Les religions abrahamiques

 

Trois grandes religions, trois monothéismes, judaisme, christia­nisme et islam, se réfèrent explicitement au même patriarche Abra­ham. Que ce soit par tradition, comme les descendants d'Ismaël et d'Israël, que ce soit, comme les chrétiens, par une filiation toute spi­rituelle, les uns et les autres se considèrent comme des fils d'Abra­ham. Saint-Paul dira : "Ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux les fils d'Abraham".

 

 

 

Ainsi des millions de croyants se rejoignent dans le souvenir d'un même homme, père de leurs peuples, mais aussi modèle de la foi au Dieu unique, essentielle à la religion des uns et des autres. Le Co­ran le propose comme "un guide, un homme docile à Dieu qui l'a choisi et guidé vers une Voie Droite".

Abraham (hébreu אברהם abrāhām, père d'une multitude; arabe إبراهيم الخالِد Ibrāhīm al-khālid, Ibrahim l'inoubliable), est le nom d'un personnage de l'Ancien Testament. Son histoire est racontée dans le livre de la Genèse ainsi que dans le Coran.

La filiation abrahamique

Pour rapprocher les religions monothéistes, on utilise parfois l’expression de « religions abrahamiques ». Dès lors, on  ne cherche pas l'identité fondamentale dans l'idée de Dieu (monothéisme), ni dans le mode abstrait de connaissance (révélation), mais dans le concret, dans cet homme particulier, Abraham, qui a reçu la connais­sance de Dieu, et de qui dérivent, par filiation charnelle ou par filia­tion spirituelle, les trois religions qui permettent cette connaissance.

 

 

Selon les traditions juive et musulmane, la filiation charnelle est indubitable : Abraham est l'ancêtre charnel des juifs par Isaac, le fils de Sara, la femme légitime, et celui des musulmans par Ismaël, par la servante Agar. Si certains, parmi les premiers chrétiens étaient des juifs pouvant se réclamer de la filiation charnelle, l’arrivée en masse de fidèles d'origine païenne a donné une dimension spirituelle au rattachement à cet homme singulier qu’était Abraham.

Parler de « religion abrahamique » permet de se dégager de conflits qui pourraient apparaître quand on parle de  « religion révé­lée », puisque Dieu a manifesté sa présence à Abraham, ou encore quand on discute sur le sens du terme « monothéisme », puisque, se­lon la Bible, Abraham a quitté sa patrie, rompant avec les divinités mésopotamiennes, pour obéir au Dieu unique.

Il est un fait qui mériterait un plus grand examen, c’est celui de l’origine historique même de l’islam. Lorsque Muhammad entreprit ses méditations spirituelles, la Kaaba, le lieu saint d’Arabie, était remplie d'idoles et les rites qui s’y déroulaient étaient purement païens. Mé­ditant sur ce qu'il savait, à travers les récits bibliques et les légen­des juives, de l'histoire d'Abraham, Muhammad découvrit des analo­gies entre les circonstances de la vie d'Abraham et celles de sa pro­pre vie. Il prit Abraham pour prédécesseur privilégié et pour modèle, non sans se projeter lui-même en Abraham. Du même coup, il remon­tait à la source des religions juive et chrétienne, qui avaient été per­verties et il pouvait alors exhorter tous les croyants à revenir à la religion d'Abraham.

La filiation charnelle permet de créer une parenté au plan de la religion. Mais il faut savoir que l'héritage spirituel d'Abraham s'est transmis, non seulement à Isaac et à ses descendants, mais aussi à Ismaël et à sa postérité. Ce serait commettre une grossière erreur que de penser que les bénédictions promises par Dieu aux fils d’Abraham ne dépassent pas le stade de constituer de « grandes na­tions » au sens strictement historique ; ces bénédictions engagent aussi un aspect spirituel, dans la mesure où ces « grandes nations » se réfèrent à la vocation spirituelle du patriarche.

