L'Eglise de la Réforme
Un millénaire après la
chute de l'Empire romain d'Occident, un renouveau se fait sentir dans les
conceptions philosophiques et scientifiques, au début du quatorzième siècle.
Dans le domaine des connaissances, l'Eglise avait adopté une attitude
anticulturelle, étouffant bon nombre de talents. Le passage du Moyen-Age à la
Renaissance se marque par un mouvement intellectuel, qui pourrait se signifier
par le passage d'un monde clos sur lui-même à un univers nouveau entièrement
ouvert sur de nouvelles découvertes, qui remettent en question l'enseignement
de l'Eglise, sur la place de l'homme dans l'univers et sur la place de la terre
dans la création voulue par Dieu. Il a fallu plusieurs décennies pour que les
Européens découvrent cette nouvelle dimension de l'univers. La découverte du
Nouveau Monde, par Christophe Colomb et par Americo Vespucci, par les expéditions
de Vasco de Gama, a d'abord convaincu les marchands, les conquistadores et les
banquiers, avant que les intellectuels se décident à percevoir que la
dimension du monde avait complètement été transformée par leurs découvertes.
Giordano Bruno paiera de sa
vie le fait d'avoir montré que le monde pouvait se concevoir comme infini,
alors que les maîtres de l'enseignement s'en tenaient au conformisme le plus
scrupuleux, assurant que la terre était le centre de gravité du monde et que
l'homme était le sommet de cette terre. Giordano Bruno peut être considéré
comme le personnage-symbole de la Renaissance. De son vivant (1548-1600), il
réalisa l'unanimité contre lui : tous les théologiens ne pouvaient accepter
ses méthodes d'investigation dans le domaine de la métaphysique. Après sa
mort, tous le revendiquèrent. Très attiré par la théorie copernicienne, et
sans renier le principe de la création, il voulait dissocier la théologie des
recherches scientifiques, opérant ainsi une révolution au sein de l'Eglise et
de son enseignement. Arrêté par l'Inquisition en 1592, il ne sortit de prison
que pour monter au bûcher, le 17 février 1600 : martyr de la Renaissance, il a
laissé l'empreinte de sa pensée sur l'Occident ultérieur.
L'humanisme renaissant
manifestait une insatisfaction vis-à-vis de l'Eglise, ébranlée par le schisme
d'Occident, par l'avilissement de la cour romaine et l'affaiblissement de la
hiérarchie...
En 1377, le pape
Grégoire XI quitte Avignon, où les pontifes résidaient depuis 1309,
chassés par les troubles en l'Italie. Il regagne Rome et meurt l’année
suivante. Le conclave chargé d’élire un nouveau pape s’apprête à désigner un
Français car il est composé à majorité française. Le peuple romain, exaspéré
par la tutelle française, manifeste pour « exiger » un pape italien.
Sous la pression, le conclave élit un Italien, Urbain VI. Ce dernier fait
bientôt preuve d’hostilité et d’un autoritarisme maladroit envers les cardinaux
français, qui, mécontents, annulent cette élection et choisissent un autre
pape, Clément VII, qui s’installe à Avignon. Chacun des deux papes rallie
dans son camp des souverains et des princes, divisant l’Europe en deux clans.
L’autorité papale est discréditée, aucune réconciliation ne semble
possible... Les cardinaux des deux camps se réunissent à Pise en 1408, élisent
un troisième pape et déposent les deux autres qui s’y refusent. L’issue n’est
trouvée qu’en 1418, au concile de Constance qui met fin à ce Grand
Schisme : Martin V est élu.
La première tâche de ce
pape fut de reprendre le contrôle de ses États et de rétablir une puissance
financière, en réorganisant le système des impôts, si bien qu'à sa mort, la
papauté était redevenue une puissance, forte, riche, et influente. Ce
rétablissement de la papauté eut pour conséquence de faire de Rome, et de
l'Italie, le pôle d'attraction de toute l'Europe. Nicolas V, humaniste érudit,
décida de faire de Rome la capitale culturelle de l'Italie, et par conséquent
de l'Europe. Pour réaliser ce projet, il entreprit de transformer la petite
bibliothèque pontificale en une vaste collection de manuscrits anciens, grecs
et latins, afin de constituer une bibliothèque digne de ce nom. Son second
projet fut de reconstruire la basilique Saint-Pierre, avec magnificence. Ses
successeurs continuèrent cette politique de la culture et de la reconstruction
de Rome et du Vatican. C'est ainsi que Sixte IV fut un grand protecteur des
artistes : il fit construire la chapelle dite « sixtine », et dont la
réputation est mondiale. Avec son successeur, Innocent VII, la réputation de la
papauté tomba rapidement : il reconnut un fils et une fille illégitimes qu'il
avait eus avant d'être prêtre, il créa de nombreux cardinaux parmi ses parents
et ses partisans, faisant du collège cardinalice une assemblée d'hommes
ambitieux, qui se divisèrent en factions et qui firent répandre leurs
intrigues dans Rome et ses environs. Le pape Jules II (1503-1513) chargea
Bramante de reconstruire le grand édifice de la basilique Saint-Pierre, il
soutint cette entreprise par l'octroi d'indulgences plénières à toute la
chrétienté. Celles-ci furent poursuivies par son successeur, Léon X, en 1514.
Le commerce des indulgences allait mettre le feu aux poudres et être le détonateur
d'un grand courant de réforme de l'Eglise.
A l'origine, ce terme
« d’indulgence » désignait la remise d'une pénitence publique
imposée par l'Eglise, pour une durée déterminée, après le pardon des péchés.
Les prédicateurs de l'indulgence, proclamée par Jules II et Léon X, avaient
reçu des pouvoirs spéciaux, qui leur permettaient de vendre des lettres de
confession et d'absoudre les fidèles de tous leurs péchés. La théologie
expliquait que l'on pouvait puiser dans les mérites du Christ et de la Vierge
Marie, ou dans les mérites des saints pour obtenir le pardon de ses fautes et
même pour obtenir le pardon des fautes des défunts. Les prédicateurs
expliquaient que le pape pouvait distribuer les dons obtenus par les saints en
récompense d'un don qui servirait à la construction de la basilique Saint-Pierre.
Certains prédicateurs allaient jusqu'à affirmer que « lorsque l'argent
résonne dans la cassette, l'âme s'envole directement au ciel ». Luther,
en proie à de vrais tourments mystiques sur le péché et le salut, ne pouvait
que critiquer cette proclamation d'une grâce obtenue à prix d'argent. La grâce,
don gratuit de Dieu, ne pouvait pas se monnayer : l'Eglise abusait de l'insécurité
des fidèles, bradait les dons de Dieu, à des fins humaines.
Il ne saurait être
question de réduire la Réforme à ce seul conflit ; l'Europe connaissait une
crise économique, dont l'Eglise elle-même souffrait depuis près d'un siècle.
Les biens de l'Eglise consistaient en des propriétés foncières qui étaient
louées ; les ressources des paroisses provenaient de dons en nature, celles des
couvents et des monastères, de la dîme et de rentes foncières. L'apparition de
l'économie monétaire avait entraîné une série de dévaluations, qui diminuaient
les revenus des différents corps ecclésiastiques. L'Eglise perdait
progressivement ses biens ; et cette situation désastreuse ne pouvait pas être
sans conséquence pour la vie de la chrétienté, et particulièrement de la
hiérarchie : les évêques perdaient leur indépendance par rapport aux fidèles,
les moines devaient s'occuper personnellement de l'administration de leurs
biens, ne pouvant plus se permettre de les confier à d'autres. Les couvents en
vinrent à demander l'administration de paroisses pour permettre aux moines de
survivre, les prêtres de paroisse furent parfois contraints de gagner leur pain
par un travail indépendant. Les bénéfices, attachés à tel ou tel poste
ecclésiastique, ne suffisaient plus à nourrir les titulaires. L'Eglise
connaissait la pauvreté et cherchait à sortir de ce marasme, en instaurant de
nouvelles pratiques qui lui permettraient d'augmenter ses ressources.
