople en 1850 :
elle est dirigée par un archevêque en signe de déférence envers le patriarcat
oecuménique de Constantinople dont elle a longtemps dépendu ; l'Eglise de
Géorgie est dirigée par un « catholicos », en mémoire du titre
officiel donné autrefois aux chefs des Églises orthodoxes locales qui
s'établissaient en dehors des limites territoriales de l'Empire byzantin ;
d'autres Églises sont également dirigées par des archevêques : ainsi les
Églises de Chypre, d'Albanie (elle aussi officiellement éteinte), de Pologne,
de Tchécoslovaquie ; l'Eglise d'Amérique est la première Eglise autocéphale
purement occidentale, elle a été érigée comme telle par le patriarcat de
Moscou, en 1970, elle regroupe les orthodoxes d'origine russe réfugiés en
Amérique depuis la Révolution soviétique de 1917. Le vingtième siècle apparaît,
pour l'Eglise d'Orient, comme le siècle de son martyre : elle subsistait dans
les pays maintenus soumis au régime politique communiste et devait défendre
sa foi au péril de son existence. Mais c'est aussi, pour elle, le siècle de son
universalisation puisqu'elle essaime dans les pays occidentaux, où se sont
regroupés les chrétiens qui ont fui la révolution soviétique et l'invasion de
la Grèce asiatique par les Turcs : des millions de chrétiens orthodoxes se
sont regroupés dans les pays d'occident, dans l'Europe de l'Ouest, en France,
en Amérique, et parfois même jusqu'en Australie. Ils se regroupent en
paroisses vivantes qui permettent à la pensée religieuse orthodoxe de se répandre
dans le monde occidental, notamment par les grandes écoles de théologie que ces
chrétiens ont pu ouvrir.
Des Églises locales s'étaient déjà séparées de
Constantinople, bien avant la rupture de Michel Cérulaire, pas seulement pour
des questions de discipline ou de rattachement à l'Eglise de Constantinople,
mais beaucoup plus pour des raisons dogmatiques qui mettaient en cause la foi
chrétienne. Considérées comme hérétiques ou comme schismatiques, ces Églises se
sont fermées sur elles-mêmes, avec un caractère fortement nationalisant. Ainsi
sont les Églises arménienne, chaldéenne, copte, syrienne, de laquelle est née
l'Eglise maronite, qui s'est ultérieurement unie à Rome. Il est possible de
ranger ces Églises orientales séparées sous deux qualifications, les
nestoriennes et les monophysites, en raison de leurs origines au cinquième
siècle, dans des questions relatives à la personne de Jésus-Christ, questions
qui prolongeaient ainsi les querelles provoquées par Arius, au siècle précédent.
Le problème posé est de connaître le statut du Christ et de l'union en lui des
deux natures, la nature humaine et la nature divine... Selon qu'en lui est
reconnue la nature humaine exclusivement ou la nature divine exclusivement, on
tombe dans le nestorianisme ou dans le monophysisme. Alors que les théologiens
ariens n'avaient guère obtenu de succès dans leurs entreprises de réflexion,
les nestoriens et les monophysites trouvèrent un appui auprès des populations
qui voulaient secouer le joug tant politique que religieux de l'empire byzantin.
Fidèles néanmoins à l'autocéphalie, ces Églises séparées se constituèrent
plus ou moins rapidement en Églises nationales, fondées sur les communautés
ethniques, ayant hiérarchie, liturgie, langue et juridiction propres. Tous les
efforts entrepris par les empereurs d'Orient pour restaurer l'unité politique
et religieuse furent pratiquement vains : seules, quelques communautés
minoritaires se rallièrent et furent qualifiées, dédaigneusement, par les
autres, de melkites, c'est-à-dire de royalistes, à cause de leur rattachement
à la cause impériale. Malgré les tragédies qu'a pu connaître l'histoire de ces
Églises orientales séparées, elles ont survécu au prix de persécutions et
d'humiliations, mais en gardant intacte leur fidélité à leur tradition
d'origine, ce qui leur donne, à l'époque actuelle, un aspect quelque peu
étrange, par rapport aux autres Églises qui ont fait évoluer leurs traditions
au fil de l'histoire.
Les chrétiens d'Arménie, rattachés au monophysisme
en 551 ont connu une succession de massacres, sans perdre leur attachement à
leur foi. C'est cette union dans la foi religieuse qui a pu justifier leur
héroïsme et leur résistance à toutes les oppressions. De même, les chrétiens
Égypte, les Coptes, ont opposé à la force de la persécution le bouclier de leur
foi, surtout dans le petit peuple, alliant les pratiques chrétiennes avec des
survivances du judaïsme et même de la religion pharaonique. Il en est de même
pour les chrétiens d'Éthiopie qui ont manifesté une résistance continuelle aux
conquêtes, s'unifiant autour du chef de l'État et du chef religieux qui détenaient
la toute-puissance sacrée. En fait, le monophysisme de ces Églises n'a pas été
approfondi depuis les origines, il est plus verbal que théologiquement fondé.
On parle pour le Christ d'une seule nature unie, ce qui est une manière
implicite d'en reconnaître deux. Les formes de la confession de foi actuelle se
rapprochent de la foi catholique et orthodoxe.
Le rapprochement et l'unité sont possibles, car
les obstacles ne sont sans doute pas insurmontables.
L'Eglise de la Réforme
Un millénaire après la
chute de l'Empire romain d'Occident, un renouveau se fait sentir dans les
conceptions philosophiques et scientifiques, au début du quatorzième siècle.
Dans le domaine des connaissances, l'Eglise avait adopté une attitude
anticulturelle, étouffant bon nombre de talents. Le passage du Moyen-Age à la
Renaissance se marque par un mouvement intellectuel, qui pourrait se signifier
par le passage d'un monde clos sur lui-même à un univers nouveau entièrement
ouvert sur de nouvelles découvertes, qui remettent en question l'enseignement
de l'Eglise, sur la place de l'homme dans l'univers et sur la place de la terre
dans la création voulue par Dieu. Il a fallu plusieurs décennies pour que les
Européens découvrent cette nouvelle dimension de l'univers. La découverte du
Nouveau Monde, par Christophe Colomb et par Americo Vespucci, par les expéditions
de Vasco de Gama, a d'abord convaincu les marchands, les conquistadores et les
banquiers, avant que les intellectuels se décident à percevoir que la
dimension du monde avait complètement été transformée par leurs découvertes.
Giordano Bruno paiera de sa
vie le fait d'avoir montré que le monde pouvait se concevoir comme infini,
alors que les maîtres de l'enseignement s'en tenaient au conformisme le plus
scrupuleux, assurant que la terre était le centre de gravité du monde et que
l'homme était le sommet de cette terre. Giordano Bruno peut être considéré
comme le personnage-symbole de la Renaissance. De son vivant (1548-1600), il
réalisa l'unanimité contre lui : tous les théologiens ne pouvaient accepter
ses méthodes d'investigation dans le domaine de la métaphysique. Après sa
mort, tous le revendiquèrent. Très attiré par la théorie copernicienne, et
sans renier le principe de la création, il voulait dissocier la théologie des
recherches scientifiques, opérant ainsi une révolution au sein de l'Eglise et
de son enseignement. Arrêté par l'Inquisition en 1592, il ne sortit de prison
que pour monter au bûcher, le 17 février 1600 : martyr de la Renaissance, il a
laissé l'empreinte de sa pensée sur l'Occident ultérieur.
L'humanisme renaissant
manifestait une insatisfaction vis-à-vis de l'Eglise, ébranlée par le schisme
d'Occident, par l'avilissement de la cour romaine et l'affaiblissement de la
hiérarchie...
En 1377, le pape
Grégoire XI quitte Avignon, où les pontifes résidaient depuis 1309,
chassés par les troubles en l'Italie. Il regagne Rome et meurt l’année
suivante. Le conclave chargé d’élire un nouveau pape s’apprête à désigner un
Français car il est composé à majorité française. Le peuple romain, exaspéré
par la tutelle française, manifeste pour « exiger » un pape italien.
Sous la pression, le conclave élit un Italien, Urbain VI. Ce dernier fait
bientôt preuve d’hostilité et d’un autoritarisme maladroit envers les cardinaux
français, qui, mécontents, annulent cette élection et choisissent un autre
pape, Clément VII, qui s’installe à Avignon. Chacun des deux papes rallie
dans son camp des souverains et des princes, divisant l’Europe en deux clans.
L’autorité papale est discréditée, aucune réconciliation ne semble
possible... Les cardinaux des deux camps se réunissent à Pise en 1408, élisent
un troisième pape et déposent les deux autres qui s’y refusent. L’issue n’est
trouvée qu’en 1418, au concile de Constance qui met fin à ce Grand
Schisme : Martin V est élu.