Néanmoins, s’agit-il de la même « foi » qui anime les trois tradi­tions religieuses abrahamiques ? Quand on parle de foi, il faut tou­jours distinguer la foi objective (ce que l’on croit, le contenu ou l’objet de la foi, et la foi subjective (qui relève d’aspects plus psy­chologiques, la persuasion, la confiance).

En tant que phénomène humain, la foi revêt des aspects psy­chologiques voisins, sinon identiques, dans les diverses religions. Le croyant a souvent une conviction entière, immense... Il peut éprouver pour Dieu un vif sentiment, non seulement de crainte et de révé­rence, mais aussi de reconnaissance, d'intimité et d'amour, allant jusqu'à l'approche mystique. Ces sentiments, ainsi que des attitudes et des pratiques diverses se rencontrent dans toutes les religions. Mais ce qui caractérise en propre une foi, ce n’est pas son côté sub­jectif, mais plutôt son côté objectif.

 

Que dit la Bible de la foi d’Abraham ? Elle souligne qu’Abraham mit sa foi en Dieu, qu’il quitta son pays, qu’il accepta la promesse presque impossible d’avoir un fils et « cela lui fut compté comme jus­tice » pour reprendre une expression de saint Paul. Abraham n'est pas un prophète, il n’est chargé d'aucun message à transmettre ; il a pour mission simplement d'être le premier chaînon, l'origine de la li­gnée qui aboutira à un peuple.

 

 

Il n'est demandé à Abraham qu’une seule chose : abandonner les assurances humaines pour se tourner vers l'intervention divine, promise contre toute vraisemblance et pour un jour lointain qu'Abraham ne verra pas lui-même. La foi d’Abraham n’est pas foi en l'être de Dieu, mais en la promesse, sa foi est attente, elle s'appelle espérance.

La foi chrétienne, appuyée sur le Nouveau Testament, éclaire la conception de la foi d’Abraham d’une autre manière, en donnant une impulsion à la promesse qui lui a été faite : la terre promise à Abra­ham préfigure le Royaume universel ; sa postérité, c'est Jésus-Christ, Roi de ce Royaume.

Mais qu’en est-il alors de l’Abraham coranique ? Sa foi est une foi intemporelle et abstraite en l'unicité de Dieu ; Abraham parvient à cette foi par un raisonnement sur une expérience « naturelle ». Il cherche un Seigneur et un Dieu, d'abord dans le ciel visible (il faut se souvenir que les dieux du paganisme étaient souvent des dieux as­traux), qu’il élimine tour à tour, il comprend qu’aucun être visible n'est divin et ne peut être « associé » à Dieu. Il se tourne vers celui qui a créé les cieux et la terre, et c'est l’origine du monothéisme. En­suite Abraham exhortera son peuple et brisera les idoles. C’est de cette manière qu’il devient réellement un prophète.

Dès lors, il est facile de voir qu’il ne s’agit pas d’une seule et unique foi ; elles ne sont pas apparentées simplement par le seul fait de revendiquer la paternité d’Abraham. D’un côté, on souligne que le patriarche a été un point de départ à la naissance d’un peuple qui al­lait se mettre en quête de Dieu (en ce qui concerne le judaïsme) ou un ancêtre de Jésus-Christ qui serait l’héritier d’Abraham (en ce qui concerne le christianisme) ; de l’autre, on présente un prophète qui prêche un Dieu déjà conceptualisé. Il y a parenté extérieure, mais une divergence intérieure.

Pour en terminer avec les religions abrahamiques, il faut dire quelques mots des rapports que le prophète de l’islam a pu avoir avec les communautés des religions qui lui ont préexisté. Il est certain que Muhammad a connu les textes saints des autres religions, qu’il a pu les utiliser dans son enseignement. Relativement au christianisme, des chrétiens de condition modeste et de tendances plus ou moins hétérodoxes ont pu lui faire connaître des extraits des Evangiles ca­noniques ou apocryphes qui circulaient dans le Proche-Orient. Mais cette connaissance est demeurée incomplète, en raison des sources dont il disposait.