Ne connaissant pas les causes de la crise, ne disposant pas des moyens qui
leur expliqueraient les origines de cette situation, les hommes attribuèrent
rapidement au pape la responsabilité de la crise : partout se levaient des
collecteurs d'impôts du pape, qui n'hésitaient pas à menacer d'excommunication
ceux qui ne verseraient pas leur tribut à la cause pontificale.
De plus, cette crise
n'était pas simplement économique ; elle avait des répercussions politiques. En
France, le roi très chrétien avait une influence illimitée pour la nomination
des évêques et des abbés de monastère ; il était considéré comme le premier
personnage ecclésiastique du royaume, réglant les litiges, dans la mesure où
ceux-ci ne concernaient pas directement des évêques. Cependant malgré ce
pouvoir royal, les institutions et les moeurs ecclésiastiques sombraient dans
l’anarchie. Des groupes rivaux se déchiraient pour obtenir plus de libertés.
Les réformes nécessaires, étaient freinées par ces rivalités. Dans les pays
germaniques, l'Eglise n'avait pas pu se constituer comme une réalité nationale,
d'autant plus que le grand Empire n'était plus qu'une association de princes
autonomes qui ne tenaient guère à maintenir des rapports étroits avec la
couronne impériale. Rome essayait de maintenir une forme particulière de pouvoir
sur les États des princes : la nomination des évêques échappait à ces princes,
même s'il leur était permis de nommer certains hommes à quelques postes épiscopaux.
A chaque prise en charge d'une cathédrale ou d'un couvent, une taxe était
exigée par Rome. Cette forme d'ingérence se compliqua du fait que certains papes
essayèrent d'étendre aux territoires allemands les droits et les impôts
romains, ce qui ne manqua pas de soulever des sentiments anticléricaux et anti-romains.
Là aussi, le point de non-retour était atteint qui allait favoriser la
naissance de la Réforme.
Ce qu'il est convenu
d'appeler le bas-clergé vivait dans une situation précaire, aussi bien
matériellement que moralement et spirituellement. Contraints à la pauvreté, du
fait de leur ordination, les prêtres se voyaient obligés d'exercer une
profession pour leur permettre de subsister ou d'avoir recours à la mendicité.
En un certain sens, cette situation pouvait être bénéfique : les prêtres
apprenaient à comprendre le peuple dont ils recevaient la charge et dont ils
pouvaient partager tous les besoins... Et, en même temps, ils n'étaient malheureusement
pas à l'abri des tentations qui pouvaient être celles de ce même peuple. Car la
formation de ces prêtres était rudimentaire ; c'est chez le curé d'un village
qu'ils apprenaient les rudiments du latin pour dire la messe et pour
administrer les sacrements : ils se formaient ainsi auprès d'un prêtre qu'ils
considéraient comme un modèle et un idéal de vie, sans connaître de formation
plus poussée dans le cadre d'une université ou d'un collège. Abandonnés à
eux-mêmes, et vivant dans la détresse morale, ces prêtres se laissaient souvent
aller à des écarts de conduite : c'est ainsi que la pratique du concubinage
était fréquente... et ils manquaient de sens pastoral, puisque leur tâche se
réduisait à l'administration des sacrements, tout en veillant à la correcte
application de la discipline ecclésiastique dans le territoire paroissial. Les
évêques ne pouvaient leur inculquer les rudiments du devoir pastoral, nommés
très jeunes en raison des situations familiales, jouissant simplement des
bénéfices affectés à leur poste. Certains même étaient totalement indignes de
leur charge, beaucoup n'ayant même pas conscience de leurs devoirs. Les sièges
épiscopaux les plus importants étaient confiés à des hommes qui avaient rendu
des services à la couronne ou à la curie romaine, sans avoir été préparés à une
mission d'Eglise. Dans la majorité des cas, prêtres et évêques étaient
ignorants des questions théologiques... Le lien des évêques entre eux et des
évêques avec le pape était très lâche, mais, les évêques copiaient
l'administration pontificale, confiant à des vicaires généraux le soin de
veiller aux relations avec le clergé et à un auxiliaire, choisi généralement
parmi les ordres mendiants, les fonctions épiscopales proprement dites. Toutefois,
il serait injuste de ne considérer que les travers de ce clergé. Dans la terre
natale de la Réforme, il y eut aussi des exceptions en grand nombre, dans la
période qui a précédé la Réforme : certains évêques se mirent à prêcher au
peuple et à essayer de réformer eux-mêmes leur Eglise locale. C'est le cas des
évêques d'Augsbourg et de Constance... Mais comme la curie romaine et la
papauté ne s'étaient pas encore réformées, toutes les tentatives de réforme à
l'intérieur des Églises locales restèrent souvent sans lendemain.
La fin du quatorzième et
le début du quinzième siècle voient l'hérésie réapparaître en Europe, d'abord
en Angleterre puis en Bohême. Une tentative de Réforme de l'Eglise se fit, à
l'instigation d'intellectuels, qui voulaient remettre en pratique un
christianisme pur et primitif, à la manière des vaudois, du Sud de la France.
En Angleterre, Jean
Wycliff, né en 1328, dans une famille de la petite noblesse du Yorkshire,
étudiant, puis professeur à Oxford, ne tarde pas à se poser comme un des chefs
du courant hostile à la papauté et aux membres du haut clergé. Il s'engage
dans la réflexion théologique, dans la ligne de la pensée de saint Augustin.
C'est ainsi qu'il affirme que les chrétiens, et, parmi eux, les prêtres,
doivent suivre la règle évangélique de la pauvreté. Il entreprend une critique
de l'Eglise, en affirmant que le clergé et les sacrements sont inutiles pour
le salut. Il affirme que la véritable Eglise est invisible et qu'elle est
constituée de ceux que Dieu a prédestinés au salut. Il prétend que seuls ceux
qui sont en état de grâce, et donc susceptibles de prendre possession du salut
offert par Dieu, méritent de posséder les biens terrestres, la hiérarchie de
l'Eglise, corrompue par le péché, étant inapte à cette possession ; le pouvoir
séculier se trouve justifié de confisquer les biens de qui que ce soit, et
particulièrement de l'institution ecclésiale, quand cela semble nécessaire.
L'idéalisme de la pauvreté évangélique se présente alors comme inextricable
ment mêlé à un opportunisme politique, ce qui lui valut la protection royale. Alors
qu'il avait été dénoncé auprès du pape Grégoire XI, en 1377, Jean Wycliff
échappa aux poursuites, en raison de cette protection. En mettant en cause
l'enseignement de l'Eglise sur l'eucharistie, il perdit beaucoup de ses
partisans, car il attaquait le respect et la dévotion que les fidèles pouvaient
avoir envers ce sacrement, cela devait entraîner sa condamnation en 1382.
Après sa condamnation, son
école de pensée fut chassée d'Oxford, et lui-même se retira, pour mourir en
1384. Il mourut isolé, chef d'une petite secte : son entreprise de réforme
avait échoué. Néanmoins, ses idées se répandirent, malgré les efforts répétés
de la hiérarchie et de l'orthodoxie officielle. L'Eglise officielle s'aperçoit
alors que ses idées ont une influence hors d'Angleterre : elles s'étaient
répandues à Prague et dans toute l'Europe centrale. Un châtiment posthume fut
exercé à son encontre : l'exhumation de ses restes fut ordonnée, et ses
ossements furent brûlés.
Passionnément attaché à la
réforme de l'Eglise, Jean Huss (1370 environ - 1415) voyait, comme Wycliff
qu'il avait lu, dans Écriture Sainte la seule norme de la foi, même s'il
acceptait d'abord l'Eglise hiérarchique. Dès son arrivée à l'université, Jean
Huss considéra le réformateur anglais comme son maître. Ordonné prêtre en 1400,
et nommé doyen de la faculté de Prague l'année suivante, il commence sa
carrière de prédicateur très tôt : son succès fut rapide, en raison de sa
profonde sincérité et de sa grande éloquence, dans la langue vulgaire tchèque.
