Le livre de Jonas

 

 

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Le livre de Jonas

 

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Si vous êtes égoïste, centré sur vous-mêmes, aimant le confort, alors réjouissez-vous : vous êtes le parfait candidat pour être utilisé par Dieu.  Jonas était le type « égoïste » par excellence.  Il était préoccupé par ses propres besoins, par son confort.  Il aimait jouir de la communion avec les autres juifs, mais n’avait aucun souci pour les non-juifs et surtout pas pour ces Assyriens vers qui Dieu l’envoyait.

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Jonas est l’un des douze petits prophètes de la Bible. Il est le seul prophète à avoir été utilisé par Dieu pour proclamer sa grâce et appeler au salut les hommes perdus. Son livre ne présente pas un récit historique, mais un apologue romancé qui veut, sous forme ironique, dévoiler l'étroitesse des vues humaines et ouvrir à l'amour universel de Dieu.

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Son nom de Jonas est celui d’un animal, non pas la baleine, mais la colombe. Il est sans doute le plus connu des petits prophètes. Il est présenté comme le fils d'Amittaï (1, 1). Ce détail est important, car il permet d’établir la date approximative du ministère de Jonas...

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En effet, le second livre des Rois rapporte que Jéroboam « rétablit le territoire d'Israël, depuis Lebo-Hamath jusqu'à la mer de la Araba , selon la parole que le Seigneur, le Dieu d'Israël, avait dite par l'intermédiaire de son serviteur le prophète Jonas, fils d'Amittaï, de Gath-Héfèr » (2 R 14, 25).

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Jonas a donc vécu donc sous le règne de Jéroboam (de -783 à -742) et était originaire de Gath-Hépher, de la tribu de Zabulon, situé à une dizaine de kilomètres de Nazareth ; cela invalide le jugement des Pharisiens, qui répliquent à Nicodème au sujet de Jésus : « Serais-tu de Galilée, toi aussi ? Cherche bien et tu verras que de Galilée il ne sort pas de prophète » (Jn. 7, 52). Amittaï est un nom qui en hébreu désigne Dieu en tant que mesure de Vérité. Jonas est le fils du Véridique, il est celui en qui Dieu a mis sa confiance. C’est un prophète au service de la parole divine.

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Le livre de Jonas offre des particularités remarquables. Contrairement aux autres textes prophétiques, il se présente sous la forme d'un récit relatant sous forme imagée une aventure avec ses hauts et ses bas. D'autre part, le thème du livre est lui aussi unique, tout entier consacré à la valeur du repentir.

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L’histoire de Jonas est un exemple typique qui permet de saisir ce qu’est un prophète : le vrai prophète est, par définition, un homme qui doit être soumis à Dieu, il ne peut rien faire d’autre que d’être fidèle aux ordres qui lui sont confiés, au risque de connaître échec et amertume.

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Le prophète n'est pas celui qui prédit l'avenir, mais celui qui parle aux hommes de la part de Dieu, annonçant ainsi à ceux qui font le mal que cette situation est intolérable pour Dieu, ou rappelant à ceux qui sont dans l’épreuve que Dieu ne les oublie pas. C’est aussi toujours un homme qui est envoyé en mission. Et cette mission d'annoncer aux hommes et femmes que ce qu'ils font déplaît à Dieu est difficile et elle se termine souvent mal puisque le prophète le paie souvent de sa vie ; Jonas la redoute.

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Le livre se divise en quatre parties correspondant aux quatre chapitres :

Le temps de la protestation : Jonas le rebelle et le têtu

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Le livre s'ouvre sur la vocation de Jonas : Dieu l'appelle à aller prêcher contre Ninive, la grande ville (on dirait aujourd'hui : la mégapole, la superpuissance) païenne de Mésopotamie,  afin d'inciter ses habitants à se repentir de leurs péchés. Mais ce message est dangereux à délivrer, aussi Jonas cherche-t-il à esquiver cette tâche.