Rencontrant les membres des chrétientés orientales Muham­mad constate que les divergences qui les opposent viennent du pro­blème de « la nature » de Jésus : qui est-il véritablement ? Est-il fils de Dieu ? Dieu lui-même ? Quelle place accorder à Jésus ? Dans ce contexte le Prophète Muhammad, veut honorer et réhabiliter Jésus et préciser sa mission.

A y regarder d’un peu plus près, le fondateur de l'islam a subi l'influence du nestorianisme, qui ne voit en Jésus seulement qu’une nature humaine, il a connu le monophysisme, qui attribuait à Jésus une seule nature, d'essence divine, il a été influencé par les docètes pour lesquels Jésus n’avait qu’une apparence humaine. C’est dire qu’il n’avait que très peu de connaissances précises sur le véritable chris­tianisme, mais davantage avec les sectes orientales issues de la pre­mière prédication des apôtres, influencées surtout par les apocry­phes qui circulaient à cette époque.

 

 

La première Église chrétienne se trouve héritière du judaïsme. Ses croyances sont fondées sur la personne et l'enseignement de Jésus-Christ. Elle se considère voulue et conduite par Dieu, « instituée par le Christ ». Elle trouve toutefois plus précisément son origine histo­rique dans l'Église chrétienne latine qui s'est développée en Occident à partir du deuxième siècle, qui est marqué par de nombreuses ruptu­res appelées « hérésies ». Les premières hérésies de la réflexion théologique portent sur la personne du Christ. Des sectes se sont formées à partir de la reconnaissance de Jésus comme du plus grand et du dernier des prophètes juifs, sans le reconnaître comme Fils de Dieu. D'autres ont plus ou moins refusé de reconnaître le Christ comme un homme : il est bien le Fils de Dieu, mais sa situation hu­maine n'est qu'une apparence. Dans le même temps, se propageaient des doctrines remettant en cause la notion de péché et élaborant des spéculations intellectuelles sur la foi, ou niant purement et simple­ment le péché. D'autres opposaient à Dieu une force contraire, si­tuant Dieu, Bien souverain, dans une lutte perpétuelle contre les for­ces du mal.

Une hérésie est souvent, au départ, la défense véhémente et exclusive d'un point partiel (quoique parfois authentique) de la Révélation, développant ce point au détriment de l'équilibre de la foi.

 

 

La gnose va être la première menace intérieure sérieuse pour le christianisme du deuxième siècle. L’homme serait un être purement spirituel précipité dans un monde matériel dominé par le mal (dua­lisme). C'est la connaissance du divin qui lui permet de se libérer de son emprise terrestre. Connaître, c'est donc être sauvé, et peu y parviendront. Le gnosticisme intègre le Christ comme une émanation divine venu nous apprendre à nous libérer de la matière par la connaissance, il nie l'Incarnation du Christ.

L'initiateur de la gnose chrétienne Simon le magicien (mentionné dans le livre des Actes 8,9) en même temps qu’il est aussi l'initiateur de la simonie (le fait de monnayer les biens spirituels). Simon se prend pour une manifestation du dieu inconnu, descendu comme Fils chez les juifs, Père en Samarie, et Esprit-Saint chez les autres peuples.

Les manichéens ne constituent pas à proprement parler une hérésie du christianisme mais d'un christianisme gnostique il est facile de glisser vers le manichéisme. Mani professait qu'il y avait deux princi­pes égaux : un Dieu bon et un Dieu du mal au pouvoir duquel est le monde.