Bénéficiant de l'appui de son archevêque et de la faveur du roi Venceslas IV,
c'est en pleine légalité qu'il prêche la réforme de l'Eglise et le retour à la
pauvreté évangélique, travestie par la richesse corruptrice des Églises. Pour
lui, Évangile doit être la seule loi d'action du chrétien. Mais, dès 1403,
l'université de Prague condamne quarante-cinq propositions tirées de ses
écrits.
Jean Huss lutte pour que
les Tchèques soient maîtres de leur pays ; il appuie le roi, quand celui-ci
commet un abus de pouvoir, en décrétant la réforme de l'université, levant la
mainmise allemande sur l'université de Prague. Jean Huss, devenu recteur de la
dite université, est très populaire. Mais les Allemands entreprennent une
lutte contre lui, le soupçonnant d'hérésie, en raison de son admiration pour
Wycliff. Excommunié par l'archevêque de Prague, mais soutenu par le peuple et
le roi, il se montre de plus en plus violent. L'exécution de trois de ses
disciples ravive l'enthousiasme du peuple pour Jean Huss, qui est accusé
d'hérésie. Cette fois, il s'agit d'une excommunication majeure, qui frappe
d'interdit la ville dans laquelle il pouvait séjourner : les sacrements,
administrés dans une ville où il pouvait être de passage, étaient immédiatement
nuls et invalides. Jean Huss quitte Prague pour trouver refuge en Bohême
méridionale où il prêche dans les campagnes et rédige des traités de théologie.
Au cours de l'été 1414,
l'empereur Sigismond, qui devait hériter du royaume de Bohême, et qui ne
voulait pas dresser son peuple contre lui, s'intéresse à Jean Huss et lui
propose de se rendre au concile de Constance pour y soutenir sa cause. Jean
Huss, muni d'un sauf-conduit impérial, part le coeur plein d'espoir. Mais, à
Constance, les Pères conciliaires n'avaient pas d'autre intention que de juger
le réformateur et de le condamner. Ses écrits sont condamnés au bûcher.
Lui-même, abandonné par Sigismond, monte sur le bûcher, le 6 juillet 1415, et
ses cendres sont jetées dans le Rhin. Aujourd'hui, on doute encore qu'il ait
réellement été hérétique. Et, après sa mort, une autre phase du hussisme
s'inaugure : le peuple de Bohême considère le réformateur comme un saint et
comme un martyr.
A eux deux, Jean Wycliff
et Jean Huss, par leur prédication, mais aussi par leurs actes, avaient lancé
un véritable défi à l'institution ecclésiale, en démontrant la supériorité de
Écriture sainte sur les lois et les principes d'origine purement humaine de la
hiérarchie et de la papauté romaine. La foi chrétienne espérait un renouveau,
qui lui ferait retrouver la pureté de ses origines : elle ne pouvait le trouver
que dans l'étude de plus en plus poussée de Écriture sainte.
Pour Luther, la Réforme ne
se présente pas comme une révolution institutionnelle : elle ne vise pas à
former un ordre nouveau, mais à inviter l'Eglise catholique et apostolique à se
critiquer elle-même, à faire preuve de discernement, en se reportant à la
Parole de Dieu. Elle ne doit pas provoquer une déchirure au sein de l'Occident
chrétien. Luther pensait pouvoir réformer l'Eglise de l'intérieur, en lui
rappelant que ce qui la fonde, c'est la Parole de Dieu. Il voulait alors
rappeler que le véritable trésor de l'Eglise se trouvait dans l'Évangile
beaucoup plus que dans la discipline interne, armée d'un dispositif philosophique,
hérité plus ou moins directement d'Aristote. La protestation de Luther se
situait sur un plan théologique, mais l'armature doctrinale de Rome ne
permettait pas d'introduire une discontinuité dans l'enseignement
traditionnel. Le moine allemand apparaissait alors comme un danger pour le
statut de la papauté. La scission ne pouvait bientôt plus être évitée : le
mécanisme de rupture, une fois mis en branle, est pratiquement irréversible.
Il ne faudrait pas oublier
que la Réforme n'est pas survenue pendant une période de désolation
spirituelle, mais dans un temps de grande recherche de piété. L'institution
ecclésiale, dans sa hiérarchie, ne représentait plus guère la véritable Eglise
du Christ, tant elle était dépravée. Au sortir de l'époque moyenâgeuse, les
hommes étaient hantés par la question de leur salut, ils recherchaient des
réponses et l'institution ecclésiale était incapable de leur donner les
éclaircissements qu'ils souhaitaient. Il fallait redonner à l'Eglise sa
destination première : mener les hommes au salut offert en Jésus-Christ.
Martin Luther était un
fils du peuple. Né le 10 Novembre 1483, il était le fils de Jean Luther et de
Marguerite Ziegler, d'origine paysanne, qui avaient quitté leur village, pour
chercher une situation meilleure dans les mines de cuivre et d'argent de la
région de Mansfeld, peu après la naissance de Martin. Martin passe les
premières années de sa vie entre un père rude et intéressé et une mère sensible
et pieuse. A l'âge de sept ans, le jeune garçon est envoyé à l'école de
Mansfeld, où la discipline était aussi stricte que dans la demeure paternelle.
Il y reçoit les rudiments du catéchisme et apprend quelques hymnes
liturgiques, par lesquelles il acquiert des notions élémentaires de grammaire
latine. A quatorze ans, il est envoyé à Magdebourg, à l'école des Frères de la
vie commune qui lui font découvrir la Bible et l'initient à la piété
personnelle. La découverte de la Bible par le jeune Martin fut une révélation.
Ces mêmes Frères exaltaient aussi, aux yeux de leurs élèves, la grandeur de la
vocation monastique, présentant cette forme de vie comme la seule qui soit
authentiquement chrétienne. Malgré la révélation que lui avait apportée la
découverte de la Bible, le jeune homme regagna, au bout de quelques mois, le
foyer paternel, il était physiquement malade. A quinze ans, ses parents
l'envoient poursuivre ses études à Eisenach. En fait d'études, Luther
n'améliora guère que ses connaissances latines et sa culture musicale... La
fréquentation de franciscains attira, une fois encore, son attention vers
l'idéal d'une vie monastique.
Jean Luther rêvait de
faire de son fils un juriste, dans l'intention de bien le marier et de le
placer au service des comtes de Manfeld. Il envoya donc son fils à Erfurt, afin
qu'il puisse y suivre la formation universitaire courante, en 1501. Martin
commença par recevoir des connaissances plus approfondies dans les domaines de
la grammaire, de la logique, de la métaphysique... Il ne se laissa pas enfermer
dans les limites d'un programme universitaire, même s’il obtient rapidement
les diplômes qu'il préparait : en février 1505, il fut reçu deuxième sur
dix-sept candidats à l'examen final, il devenait ainsi « maître ès arts »,
ce qui lui permettait de poursuivre ses études de droit, afin d'obéir aux voeux
de son père, il lui était possible de donner des cours à l'université. Un
brillant avenir s'ouvrait devant lui.
A cette époque, il prend
conscience de ce que peut être la colère divine. L'Eglise ne semble pas
pouvoir répondre à son inquiétude : dans ses rites et dans ses préceptes. C'est
une torture morale et spirituelle qui déchire l'âme de Martin Luther, et il ne
trouve d'apaisement qu'en se réfugiant dans le culte des saints et particulièrement
celui de la Vierge Marie.