La première tâche de ce
pape fut de reprendre le contrôle de ses États et de rétablir une puissance
financière, en réorganisant le système des impôts, si bien qu'à sa mort, la
papauté était redevenue une puissance, forte, riche, et influente. Ce
rétablissement de la papauté eut pour conséquence de faire de Rome, et de
l'Italie, le pôle d'attraction de toute l'Europe. Nicolas V, humaniste érudit,
décida de faire de Rome la capitale culturelle de l'Italie, et par conséquent
de l'Europe. Pour réaliser ce projet, il entreprit de transformer la petite
bibliothèque pontificale en une vaste collection de manuscrits anciens, grecs
et latins, afin de constituer une bibliothèque digne de ce nom. Son second
projet fut de reconstruire la basilique Saint-Pierre, avec magnificence. Ses
successeurs continuèrent cette politique de la culture et de la reconstruction
de Rome et du Vatican. C'est ainsi que Sixte IV fut un grand protecteur des
artistes : il fit construire la chapelle dite « sixtine », et dont la
réputation est mondiale. Avec son successeur, Innocent VII, la réputation de la
papauté tomba rapidement : il reconnut un fils et une fille illégitimes qu'il
avait eus avant d'être prêtre, il créa de nombreux cardinaux parmi ses parents
et ses partisans, faisant du collège cardinalice une assemblée d'hommes
ambitieux, qui se divisèrent en factions et qui firent répandre leurs
intrigues dans Rome et ses environs. Le pape Jules II (1503-1513) chargea
Bramante de reconstruire le grand édifice de la basilique Saint-Pierre, il
soutint cette entreprise par l'octroi d'indulgences plénières à toute la
chrétienté. Celles-ci furent poursuivies par son successeur, Léon X, en 1514.
Le commerce des indulgences allait mettre le feu aux poudres et être le détonateur
d'un grand courant de réforme de l'Eglise.
A l'origine, ce terme
« d’indulgence » désignait la remise d'une pénitence publique
imposée par l'Eglise, pour une durée déterminée, après le pardon des péchés.
Les prédicateurs de l'indulgence, proclamée par Jules II et Léon X, avaient
reçu des pouvoirs spéciaux, qui leur permettaient de vendre des lettres de
confession et d'absoudre les fidèles de tous leurs péchés. La théologie
expliquait que l'on pouvait puiser dans les mérites du Christ et de la Vierge
Marie, ou dans les mérites des saints pour obtenir le pardon de ses fautes et
même pour obtenir le pardon des fautes des défunts. Les prédicateurs
expliquaient que le pape pouvait distribuer les dons obtenus par les saints en
récompense d'un don qui servirait à la construction de la basilique Saint-Pierre.
Certains prédicateurs allaient jusqu'à affirmer que « lorsque l'argent
résonne dans la cassette, l'âme s'envole directement au ciel ». Luther,
en proie à de vrais tourments mystiques sur le péché et le salut, ne pouvait
que critiquer cette proclamation d'une grâce obtenue à prix d'argent. La grâce,
don gratuit de Dieu, ne pouvait pas se monnayer : l'Eglise abusait de l'insécurité
des fidèles, bradait les dons de Dieu, à des fins humaines.
Il ne saurait être
question de réduire la Réforme à ce seul conflit ; l'Europe connaissait une
crise économique, dont l'Eglise elle-même souffrait depuis près d'un siècle.
Les biens de l'Eglise consistaient en des propriétés foncières qui étaient
louées ; les ressources des paroisses provenaient de dons en nature, celles des
couvents et des monastères, de la dîme et de rentes foncières. L'apparition de
l'économie monétaire avait entraîné une série de dévaluations, qui diminuaient
les revenus des différents corps ecclésiastiques. L'Eglise perdait
progressivement ses biens ; et cette situation désastreuse ne pouvait pas être
sans conséquence pour la vie de la chrétienté, et particulièrement de la
hiérarchie : les évêques perdaient leur indépendance par rapport aux fidèles,
les moines devaient s'occuper personnellement de l'administration de leurs
biens, ne pouvant plus se permettre de les confier à d'autres. Les couvents en
vinrent à demander l'administration de paroisses pour permettre aux moines de
survivre, les prêtres de paroisse furent parfois contraints de gagner leur pain
par un travail indépendant. Les bénéfices, attachés à tel ou tel poste
ecclésiastique, ne suffisaient plus à nourrir les titulaires. L'Eglise
connaissait la pauvreté et cherchait à sortir de ce marasme, en instaurant de
nouvelles pratiques qui lui permettraient d'augmenter ses ressources.
Ne connaissant pas les causes de la crise, ne disposant pas des moyens qui
leur expliqueraient les origines de cette situation, les hommes attribuèrent
rapidement au pape la responsabilité de la crise : partout se levaient des
collecteurs d'impôts du pape, qui n'hésitaient pas à menacer d'excommunication
ceux qui ne verseraient pas leur tribut à la cause pontificale.
De plus, cette crise
n'était pas simplement économique ; elle avait des répercussions politiques. En
France, le roi très chrétien avait une influence illimitée pour la nomination
des évêques et des abbés de monastère ; il était considéré comme le premier
personnage ecclésiastique du royaume, réglant les litiges, dans la mesure où
ceux-ci ne concernaient pas directement des évêques. Cependant malgré ce
pouvoir royal, les institutions et les moeurs ecclésiastiques sombraient dans
l’anarchie. Des groupes rivaux se déchiraient pour obtenir plus de libertés.
Les réformes nécessaires, étaient freinées par ces rivalités. Dans les pays
germaniques, l'Eglise n'avait pas pu se constituer comme une réalité nationale,
d'autant plus que le grand Empire n'était plus qu'une association de princes
autonomes qui ne tenaient guère à maintenir des rapports étroits avec la
couronne impériale. Rome essayait de maintenir une forme particulière de pouvoir
sur les États des princes : la nomination des évêques échappait à ces princes,
même s'il leur était permis de nommer certains hommes à quelques postes épiscopaux.
A chaque prise en charge d'une cathédrale ou d'un couvent, une taxe était
exigée par Rome. Cette forme d'ingérence se compliqua du fait que certains papes
essayèrent d'étendre aux territoires allemands les droits et les impôts
romains, ce qui ne manqua pas de soulever des sentiments anticléricaux et anti-romains.
Là aussi, le point de non-retour était atteint qui allait favoriser la
naissance de la Réforme.
Ce qu'il est convenu
d'appeler le bas-clergé vivait dans une situation précaire, aussi bien
matériellement que moralement et spirituellement. Contraints à la pauvreté, du
fait de leur ordination, les prêtres se voyaient obligés d'exercer une
profession pour leur permettre de subsister ou d'avoir recours à la mendicité.
En un certain sens, cette situation pouvait être bénéfique : les prêtres
apprenaient à comprendre le peuple dont ils recevaient la charge et dont ils
pouvaient partager tous les besoins... Et, en même temps, ils n'étaient malheureusement
pas à l'abri des tentations qui pouvaient être celles de ce même peuple. Car la
formation de ces prêtres était rudimentaire ; c'est chez le curé d'un village
qu'ils apprenaient les rudiments du latin pour dire la messe et pour
administrer les sacrements : ils se formaient ainsi auprès d'un prêtre qu'ils
considéraient comme un modèle et un idéal de vie, sans connaître de formation
plus poussée dans le cadre d'une université ou d'un collège. Abandonnés à
eux-mêmes, et vivant dans la détresse morale, ces prêtres se laissaient souvent
aller à des écarts de conduite : c'est ainsi que la pratique du concubinage
était fréquente... et ils manquaient de sens pastoral, puisque leur tâche se
réduisait à l'administration des sacrements, tout en veillant à la correcte
application de la discipline ecclésiastique dans le territoire paroissial. Les
évêques ne pouvaient leur inculquer les rudiments du devoir pastoral, nommés
très jeunes en raison des situations familiales, jouissant simplement des
bénéfices affectés à leur poste. Certains même étaient totalement indignes de
leur charge, beaucoup n'ayant même pas conscience de leurs devoirs. Les sièges
épiscopaux les plus importants étaient confiés à des hommes qui avaient rendu
des services à la couronne ou à la curie romaine, sans avoir été préparés à une
mission d'Eglise. Dans la majorité des cas, prêtres et évêques étaient
ignorants des questions théologiques... Le lien des évêques entre eux et des
évêques avec le pape était très lâche, mais, les évêques copiaient
l'administration pontificale, confiant à des vicaires généraux le soin de
veiller aux relations avec le clergé et à un auxiliaire, choisi généralement
parmi les ordres mendiants, les fonctions épiscopales proprement dites. Toutefois,
il serait injuste de ne considérer que les travers de ce clergé. Dans la terre
natale de la Réforme, il y eut aussi des exceptions en grand nombre, dans la
période qui a précédé la Réforme : certains évêques se mirent à prêcher au
peuple et à essayer de réformer eux-mêmes leur Eglise locale. C'est le cas des
évêques d'Augsbourg et de Constance... Mais comme la curie romaine et la
papauté ne s'étaient pas encore réformées, toutes les tentatives de réforme à
l'intérieur des Églises locales restèrent souvent sans lendemain.
La fin du quatorzième et
le début du quinzième siècle voient l'hérésie réapparaître en Europe, d'abord
en Angleterre puis en Bohême. Une tentative de Réforme de l'Eglise se fit, à
l'instigation d'intellectuels, qui voulaient remettre en pratique un
christianisme pur et primitif, à la manière des vaudois, du Sud de la France.
En Angleterre, Jean
Wycliff, né en 1328, dans une famille de la petite noblesse du Yorkshire,
étudiant, puis professeur à Oxford, ne tarde pas à se poser comme un des chefs
du courant hostile à la papauté et aux membres du haut clergé. Il s'engage
dans la réflexion théologique, dans la ligne de la pensée de saint Augustin.