Aux deuxième et troisième siècles se développe une doctrine selon laquelle, le Fils ne s'est pas incarné mais a seulement pris une appa­rence humaine. Le docétisme :

L'Arianisme part d'une simple constatation de bon sens : comment Dieu peut-il être un et trois à la fois ? Arius, prêtre d'Alexandrie répond que le Verbe (le Christ) n'est qu'une créature, n'ayant reçu le privilège d'être Fils que par adoption. La foi trinitaire n'ayant pas encore reçu de formulation définitive à cette époque, la crise va se propager dans tout l'Orient au point que l'empereur Constantin déci­dera d'intervenir en convoquant le concile de Nicée, le 20 mai 325. Arius sera exilé et excommunié.

Lorsque les fils de Constantin se partagèrent l'Empire, la situation pro­voquée par l'arianisme s'aggrava, et ce, malgré les décisions pri­ses au concile de Nicée. C'est ainsi que les divisions entre ariens et Nicéens (tenants de l'orthodoxie chrétienne définie au concile de Nicée) s'accentuèrent. Dans ce contexte politique et théologique troublé, l'empereur Théodose finalement décida de convoquer un concile afin d'obtenir le retour à la paix religieuse et à l'orthodoxie définie par le concile de Nicée en 325. L’orthodoxie de la foi telle qu'elle avait été définie à Nicée rejetait l'arianisme. Or les ariens avaient depuis réussi à s'imposer à Constantinople, où ils s'étaient emparés de toutes les églises. L'évêque lui-même était arien, lorsque Théodose accéda au pouvoir, en 379 !

En 381, le concile de Constantinople clarifiera certains points que le concile de Nicée n'avait pas assez développés

Il proclame que le Père et le Fils étaient de même nature. De plus, le concile de Constantinople juge nécessaire de compléter le symbole de Nicée, en affirmant clairement la divinité du Saint-Esprit (le Saint-Es­prit « procède du Père..., avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire »).

Le concile de Nicée avait déclaré solennellement que le Fils était de même nature (consubstantiel) que le Père et donc qu'il était Dieu. Cinquante ans plus tard, le concile de Constantinople déclarait, non moins solennellement, que le Saint-Esprit était de même nature (consubstantiel) que le Père.

Du quatrième au huitième siècle une tension dans l'église entre l'Est et l'Ouest se fait jour à propos du vrai sens de la primauté de Rome. Cette tension latente apparaît en surface au neuvième siècle pour devenir une hostilité ouverte. L'événement politique qui a occasionné ce conflit fut la fondation de l'empire carolingien dans l'Ouest.

La séparation entre l’Orient et l’Occident devient de plus en plus sen­sible. Auparavant, ce n’était qu’une question de langue (grec d’un côté, latin de l’autre), désormais l’affaire sera aussi théologique, en plus de la question politique : deux empires se font face dans une unique chrétienté… Si auparavant, on ne se fréquentait guère, désormais on s’observe et on se méfie l’un de l’autre, alors qu’il fallait s’unir davan­tage face à la montée de l’islam…

L’Islam apparaît au septième siècle au Moyen Orient et en Méditer­ranée. L'année de l'hégire est donc 622 de notre ère et c'est à Mé­dine que Mahomet est reconnu comme prophète. En quelques décen­nies, l'Islam s'impose dans la péninsule arabique, puis le long de la côte nord africaine, puis vers l'Asie mineure. La rivalité entre les deux religions est frontale : la parole du prophète s'étend très rapi­dement, avec des moyens militaires alors que la chrétienté s’est d’abord répandue pacifiquement. La poussée musulmane s'exerce moins en direction de l'Europe occidentale que vers Constantinople, qui repousse la flotte arabe par trois fois en 674, en 678, et puis en­core en 718. Plus que Charles Martel, c’est l’échec arabe devant Cons­tantinople qui a stoppé la progression des Arabes en Europe. L'échec du siège de Constantinople par les armées arabes sauve Byzance mais sauve aussi la chrétienté. L'empire byzantin devient l'héritier politi­que de l'Empire romain d'Occident, lorsque ce dernier disparaît au cinquième siècle. Jusqu’au onzième siècle, il restera le bastion de la chrétienté, ce que ne reconnaîtra jamais Rome.