Le 18 Juillet 1505, il entre
au couvent des Augustins de la stricte observance d'Erfurt. C'est la réponse
qu'il apportait à un appel mystique. Mais, il ne trouvera pas la paix qui
avait été tant vantée par les religieux qu'il avait rencontrés au cours de ses
études : néanmoins, il ne doutera jamais de la sincérité de sa vocation. L'ordre
monastique, dans lequel il entrait, était réputé par le sérieux du travail
théologique et par la rigueur de la règle. Cette rigueur, il l'embrasse avec
joie et il la suit scrupuleusement, de manière à atteindre la perfection, sinon
la sainteté, car il sait que nul pécheur ne peut vivre en présence de Dieu. Et
plus il vise la perfection, plus il découvre qu'il en est très éloigné. En
septembre 1506, il prononçait ses voeux définitifs, avant d'être ordonné prêtre
peu avant Pâques 1507. Pendant cette période de formation, il se familiarisa
avec la Bible.
Entré au couvent pour y
trouver la paix spirituelle, il n'y avait trouvé que les pires tourments,
semblables, selon lui, aux pires tourments de l'enfer. Le problème qui l'agite
est toujours le même : comment se rendre Dieu favorable ? Il ne trouve pas de réponse
directe dans l'étude théologique, même s'il acquiert ses grades universitaires
en théologie... Il ne trouve pas davantage de réponse dans la structure
ecclésiale, qui ne répond pas à sa soif d'absolu..., elle ne propose qu'une
multiplication de bonnes oeuvres, qui seraient susceptibles de se concilier la
miséricorde divine.
Et c'est dans la lecture
de la Bible qu'il va trouver une réponse à ses interrogations: la Parole de
Dieu lui ouvre la source de toutes les consolations et lui montre le chemin qui
conduit au salut. Dès 1508, un de ses supérieurs l'envoyait à Rome pour des
affaires concernant l'ordre. Pendant ce voyage, il découvre la Rome de la Renaissance,
dont les scandales ne l'impressionnent pas sur le moment ; toutefois, la superficialité
du clergé italien pouvait déconcerter un homme épris de perfection et de
sainteté... Après ce voyage à Rome, il passe sa licence le 4 Octobre 1512, et
le 19 du même mois, il est promu docteur en théologie. Il reçoit la chaire
Écriture sainte.
En commentant la lettre
aux Romains, il découvre cette parole : « Le juste vivra par la foi »,
parole qui devait le dégager d'une soumission aveugle aux prescriptions de la
Loi pour lui ouvrir les grands espaces de la vie de foi : l’Évangile n'est pas
un catalogue d'obligations morales et religieuses, mais une Bonne Nouvelle de
salut annoncé à tous les hommes. La seule exigence de Dieu, c'est de faire
connaître son amour à tous. Désormais, c'est dans la joie qu'il proclamera,
dans ses prédications, l'amour de Dieu qui veut le salut des hommes.
Luther découvre un Dieu
d'amour qui s'offre et qui se donne à tous les hommes qui mettent leur foi en
Jésus-Christ. Il vient de découvrir le Dieu d'amour, il a la pleine révélation
de la grandeur de Évangile, qu'il peut résumer, dans une phrase qui deviendra
célèbre : le pécheur est justifié par la seule grâce, par le moyen de la foi.
Une grande joie, une grande paix peuvent alors illuminer son coeur : après
toutes ses épreuves, il est ressuscité, il est libéré de tous ses tourments
personnels. Il devient le témoin de la grâce. « Sola gratia, sola fide »,
« par la seule grâce, par la seule foi », telles seront les deux
sécurités qu'il possède pour commencer une vie nouvelle, une vie d'un homme
libre prêt à servir son Dieu.
C'est en cette pleine
activité intellectuelle, spirituelle et pastorale qu'il va affronter
l'événement de son existence, à savoir l'attitude à prendre en face de la
prédication des indulgences, ordonnée par les papes Jules II, en 1507, et Léon
X, en 1514. La prédication des indulgences, commandées pour la construction de
la basilique Saint-Pierre de Rome, commença en Allemagne, en 1517.
Scandalisé par une thèse
défendue par les prédicateurs, selon laquelle lorsque l'argent tombe dans la
cassette, l'âme d'un défunt s'envole immédiatement vers le ciel, Luther alerte
l'autorité ecclésiastique et les théologiens. Si la pratique des indulgences
pour les vivants pouvait trouver grâce aux yeux du moine de Wittenberg, car
elle réclamait la contrition de la part des pécheurs, l'indulgence ne pouvait
pas s'appliquer aux défunts, lesquels n'ont plus la possibilité d'exprimer le
regret de leurs fautes et de participer à la vie sacramentelle de l'Eglise.
Luther cherche à connaître à fond l'enseignement ecclésial sur les
Indulgences. Il rédige un mémoire, où il rappelle l’enseignement traditionnel,
et où il dénonce les abus. Il envoie ce mémoire, ainsi qu'une série de thèses
sur la question, à l'archevêque de Mayence, à l'évêque de son diocèse, celui
de Brandebourg, ainsi qu'au prince-électeur de Mayence. Jusqu'à une époque très
récente, les historiens affirmaient que Luther avait placardé ses quatre-vingt
quinze thèses sur les indulgences à la porte de l'église du château de
Wittenberg. Mais, il semble plus probable que le moine de Wittenberg s'est
contenté d'alerter les autorités théologiques, dans l'espoir de susciter un
véritable débat sur les vertus de l'indulgence. Le fait que ces thèses ont été
écrites en latin suffit à souligner l'intention de Luther : il ne voulait pas
porter le débat devant le peuple, mais devant les spécialistes des questions
religieuses. Il ne propose aucune doctrine nouvelle, se contentant de reprendre
l'enseignement de l'Eglise, selon lequel les indulgences n'ont pas de pouvoir
de rédemption, le salut étant donné gratuitement par Dieu à ceux qui font
pénitence ; mais, pour éveiller l'attention de ses pairs, il exagérait
certaines propositions.
Mais les évêques et les
théologiens n'acceptent pas la discussion que proposait Luther. Eux, les
représentants officiels du magistère romain, n'avaient pas besoin de se
laisser appeler à la pénitence par le moine de Wittenberg... Mais le peuple,
lui, va réagir : des étudiants ont traduit le texte de Luther en langue
vulgaire et des imprimeurs l'ont rapidement divulgué. Le peuple avait enfin
trouvé un chef qui pouvait canaliser son opposition aux innombrables taxes
exigées par Rome. Luther devenait le porte-parole du mécontentement général.
Le peuple allemand,
s'appuyant sur la doctrine de Luther, n'allait-il pas se révolter contre
l'autorité pontificale ? Léon X avait été averti de l'affaire par un courrier,
et les dominicains, chargés de prêcher les indulgences avaient perçu une forme
d'hérésie chez Martin Luther. Le pape demanda au nouveau supérieur des
Augustins de calmer les ardeurs de Martin, afin d'éteindre l'étincelle avant
qu'elle ne provoquât un incendie. Luther doit comparaître devant le chapitre
général de son ordre, en Avril 1518 : il refusa de se rétracter. Pourtant,
soucieux de s'expliquer, et d'en appeler d'un pape mal informé à un pape mieux
informé, Luther envoie au pape ses « Resolutiones disputationum de
indulgentiarum virtute ». Pour la première fois, Luther parle de la
nécessité de réforme pour l'Eglise. Mais, cet envoi s'avérait inutile : avant
que ses « Résolutions » n'arrivent à Rome, Luther avait déjà été
inculpé d'hérésie. Et depuis Jean Huss, on savait bien comment se terminaient
les procès en hérésie : ou bien Luther serait contraint de se rétracter
purement et simplement, ou bien il serait condamné au bûcher.
Au cours de débats, Luther
soutient la thèse selon laquelle les conciles n'étaient pas exempts d'erreur et
que, pour les chrétiens, il n'y avait pas d'autre autorité infaillible que l’Écriture.
Il récusait ainsi tout le magistère de l'Eglise, et il ne lui restait plus que
la Bible : il affirme avec force que l'on ne peut admettre avec certitude comme
vérité religieuse que ce qui peut être prouvé à partir de la Bible. Ainsi se
présentait ce qui allait devenir un principe pour toute la doctrine de la
Réforme : l’Écriture seule, le « sola Scriptura ».