C'est ainsi qu'il affirme que les chrétiens, et, parmi eux, les prêtres,
doivent suivre la règle évangélique de la pauvreté. Il entreprend une critique
de l'Eglise, en affirmant que le clergé et les sacrements sont inutiles pour
le salut. Il affirme que la véritable Eglise est invisible et qu'elle est
constituée de ceux que Dieu a prédestinés au salut. Il prétend que seuls ceux
qui sont en état de grâce, et donc susceptibles de prendre possession du salut
offert par Dieu, méritent de posséder les biens terrestres, la hiérarchie de
l'Eglise, corrompue par le péché, étant inapte à cette possession ; le pouvoir
séculier se trouve justifié de confisquer les biens de qui que ce soit, et
particulièrement de l'institution ecclésiale, quand cela semble nécessaire.
L'idéalisme de la pauvreté évangélique se présente alors comme inextricable
ment mêlé à un opportunisme politique, ce qui lui valut la protection royale. Alors
qu'il avait été dénoncé auprès du pape Grégoire XI, en 1377, Jean Wycliff
échappa aux poursuites, en raison de cette protection. En mettant en cause
l'enseignement de l'Eglise sur l'eucharistie, il perdit beaucoup de ses
partisans, car il attaquait le respect et la dévotion que les fidèles pouvaient
avoir envers ce sacrement, cela devait entraîner sa condamnation en 1382.
Après sa condamnation, son
école de pensée fut chassée d'Oxford, et lui-même se retira, pour mourir en
1384. Il mourut isolé, chef d'une petite secte : son entreprise de réforme
avait échoué. Néanmoins, ses idées se répandirent, malgré les efforts répétés
de la hiérarchie et de l'orthodoxie officielle. L'Eglise officielle s'aperçoit
alors que ses idées ont une influence hors d'Angleterre : elles s'étaient
répandues à Prague et dans toute l'Europe centrale. Un châtiment posthume fut
exercé à son encontre : l'exhumation de ses restes fut ordonnée, et ses
ossements furent brûlés.
Passionnément attaché à la
réforme de l'Eglise, Jean Huss (1370 environ - 1415) voyait, comme Wycliff
qu'il avait lu, dans Écriture Sainte la seule norme de la foi, même s'il
acceptait d'abord l'Eglise hiérarchique. Dès son arrivée à l'université, Jean
Huss considéra le réformateur anglais comme son maître. Ordonné prêtre en 1400,
et nommé doyen de la faculté de Prague l'année suivante, il commence sa
carrière de prédicateur très tôt : son succès fut rapide, en raison de sa
profonde sincérité et de sa grande éloquence, dans la langue vulgaire tchèque.
Bénéficiant de l'appui de son archevêque et de la faveur du roi Venceslas IV,
c'est en pleine légalité qu'il prêche la réforme de l'Eglise et le retour à la
pauvreté évangélique, travestie par la richesse corruptrice des Églises. Pour
lui, Évangile doit être la seule loi d'action du chrétien. Mais, dès 1403,
l'université de Prague condamne quarante-cinq propositions tirées de ses
écrits.
Jean Huss lutte pour que
les Tchèques soient maîtres de leur pays ; il appuie le roi, quand celui-ci
commet un abus de pouvoir, en décrétant la réforme de l'université, levant la
mainmise allemande sur l'université de Prague. Jean Huss, devenu recteur de la
dite université, est très populaire. Mais les Allemands entreprennent une
lutte contre lui, le soupçonnant d'hérésie, en raison de son admiration pour
Wycliff. Excommunié par l'archevêque de Prague, mais soutenu par le peuple et
le roi, il se montre de plus en plus violent. L'exécution de trois de ses
disciples ravive l'enthousiasme du peuple pour Jean Huss, qui est accusé
d'hérésie. Cette fois, il s'agit d'une excommunication majeure, qui frappe
d'interdit la ville dans laquelle il pouvait séjourner : les sacrements,
administrés dans une ville où il pouvait être de passage, étaient immédiatement
nuls et invalides. Jean Huss quitte Prague pour trouver refuge en Bohême
méridionale où il prêche dans les campagnes et rédige des traités de théologie.
Au cours de l'été 1414,
l'empereur Sigismond, qui devait hériter du royaume de Bohême, et qui ne
voulait pas dresser son peuple contre lui, s'intéresse à Jean Huss et lui
propose de se rendre au concile de Constance pour y soutenir sa cause. Jean
Huss, muni d'un sauf-conduit impérial, part le coeur plein d'espoir. Mais, à
Constance, les Pères conciliaires n'avaient pas d'autre intention que de juger
le réformateur et de le condamner. Ses écrits sont condamnés au bûcher.
Lui-même, abandonné par Sigismond, monte sur le bûcher, le 6 juillet 1415, et
ses cendres sont jetées dans le Rhin. Aujourd'hui, on doute encore qu'il ait
réellement été hérétique. Et, après sa mort, une autre phase du hussisme
s'inaugure : le peuple de Bohême considère le réformateur comme un saint et
comme un martyr.
A eux deux, Jean Wycliff
et Jean Huss, par leur prédication, mais aussi par leurs actes, avaient lancé
un véritable défi à l'institution ecclésiale, en démontrant la supériorité de
Écriture sainte sur les lois et les principes d'origine purement humaine de la
hiérarchie et de la papauté romaine. La foi chrétienne espérait un renouveau,
qui lui ferait retrouver la pureté de ses origines : elle ne pouvait le trouver
que dans l'étude de plus en plus poussée de Écriture sainte.
Pour Luther, la Réforme ne
se présente pas comme une révolution institutionnelle : elle ne vise pas à
former un ordre nouveau, mais à inviter l'Eglise catholique et apostolique à se
critiquer elle-même, à faire preuve de discernement, en se reportant à la
Parole de Dieu. Elle ne doit pas provoquer une déchirure au sein de l'Occident
chrétien. Luther pensait pouvoir réformer l'Eglise de l'intérieur, en lui
rappelant que ce qui la fonde, c'est la Parole de Dieu. Il voulait alors
rappeler que le véritable trésor de l'Eglise se trouvait dans l'Évangile
beaucoup plus que dans la discipline interne, armée d'un dispositif philosophique,
hérité plus ou moins directement d'Aristote. La protestation de Luther se
situait sur un plan théologique, mais l'armature doctrinale de Rome ne
permettait pas d'introduire une discontinuité dans l'enseignement
traditionnel. Le moine allemand apparaissait alors comme un danger pour le
statut de la papauté. La scission ne pouvait bientôt plus être évitée : le
mécanisme de rupture, une fois mis en branle, est pratiquement irréversible.
Il ne faudrait pas oublier
que la Réforme n'est pas survenue pendant une période de désolation
spirituelle, mais dans un temps de grande recherche de piété. L'institution
ecclésiale, dans sa hiérarchie, ne représentait plus guère la véritable Eglise
du Christ, tant elle était dépravée. Au sortir de l'époque moyenâgeuse, les
hommes étaient hantés par la question de leur salut, ils recherchaient des
réponses et l'institution ecclésiale était incapable de leur donner les
éclaircissements qu'ils souhaitaient. Il fallait redonner à l'Eglise sa
destination première : mener les hommes au salut offert en Jésus-Christ.
Martin Luther était un
fils du peuple. Né le 10 Novembre 1483, il était le fils de Jean Luther et de
Marguerite Ziegler, d'origine paysanne, qui avaient quitté leur village, pour
chercher une situation meilleure dans les mines de cuivre et d'argent de la
région de Mansfeld, peu après la naissance de Martin. Martin passe les
premières années de sa vie entre un père rude et intéressé et une mère sensible
et pieuse. A l'âge de sept ans, le jeune garçon est envoyé à l'école de
Mansfeld, où la discipline était aussi stricte que dans la demeure paternelle.
Il y reçoit les rudiments du catéchisme et apprend quelques hymnes
liturgiques, par lesquelles il acquiert des notions élémentaires de grammaire
latine. A quatorze ans, il est envoyé à Magdebourg, à l'école des Frères de la
vie commune qui lui font découvrir la Bible et l'initient à la piété
personnelle. La découverte de la Bible par le jeune Martin fut une révélation.
Ces mêmes Frères exaltaient aussi, aux yeux de leurs élèves, la grandeur de la
vocation monastique, présentant cette forme de vie comme la seule qui soit
authentiquement chrétienne. Malgré la révélation que lui avait apportée la
découverte de la Bible, le jeune homme regagna, au bout de quelques mois, le
foyer paternel, il était physiquement malade. A quinze ans, ses parents
l'envoient poursuivre ses études à Eisenach. En fait d'études, Luther
n'améliora guère que ses connaissances latines et sa culture musicale... La
fréquentation de franciscains attira, une fois encore, son attention vers
l'idéal d'une vie monastique.
Jean Luther rêvait de
faire de son fils un juriste, dans l'intention de bien le marier et de le
placer au service des comtes de Manfeld. Il envoya donc son fils à Erfurt, afin
qu'il puisse y suivre la formation universitaire courante, en 1501. Martin
commença par recevoir des connaissances plus approfondies dans les domaines de
la grammaire, de la logique, de la métaphysique... Il ne se laissa pas enfermer
dans les limites d'un programme universitaire, même s’il obtient rapidement
les diplômes qu'il préparait : en février 1505, il fut reçu deuxième sur
dix-sept candidats à l'examen final, il devenait ainsi « maître ès arts »,
ce qui lui permettait de poursuivre ses études de droit, afin d'obéir aux voeux
de son père, il lui était possible de donner des cours à l'université. Un
brillant avenir s'ouvrait devant lui.