En 630, le grec devient langue officielle de l'empire Byzantin. Et le fossé entre l'occident (parlant latin) et l'orient (parlant grec) se creuse, à tel point que la religion catholique se scinde en deux (ce qu'on appelle schisme) : à l'ouest, les catholiques romains, à l'est, les catholiques orthodoxes. Deux mondes qui ne se comprennent toujours pas actuellement... Les orientaux traiteront toujours les occidentaux de barbares.

Le roi des Francs, Charles, fils de Pépin le Bref, est couronné à Rome par le pape Léon III à la Noël 800. En remerciement des services rendus à la papauté et notamment de l’élimination des Lombards, il reçoit du souverain pontife le titre inédit d’ « Empereur des Ro­mains ». La cérémonie se déroule dans la basilique Saint-Pierre, en présence d’une nombreuse délégation de Francs.

La profession de foi (ou credo) des conciles de Nicée (325) et Constantinople (381) dit très clairement : « Je crois en l'Esprit Saint qui procède du Père ». Charlemagne use de son influence pour le faire imposer définitivement. En 806, Charlemagne, fait chanter le Credo avec le « Filioque » et le fait adopter en 809 pour toute l’Eglise fran­que au Concile d’Aix la Chapelle. Après de nombreuses querelles idéolo­giques, Henri II de Germanie, en 1014, obtient du pape, Benoît VIII, pour la messe de son couronnement impérial à Rome, l’adoption du « Filioque » pour toute la liturgie catholique romaine. Pour les orientaux, il s'agit d'une hérésie et d'une trahison des décisions des conciles oecuméniques. La mention du pape fut supprimée dans la li­turgie. A partir de ce moment, la communion entre Rome et Constan­tinople cessa.

Une grave querelle éclata entre les Normands et les Grecs d'Italie ; elle eut pour effet la fermeture des églises latines de Constantinople en 1052. Le patriarche s'efforça cependant de rétablir la paix l'an­née suivante. De son côté, en 1054, le pape envoya trois légats dont le chef était le cardinal Humbert. Le contact entre les deux partis fut peu charitable et dès lors le patriarche refusa tout nouveau contact avec les légats.

Le « Filioque » joua un rôle important au cours des événements tu­multueux de 1054, lorsque des représentants des Églises orientales et occidentales s’excommunièrent mutuellement. Le cardinal Humbert de Silva Candida, légat du pape Léon IX, dans le contexte des ana­thèmes qu’il lança contre le patriarche Michel Cérulaire de Constanti­nople et certains de ses conseillers, accusa les byzantins d’avoir sup­primé indûment le Filioque du Credo et critiqua d’autres usages litur­giques orientaux.

En réponse à ses accusations, le patriarche Michel se rendit compte que les anathèmes lancés par Humbert n’étaient pas le fait de Léon IX, et il lança ses propres anathèmes contre la seule délégation du pape. Léon, en effet, était déjà mort et n’avait pas encore de succes­seur. Le patriarche Michel condamna en même temps l’emploi occi­dental du Filioque dans le Credo, de même que d’autres usages litur­giques occidentaux. Le 16 juillet 1054, le cardinal Humbert perdit pa­tience et déposa sur l'autel de Sainte Sophie en pleine célébration une bulle d'excommunication pour Michel Cérulaire. Le lendemain, une assemblée d'évêques, déniant au pape le droit d'intervenir sur les questions d'investiture, jetait le document romain au feu et excom­muniait Humbert et sa suite. Par ailleurs, l'accumulation des diver­gences théologiques relatives à la procession du Saint-Esprit, à l'épiscopat, à la primauté de Rome et aux usages liturgiques aggrava l'opposition entre Constantinople et Rome.