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Jonas, au caractère impulsif, ne semble pas avoir les qualités nécessaires pour devenir prophète. Il reste sourd à l'appel du Seigneur. Il ne prend pas le chemin de Ninive et préfère s'enfuir au bout du monde. Il embarque sur un navire en partance du port de Jaffa. Il s'agit pour lui de s'enfuir n'importe où, plutôt que d'obéir à la mission qui lui a été confiée.

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Jonas tente donc de fuir sa mission par l’éloignement. Il embarque pour Tarsis. Tarsis, c’est le sud de l’Espagne (qu’on n’a pas pu identifier avec précision, peut-être Tartessus près de Gibraltar), à l’opposé de Ninive ! Tarsis était le lieu le plus reculé du monde connu de l’époque... c’était, en quelque sorte "l’extrémité du monde"...

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Jonas avait donc pour projet, dans les limites de la connaissance de l’époque, d’aller le plus loin possible de la face de Dieu. Il veut se soustraire aux ordres de Dieu en fuyant le plus loin possible, pensant en même temps se soustraire à son regard. On peut être surpris par l'attitude de refus de Jonas qui décide de se dérober et de fuir vers une autre contrée : c'est pleinement conscient qu'il refuse d’accomplir sa mission de prophète.

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Comment un prophète peut-il refuser d'accomplir un devoir sacré, et surtout comment peut-il envisager sérieusement la possibilité de fuir Dieu ? Ne sait-il pas que sa présence divine emplit tout l'univers ? Mais le prophète va fuir d’une seconde manière, par le sommeil qui est procure le repos qui régénère l’homme, mais qui est aussi plongée dans la nuit, une figure de la mort.

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Le sommeil peut sembler symboliser la tranquillité d'esprit mais dans ce cas, il représente le refus d'entendre, de sentir et de voir les signes devant conduire à une conversion.  Cependant, dormir peut aussi être apparenté à un acte de foi. En se livrant au sommeil, Jonas accepte symboliquement l’épreuve que Dieu va lui infliger.

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Il faut remarquer que Jonas n'est pas le seul à avoir tenté de se soustraire à son élection comme prophète. Moïse a cherché à y échapper au motif qu'il était « lourd de bouche et lourd de langue »,

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Isaïe parce qu'il était « un homme aux lèvres impures, demeurant au milieu d'un peuple aux lèvres impures »,

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et Jérémie en invoquant sa trop grande jeunesse. Jonas, quant à lui, ne dit mot : il s'enfuit sans demander son reste, et le texte reste muet quant à sa motivation.

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Le capitaine du bateau, un païen, essaie de le sortir de son engourdissement.  Après que le sort ait désigné Jonas comme responsable de la tempête, il déclare être croyant, adorant Dieu.  Il est parfait, il n'a rien à changer. 

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Pourtant, les membres de l'équipage comprennent beaucoup plus vite que lui, se convertissent.  Quant à Jonas, il sait très bien qu'il a tort mais il a tellement peur de perdre l'amour de Dieu qu'il préfère mourir.

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Aussitôt que le bateau a levé l'ancre, Dieu provoque une tempête, si violente que le navire manque de sombrer corps et biens. Un naufrage semble inévitable. Désespérés, les matelots jettent la cargaison par-dessus bord, pour alléger d'autant le navire. La menace perdure.

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Dans une ultime tentative de salut, ces matelots, qui sont une image des païens idolâtres et superstitieux, mais des païens qui peuvent être pieux, se mettent à prier, chacun en direction de sa propre divinité, mais leurs dieux restent sourds à leurs prières.

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Ils ne paraissent nullement scandalisés lorsque le capitaine, après avoir fouillé le bateau, découvre Jonas profondément endormi et le fait monter sur le pont. Au lieu de l'invectiver, en lui reprochant de n'avoir pas mêlé ses prières aux leurs, ils adoptent un comportement particulièrement bienveillant envers leur passager, et ils décident de recourir à un tirage au sort, afin de désigner par ce procédé celui par la faute duquel est survenue la calamité.