A cette époque, il prend
conscience de ce que peut être la colère divine. L'Eglise ne semble pas
pouvoir répondre à son inquiétude : dans ses rites et dans ses préceptes. C'est
une torture morale et spirituelle qui déchire l'âme de Martin Luther, et il ne
trouve d'apaisement qu'en se réfugiant dans le culte des saints et particulièrement
celui de la Vierge Marie.
Le 18 Juillet 1505, il entre
au couvent des Augustins de la stricte observance d'Erfurt. C'est la réponse
qu'il apportait à un appel mystique. Mais, il ne trouvera pas la paix qui
avait été tant vantée par les religieux qu'il avait rencontrés au cours de ses
études : néanmoins, il ne doutera jamais de la sincérité de sa vocation. L'ordre
monastique, dans lequel il entrait, était réputé par le sérieux du travail
théologique et par la rigueur de la règle. Cette rigueur, il l'embrasse avec
joie et il la suit scrupuleusement, de manière à atteindre la perfection, sinon
la sainteté, car il sait que nul pécheur ne peut vivre en présence de Dieu. Et
plus il vise la perfection, plus il découvre qu'il en est très éloigné. En
septembre 1506, il prononçait ses voeux définitifs, avant d'être ordonné prêtre
peu avant Pâques 1507. Pendant cette période de formation, il se familiarisa
avec la Bible.
Entré au couvent pour y
trouver la paix spirituelle, il n'y avait trouvé que les pires tourments,
semblables, selon lui, aux pires tourments de l'enfer. Le problème qui l'agite
est toujours le même : comment se rendre Dieu favorable ? Il ne trouve pas de réponse
directe dans l'étude théologique, même s'il acquiert ses grades universitaires
en théologie... Il ne trouve pas davantage de réponse dans la structure
ecclésiale, qui ne répond pas à sa soif d'absolu..., elle ne propose qu'une
multiplication de bonnes oeuvres, qui seraient susceptibles de se concilier la
miséricorde divine.
Et c'est dans la lecture
de la Bible qu'il va trouver une réponse à ses interrogations: la Parole de
Dieu lui ouvre la source de toutes les consolations et lui montre le chemin qui
conduit au salut. Dès 1508, un de ses supérieurs l'envoyait à Rome pour des
affaires concernant l'ordre. Pendant ce voyage, il découvre la Rome de la Renaissance,
dont les scandales ne l'impressionnent pas sur le moment ; toutefois, la superficialité
du clergé italien pouvait déconcerter un homme épris de perfection et de
sainteté... Après ce voyage à Rome, il passe sa licence le 4 Octobre 1512, et
le 19 du même mois, il est promu docteur en théologie. Il reçoit la chaire
Écriture sainte.
En commentant la lettre
aux Romains, il découvre cette parole : « Le juste vivra par la foi »,
parole qui devait le dégager d'une soumission aveugle aux prescriptions de la
Loi pour lui ouvrir les grands espaces de la vie de foi : l’Évangile n'est pas
un catalogue d'obligations morales et religieuses, mais une Bonne Nouvelle de
salut annoncé à tous les hommes. La seule exigence de Dieu, c'est de faire
connaître son amour à tous. Désormais, c'est dans la joie qu'il proclamera,
dans ses prédications, l'amour de Dieu qui veut le salut des hommes.
Luther découvre un Dieu
d'amour qui s'offre et qui se donne à tous les hommes qui mettent leur foi en
Jésus-Christ. Il vient de découvrir le Dieu d'amour, il a la pleine révélation
de la grandeur de Évangile, qu'il peut résumer, dans une phrase qui deviendra
célèbre : le pécheur est justifié par la seule grâce, par le moyen de la foi.
Une grande joie, une grande paix peuvent alors illuminer son coeur : après
toutes ses épreuves, il est ressuscité, il est libéré de tous ses tourments
personnels. Il devient le témoin de la grâce. « Sola gratia, sola fide »,
« par la seule grâce, par la seule foi », telles seront les deux
sécurités qu'il possède pour commencer une vie nouvelle, une vie d'un homme
libre prêt à servir son Dieu.
C'est en cette pleine
activité intellectuelle, spirituelle et pastorale qu'il va affronter
l'événement de son existence, à savoir l'attitude à prendre en face de la
prédication des indulgences, ordonnée par les papes Jules II, en 1507, et Léon
X, en 1514. La prédication des indulgences, commandées pour la construction de
la basilique Saint-Pierre de Rome, commença en Allemagne, en 1517.
Scandalisé par une thèse
défendue par les prédicateurs, selon laquelle lorsque l'argent tombe dans la
cassette, l'âme d'un défunt s'envole immédiatement vers le ciel, Luther alerte
l'autorité ecclésiastique et les théologiens. Si la pratique des indulgences
pour les vivants pouvait trouver grâce aux yeux du moine de Wittenberg, car
elle réclamait la contrition de la part des pécheurs, l'indulgence ne pouvait
pas s'appliquer aux défunts, lesquels n'ont plus la possibilité d'exprimer le
regret de leurs fautes et de participer à la vie sacramentelle de l'Eglise.
Luther cherche à connaître à fond l'enseignement ecclésial sur les
Indulgences. Il rédige un mémoire, où il rappelle l’enseignement traditionnel,
et où il dénonce les abus. Il envoie ce mémoire, ainsi qu'une série de thèses
sur la question, à l'archevêque de Mayence, à l'évêque de son diocèse, celui
de Brandebourg, ainsi qu'au prince-électeur de Mayence. Jusqu'à une époque très
récente, les historiens affirmaient que Luther avait placardé ses quatre-vingt
quinze thèses sur les indulgences à la porte de l'église du château de
Wittenberg. Mais, il semble plus probable que le moine de Wittenberg s'est
contenté d'alerter les autorités théologiques, dans l'espoir de susciter un
véritable débat sur les vertus de l'indulgence. Le fait que ces thèses ont été
écrites en latin suffit à souligner l'intention de Luther : il ne voulait pas
porter le débat devant le peuple, mais devant les spécialistes des questions
religieuses. Il ne propose aucune doctrine nouvelle, se contentant de reprendre
l'enseignement de l'Eglise, selon lequel les indulgences n'ont pas de pouvoir
de rédemption, le salut étant donné gratuitement par Dieu à ceux qui font
pénitence ; mais, pour éveiller l'attention de ses pairs, il exagérait
certaines propositions.
Mais les évêques et les
théologiens n'acceptent pas la discussion que proposait Luther. Eux, les
représentants officiels du magistère romain, n'avaient pas besoin de se
laisser appeler à la pénitence par le moine de Wittenberg... Mais le peuple,
lui, va réagir : des étudiants ont traduit le texte de Luther en langue
vulgaire et des imprimeurs l'ont rapidement divulgué. Le peuple avait enfin
trouvé un chef qui pouvait canaliser son opposition aux innombrables taxes
exigées par Rome. Luther devenait le porte-parole du mécontentement général.
Le peuple allemand,
s'appuyant sur la doctrine de Luther, n'allait-il pas se révolter contre
l'autorité pontificale ? Léon X avait été averti de l'affaire par un courrier,
et les dominicains, chargés de prêcher les indulgences avaient perçu une forme
d'hérésie chez Martin Luther. Le pape demanda au nouveau supérieur des
Augustins de calmer les ardeurs de Martin, afin d'éteindre l'étincelle avant
qu'elle ne provoquât un incendie. Luther doit comparaître devant le chapitre
général de son ordre, en Avril 1518 : il refusa de se rétracter. Pourtant,
soucieux de s'expliquer, et d'en appeler d'un pape mal informé à un pape mieux
informé, Luther envoie au pape ses « Resolutiones disputationum de
indulgentiarum virtute ». Pour la première fois, Luther parle de la
nécessité de réforme pour l'Eglise. Mais, cet envoi s'avérait inutile : avant
que ses « Résolutions » n'arrivent à Rome, Luther avait déjà été
inculpé d'hérésie. Et depuis Jean Huss, on savait bien comment se terminaient
les procès en hérésie : ou bien Luther serait contraint de se rétracter
purement et simplement, ou bien il serait condamné au bûcher.
Au cours de débats, Luther
soutient la thèse selon laquelle les conciles n'étaient pas exempts d'erreur et
que, pour les chrétiens, il n'y avait pas d'autre autorité infaillible que l’Écriture.
Il récusait ainsi tout le magistère de l'Eglise, et il ne lui restait plus que
la Bible : il affirme avec force que l'on ne peut admettre avec certitude comme
vérité religieuse que ce qui peut être prouvé à partir de la Bible. Ainsi se
présentait ce qui allait devenir un principe pour toute la doctrine de la
Réforme : l’Écriture seule, le « sola Scriptura ».
Luther présente alors la
papauté comme une institution humaine, affirmant que le pape lui-même devait
être soumis à l'autorité de la Bible. Son audace n'allait pas tarder à être
réprimée. Le 15 Juin 1520, une bulle pontificale « Exsurge Domine »
somme Luther de se rétracter dans les deux mois, sous peine d'excommunication.
La menace de mort pèse sur ses épaules.