Les croisades rendirent le schisme définitif en introduisant un esprit de haine et d'amertume, dans la conscience du peuple. Ainsi le de Constantinople, en 1204, ne fit qu'intensifier l'hostilité de l'Église orientale à l'égard de l'Église d'Occident. Huit cents ans ont passé depuis la quatrième Croisade de 1204, c’est-à-dire depuis le moment où les milices chrétiennes d’Occident, parties pour libérer les Lieux saints, préférèrent changer leur destination, dévier de leur route et saccager Byzance pour rentrer ensuite rapportant avec elles un butin d’or et de marbres destiné à embellir les églises de Venise. Tout le second millénaire chrétien se déroulera sous le signe de la division entre l’Église d’Occident et celle d’Orient. Ce n'est qu'à partir du concile Vatican II (1962-1965) que s'esquissa une nouvelle tendance au rapprochement : en 1964, le patriarche Athénagoras et le pape Paul VI décidèrent de lever les anathèmes réciproques lancés en 1054. En se donnant l’accolade, Athénagoras et Paul VI à Jérusalem, le 5 janvier 1964, manifestaient que l’inimitié entre les frères n’était ni irréversible ni éternelle.

En 1453, les Turcs s'emparaient de Constantinople et l'Église byzan­tine était asservie par l'Empire ottoman.

En Occident, les choses ne vont pas tarder à se gâter. D'abord pen­dant quarante ans (1377-1417), le trône de Pierre sera l'objet d'une rivalité incessante entre plusieurs pontifes, appuyés par telle ou telle puissance d'Europe. Il conviendra également de se souvenir que la pa­pauté, au cours du Moyen Age et de la Renaissance, ne fut pas tou­jours d'une conduite exemplaire pour l'ensemble de la chrétienté. Ce qu'il est convenu d'appeler la Réforme n'est pas simplement l'oeuvre de Martin Luther (1483-1546) ou d'un Jean Calvin (1509-1564). Elle a connu des antécédents comme John Wyclif et Jean Huss (au quator­zième siècle) ; ces derniers s'élevaient contre les abus des autorités pontificales. Le réveil, deux siècles plus tard, de leurs théories condamnées par l'Eglise, n'est pas sans rapport avec une crise politi­que qui secoue l'Europe, la réveillant contre la suprématie abusive des papes. De fait, Martin Luther sera le catalyseur de ceux qui es­timent que l'Eglise oublie le spirituel pour ne plus s'intéresser qu'au temporel. La querelle des Indulgences ne sera que le prétexte qui mettra le feu aux poudres.

En 1505, le pape Jules II avait décidé de faire construire une nou­velle basilique de Saint-Pierre à Rome. Selon la coutume des siècles précédents, il entreprit de distribuer des indulgences plénières à ceux qui, s'étant confessé et ayant reçu la communion, ajoutaient une offrande en argent pour permettre la réalisation de ce grand projet. Cette campagne des indulgences ne se répandit en Allemagne du Nord qu'en 1517. La première manifestation de Luther sur la scène publi­que a lieu la veille de la Toussaint de cette même année ; alors, en Saxe, on se préparait à la fête de la Toussaint, en se confessant, et en vénérant quelques dix-sept mille reliques, rapportant plus de cent vingt mille années d'indulgences, pouvant transférer rapidement les âmes des défunts du purgatoire au paradis. Depuis un an déjà, Luther prêchait contre les indulgences et cherchait à connaître l'enseigne­ment traditionnel de l'Eglise sur ce sujet. Il avait écrit au prince et à l'archevêque de Mayence ses réflexions sur cette vente des Indul­gences. Devant la grande préparation de la Toussaint 1517, il rédige une série de propositions : quatre-vingt quinze thèses qui auraient été affichées, si on en croit la tradition, aux portes de l'Eglise du château de Wittenberg.