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Les Anciens expliquaient le courroux des mers par le fait que certains métiers auraient été abhorrés du dieu des mers, ce qui explique que les marins demandent à Jonas ses origines et surtout sa profession : la présence d’un coupable sur un navire peut constituer un danger pour tous.

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Le sort indiquera Jonas. Et même après que le sort eut montré Jonas, ils ne se jettent pas sur lui pour lui faire un mauvais parti. Ils l'interrogent, et c'est seulement lorsque Jonas lui-même s'est reconnu responsable de la tempête et qu'il leur a demandé de le jeter à la mer, qu'ils se sont exécutés, mettant ainsi fin au déchaînement des flots.

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Déjà, le sommeil quasi léthargique était symbole de mort ; la mer et le monstre marin sont d’autres  images classiques de la mort. L'eau est un symbole très fort dans la Bible.   Elle représente la vie, l'expérience de vie avec ce qu'elle offre de bon et de mauvais.  Elle est au service de Dieu qui la contrôle à son gré, qui l'utilise pour récompenser ou pour punir. 

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Mais elle est aussi symbole de mort, ou du moins de danger mortel, ce qui explique que les Israélites n’étaient pas un peuple de marins ; pour eux, la mer, avec ses dangers, rappelait le chaos, le tohu-bohu initial… Dans ce récit, la traversée tumultueuse représente un moment important, de changement, de décision dans la vie de Jonas.  La tempête indique que ses choix ne sont pas les bons. 

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Pour calmer la tempête, les marins ont fini par jeter Jonas à la mer, après de longues hésitations et de vaines tentatives d’accostage. En effet, ils ne veulent pas être accusés par la suite de la mort d’un innocent. Après la disparition du prophète, englouti par les eaux, les marins se convertissent au vrai Dieu et lui offrent des sacrifices. La tempête se calme alors. Le texte en conclut que Jonas était bien le coupable.

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Le temps de la maturation : Jonas médite au coeur du poisson

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Les matelots ont jeté le fautif dans la mer. Mais Dieu a tout organisé pour la suite : un grand poisson souvent improprement appelé « baleine » avale Jonas - ce qui n'est pas un miracle, car il existe des poissons assez grands pour cela. Mais le miracle est que Jonas restera conscient dans ses entrailles trois jours et trois nuits.

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Il ne peut s’agir ici d’une baleine, étant donné que celle-ci a un gosier trop étroit pour avaler un homme et que les baleines ne sont pas indigènes de la Méditerranée … Les Juifs traduisent ceci littéralement, en hébreu moderne : Léviathan.

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Le poisson symbolise la tombe, ainsi que l'ange préposé à ceux qui sont morts. Les trois jours et les trois nuits que Jonas passe dans le ventre du poisson (2, 1) représentent les trois premiers jours après la mort pendant lesquels l'âme se morfond du corps qu'elle a quitté et attend de pouvoir le rejoindre.

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Jonas peut réfléchir, à travers un dialogue intérieur avec Dieu, Jonas va se repentir, il se met à prier. Ses paroles sont une sorte de cantique, composé d’emprunts à divers psaumes : on retrouve le passage de l’angoisse à la délivrance, de la mort à la vie. C’est la prière d’un homme qui a besoin du secours de Dieu. Son psaume d’appel au secours assimile étroitement les fonds marins et leurs gouffres au royaume de la mort.

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C’est la symbolique de l’eau destructrice qui est évoquée. La mer est regardée, soit comme le royaume de la mort, soit comme le chemin qui y conduit. Plus qu’une prière, ces paroles sont une véritable acceptation du jugement de Dieu : Jonas reconnaît la grandeur de Dieu et par cela même consent à s’acquitter de sa mission : il accepte d’obéir à Dieu. Jonas reconnaît qu’il s’est trompé dans son jugement... il se croyait chassé, mais il aura encore accès à la maison de Dieu.

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Il découvre que celui qui a permis sa chute sera la source de son relèvement.