Il publie, en trois mois,
les écrits qui vont faire de lui le guide de la nation allemande « A la noblesse
chrétienne de la nation allemande sur l'amendement de l'état chrétien »,
puis « L'Eglise dans la captivité de Babylone », et enfin « La
liberté du chrétien ».
L'empereur met en
exécution la bulle « Exsurge Domine » en faisant brûler les livres de
Luther. Alors, Luther décide d’abandonner la vie monastique ; et, il annonce,
le 10 Décembre 1520, qu'il brûlera le lendemain les livres du droit canonique,
symbolisant ainsi sa propre liberté par rapport à l'Eglise romaine et
l'indépendance du pouvoir civil par rapport au pouvoir ecclésiastique. Au
milieu de ce bûcher, Luther jette aussi la bulle de menace d'excommunication
qui le frappait. La réponse de Rome ne se fait pas attendre : sans mesurer
exactement les conséquences que son acte pouvait avoir, le pape promulgue une
nouvelle bulle, le 3 Janvier 1521 : « Decet Romanum Pontificem »,
par laquelle il rejette Luther et ses partisans du sein de l'Eglise. C'est
l'excommunication plénière : tous les offices religieux sont interdits en tous
les lieux où l'hérétique pouvait séjourner, Luther n'était pas seul à être
frappé d'excommunication.
Luther se trouve ainsi à
la merci des princes et de l'empereur qui peuvent exercer sur lui le pouvoir
séculier. Le chien d'hérétique est condamné par l'Eglise, il ne reste à
l'empereur que le devoir d'exécuter la sentence. Et déjà la chancellerie impériale
fait établir des mandements à son égard.
La Réforme, entreprise par
Luther, était devenue une affaire publique : elle était susceptible de
dégénérer en conflit de haute politique. Charles-Quint refusera de prendre
fait et cause pour un moine errant hors des sentiers chrétiens, puisque la
hiérarchie se dresse contre lui. Les livres de Luther doivent être brûlés
partout, ses biens et ceux de ses protecteurs sont confisqués. Le réformateur
ne pouvait plus connaître de sécurité dans tous les territoires soumis à l'autorité
impériale. Luther disparaît alors de la scène publique pour mener une existence
de recueillement et de travail paisible.
Par des lettres, il attire
à l'esprit de la Réforme un nombre considérable de religieux et de religieuses
qui étaient entrés au couvent sans vocation et qui vivaient en contradiction
avec la règle monastique et leurs voeux. Mais son oeuvre majeure de l'époque
est une traduction du Nouveau Testament sur la base du texte grec. Cette
traduction n'était pas la première. Dès 1466, la Bible avait souvent été
traduite en allemand, mais la langue laissait souvent beaucoup à désirer et le
point de départ des traducteurs se trouvait dans la Vulgate et non pas dans le
texte grec lui-même. Le succès est immédiat : le premier tirage, à raison de
cinq mille exemplaires, est rapidement épuisé. Grâce à cette entreprise, le
peuple pouvait entrer en contact direct avec la Bible, sans recourir aux
lettrés capables de lire le texte latin. La traduction de l'Ancien Testament ne
fut réalisable que douze années plus tard. La Bible de Luther va constituer le
centre de gravité de toute la Réforme.
On oublie ainsi, un peu
trop facilement, que, tout en recommandant la soumission aux autorités, Luther
invite celles-ci à veiller avec beaucoup plus d'attention au bien public. Le
premier principe qui devrait guider l'exercice de toute autorité, c'est de
s'assurer que les droits de Dieu soient les mieux respectés par tous les
hommes, quels qu'ils soient. De plus, le réformateur a tout lieu de s'inquiéter
pour son oeuvre, qui lui échappe déjà : des déviations à la Réforme luthérienne
se font jour, parmi les disciples mêmes de Luther.
Il organise le culte
divin, en gardant même pour la liturgie l'usage du latin et des ornements
liturgiques, laissant à chacun le droit de choisir s'il veut ou non communier
au calice. En revanche, il supprime les messes privées, celles qui sont dites
sans la présence du peuple, il supprime également la confession et le jeûne
obligatoires. Le monachisme et le célibat sacerdotal sont également exclus.
Le 13 Juin 1525, Martin
Luther épouse une religieuse cistercienne qui avait, elle aussi, quitté son
couvent, Catherine de Bora. Luther avait quarante-deux ans, son épouse en avait
vingt-six. Devant le risque du scandale, ses amis désapprouvent vivement cet
acte ; mais le réformateur, dans ses prédications, avait déjà proclamé le droit
pour les prêtres et les religieux de bénéficier de cet état de vie, divinement
institué. La Réforme commence à se détacher de plus en plus de la personne de
Luther.
L'opposition qui se dresse
contre Luther ne vient pas seulement des milieux catholiques, mais aussi des
milieux qu'il considérait comme ses propres amis et disciples. Les « sacramentaires »
défendaient une interprétation symbolique de l'eucharistie et ils découvraient
dans la doctrine luthérienne un vestige de la tradition romaine dont ils
voulaient débarrasser l'Eglise. Ils refusaient la thèse de la Présence du
Christ dans la célébration de la sainte Cène, n'hésitant pas à caricaturer les
disciples de Luther en les présentant comme des mangeurs de chair et d'adorateurs
d'un Dieu de pain. Luther se voit contraint de préciser sa position. Il ne
reconnaît pas la doctrine catholique de la transsubstantiation ; mais il
affirme que c'est par la foi seule que le chrétien mange spirituellement le
corps du Christ. Pour lui, il ne s'agit pas d'une petite querelle théologique :
actuellement, certains s'en prennent au sacrement de la cène bientôt, ils s'en
prendront au baptême, et, plus tard, à la foi elle-même et au Christ en
personne... Il n'est pas permis de subordonner la foi chrétienne aux élucubrations
de la raison humaine.
Le 19 Avril 1529, les
princes du Nord et quatorze villes du sud protestèrent contre la décision
unilatérale des princes catholiques qui avaient la majorité et qui
interdisaient l'implantation de la Réforme dans les territoires jusque là
complètement catholiques et réclamaient le libre exercice du culte catholique
dans les provinces acquises à la nouvelle Eglise : « Nous protestons
devant Dieu qui scrute les coeurs et qui est un juste juge, ainsi que devant
les hommes et devant toutes les créatures que, pour nous, pour les nôtres...
nous ne pouvons consentir à aucun acte ou arrêt contraire à Dieu, à sa sainte
Parole, au salut des âmes, à la bonne conscience »... C'est l'origine du
nom de protestants qui s'est répandu et qui est devenu célèbre non seulement en
Allemagne, mais aussi dans les pays étrangers. Il était inévitable que ce terme
prît une extension beaucoup plus grande, notamment dans le domaine
théologique, pour désigner ceux qui étaient entrés en conflit avec l'enseignement
de l'Eglise romaine.
Le protestantisme est un
nom générique donné aux Églises issues de la Réforme. Aussi ne convient-il
guère de parler du protestantisme, mais plus exactement des protestantismes,
bien que la foi, dans les différentes confessions séparées de l'Eglise romaine,
puisse être comparable. Pour faire bref, le protestantisme sert à désigner l'ensemble
des Églises qui se considèrent distinctes du catholicisme occidental et
oriental, et distinctes également de l'orthodoxie.
Alors que l'ombre de la
mort commence à se présenter, Luther n'en demeure pas moins actif, il travaille
avec acharnement, achevant sa traduction complète de la Bible, qu'il publie en
1534. Luther meurt, le 18 février 1546 à trois heures du matin. Les témoins de
sa mort, Martin et Paul Luther, ses fils, le comte et la comtesse de Mansfeld,
le chapelain du comte et un ami théologien de Luther, affirment qu'à la
question que lui posèrent le chapelain et le théologien : « Révérend Père,
voulez-vous mourir appuyé sur Jésus-Christ et sur la doctrine que vous avez
enseignée ? », il répondit affirmativement, d'une voix assez forte pour
que tous puissent l'entendre. Ces témoins affirment également qu'il s'est
endormi paisiblement dans la mort.
Luther
n’est pas le seul initiateur de la Réforme, même s’il lui a permis de trouver
sa première expression publique. Le mouvement va connaître un second souffle,
en la personne de Jean Calvin, qui se distinguera de Luther, par son souci
d’organiser l’Eglise réformée : Martin Luther fut le prophète, Jean Calvin
sera l’organisateur. La Réforme avait pénétré en France. La doctrine de Luther
s’était rapidement répandue, dès 1520. En Avril 1521, le parlement français
condamnait l’hérésie, et les premiers bûchers s’allumaient à Paris.
Jean Calvin
naquit à Noyon le 10 juillet 1509. Contrairement aux parents de Luther, Gérard
Cauvin, son père, et Jeanne Lefranc, sa mère, souhaitaient voir leur fils Jean
se lancer dans la carrière ecclésiastique. Jeanne Lefranc, femme très pieuse,
l’initie religieusement aux pratiques traditionnelles de la vénération des
reliques et de la dévotion populaire, en Picardie. Si elle recherche pour son
fils des protections surnaturelles, son père lui cherche des protections dans
les milieux ecclésiastiques ; et c’est ainsi que Jean Cauvin, dit Calvin, va
obtenir, dès l’âge de douze ans, des bénéfices ecclésiastiques, qui vont lui
permettre d’effectuer des études complètes.
En 1528,
après avoir obtenu de l’Eglise de Noyon un second bénéfice, il devient
« maître ès arts ». Il lit les traités que publie Luther, mais ne se
soucie guère des querelles religieuses.