Luther présente alors la
papauté comme une institution humaine, affirmant que le pape lui-même devait
être soumis à l'autorité de la Bible. Son audace n'allait pas tarder à être
réprimée. Le 15 Juin 1520, une bulle pontificale « Exsurge Domine »
somme Luther de se rétracter dans les deux mois, sous peine d'excommunication.
La menace de mort pèse sur ses épaules.
Il publie, en trois mois,
les écrits qui vont faire de lui le guide de la nation allemande « A la noblesse
chrétienne de la nation allemande sur l'amendement de l'état chrétien »,
puis « L'Eglise dans la captivité de Babylone », et enfin « La
liberté du chrétien ».
L'empereur met en
exécution la bulle « Exsurge Domine » en faisant brûler les livres de
Luther. Alors, Luther décide d’abandonner la vie monastique ; et, il annonce,
le 10 Décembre 1520, qu'il brûlera le lendemain les livres du droit canonique,
symbolisant ainsi sa propre liberté par rapport à l'Eglise romaine et
l'indépendance du pouvoir civil par rapport au pouvoir ecclésiastique. Au
milieu de ce bûcher, Luther jette aussi la bulle de menace d'excommunication
qui le frappait. La réponse de Rome ne se fait pas attendre : sans mesurer
exactement les conséquences que son acte pouvait avoir, le pape promulgue une
nouvelle bulle, le 3 Janvier 1521 : « Decet Romanum Pontificem »,
par laquelle il rejette Luther et ses partisans du sein de l'Eglise. C'est
l'excommunication plénière : tous les offices religieux sont interdits en tous
les lieux où l'hérétique pouvait séjourner, Luther n'était pas seul à être
frappé d'excommunication.
Luther se trouve ainsi à
la merci des princes et de l'empereur qui peuvent exercer sur lui le pouvoir
séculier. Le chien d'hérétique est condamné par l'Eglise, il ne reste à
l'empereur que le devoir d'exécuter la sentence. Et déjà la chancellerie impériale
fait établir des mandements à son égard.
La Réforme, entreprise par
Luther, était devenue une affaire publique : elle était susceptible de
dégénérer en conflit de haute politique. Charles-Quint refusera de prendre
fait et cause pour un moine errant hors des sentiers chrétiens, puisque la
hiérarchie se dresse contre lui. Les livres de Luther doivent être brûlés
partout, ses biens et ceux de ses protecteurs sont confisqués. Le réformateur
ne pouvait plus connaître de sécurité dans tous les territoires soumis à l'autorité
impériale. Luther disparaît alors de la scène publique pour mener une existence
de recueillement et de travail paisible.
Par des lettres, il attire
à l'esprit de la Réforme un nombre considérable de religieux et de religieuses
qui étaient entrés au couvent sans vocation et qui vivaient en contradiction
avec la règle monastique et leurs voeux. Mais son oeuvre majeure de l'époque
est une traduction du Nouveau Testament sur la base du texte grec. Cette
traduction n'était pas la première. Dès 1466, la Bible avait souvent été
traduite en allemand, mais la langue laissait souvent beaucoup à désirer et le
point de départ des traducteurs se trouvait dans la Vulgate et non pas dans le
texte grec lui-même. Le succès est immédiat : le premier tirage, à raison de
cinq mille exemplaires, est rapidement épuisé. Grâce à cette entreprise, le
peuple pouvait entrer en contact direct avec la Bible, sans recourir aux
lettrés capables de lire le texte latin. La traduction de l'Ancien Testament ne
fut réalisable que douze années plus tard. La Bible de Luther va constituer le
centre de gravité de toute la Réforme.
On oublie ainsi, un peu
trop facilement, que, tout en recommandant la soumission aux autorités, Luther
invite celles-ci à veiller avec beaucoup plus d'attention au bien public. Le
premier principe qui devrait guider l'exercice de toute autorité, c'est de
s'assurer que les droits de Dieu soient les mieux respectés par tous les
hommes, quels qu'ils soient. De plus, le réformateur a tout lieu de s'inquiéter
pour son oeuvre, qui lui échappe déjà : des déviations à la Réforme luthérienne
se font jour, parmi les disciples mêmes de Luther.
Il organise le culte
divin, en gardant même pour la liturgie l'usage du latin et des ornements
liturgiques, laissant à chacun le droit de choisir s'il veut ou non communier
au calice. En revanche, il supprime les messes privées, celles qui sont dites
sans la présence du peuple, il supprime également la confession et le jeûne
obligatoires. Le monachisme et le célibat sacerdotal sont également exclus.
Le 13 Juin 1525, Martin
Luther épouse une religieuse cistercienne qui avait, elle aussi, quitté son
couvent, Catherine de Bora. Luther avait quarante-deux ans, son épouse en avait
vingt-six. Devant le risque du scandale, ses amis désapprouvent vivement cet
acte ; mais le réformateur, dans ses prédications, avait déjà proclamé le droit
pour les prêtres et les religieux de bénéficier de cet état de vie, divinement
institué. La Réforme commence à se détacher de plus en plus de la personne de
Luther.
L'opposition qui se dresse
contre Luther ne vient pas seulement des milieux catholiques, mais aussi des
milieux qu'il considérait comme ses propres amis et disciples. Les « sacramentaires »
défendaient une interprétation symbolique de l'eucharistie et ils découvraient
dans la doctrine luthérienne un vestige de la tradition romaine dont ils
voulaient débarrasser l'Eglise. Ils refusaient la thèse de la Présence du
Christ dans la célébration de la sainte Cène, n'hésitant pas à caricaturer les
disciples de Luther en les présentant comme des mangeurs de chair et d'adorateurs
d'un Dieu de pain. Luther se voit contraint de préciser sa position. Il ne
reconnaît pas la doctrine catholique de la transsubstantiation ; mais il
affirme que c'est par la foi seule que le chrétien mange spirituellement le
corps du Christ. Pour lui, il ne s'agit pas d'une petite querelle théologique :
actuellement, certains s'en prennent au sacrement de la cène bientôt, ils s'en
prendront au baptême, et, plus tard, à la foi elle-même et au Christ en
personne... Il n'est pas permis de subordonner la foi chrétienne aux élucubrations
de la raison humaine.
Le 19 Avril 1529, les
princes du Nord et quatorze villes du sud protestèrent contre la décision
unilatérale des princes catholiques qui avaient la majorité et qui
interdisaient l'implantation de la Réforme dans les territoires jusque là
complètement catholiques et réclamaient le libre exercice du culte catholique
dans les provinces acquises à la nouvelle Eglise : « Nous protestons
devant Dieu qui scrute les coeurs et qui est un juste juge, ainsi que devant
les hommes et devant toutes les créatures que, pour nous, pour les nôtres...
nous ne pouvons consentir à aucun acte ou arrêt contraire à Dieu, à sa sainte
Parole, au salut des âmes, à la bonne conscience »... C'est l'origine du
nom de protestants qui s'est répandu et qui est devenu célèbre non seulement en
Allemagne, mais aussi dans les pays étrangers. Il était inévitable que ce terme
prît une extension beaucoup plus grande, notamment dans le domaine
théologique, pour désigner ceux qui étaient entrés en conflit avec l'enseignement
de l'Eglise romaine.
Le protestantisme est un
nom générique donné aux Églises issues de la Réforme. Aussi ne convient-il
guère de parler du protestantisme, mais plus exactement des protestantismes,
bien que la foi, dans les différentes confessions séparées de l'Eglise romaine,
puisse être comparable. Pour faire bref, le protestantisme sert à désigner l'ensemble
des Églises qui se considèrent distinctes du catholicisme occidental et
oriental, et distinctes également de l'orthodoxie.