Il faut remarquer la conclusion de la prière de Jonas : « Le salut vient du Seigneur »... C’est le message central du livre de Jonas (et de toute la Bible !)... Dieu sauve les marins, il sauve Jonas, il sauvera les Ninivites.

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Pourtant la prière de Jonas était encore une prière égoïste, ce qui l’intéresse, c’est son salut... celui des autres, il n’en à rien à faire (c’est ce que révèlent les chapitres 3 et 4). Mais, en fin de compte, cela ne le regarde pas... C’est Dieu qui décide !

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Malgré les apparences, la tempête et le poisson qui avale Jonas ne sont pas une punition de Dieu mais un moyen de conversion.  Dieu aime Jonas et les obstacles sont là pour le guider, pour lui faire entendre raison.

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Le temps de la protestation : la prédication de Jonas à Ninive

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Dieu fait recracher Jonas par le poisson sur la terre ferme, et il  renouvelle son ordre à son prophète. Après la terrible expérience  qu’il a subie, Jonas ne peut se dérober  et il accepte enfin d'aller à Ninive pour annoncer le message de Dieu : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ».

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Jonas était réticent à se rendre à Ninive. Ses habitants étaient « mauvais », païens ! En tant que croyant juif, il savait ou pressentait que Dieu aurait compassion d'eux mais qu'ils pourraient le tuer. Il avait de bonnes raisons de ne pas y aller.

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C’était une ville fondée au troisième millénaire avant Jésus-Christ, sur la rive gauche du Tibre. A l'époque de la royauté, Ninive est devenue la capitale de la grande puissance de l'époque, l'Assyrie, et son nom résonnera comme une menace redoutable sur les deux royaumes juifs.

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Cette ville était réputée pour son prestige guerrier, son pouvoir arbitraire et sa « prostitution », au sens biblique de soumission des hommes à des dieux. Elle représente dans la Bible le point extrême de la violence et du péché, l’ennemi par excellence du peuple d’Israël.

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Les païens, déjà figurés une première fois par les marins, le sont à nouveau par Ninive, la grande ville dont la méchanceté est montée jusqu’à Dieu et qui mérite d’être châtiée, comme jadis Sodome et Gomorrhe.

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L'insoumission de Jonas constituait chez ce prophète un moyen d'affirmer son refus de s'associer, par son influence, à ce qui pourrait renforcer la puissance de l'ennemi qui menace de toutes parts. Prier pour Ninive, cela revient à agir contre les intérêts de sa propre patrie. Ce sont d'ailleurs les Assyriens qui détruiront celui du Nord, et disperser à travers le monde les dix tribus qui le peuplaient.

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Pourtant Ninive fut détruite en 612 avant Jésus-Christ, donc bien avant la composition du livre de Jonas. Son nom actuel est Mossoul. Elle recèlerait, selon la tradition musulmane, la tombe du prophète Jonas. Il y a actuellement une mosquée sur le site, mais il y a quelques siècles, il y avait un synagogue dont il n’existe plus aucune trace.

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Puisqu'il doit parler à ces païens, que ce soit du moins pour les condamner et assister à leur perte : Jonas marche, parle annonce donc la destruction de la ville. En moins d'une journée, sur une simple phrase (3, 4), Jonas prononce les paroles du jugement, assorties du délai de grâce de quarante jours que Dieu donne pour la conversion. Ninive revient « de son mauvais chemin » (3, 10).

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Personne ne remet en question l’annonce de Jonas. Les habitants entendent la parole de Jonas et donc de Dieu, et changent de conduite. Hommes et bêtes se livrent au jeûne et à la pénitence, afin d’amener sur eux la clémence divine. La voix du prophète se perd, elle n'a plus d'importance, elle est recouverte par la proclamation de repentance et le décret royal (3, 5-9). Ninive pénitente a bien été mise « sens dessus dessous » (3, 4). À ce retournement répond le retournement de Dieu : « Aussi revint-il de sa décision… » (3,10).