Il assiste
aux derniers moments de son père, qui meurt le 26 mai 1531. Cet événement va
orienter sa conversion. En effet, son père avait été accusé de détournements
de biens, et comme il ne présentait pas ses comptes, il avait été excommunié.
Jean Calvin aimait cette Eglise catholique romaine, dans laquelle il avait
grandi, mais, dans son esprit, le doute commençait à naître. Et les incidents
qui ont eu lieu entre sa famille et les chanoines de la cathédrale de Noyon,
pour permettre l’enterrement de son père en terre chrétienne, font naître en
lui un sentiment de rancoeur contre cette Eglise. Il se laisse de plus en plus
gagner aux idées nouvelles…
Le 4 Mai
1534, il renonce à tous les bénéfices ecclésiastiques qu’il avait obtenus : il
ne veut plus recevoir de secours matériels d’une Eglise qu’il juge déjà comme
une maîtresse d’erreurs. Il rompt ainsi les liens qui l’attachaient encore à
Rome et fait le pas décisif qui le séparait des idées de la Réforme. Il fait
désormais partie de ceux que la justice du roi de France pouvait frapper, en
raison de leur foi. En 1526, les premiers martyrs de la Réforme française sont
suppliciés ; mais cette Réforme se radicalise, malgré tout, rapidement.
Dans la
nuit du 17 au 18 Octobre 1534, éclate l’affaire des Placards : des affiches
pamphlétaires, dénonçant les abus de la messe papale, sont placardées en
plusieurs endroits de Paris, et jusque sur la porte de la chambre de François Ier,
à Amboise. Cette affaire entraîne un renouveau de persécution contre les
réformés : les suspects sont arrêtés et exécutés, de nombreux partisans de la
réforme sont contraints à l’exil. Au début de l’année 1535, Calvin quitte la
France pour trouver refuge en Suisse, là où la Réforme a été accueillie favorablement.
En Mars 1536, résidant à Bâle, il fait paraître la première édition, en latin
de son « Institution chrétienne », un catéchisme pour adultes qui
obtient un vif succès : en neuf mois, tous les exemplaires disponibles
disparaissent des librairies. Calvin travaillera toute sa vie à établir une
version définitive de cette « Institution », qui devait devenir, en
1559, la Somme théologique de la Réforme.
Calvin
passe par Genève, en juillet 1536. Cette ville avait décidé de vivre selon
Évangile et la Parole de Dieu, en se libérant de la tutelle de l’évêque, et de
la maison de Savoie qui exerçait une certaine prétention sur elle. Calvin
entreprend de donner à l’Eglise genevoise les structures nécessaires qui lui
permettront de rallier pleinement la Réforme. La discipline qu’il propose ne
plaisait guère aux membres influents de Genève, ville où la liberté se
confondait facilement avec la licence. Les magistrats finissent par exiler Calvin,
le 23 Avril 1538.
Même s’il
est entré en conflit ouvert avec l’Eglise genevoise, qui l’avait exilé, il lui
conserve un profond attachement : l’évêque de Carpentras avait considéré
l’expulsion de Calvin de Genève comme une occasion pour ramener ces chrétiens
dans le giron de l’Eglise catholique romaine. Les cercles qui avaient exilé
Calvin s’adressent à lui pour qu’il prenne leur défense. En 1541, il est
rappelé à Genève, qui lui réserve un accueil triomphal. Les Genevois vont
s’organiser en une communauté qui n’est pas sans rappeler celle des premiers
chrétiens. Ce qui fait la force des idées réformatrices, ce n’est pas simplement
la constatation de l’immoralité qui régnait dans certains milieux ecclésiastiques
de l’Eglise romaine, c’est bien davantage la constatation que l’Eglise n’est
plus la même que celle des premiers siècles.
Cette
découverte avait permis aux Genevois de s’organiser en une véritable
communauté évangélique. L’Eglise de Calvin est l’Eglise des saints, le rassemblement
des élus, et non pas une Eglise de la foi, où le chrétien chercherait à obtenir
son salut par la confiance qu’il place en Dieu. Le premier objectif de Calvin
est de purifier l’Eglise de toutes les influences qui sont étrangères à
Évangile, notamment des traditions ecclésiales, qui ne sont que des inventions
humaines. Il transforme la cité en un véritable couvent laïc, en invitant les
Genevois à se préserver de tous les abus. Les mauvaises moeurs cléricales,
sans être la cause de la Réforme, avaient beaucoup favorisé l’expansion du
mouvement ; il ne convient pas de retomber dans les mêmes excès déplorables ;
il faut rompre avec le passé de corruption et de vices, pour entrer dans une
existence proprement évangélique.
Pour
veiller au bien de l’Eglise historique, Calvin, s’inspirant du Nouveau Testament,
établit quatre types de ministères : les pasteurs, les docteurs, les diacres,
les anciens. Les pasteurs reçoivent le ministère de prêcher quotidiennement et
d’administrer les sacrements, ils sont nommés par leurs collègues, avec
l’assentiment du conseil communal, ils se réunissent, une fois par semaine,
pour étudier la Bible et pour examiner fraternellement si leur prédication est
authentiquement évangélique. Les docteurs ont la charge d’assurer la tâche
essentielle de l’enseignement. Les diacres se voient confier le soin des
malades et des pauvres dans la communauté. Les anciens sont au nombre de douze
laïcs, ils sont nommés également par le conseil, et, ils forment, avec les
pasteurs, le Consistoire de l’Eglise, chargé de maintenir la doctrine dans son
orthodoxie. Ce sont les Anciens qui détiennent le pouvoir de l’admonestation et
de l’excommunication, afin que les moeurs de chaque membre de la communauté
soient toujours conformes à l’esprit de Évangile. Le Consistoire était une
sorte de tribunal d’inquisition qui sanctionnait les infractions à la vie
évangélique : les pécheurs notoires lui étaient livrés et devaient subir des
punitions, allant de l’amende honorable publique à la condamnation à mort ou au
bannissement, en passant par la torture et l’excommunication.
Les Églises
réformées ne cessant d’augmenter en France, la reine Catherine de Médicis
comprend qu’il est nécessaire de composer avec le parti de la Réforme et de
rapprocher les catholiques et les protestants. La coexistence des deux cultes
fut admise, la pratique de la religion réformée étant tolérée seulement en
dehors des villes. La rémission accordée aux huguenots fut de très courte durée
: le 1er Mars 1562, François de Guise fait massacrer soixante-dix
protestants parmi les auditeurs d’un culte, à Vassy, en Champagne. Les guerres
de religion venaient de commencer...
Ayant
renoncé à son enseignement public, en février 1564, Calvin consacre ses
dernières forces à préparer sa mort. Le 25 Avril, il dicte un testament
spirituel d’une rare sobriété, dans le dessein de se présenter sans malice devant
Dieu ; il demande des funérailles communes et une sépulture anonyme ; il
répartit ses biens entre les membres de sa famille... Il meurt paisiblement le
27 mai 1564, vers huit heures du soir. Conformément à ses désirs, il est inhumé
sans cérémonie, sans discours : aucune pierre, aucune inscription ne marque
le lieu de sa sépulture.
La doctrine
de Calvin s’est rapidement répandue dans toute l’Europe, avant même la mort du
patriarche de la Réforme. Fuyant les persécutions, les réformateurs accourraient
pour trouver refuge à Genève, d’où ils étaient ensuite renvoyés pour devenir
les missionnaires de la foi nouvelle, et ce au péril de leur vie.
Théodore de
Bèze, le successeur de Calvin dans l’Eglise genevoise organise la doctrine
réformée autour d’un thème théologique, celui de la double prédestination :
pour lui, les hommes sont prédestinés par Dieu, les uns pour l’enfer et la mort
éternelle, les autres pour le paradis et pour la vie éternelle. Calvin, quant
à lui, n’avait insisté que sur l’élection divine, laissant la damnation à
l’arrière-plan : pour lui, la prédestination n’était que l’illustration de
l’oeuvre de grâce voulue par Dieu. Bèze durcissait ainsi la doctrine de son
prédécesseur.
En
Angleterre, la Réforme, si elle répondait aux voeux de nombreux croyants, ne
fut pas l'oeuvre des hommes d'Eglise, mais de la royauté. C'est Henri VIII qui
la prépara, en s'inspirant de l'humanisme professé par Érasme. Celui-ci souhaitait
une réforme de l'Eglise, mais une réforme pacifique, qui soit l'oeuvre d'un
monarque, lequel pouvait imposer ses idées nouvelles au pape. Henri VIII embrassa
ce projet, en se déclarant favorable à une réforme dont il serait lui-même le
chef. En 1509, à dix-huit ans, Henri VIII monte sur le trône. C'est un prince
humaniste et sportif, une figure de la Renaissance, épris de faste et de
gloire, mais aussi féru de théologie : dès le début de son règne, il souhaite
une réforme évangélique de l'Eglise.
