Le christianisme
existe-t-il ?
A la fin du seizième siècle, trois tendances se
dégagent dans la chrétienté : le catholicisme, l'orthodoxie, et le
protestantisme. Et ces trois obédiences vont se poursuivre dans des histoires
souvent parallèles, du moins au niveau théologique. Il faudra attendre le vingtième
siècle pour qu'un mouvement en faveur de l'unité se dessine, l'oecuménisme.
Les séparations dans l'Eglise, si elles ont été le
fait d'une mauvaise compréhension mutuelle, n'en ont pas moins été liées à des
conditionnements politiques, dans un contexte de luttes pour la suprématie sur
toute la chrétienté, tant au plan théologique qu'au plan de la hiérarchie
religieuse et civile.
La visée oecuménique, suscitée au début du
vingtième siècle dans un mouvement presque souterrain, finit par s'imposer avec
force sous le pontificat de Jean XXIII qui réunit le deuxième concile du Vatican.
Les chrétiens s'efforcent de mieux se comprendre les uns les autres, non pas
en réduisant les différences qui continuent d'exister, mais en les situant
dans une perspective de conciliation. L'unité des chrétiens reste le souci
majeur tant dans l'Eglise catholique que dans les Églises d'Orient et dans les
Églises issues de la Réforme, mais de sérieux pas sont accomplis dans une
marche vers l'unité. Ainsi, en janvier 1966, une traduction oecuménique du
« Notre Père » était proposée aux chrétiens francophones qui
pouvaient ainsi s'unir dans la prière qu'ils adressaient à Celui qui est leur
Père. Depuis lors, en 1972, paraissait la traduction oecuménique du Nouveau
Testament, suivie en 1975 par la traduction de l'Ancien Testament.
Jusqu'alors, dans les rencontres entre chrétiens
de confessions différentes, les chrétiens étaient amenés à lire la Bible et
ils avaient pris l'habitude de confronter ou de comparer les traductions différentes.
Ces comparaisons rapprochèrent les chrétiens dans leur recherche de la Parole
de Dieu. L'idée d'une traduction commune fit rapidement son chemin ; il fut
décidé de commencer par une traduction de la Lettre de saint Paul aux
Romains ; cette lettre avait toujours posé de graves questions relatives à
son interprétation. Commencer un travail oecuménique par cette traduction fut
considéré comme un véritable test ; si elle pouvait être agréée par tous les
chrétiens, la traduction de l'ensemble de la Bible ne poserait plus de
problèmes majeurs, ne rencontrerait pas d'obstacles insurmontables. En 1967,
la traduction oecuménique de cette Lettre était proposée par les différentes
éditions chrétiennes et acceptée par toutes les communautés. Ce qui avait
causé la division des chrétiens pouvait devenir cela même qui allait les
rapprocher dans une confrontation commune de chaque confession avec la Parole
de Dieu.
La marche vers un plein oecuménisme est lente, à
cause des divergences dogmatiques, mais il faut reconnaître le mérite de cette
lenteur ; il ne saurait être question de tricher avec les vérités de la foi. Et
puisque, le 7 décembre 1965, dans une déclaration commune, le pape Paul VI et
le patriarche Athénagoras Ier ont levé les anathèmes réciproques qui les
opposaient depuis Michel Cérulaire (en 1054), on pourrait y trouver un exemple
pour la levée de l'excommunication de Luther. Il appartient aux juristes,
spécialistes en droit canon (le droit officiel de l'Eglise romaine) de se prononcer
dans une telle affaire, qui dépasse les compétences des chrétiens et de leurs
pasteurs. La mesure qu'ils seront amenés à prendre relève beaucoup plus du
droit que d'une grâce pontificale... Réformer l'Eglise, tant pour les premiers
réformateurs que pour les catholiques d'après Vatican II, ce n'est pas faire
table rase du passé, c'est remettre en valeur l'essence et les structures de
l'Eglise, c’est restaurer la communauté actuelle à l'image de la première
génération chrétienne. L'histoire de l'Eglise, les transformations qu'elle a pu
connaître au cours des siècles ne doivent pas être négligées...
Le christianisme a pris des formes diverses, au
cours de l'histoire, et il existe désormais dans les déterminations concrètes
du catholicisme, de l'orthodoxie et du protestantisme. A elles trois, ces expressions
religieuses forment le christianisme, mais il ne peut être pensable de
considérer le christianisme comme une entité isolable de ses déterminations.
C'est sans doute à ce niveau qu'il est possible de repérer que la révélation,
que la proposition que Dieu fait de lui-même aux hommes, ne se place pas sous
le signe de l'obligation ou de la nécessité ; Dieu n'impose pas une forme
particulière et déterminée, il permet à tout homme, à la lumière de la
révélation, de le rechercher et de le découvrir, selon des modalités différentes.
Il n'est pas possible de découvrir le
christianisme en dehors de ses expressions historiques, sinon en mentionnant
simplement les grandes lignes du message que Jésus de Nazareth a pu livrer à
ceux qui sont devenus ses disciples. Ceux-ci l'ont transmis aux générations
ultérieures sous la forme des Évangiles et des lettres qu'ils ont adressées
aux communautés. Le message chrétien trouve son condensé dans la confession de
foi du « Symbole des Apôtres » ; tous les chrétiens partagent la foi
annoncée dans ce Symbole, devenu signe de reconnaissance mutuelle.
Le christianisme est une réponse de l'homme à
l'initiative de Dieu, rendue plus sensible à certains dans la mort et la
résurrection de Jésus-Christ. Le message chrétien a pu être interprété avec de
grandes différences selon les mentalités des hommes auxquels il est parvenu,
avec des accentuations différentes selon les territoires et selon les
traditions historiques. Il faut tenir compte des déterminations socioculturelles,
dans les Églises, pour découvrir le christianisme ; vouloir chercher le
christianisme ou l'essence de la foi chrétienne en dehors de toute
considération historique amènerait à un syncrétisme de mauvais aloi qui
n'aurait alors plus rien à voir avec la vérité du message chrétien, lequel ne
peut s'exprimer que dans la pluralité, dans la diversité de perception du même
message d'un Dieu unique.