Alors que l'ombre de la
mort commence à se présenter, Luther n'en demeure pas moins actif, il travaille
avec acharnement, achevant sa traduction complète de la Bible, qu'il publie en
1534. Luther meurt, le 18 février 1546 à trois heures du matin. Les témoins de
sa mort, Martin et Paul Luther, ses fils, le comte et la comtesse de Mansfeld,
le chapelain du comte et un ami théologien de Luther, affirment qu'à la
question que lui posèrent le chapelain et le théologien : « Révérend Père,
voulez-vous mourir appuyé sur Jésus-Christ et sur la doctrine que vous avez
enseignée ? », il répondit affirmativement, d'une voix assez forte pour
que tous puissent l'entendre. Ces témoins affirment également qu'il s'est
endormi paisiblement dans la mort.
Luther
n’est pas le seul initiateur de la Réforme, même s’il lui a permis de trouver
sa première expression publique. Le mouvement va connaître un second souffle,
en la personne de Jean Calvin, qui se distinguera de Luther, par son souci
d’organiser l’Eglise réformée : Martin Luther fut le prophète, Jean Calvin
sera l’organisateur. La Réforme avait pénétré en France. La doctrine de Luther
s’était rapidement répandue, dès 1520. En Avril 1521, le parlement français
condamnait l’hérésie, et les premiers bûchers s’allumaient à Paris.
Jean Calvin
naquit à Noyon le 10 juillet 1509. Contrairement aux parents de Luther, Gérard
Cauvin, son père, et Jeanne Lefranc, sa mère, souhaitaient voir leur fils Jean
se lancer dans la carrière ecclésiastique. Jeanne Lefranc, femme très pieuse,
l’initie religieusement aux pratiques traditionnelles de la vénération des
reliques et de la dévotion populaire, en Picardie. Si elle recherche pour son
fils des protections surnaturelles, son père lui cherche des protections dans
les milieux ecclésiastiques ; et c’est ainsi que Jean Cauvin, dit Calvin, va
obtenir, dès l’âge de douze ans, des bénéfices ecclésiastiques, qui vont lui
permettre d’effectuer des études complètes.
En 1528,
après avoir obtenu de l’Eglise de Noyon un second bénéfice, il devient
« maître ès arts ». Il lit les traités que publie Luther, mais ne se
soucie guère des querelles religieuses.
Il assiste
aux derniers moments de son père, qui meurt le 26 mai 1531. Cet événement va
orienter sa conversion. En effet, son père avait été accusé de détournements
de biens, et comme il ne présentait pas ses comptes, il avait été excommunié.
Jean Calvin aimait cette Eglise catholique romaine, dans laquelle il avait
grandi, mais, dans son esprit, le doute commençait à naître. Et les incidents
qui ont eu lieu entre sa famille et les chanoines de la cathédrale de Noyon,
pour permettre l’enterrement de son père en terre chrétienne, font naître en
lui un sentiment de rancoeur contre cette Eglise. Il se laisse de plus en plus
gagner aux idées nouvelles…
Le 4 Mai
1534, il renonce à tous les bénéfices ecclésiastiques qu’il avait obtenus : il
ne veut plus recevoir de secours matériels d’une Eglise qu’il juge déjà comme
une maîtresse d’erreurs. Il rompt ainsi les liens qui l’attachaient encore à
Rome et fait le pas décisif qui le séparait des idées de la Réforme. Il fait
désormais partie de ceux que la justice du roi de France pouvait frapper, en
raison de leur foi. En 1526, les premiers martyrs de la Réforme française sont
suppliciés ; mais cette Réforme se radicalise, malgré tout, rapidement.
Dans la
nuit du 17 au 18 Octobre 1534, éclate l’affaire des Placards : des affiches
pamphlétaires, dénonçant les abus de la messe papale, sont placardées en
plusieurs endroits de Paris, et jusque sur la porte de la chambre de François Ier,
à Amboise. Cette affaire entraîne un renouveau de persécution contre les
réformés : les suspects sont arrêtés et exécutés, de nombreux partisans de la
réforme sont contraints à l’exil. Au début de l’année 1535, Calvin quitte la
France pour trouver refuge en Suisse, là où la Réforme a été accueillie favorablement.
En Mars 1536, résidant à Bâle, il fait paraître la première édition, en latin
de son « Institution chrétienne », un catéchisme pour adultes qui
obtient un vif succès : en neuf mois, tous les exemplaires disponibles
disparaissent des librairies. Calvin travaillera toute sa vie à établir une
version définitive de cette « Institution », qui devait devenir, en
1559, la Somme théologique de la Réforme.
Calvin
passe par Genève, en juillet 1536. Cette ville avait décidé de vivre selon
Évangile et la Parole de Dieu, en se libérant de la tutelle de l’évêque, et de
la maison de Savoie qui exerçait une certaine prétention sur elle. Calvin
entreprend de donner à l’Eglise genevoise les structures nécessaires qui lui
permettront de rallier pleinement la Réforme. La discipline qu’il propose ne
plaisait guère aux membres influents de Genève, ville où la liberté se
confondait facilement avec la licence. Les magistrats finissent par exiler Calvin,
le 23 Avril 1538.
Même s’il
est entré en conflit ouvert avec l’Eglise genevoise, qui l’avait exilé, il lui
conserve un profond attachement : l’évêque de Carpentras avait considéré
l’expulsion de Calvin de Genève comme une occasion pour ramener ces chrétiens
dans le giron de l’Eglise catholique romaine. Les cercles qui avaient exilé
Calvin s’adressent à lui pour qu’il prenne leur défense. En 1541, il est
rappelé à Genève, qui lui réserve un accueil triomphal. Les Genevois vont
s’organiser en une communauté qui n’est pas sans rappeler celle des premiers
chrétiens. Ce qui fait la force des idées réformatrices, ce n’est pas simplement
la constatation de l’immoralité qui régnait dans certains milieux ecclésiastiques
de l’Eglise romaine, c’est bien davantage la constatation que l’Eglise n’est
plus la même que celle des premiers siècles.
Cette
découverte avait permis aux Genevois de s’organiser en une véritable
communauté évangélique. L’Eglise de Calvin est l’Eglise des saints, le rassemblement
des élus, et non pas une Eglise de la foi, où le chrétien chercherait à obtenir
son salut par la confiance qu’il place en Dieu. Le premier objectif de Calvin
est de purifier l’Eglise de toutes les influences qui sont étrangères à
Évangile, notamment des traditions ecclésiales, qui ne sont que des inventions
humaines. Il transforme la cité en un véritable couvent laïc, en invitant les
Genevois à se préserver de tous les abus. Les mauvaises moeurs cléricales,
sans être la cause de la Réforme, avaient beaucoup favorisé l’expansion du
mouvement ; il ne convient pas de retomber dans les mêmes excès déplorables ;
il faut rompre avec le passé de corruption et de vices, pour entrer dans une
existence proprement évangélique.
Pour
veiller au bien de l’Eglise historique, Calvin, s’inspirant du Nouveau Testament,
établit quatre types de ministères : les pasteurs, les docteurs, les diacres,
les anciens. Les pasteurs reçoivent le ministère de prêcher quotidiennement et
d’administrer les sacrements, ils sont nommés par leurs collègues, avec
l’assentiment du conseil communal, ils se réunissent, une fois par semaine,
pour étudier la Bible et pour examiner fraternellement si leur prédication est
authentiquement évangélique. Les docteurs ont la charge d’assurer la tâche
essentielle de l’enseignement. Les diacres se voient confier le soin des
malades et des pauvres dans la communauté. Les anciens sont au nombre de douze
laïcs, ils sont nommés également par le conseil, et, ils forment, avec les
pasteurs, le Consistoire de l’Eglise, chargé de maintenir la doctrine dans son
orthodoxie. Ce sont les Anciens qui détiennent le pouvoir de l’admonestation et
de l’excommunication, afin que les moeurs de chaque membre de la communauté
soient toujours conformes à l’esprit de Évangile. Le Consistoire était une
sorte de tribunal d’inquisition qui sanctionnait les infractions à la vie
évangélique : les pécheurs notoires lui étaient livrés et devaient subir des
punitions, allant de l’amende honorable publique à la condamnation à mort ou au
bannissement, en passant par la torture et l’excommunication.