Ces quatre-vingt quinze propositions n'apportaient aucun enseigne­ment nouveau, elles rappelaient simplement l'enseignement de l'Eglise depuis les premiers siècles : comment pourrait-on acheter, à prix d'argent, une grâce de salut que Dieu accorde librement par la mort du Christ sur la croix ? Mais, le pape, pas plus que ses collabo­rateurs, ne se souciait d'un débat idéologique, d'une discussion théologique, trop occupé qu'il était du gouvernement intérieur de l'Eglise et des pays qui se trouvaient sous sa coupe. Sommé de rendre compte publiquement de ses thèses à Rome, alors que le pape avait sans doute été mal informé, Luther refusa de se rétracter, tant qu'il ne serait pas convaincu, par ses opposants, au moyen des seules preu­ves tirées de Écriture, de l'authenticité de leurs affirmations concernant les indulgences. Comme Eglise de Rome n'était pas dispo­sée à reconnaître qu'elle pouvait s'être trompée, en menant son exis­tence sans référence constante à l'Évangile, une bulle d'excommuni­cation contre Luther "Decet Romanum pontificem" fut signée par le pape en 1521. Par ailleurs, Luther, excédé, avait fini par douter de l'infaillibilité des conciles universels eux-mêmes ; il s'attaquait au magistère doctrinal de Eglise, en affirmant que l'on ne pouvait gar­der comme vérité absolue que ce qui pouvait être tiré de Écriture seule. Désormais, le mouvement déclenché par Luther échappait à la personne du réformateur pour accomplir son destin propre. La réfé­rence à Écriture, comme seule norme, pouvait permettre toutes les interprétations. Aussi le mouvement luthérien ne pouvait-il pas gar­der longtemps l'inspiration de son fondateur.

En 1535, Jean Calvin quittait la France pour la Suisse, à la suite de l'affaire des Placards, affiches qui critiquaient la messe de Eglise catholique. La Suisse avait accueilli favorablement les idées de la Ré­forme. A Genève, il commence à organiser l'Eglise évangélique, ce que les bourgeois de la ville eux-mêmes souhaitaient.

Les Genevois s'organisèrent en une communauté qui n'est pas sans rappeler la communauté des premiers chrétiens ; Calvin donna une constitution à l'Eglise de cette ville. Si la Réforme, sous la conduite de Luther puis de Zwingli, s'était distinguée dans l'ensemble de l'Eglise d'Occident par sa recherche théologique, elle devient, avec Calvin, une démarche pratique. Pour lui, la spéculation intellectuelle compte moins qu'une existence menée à la lumière de Évangile Calvin est, avant tout, un homme d'action, un réalisateur ; sa formation de juriste l'aidera à établir une sorte de société théocratique. L’Eglise qu'il fonde ainsi est une Eglise de saints, le rassemblement des élus, et non pas seulement une Eglise de la foi où le croyant cherche à ob­tenir le salut personnel par sa confiance en Dieu.

Une nation allait aussi adopter les principes de la Réforme, même si elle ne se place pas immédiatement dans l'idéologie des grands ré­formateurs. La dénomination d'Eglise anglicane ne date pas de la Ré­forme. Avant 1521, elle marquait simplement l'unique Eglise d'Angle­terre en communion avec le siège de Rome. Seulement quarante ans plus tard, cette même dénomination va désigner une Eglise à part, détachée de Rome, établie par un acte du Parlement, soumise au roi d'Angleterre. Par ses origines, comme par ses développements ulté­rieurs, l'Eglise anglicane ne peut que difficilement être située dans le courant théologique de la Réforme, et, d'une certaine manière, l'an­glicanisme peut paraître comme l'Eglise séparée de Rome, mais qui reste la plus proche du siège apostolique de Pierre. C'est que la sépa­ration de 1534 se situe davantage sur le plan de la juridiction de la papauté que sur celui de la théologie chrétienne. Sur le continent, les réformateurs furent des hommes de doctrine, des théologiens avant d'être des hommes d'action ; en Angleterre, il n'y eut rien de compa­rable, puisque les meneurs sont d'habiles politiques, qui s'affranchis­sent de la tutelle de Rome, bien avant de se constituer une référence dans des écrits.