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Contre toute attente, Ninive s’est convertie et Dieu pardonne. Ce qui donne sa force au texte, c’est que le pardon divin concerne la cité considérée comme l’ennemie d’Israël. Or dans la perspective du livre de Jonas il faut distinguer deux sortes de repentir : l’un inspiré par un amour profond de Dieu et l’autre dicté par la crainte du châtiment. Pour le prophète, le repentir de Ninive est uniquement dicté par la peur, il est exagéré (3, 7) et trop soudain. La compassion de Dieu va au-delà du raisonnement de Jonas.

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Le temps de la maturation : Jonas méditant sous le ricin

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Dieu a fait grâce à Ninive. Coup de théâtre : « Jonas le prit mal, très mal » (4, 1). Il se fâche. L'ennemi d'Israël est épargné ! Il s'irrite et reproche à Dieu sa miséricorde. Et il révèle la raison de sa fuite initiale : « Je savais bien que tu es un Dieu miséricordieux » (4, 2). Jonas savait que Dieu pouvait renverser le cours de l'Histoire et qu’il était un Dieu « lent à la colère » envers Israël et envers les païens.

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Il n'est pas seulement le Dieu des juifs, il est le Dieu de tous les hommes de bonne volonté qui seront jugés avec miséricorde en tenant compte de leurs faiblesses, même si leur esprit se tourne vers d'autres images. Il sait mais ne comprend pas, bien au contraire.

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Jonas se fâche : de quoi a-t-il l'air, lui, maintenant, puisque sa parole ne se réalise pas ? Jonas est le porte-parole de Dieu et voit sa prophétie non réalisée, tout au moins dans le sens où il aurait souhaiter la voir s’effectuer ; en effet, Jonas est conséquent : pour lui, Ninive et Israël ne peuvent coexister. Jonas vient de contribuer à sauver l’ennemi juré d’Israël et porte en lui des sentiments amers et le goût de la trahison.

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Il ressent de la colère car il a l’impression que sa mission a été inutile et que la miséricorde divine concerne tous les hommes. Il s’emporte car il a été le prophète et l’instrument du salut pour les païens. Jonas va jusqu’à demander sa mort à Dieu.

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Dieu patiente encore avec Jonas et cherche encore à l'enseigner. Alors commence la parabole du ricin. Le texte de la Bible parle seulement « d'une plante qui pousse rapidement, donne de l'ombre, mais qui se fane » très vite. Lors de la traduction en grec (la septante), il fut donné un nom à cette plante : le ricin.

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Dieu a pitié de son prophète enfermé dans ses courtes vues ; il lui procure l'ombre du ricin. L'ombre de cette plante, un supplément à sa hutte, lui est vite retirée. Mais Jonas n'a pas encore compris. Quand le ricin crève, il s'apitoie sur l'arbuste et réclame à nouveau la mort.

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Avec le ricin, Dieu montre à Jonas l’importance du salut universel. Dieu est plein d’amour pour les êtres qu’il a créés, Jonas lui aimait l’ombre du ricin : Dieu tente de lui montrer qu’il entretien avec Ninive un rapport d’amour qui est aussi important que celui de Jonas pour l’ombre de son ricin. Si Jonas se préoccupe d’une simple plante qu’il n’a même pas fait pousser, comment Dieu pourrait-il laisser Ninive, une ville qu’il a lui-même créée ?

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Jonas a ressenti de la peine pour le ricin, à plus forte raison Dieu s'est-il mis en peine pour sauver la population de Ninive. Jonas souffre mille morts ; Ninive disparue, qu'aurait donc souffert Dieu ? Alors, devant la parole de Celui qui se révèle plus humain que l'humain, le narrateur se tait.

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Le récit s’arrête là. Du moins on le croit. On ne sait pas comment Jonas réagit. Tout comme on ne saura jamais ce qu’a fait le jeune homme riche, qui s’en allait tout triste loin de Jésus parce qu’il était plein aux as...