Les Églises
réformées ne cessant d’augmenter en France, la reine Catherine de Médicis
comprend qu’il est nécessaire de composer avec le parti de la Réforme et de
rapprocher les catholiques et les protestants. La coexistence des deux cultes
fut admise, la pratique de la religion réformée étant tolérée seulement en
dehors des villes. La rémission accordée aux huguenots fut de très courte durée
: le 1er Mars 1562, François de Guise fait massacrer soixante-dix
protestants parmi les auditeurs d’un culte, à Vassy, en Champagne. Les guerres
de religion venaient de commencer...
Ayant
renoncé à son enseignement public, en février 1564, Calvin consacre ses
dernières forces à préparer sa mort. Le 25 Avril, il dicte un testament
spirituel d’une rare sobriété, dans le dessein de se présenter sans malice devant
Dieu ; il demande des funérailles communes et une sépulture anonyme ; il
répartit ses biens entre les membres de sa famille... Il meurt paisiblement le
27 mai 1564, vers huit heures du soir. Conformément à ses désirs, il est inhumé
sans cérémonie, sans discours : aucune pierre, aucune inscription ne marque
le lieu de sa sépulture.
La doctrine
de Calvin s’est rapidement répandue dans toute l’Europe, avant même la mort du
patriarche de la Réforme. Fuyant les persécutions, les réformateurs accourraient
pour trouver refuge à Genève, d’où ils étaient ensuite renvoyés pour devenir
les missionnaires de la foi nouvelle, et ce au péril de leur vie.
Théodore de
Bèze, le successeur de Calvin dans l’Eglise genevoise organise la doctrine
réformée autour d’un thème théologique, celui de la double prédestination :
pour lui, les hommes sont prédestinés par Dieu, les uns pour l’enfer et la mort
éternelle, les autres pour le paradis et pour la vie éternelle. Calvin, quant
à lui, n’avait insisté que sur l’élection divine, laissant la damnation à
l’arrière-plan : pour lui, la prédestination n’était que l’illustration de
l’oeuvre de grâce voulue par Dieu. Bèze durcissait ainsi la doctrine de son
prédécesseur.
En
Angleterre, la Réforme, si elle répondait aux voeux de nombreux croyants, ne
fut pas l'oeuvre des hommes d'Eglise, mais de la royauté. C'est Henri VIII qui
la prépara, en s'inspirant de l'humanisme professé par Érasme. Celui-ci souhaitait
une réforme de l'Eglise, mais une réforme pacifique, qui soit l'oeuvre d'un
monarque, lequel pouvait imposer ses idées nouvelles au pape. Henri VIII embrassa
ce projet, en se déclarant favorable à une réforme dont il serait lui-même le
chef. En 1509, à dix-huit ans, Henri VIII monte sur le trône. C'est un prince
humaniste et sportif, une figure de la Renaissance, épris de faste et de
gloire, mais aussi féru de théologie : dès le début de son règne, il souhaite
une réforme évangélique de l'Eglise.
Au moment
où le luthéranisme recrutait ses premiers adeptes y compris dans les milieux
cléricaux et dans les universités. Henri VIII refusait la position de Luther
et pressait l'empereur Charles Quint d'intervenir pour extirper l'hérésie de
son empire. Léon X, pour le remercier de sa position, lui accorde le titre
qu'il convoitait : « Defensor fidei », le défenseur de la foi. Le
roi se laisse alors aller à une tendance qui n'avait rien de révolutionnaire,
celle de se mettre de plus en plus à la place du pape, pour assurer la réforme
de l'Eglise en Angleterre : tous les princes de l'Europe catholique en
faisaient autant. Mais Henri VIII avait une raison supplémentaire pour pousser
à l'extrême son grand problème religieux : l'affaire de son mariage.
Lors de son
avènement, il avait épousé la veuve de son frère, Catherine d'Aragon, une
tante de Charles-Quint. De ce mariage étaient nés six enfants qui, sauf une
fille, Marie, moururent en bas âge. La succession au trône se trouvait en
question, car, jusqu'alors, jamais une reine n'avait été au pouvoir ; Henri
VIII était désireux de s'assurer une descendance mâle et de surcroît, il était
amoureux d'une jeune fille de sa cour, Anne Boleyn. Afin de l'épouser et de
s'assurer la descendance attendue, il demande au pape l'annulation de son mariage,
en invoquant des fondements scripturaires pour appuyer sa supplique. Pour ne
pas mécontenter Charles-Quint, avec qui il venait de faire la paix, Clément VII
refusa d'accéder à la demande royale.
Henri VIII
se fait alors attribuer par la chambre des Lords le titre de chef suprême de
l'Eglise d'Angleterre, en 1531. La déclaration qui l'établissait comme l'unique
protecteur de l'Eglise, fondait la Réforme anglaise. Le roi fait interdire le
paiement des impôts du pape, qu'il réclame pour son propre compte ; il se fait
attribuer par le clergé le droit de contrôle sur le droit canon. En juillet
1534, le pape prononça l'excommunication du roi. Henri VIII riposte en faisant
promulguer par le Parlement une série de lois qui enlèvent au pape toute
juridiction sur l'Eglise d'Angleterre : le roi et ses successeurs deviennent
l'unique autorité temporelle de l'Eglise d'Angleterre.
La
séparation se situe davantage sur le plan de la juridiction de la papauté que
sur celui de la doctrine. Les liens qui unissaient l'Eglise anglicane avec le
siège romain sont coupés, les évêques sont affranchis de la soumission au
successeur de Pierre, et le roi s'octroie, sur l'Eglise anglicane, le pouvoir
que possédait précédemment la papauté. Le pape, pas plus qu'un autre évêque
étranger, ne peut plus désormais intervenir dans les affaires internes de
l'Eglise d'Angleterre. D'une certaine façon, le schisme est alors consommé ; cependant,
Henri voulait, à tout prix, maintenir, parmi ses sujets, la foi catholique. Ce
schisme ne connaît aucune résistance dans le peuple qui n'appréciait guère
l'autorité abusive de la papauté et de la curie romaine, le clergé, quant à
lui, s'était déjà soumis au catholicisme d'état. Inconstant en amour, le roi
prétendait demeurer fidèle avec l'orthodoxie de la foi catholique, bien qu'il
se soit séparé de la juridiction romaine. Seules, des raisons politiques
l'obligèrent à se rapprocher de la Réforme.
Si le
schisme avait été consommé avec Rome par Henri VIII, c'est plutôt son fils,
Édouard VI, sous l'influence de ses protecteurs, qui va entraîner le royaume
d'Angleterre dans l'hérésie protestante. Des mesures liturgiques furent prises,
donnant naissance au « Book of commun prayer », le « livre de la
prière commune », auquel le Parlement donna force de loi, en 1549.
L'ordre de la messe catholique était maintenu, mais on éliminait toutes les
formules laissant supposer qu'il pouvait s'agir d'un sacrifice eucharistique
et celles qui présentaient le dogme de la transsubstantiation : la nouvelle
liturgie remplaçait l'usage du latin par l'anglais. Ce livre était un compromis
qui pouvait satisfaire les protestants sans effrayer les catholiques.
Dès ses
origines, l'anglicanisme diffère profondément du protestantisme luthérien ou
calviniste : sur le continent, les Réformateurs furent des hommes de doctrine,
des théologiens, avant d'être des hommes d'action ; en Angleterre, rien de
comparable, puisque les meneurs sont d'habiles politiques qui s'affranchissent
de la tutelle de Rome bien avant de se constituer une référence dans des
écrits. L'Eglise anglicane a toujours évité de se dire
« protestante », le climat de pensée théologique est beaucoup plus
proche du catholicisme que du protestantisme. Toutefois, il convient de noter
que l'Eglise anglicane possède des affinités évidentes avec la Réforme, sur le
plan de l'organisation ecclésiale, tout en ne développant pas une théologie qui
s'apparente de façon immédiate avec la théologie protestante dans son
ensemble.