La Réforme constituait une provocation sérieuse dans la vie de l'Eglise catholique ; une réponse à cette scission devenait nécessaire ; elle se fit attendre, car les responsables ecclésiastiques n'ont cer­tainement pas mesuré, sur le coup, la gravité de la situation dans la­quelle la chrétienté risquait de s'enliser. Seul, un nouveau concile oe­cuménique semblait être susceptible d'apporter une solution satisfai­sante à ce problème qui intéressait l'ensemble de la chrétienté. Les chrétiens ressentaient l'urgence d'un tel rassemblement des évê­ques, non seulement pour examiner la question luthérienne, mais sur­tout pour apporter des réformes décisives dans la vie de l'Eglise. Pourtant, la papauté hésita longuement avant de convoquer cette as­semblée conciliaire. Néanmoins, Paul III se décide, en mai 1542, à convoquer une assemblée oecuménique à Trente. Ouvert en 1545, le concile allait se prolonger jusqu'en 1563, mais avec de nombreuses interruptions.

Malgré les longs travaux du concile de Trente, la restauration de l'unité chrétienne ne se fit pas ; au contraire, la division fut même mise en évidence par des définitions dogmatiques que les protestants ne pouvaient accepter ; le concile affirme qu'il existait deux sources à la vérité chrétienne, Écriture sainte, mais aussi les traditions de Eglise, comme les écrits patristiques ou le magistère pontifical et conciliaire... Les pères conciliaires de Trente définirent aussi la sa­cramentalité chrétienne, en insistant particulièrement sur la doctrine catholique de l'eucharistie, en réaction aux propositions de Luther.

Ce concile de Trente peut se concevoir comme la réponse toute néga­tive du catholicisme à l'oeuvre de la Réforme protestante ; il est même parfois présenté comme le concile de la « Contre-Réforme » catholique, en raison de la présentation très juridique et disciplinaire des décisions qui furent les siennes.

La mise en application des décisions conciliaires revint à Pie V (1566-1572), dont un ambassadeur vénitien disait qu'il avait transformé Rome en un véritable cloître, car ce pape voulait maintenir la foi dans toute sa pureté. Pour unifier l'Eglise catholique, il entreprit la ré­forme de sa liturgie, en l'unifiant. En 1566, il fit publier un Caté­chisme romain qui devait servir de base à la formation de tous les chrétiens par le clergé paroissial ; en 1568, il publia le Bréviaire ro­main, accordant une grande place aux textes de Écriture ; en 1570, il fit paraître le Missel romain. Cette oeuvre d'unification liturgique fut poursuivie sous les pontificats suivants. Grégoire XIII (1572-1585) acheva la révision du code de droit canon entreprise par son prédécesseur ; mais ce pape a vu son nom immortalisé par la réforme qu'il entreprit de mener à bien, celle du calendrier ; le 24 février 1582, il décida que pour remédier aux erreurs du calendrier julien, le lendemain du 4 octobre 1582 serait le 15 octobre. Les états catholi­ques admirent immédiatement cette réforme ; les états protestants et orthodoxes conservèrent leur ancien calendrier de peur de voir le pape prendre encore de l'autorité sur eux...

A la fin du seizième siècle, la chrétienté universelle se trouve ainsi divisée en trois grandes zones d'influence. L'Orient demeure fidèle à l'orthodoxie de Constantinople ; l'Occident chrétien se sépare entre les fidèles qui reconnaissent l'autorité du pape et qui se regroupent ainsi dans le catholicisme romain et les fidèles qui refusent de recon­naître l'autorité du pape dans la vie de leurs Églises locales et qui se regroupent alors dans des communautés séparées, qui seront plus simplement rassemblées sous le nom de « protestantisme », nom gé­nérique donné indistinctement aux Églises chrétiennes issues de la Réforme.