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Et on ne sait toujours pas si finalement le frère aîné du fils prodigue est quand même entré dans la salle du festin... Pourquoi ? Jonas, l’homme riche, le fils prodigue et son frère, c’est chacun de nous... C’est nous, qui avons pour mission d’écrire la suite de l’histoire par notre vie.

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L'humour de Dieu

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On date ce conte édifiant de Jonas de la période du retour de l'exil. Les Israélites sont en pleine reconstruction de leur pays et de leurs institutions et risquent de s'enfermer dans leur particularisme. Ils ruminent les épreuves subies durant l'exil et sont économes sur le pardon à accorder.

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Ce personnage, manquant d'ouverture envers les étrangers, représente la communauté juive repliée sur elle-même devant le danger de se faire assimiler par l'empire perse.  Elle croit que Dieu appartient aux juifs seulement et ne saurait être partagé avec les autres nations.  Le fait d'être Juif semble vécu comme un privilège qu'on n'a pas besoin de partager avec les païens. 

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De plus, Dieu les vengera de leurs ennemis. Le message du livre ouvre à l'universalisme : Dieu est prêt à accorder son pardon à quiconque manifeste une volonté de conversion. Gare à la tentation de brandir la menace du châtiment divin alors que Dieu se met en peine pour révéler sa miséricorde. C'est quand Jonas finit par remplit son rôle, là où Dieu s'est déjà mis à l'œuvre, que la transformation survient.

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L'auteur ne veut pas s'enfermer sur un petit coin de terre ni restreindre Dieu à l'habiter en exclusivité. Il est convaincu qu'Israël a reçu la mission d'être l'instrument du Seigneur pour convertir le monde. Avant la chute de Jérusalem, on insistait sur la justice de Dieu, qui ne pouvait laisser une faute impunie, et sur sa force dont profitait l'armée au combat. 

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Au cinquième siècle avant Jésus-Christ, la gloire passée n'est qu'un souvenir, Israël est confronté à la nécessité de pardonner à des ennemis beaucoup plus puissants au risque de s'isoler et d'isoler Dieu du monde.  C'est le signe d'une foi conviant les êtres humains à se décentrer d'eux-mêmes pour s'ouvrir à ce qui  leur est étranger. 

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Jonas et Jésus

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Pour les chrétiens, le signe de Jonas, mort et revenu à la vie, est une allusion transparente à la mort et à la résurrection de Jésus. De plus, les évangiles rapportent une parole de Jésus sur son refus de faire un signe - un miracle - comme démonstration du fait que c'est bien Dieu qui l'envoie.

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Ainsi en Luc (11, 29-32), Jésus affirme que sa génération ne recevra pas d'autre signe que le signe de Jonas, ajoutant : Jonas fut un signe pour les gens de Ninive, comme le fils de l'homme en sera un pour son temps à lui. Jésus ajoute un autre exemple : celui de la reine de Saba, une païenne qui, comme les Ninivites, a entendu l'appel de Dieu, alors que les contemporains de Jésus, croyants, font la sourde oreille.

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Chez Matthieu (12,38-42) on trouve en plus une comparaison entre les trois jours et trois nuits de Jonas dans le ventre du poisson et ceux à venir du fils de l'homme dans le sein de la terre. C'est à cause de cela que Jonas dans la baleine est souvent représenté, en particulier sur des tombeaux, au début du christianisme.

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Le signe a un sens : lorsque le prophète Jonas a - malgré lui ! - un succès énorme à Ninive, cela montre à quel point les amis traditionnels de Dieu peuvent prendre exemple sur des adversaires traditionnels… Lorsque les siens ne l’écoutent plus, Dieu trouve toujours un chemin pour se faire entendre !

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La différence primordiale entre Jonas et Jésus c'est que Jésus n'a jamais désobéi à Dieu. Jésus ne va pas à la mort pour être puni. Il y va pour sauver l'humanité. Le signe de Jésus est plus fort que celui de Jonas qui ressemble plus à un conte qu'à un texte qu'il faut lire à la lettre.