La
séparation des Églises issues de la Réforme vis-à-vis de l'Eglise catholique
romaine s'est faite pour des raisons doctrinales, pour des motifs qui
relevaient de la foi chrétienne. Luther et Calvin sont intervenus pour
rappeler avec force les exigences évangéliques en face d'un catholicisme qui
s'était cristallisé autour de ses traditions : jamais Luther n'a voulu opérer
une scission, mais il appelait de tous ses voeux une réforme intérieure de
l'Eglise et toutes ses intentions étaient profondément et authentiquement
catholiques. La rupture est venue d'une incompréhension réciproque : Luther
proclamait la primauté de la foi, Calvin celle de l'Écriture, tout en refusant,
l'un comme l'autre, l'autorité absolue du magistère romain. La querelle
théologique dégénéra en guerre religieuse.
Quelle que
soit son obédience, le protestant sait qu'il appartient à l'unique Eglise de
Jésus-Christ, Eglise en construction, Eglise qui doit chercher avant tout la
gloire et l'honneur de Dieu, beaucoup plus que le triomphe ou la suprématie
d'une visibilité temporelle.
Des Églises
issues de la Réforme, les plus importantes sont l'Eglise luthérienne, qui
compte entre soixante et soixante-dix millions de fidèles dispersés à travers
le monde, et l'Eglise réformée, d'origine calvinienne, qui regroupe environ cinquante-cinq
millions de fidèles. Les Églises, et même les sectes, se sont rapidement
multipliées, dans le protestantisme, dès le seizième siècle, sans doute à cause
du principe du libre examen de Écriture par l'individu croyant, principe défendu
avec ardeur par les premiers réformateurs, mais aussi et peut-être surtout en
raison de cet autre principe, qui veut que la Réforme de l'Eglise soit toujours
à faire et que la véritable Eglise de Jésus Christ ne cesse d'être en construction.
Les
Anabaptistes ont vu le jour, vers 1520, à Zurich. Leur nom vient du fait qu'ils
pratiquaient un second baptême pour les adultes, qui avaient été baptisés dans
leur enfance. Ce second baptême implique une adhésion personnelle des hommes
qui acceptent la Parole de Dieu, et qui refusent, dans le même temps, tort
asservissement à un pouvoir civil, fut-il inspiré par une Eglise d'État. Ils
ont été organisés par un prêtre, venu du catholicisme, Simon Menno (1492-1559)
; celui-ci leur redonna vie, après les persécutions qu'ils avaient connues aux
Pays-Bas et en Europe du Nord, en 1146. Les Anabaptistes, appelés aussi de ce
fait Mennonites, comptent environ cinq cent quatre-vingt mille fidèles
principalement aux Pays Bas et aux États Unis.
Les
Baptistes ont trouvé leur origine dans le mouvement anabaptiste, s'organisant
en communautés ferventes dans l'Angleterre de la fin du dix-septième siècle. Le
baptême n'est accordé qu'à l'âge adulte. Les Baptistes, dont le nombre est
estimé à plus de trente millions de fidèles, sont répandus dans le monde, surtout
aux États Unis, mais aussi en Union Soviétique, où les communautés sont très
prospères.
Les
Méthodistes sont également un peu plus de trente millions répandus dans le
monde, plus spécialement en Amérique. Ils trouvent leur origine dans la
prédication des frères John et Charles Wesley, qui voulaient réveiller la foi
des chrétiens anglicans. Le méthodisme, ainsi appelé plus ou moins ironiquement
au départ par ses détracteurs, repose sur l'insistance que les deux frères mettaient
dans la nécessité de la justification, par l'accomplissement des actions bonnes
et par la disposition du coeur à accomplir de telles actions.
Les Églises
évangéliques regroupent des croyants fondamentalistes pour qui toute la Bible
est Parole de Dieu, ce qui n'est contesté par personne, et pour qui aussi seule
la Bible est Parole de Dieu : c'est la Bible seule qui peut être la référence
dans toute vie chrétienne. Le chrétien doit d'abord professer son appartenance
à Jésus Christ, par une décision personnelle, avant de recevoir le baptême.
Dès avant
la création du Conseil oecuménique des Églises, monde protestant aspirait déjà
à une certaine réunification ; des regroupements avaient pris le nom
d'alliance.
- 1844 :
première union chrétienne de jeunes gens
- 1847 :
appel à une alliance évangélique universelle
- 1854 :
première conférence missionnaire internationale
- 1855 :
alliance universelle des unions chrétiennes de Jeunes gens
- 1867 :
première conférence internationale des responsables d la communion anglicane
- 1875 :
fondation d'une alliance universelle des Églises réformées suivant le système
presbytérien, fondation qui devait se transformer en une alliance réformée
mondiale
- 1881 :
premier concile oecuménique méthodiste
- 1894 :
alliance universelle des unions chrétiennes de jeunes filles
- 1895 :
fédération universelle des associations chrétiennes d'étudiants
- 1900 :
fondation de l'alliance luthérienne mondiale
- 1905 :
fondation de l'alliance baptiste mondiale
- 1911 :
Conférence missionnaire internationale d'Édimbourg
- 1914 :
Alliance universelle pour l'amitié internationale par les Églises
Toutefois,
comme les regroupements sont rarement décidés à l'unanimité, de nouvelles
scissions se sont opérées à l'intérieur du protestantisme à la suite de ces
tentatives d'alliances. C'est ainsi que la fédération protestante de France,
constituée en 1905, n'a pas regroupé toutes les Églises : l'union des Églises
évangéliques libres de France a voulu garder sa complète autonomie. De même, en
1938, l'Eglise réformée de France a voulu regrouper différentes Églises protestantes
; dans chacune de ces dernières, une fraction a préféré garder son autonomie.
C'est du
protestantisme qu'est venue la grande intuition de l'oecuménisme. La division
des Églises anciennes est un sérieux obstacle à l'effort missionnaire. Les
représentants des jeunes Églises remerciaient les missionnaires qui leur
avaient appris à connaître Jésus Christ, mais ils étaient en même temps
scandalisés par les divergences de ces missionnaires, méthodistes, luthériens,
calvinistes... Comment peut-on reconnaître un seul et même Seigneur au milieu
de toutes les divisions de ses serviteurs ? La prédication de l'unique Évangile
devait faire cesser toutes les dissensions pratiques qui subsistaient dans la
grande oeuvre missionnaire. Cette idée devait trouver rapidement un écho très
favorable dans les milieux protestants ; la première guerre mondiale retarda
quelque peu la mise en oeuvre d'une telle ambition missionnaire, mais, dès le
lendemain de la dite guerre, la réalisation était mise en chantier.
L'unité
n'était pas encore réalisée, mais les chemins qui pouvaient y conduire sont
désormais ouverts : le Conseil oecuménique des Églises est une association
fraternelle des Églises qui acceptent Jésus Christ comme Dieu et comme Sauveur.
Les conceptions théologiques ou ecclésiologiques peuvent être très différentes
dans les Églises réunies dans le Conseil, qui se refuse de se présenter comme
une super-Eglise. Le rôle de cette association est de rechercher comment
parvenir à l'unité.
Les
origines et la constitution de ce Conseil oecuménique des Églises restent des
initiatives protestantes, même si quelques Églises orthodoxes participaient à
ce Conseil. Ce n'est qu'en 1962 que l'Eglise orthodoxe du patriarcat de Moscou
ainsi que plusieurs Églises orthodoxes d'Europe de l'Est entrent au Conseil
oecuménique. Après un millier d'années, un véritable échange fraternel pouvait
se faire entre les Églises d'Orient et les Églises d'Occident.
Le deuxième
concile oecuménique Vatican II, organisé par l'Eglise catholique romaine, à
l'appel du pape Jean XXIII, fut également une chance pour la recherche de
l'unité : de nombreux observateurs des confessions chrétiennes, et
particulièrement les protestantes, occupèrent une place importante dans les travaux
des pères conciliaires Après des siècles d'incompréhension réciproque, une
place de plus en plus grande était faite à l'unanimité morale des chrétiens.