Au moment
où le luthéranisme recrutait ses premiers adeptes y compris dans les milieux
cléricaux et dans les universités. Henri VIII refusait la position de Luther
et pressait l'empereur Charles Quint d'intervenir pour extirper l'hérésie de
son empire. Léon X, pour le remercier de sa position, lui accorde le titre
qu'il convoitait : « Defensor fidei », le défenseur de la foi. Le
roi se laisse alors aller à une tendance qui n'avait rien de révolutionnaire,
celle de se mettre de plus en plus à la place du pape, pour assurer la réforme
de l'Eglise en Angleterre : tous les princes de l'Europe catholique en
faisaient autant. Mais Henri VIII avait une raison supplémentaire pour pousser
à l'extrême son grand problème religieux : l'affaire de son mariage.
Lors de son
avènement, il avait épousé la veuve de son frère, Catherine d'Aragon, une
tante de Charles-Quint. De ce mariage étaient nés six enfants qui, sauf une
fille, Marie, moururent en bas âge. La succession au trône se trouvait en
question, car, jusqu'alors, jamais une reine n'avait été au pouvoir ; Henri
VIII était désireux de s'assurer une descendance mâle et de surcroît, il était
amoureux d'une jeune fille de sa cour, Anne Boleyn. Afin de l'épouser et de
s'assurer la descendance attendue, il demande au pape l'annulation de son mariage,
en invoquant des fondements scripturaires pour appuyer sa supplique. Pour ne
pas mécontenter Charles-Quint, avec qui il venait de faire la paix, Clément VII
refusa d'accéder à la demande royale.
Henri VIII
se fait alors attribuer par la chambre des Lords le titre de chef suprême de
l'Eglise d'Angleterre, en 1531. La déclaration qui l'établissait comme l'unique
protecteur de l'Eglise, fondait la Réforme anglaise. Le roi fait interdire le
paiement des impôts du pape, qu'il réclame pour son propre compte ; il se fait
attribuer par le clergé le droit de contrôle sur le droit canon. En juillet
1534, le pape prononça l'excommunication du roi. Henri VIII riposte en faisant
promulguer par le Parlement une série de lois qui enlèvent au pape toute
juridiction sur l'Eglise d'Angleterre : le roi et ses successeurs deviennent
l'unique autorité temporelle de l'Eglise d'Angleterre.
La
séparation se situe davantage sur le plan de la juridiction de la papauté que
sur celui de la doctrine. Les liens qui unissaient l'Eglise anglicane avec le
siège romain sont coupés, les évêques sont affranchis de la soumission au
successeur de Pierre, et le roi s'octroie, sur l'Eglise anglicane, le pouvoir
que possédait précédemment la papauté. Le pape, pas plus qu'un autre évêque
étranger, ne peut plus désormais intervenir dans les affaires internes de
l'Eglise d'Angleterre. D'une certaine façon, le schisme est alors consommé ; cependant,
Henri voulait, à tout prix, maintenir, parmi ses sujets, la foi catholique. Ce
schisme ne connaît aucune résistance dans le peuple qui n'appréciait guère
l'autorité abusive de la papauté et de la curie romaine, le clergé, quant à
lui, s'était déjà soumis au catholicisme d'état. Inconstant en amour, le roi
prétendait demeurer fidèle avec l'orthodoxie de la foi catholique, bien qu'il
se soit séparé de la juridiction romaine. Seules, des raisons politiques
l'obligèrent à se rapprocher de la Réforme.
Si le
schisme avait été consommé avec Rome par Henri VIII, c'est plutôt son fils,
Édouard VI, sous l'influence de ses protecteurs, qui va entraîner le royaume
d'Angleterre dans l'hérésie protestante. Des mesures liturgiques furent prises,
donnant naissance au « Book of commun prayer », le « livre de la
prière commune », auquel le Parlement donna force de loi, en 1549.
L'ordre de la messe catholique était maintenu, mais on éliminait toutes les
formules laissant supposer qu'il pouvait s'agir d'un sacrifice eucharistique
et celles qui présentaient le dogme de la transsubstantiation : la nouvelle
liturgie remplaçait l'usage du latin par l'anglais. Ce livre était un compromis
qui pouvait satisfaire les protestants sans effrayer les catholiques.
Dès ses
origines, l'anglicanisme diffère profondément du protestantisme luthérien ou
calviniste : sur le continent, les Réformateurs furent des hommes de doctrine,
des théologiens, avant d'être des hommes d'action ; en Angleterre, rien de
comparable, puisque les meneurs sont d'habiles politiques qui s'affranchissent
de la tutelle de Rome bien avant de se constituer une référence dans des
écrits. L'Eglise anglicane a toujours évité de se dire
« protestante », le climat de pensée théologique est beaucoup plus
proche du catholicisme que du protestantisme. Toutefois, il convient de noter
que l'Eglise anglicane possède des affinités évidentes avec la Réforme, sur le
plan de l'organisation ecclésiale, tout en ne développant pas une théologie qui
s'apparente de façon immédiate avec la théologie protestante dans son
ensemble.
La
séparation des Églises issues de la Réforme vis-à-vis de l'Eglise catholique
romaine s'est faite pour des raisons doctrinales, pour des motifs qui
relevaient de la foi chrétienne. Luther et Calvin sont intervenus pour
rappeler avec force les exigences évangéliques en face d'un catholicisme qui
s'était cristallisé autour de ses traditions : jamais Luther n'a voulu opérer
une scission, mais il appelait de tous ses voeux une réforme intérieure de
l'Eglise et toutes ses intentions étaient profondément et authentiquement
catholiques. La rupture est venue d'une incompréhension réciproque : Luther
proclamait la primauté de la foi, Calvin celle de l'Écriture, tout en refusant,
l'un comme l'autre, l'autorité absolue du magistère romain. La querelle
théologique dégénéra en guerre religieuse.
Quelle que
soit son obédience, le protestant sait qu'il appartient à l'unique Eglise de
Jésus-Christ, Eglise en construction, Eglise qui doit chercher avant tout la
gloire et l'honneur de Dieu, beaucoup plus que le triomphe ou la suprématie
d'une visibilité temporelle.
Des Églises
issues de la Réforme, les plus importantes sont l'Eglise luthérienne, qui
compte entre soixante et soixante-dix millions de fidèles dispersés à travers
le monde, et l'Eglise réformée, d'origine calvinienne, qui regroupe environ cinquante-cinq
millions de fidèles. Les Églises, et même les sectes, se sont rapidement
multipliées, dans le protestantisme, dès le seizième siècle, sans doute à cause
du principe du libre examen de Écriture par l'individu croyant, principe défendu
avec ardeur par les premiers réformateurs, mais aussi et peut-être surtout en
raison de cet autre principe, qui veut que la Réforme de l'Eglise soit toujours
à faire et que la véritable Eglise de Jésus Christ ne cesse d'être en construction.
Les
Anabaptistes ont vu le jour, vers 1520, à Zurich. Leur nom vient du fait qu'ils
pratiquaient un second baptême pour les adultes, qui avaient été baptisés dans
leur enfance. Ce second baptême implique une adhésion personnelle des hommes
qui acceptent la Parole de Dieu, et qui refusent, dans le même temps, tort
asservissement à un pouvoir civil, fut-il inspiré par une Eglise d'État. Ils
ont été organisés par un prêtre, venu du catholicisme, Simon Menno (1492-1559)
; celui-ci leur redonna vie, après les persécutions qu'ils avaient connues aux
Pays-Bas et en Europe du Nord, en 1146. Les Anabaptistes, appelés aussi de ce
fait Mennonites, comptent environ cinq cent quatre-vingt mille fidèles
principalement aux Pays Bas et aux États Unis.
Les
Baptistes ont trouvé leur origine dans le mouvement anabaptiste, s'organisant
en communautés ferventes dans l'Angleterre de la fin du dix-septième siècle. Le
baptême n'est accordé qu'à l'âge adulte. Les Baptistes, dont le nombre est
estimé à plus de trente millions de fidèles, sont répandus dans le monde, surtout
aux États Unis, mais aussi en Union Soviétique, où les communautés sont très
prospères.
Les
Méthodistes sont également un peu plus de trente millions répandus dans le
monde, plus spécialement en Amérique. Ils trouvent leur origine dans la
prédication des frères John et Charles Wesley, qui voulaient réveiller la foi
des chrétiens anglicans. Le méthodisme, ainsi appelé plus ou moins ironiquement
au départ par ses détracteurs, repose sur l'insistance que les deux frères mettaient
dans la nécessité de la justification, par l'accomplissement des actions bonnes
et par la disposition du coeur à accomplir de telles actions.
Les Églises
évangéliques regroupent des croyants fondamentalistes pour qui toute la Bible
est Parole de Dieu, ce qui n'est contesté par personne, et pour qui aussi seule
la Bible est Parole de Dieu : c'est la Bible seule qui peut être la référence
dans toute vie chrétienne. Le chrétien doit d'abord professer son appartenance
à Jésus Christ, par une décision personnelle, avant de recevoir le baptême.
Dès avant
la création du Conseil oecuménique des Églises, monde protestant aspirait déjà
à une certaine réunification ; des regroupements avaient pris le nom
d'alliance.
- 1844 :
première union chrétienne de jeunes gens
- 1847 :
appel à une alliance évangélique universelle
- 1854 :
première conférence missionnaire internationale
- 1855 :
alliance universelle des unions chrétiennes de Jeunes gens
- 1867 :
première conférence internationale des responsables d la communion anglicane
- 1875 :
fondation d'une alliance universelle des Églises réformées suivant le système
presbytérien, fondation qui devait se transformer en une alliance réformée
mondiale
- 1881 :
premier concile oecuménique méthodiste
- 1894 :
alliance universelle des unions chrétiennes de jeunes filles
- 1895 :
fédération universelle des associations chrétiennes d'étudiants
- 1900 :
fondation de l'alliance luthérienne mondiale
- 1905 :
fondation de l'alliance baptiste mondiale
- 1911 :
Conférence missionnaire internationale d'Édimbourg
- 1914 :
Alliance universelle pour l'amitié internationale par les Églises
Toutefois,
comme les regroupements sont rarement décidés à l'unanimité, de nouvelles
scissions se sont opérées à l'intérieur du protestantisme à la suite de ces
tentatives d'alliances. C'est ainsi que la fédération protestante de France,
constituée en 1905, n'a pas regroupé toutes les Églises : l'union des Églises
évangéliques libres de France a voulu garder sa complète autonomie. De même, en
1938, l'Eglise réformée de France a voulu regrouper différentes Églises protestantes
; dans chacune de ces dernières, une fraction a préféré garder son autonomie.
C'est du
protestantisme qu'est venue la grande intuition de l'oecuménisme. La division
des Églises anciennes est un sérieux obstacle à l'effort missionnaire. Les
représentants des jeunes Églises remerciaient les missionnaires qui leur
avaient appris à connaître Jésus Christ, mais ils étaient en même temps
scandalisés par les divergences de ces missionnaires, méthodistes, luthériens,
calvinistes... Comment peut-on reconnaître un seul et même Seigneur au milieu
de toutes les divisions de ses serviteurs ? La prédication de l'unique Évangile
devait faire cesser toutes les dissensions pratiques qui subsistaient dans la
grande oeuvre missionnaire. Cette idée devait trouver rapidement un écho très
favorable dans les milieux protestants ; la première guerre mondiale retarda
quelque peu la mise en oeuvre d'une telle ambition missionnaire, mais, dès le
lendemain de la dite guerre, la réalisation était mise en chantier.
L'unité
n'était pas encore réalisée, mais les chemins qui pouvaient y conduire sont
désormais ouverts : le Conseil oecuménique des Églises est une association
fraternelle des Églises qui acceptent Jésus Christ comme Dieu et comme Sauveur.
Les conceptions théologiques ou ecclésiologiques peuvent être très différentes
dans les Églises réunies dans le Conseil, qui se refuse de se présenter comme
une super-Eglise. Le rôle de cette association est de rechercher comment
parvenir à l'unité.
Les
origines et la constitution de ce Conseil oecuménique des Églises restent des
initiatives protestantes, même si quelques Églises orthodoxes participaient à
ce Conseil. Ce n'est qu'en 1962 que l'Eglise orthodoxe du patriarcat de Moscou
ainsi que plusieurs Églises orthodoxes d'Europe de l'Est entrent au Conseil
oecuménique. Après un millier d'années, un véritable échange fraternel pouvait
se faire entre les Églises d'Orient et les Églises d'Occident.
Le deuxième
concile oecuménique Vatican II, organisé par l'Eglise catholique romaine, à
l'appel du pape Jean XXIII, fut également une chance pour la recherche de
l'unité : de nombreux observateurs des confessions chrétiennes, et
particulièrement les protestantes, occupèrent une place importante dans les travaux
des pères conciliaires Après des siècles d'incompréhension réciproque, une
place de plus en plus grande était faite à l'unanimité morale des chrétiens.
Le christianisme
existe-t-il ?
A la fin du seizième siècle, trois tendances se
dégagent dans la chrétienté : le catholicisme, l'orthodoxie, et le
protestantisme. Et ces trois obédiences vont se poursuivre dans des histoires
souvent parallèles, du moins au niveau théologique. Il faudra attendre le vingtième
siècle pour qu'un mouvement en faveur de l'unité se dessine, l'oecuménisme.
Les séparations dans l'Eglise, si elles ont été le
fait d'une mauvaise compréhension mutuelle, n'en ont pas moins été liées à des
conditionnements politiques, dans un contexte de luttes pour la suprématie sur
toute la chrétienté, tant au plan théologique qu'au plan de la hiérarchie
religieuse et civile.
La visée oecuménique, suscitée au début du
vingtième siècle dans un mouvement presque souterrain, finit par s'imposer avec
force sous le pontificat de Jean XXIII qui réunit le deuxième concile du Vatican.
Les chrétiens s'efforcent de mieux se comprendre les uns les autres, non pas
en réduisant les différences qui continuent d'exister, mais en les situant
dans une perspective de conciliation. L'unité des chrétiens reste le souci
majeur tant dans l'Eglise catholique que dans les Églises d'Orient et dans les
Églises issues de la Réforme, mais de sérieux pas sont accomplis dans une
marche vers l'unité. Ainsi, en janvier 1966, une traduction oecuménique du
« Notre Père » était proposée aux chrétiens francophones qui
pouvaient ainsi s'unir dans la prière qu'ils adressaient à Celui qui est leur
Père. Depuis lors, en 1972, paraissait la traduction oecuménique du Nouveau
Testament, suivie en 1975 par la traduction de l'Ancien Testament.
Jusqu'alors, dans les rencontres entre chrétiens
de confessions différentes, les chrétiens étaient amenés à lire la Bible et
ils avaient pris l'habitude de confronter ou de comparer les traductions différentes.
Ces comparaisons rapprochèrent les chrétiens dans leur recherche de la Parole
de Dieu. L'idée d'une traduction commune fit rapidement son chemin ; il fut
décidé de commencer par une traduction de la Lettre de saint Paul aux
Romains ; cette lettre avait toujours posé de graves questions relatives à
son interprétation. Commencer un travail oecuménique par cette traduction fut
considéré comme un véritable test ; si elle pouvait être agréée par tous les
chrétiens, la traduction de l'ensemble de la Bible ne poserait plus de
problèmes majeurs, ne rencontrerait pas d'obstacles insurmontables. En 1967,
la traduction oecuménique de cette Lettre était proposée par les différentes
éditions chrétiennes et acceptée par toutes les communautés. Ce qui avait
causé la division des chrétiens pouvait devenir cela même qui allait les
rapprocher dans une confrontation commune de chaque confession avec la Parole
de Dieu.
La marche vers un plein oecuménisme est lente, à
cause des divergences dogmatiques, mais il faut reconnaître le mérite de cette
lenteur ; il ne saurait être question de tricher avec les vérités de la foi. Et
puisque, le 7 décembre 1965, dans une déclaration commune, le pape Paul VI et
le patriarche Athénagoras Ier ont levé les anathèmes réciproques qui les
opposaient depuis Michel Cérulaire (en 1054), on pourrait y trouver un exemple
pour la levée de l'excommunication de Luther. Il appartient aux juristes,
spécialistes en droit canon (le droit officiel de l'Eglise romaine) de se prononcer
dans une telle affaire, qui dépasse les compétences des chrétiens et de leurs
pasteurs. La mesure qu'ils seront amenés à prendre relève beaucoup plus du
droit que d'une grâce pontificale... Réformer l'Eglise, tant pour les premiers
réformateurs que pour les catholiques d'après Vatican II, ce n'est pas faire
table rase du passé, c'est remettre en valeur l'essence et les structures de
l'Eglise, c’est restaurer la communauté actuelle à l'image de la première
génération chrétienne. L'histoire de l'Eglise, les transformations qu'elle a pu
connaître au cours des siècles ne doivent pas être négligées...
Le christianisme a pris des formes diverses, au
cours de l'histoire, et il existe désormais dans les déterminations concrètes
du catholicisme, de l'orthodoxie et du protestantisme. A elles trois, ces expressions
religieuses forment le christianisme, mais il ne peut être pensable de
considérer le christianisme comme une entité isolable de ses déterminations.
C'est sans doute à ce niveau qu'il est possible de repérer que la révélation,
que la proposition que Dieu fait de lui-même aux hommes, ne se place pas sous
le signe de l'obligation ou de la nécessité ; Dieu n'impose pas une forme
particulière et déterminée, il permet à tout homme, à la lumière de la
révélation, de le rechercher et de le découvrir, selon des modalités différentes.
Il n'est pas possible de découvrir le
christianisme en dehors de ses expressions historiques, sinon en mentionnant
simplement les grandes lignes du message que Jésus de Nazareth a pu livrer à
ceux qui sont devenus ses disciples. Ceux-ci l'ont transmis aux générations
ultérieures sous la forme des Évangiles et des lettres qu'ils ont adressées
aux communautés. Le message chrétien trouve son condensé dans la confession de
foi du « Symbole des Apôtres » ; tous les chrétiens partagent la foi
annoncée dans ce Symbole, devenu signe de reconnaissance mutuelle.
Le christianisme est une réponse de l'homme à
l'initiative de Dieu, rendue plus sensible à certains dans la mort et la
résurrection de Jésus-Christ. Le message chrétien a pu être interprété avec de
grandes différences selon les mentalités des hommes auxquels il est parvenu,
avec des accentuations différentes selon les territoires et selon les
traditions historiques. Il faut tenir compte des déterminations socioculturelles,
dans les Églises, pour découvrir le christianisme ; vouloir chercher le
christianisme ou l'essence de la foi chrétienne en dehors de toute
considération historique amènerait à un syncrétisme de mauvais aloi qui
n'aurait alors plus rien à voir avec la vérité du message chrétien, lequel ne
peut s'exprimer que dans la pluralité, dans la diversité de perception du même
message d'un Dieu unique.