Lettre encyclique « Deus caritas est
»
25 janvier 2006
INTRODUCTION
1. « Dieu est amour : celui qui demeure dans
l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 4, 16). Ces paroles de
Nous avons cru à l’amour de Dieu :
c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À
l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique
ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne,
qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. Dans
son Évangile, Jean avait exprimé cet événement par ces mots : « Dieu a tant
aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en
lui [...] obtiendra la vie éternelle » (3, 16). En reconnaissant le caractère
central de l’amour, la foi chrétienne a accueilli ce qui était le noyau de
la foi d’Israël et, en même temps, elle a donné à ce noyau une profondeur
et une ampleur nouvelles. En effet, l’Israélite croyant prie chaque jour avec
les mots du Livre du Deutéronome, dans lesquels il sait qu’est contenu
le centre de son existence : « Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu
est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
âme et de toute ta force » (6, 4-5). Jésus a réuni, en en faisant un unique
précepte, le commandement de l’amour de Dieu et le commandement de l’amour
du prochain, contenus dans le Livre du Lévitique : « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même » (19, 18 ; cf. Mc 12, 29-31). Comme Dieu nous
a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement un
commandement, mais il est la réponse au don de l’amour par lequel Dieu vient
à notre rencontre.
Dans un monde où l’on associe parfois la
vengeance au nom de Dieu, ou même le devoir de la haine et de la violence,
c’est un message qui a une grande actualité et une signification très concrète.
C’est pourquoi, dans ma première Encyclique, je désire parler de l’amour
dont Dieu nous comble et que nous devons communiquer aux autres. Par là sont
ainsi indiquées les deux grandes parties de cette Lettre, profondément reliées
entre elles. La première aura un caractère plus spéculatif, étant donné que
je voudrais y préciser – au début de mon Pontificat – certains éléments
essentiels sur l’amour que Dieu, de manière mystérieuse et gratuite, offre
à l’homme, de même que le lien intrinsèque de cet Amour avec la réalité
de l’amour humain. La seconde partie aura un caractère plus concret,
puisqu’elle traitera de la pratique ecclésiale du commandement de l’amour
pour le prochain. La question est très vaste, un long développement dépasserait
néanmoins le but de cette Encyclique. Je désire insister sur certains éléments
fondamentaux, de manière à susciter dans le monde un dynamisme renouvelé pour
l’engagement dans la réponse humaine à l’amour divin.
PREMIÈRE PARTIE
L’UNITÉ DE L’AMOUR DANS
ET
Un problème de langage
2. L’amour de Dieu pour nous est une question
fondamentale pour la vie et pose des interrogations décisives sur qui est Dieu
et sur qui nous sommes. À ce sujet, nous rencontrons avant tout un problème de
langage. Le terme «amour» est devenu aujourd’hui un des mots les plus utilisés
et aussi un des plus galvaudés, un mot auquel nous donnons des acceptions
totalement différentes. Même si le thème de cette encyclique se concentre sur
le problème de la compréhension et de la pratique de l’amour dans la Sainte
Écriture et dans la Tradition de l’Église, nous ne pouvons pas simplement
faire abstraction du sens que possède ce mot dans les différentes cultures et
dans le langage actuel.
Rappelons en premier lieu le vaste champ sémantique
du mot « amour » : on parle d’amour de la patrie, d’amour pour son métier,
d’amour entre amis, d’amour du travail, d’amour entre parents et enfants,
entre frères et entre proches, d’amour pour le prochain et d’amour pour
Dieu. Cependant, dans toute cette diversité de sens, l’amour entre homme et
femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans
lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble
irrésistible, apparaît comme l’archétype de l’amour par excellence,
devant lequel s’estompent, à première vue, toutes les autres formes
d’amour. Surgit alors une question : toutes ces formes d’amour
s’unifient-elles finalement et, malgré toute la diversité de ses
manifestations, l’amour est-il en fin de compte unique, ou bien, au contraire,
utilisons-nous simplement un même mot pour indiquer des réalités complètement
différentes ?
« Eros » et « agapè » – différence et unité.
3. À l’amour entre homme et femme, qui ne naît
pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à
l’être humain,
4. En est-il vraiment ainsi ? Le christianisme
a-t-il véritablement détruit l’eros ? Regardons le monde pré-chrétien.
Comme de manière analogue dans d’autres cultures, les Grecs ont vu dans l’eros
avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d’une « folie
divine » qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans cet
être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience
de la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre
apparaissent de ce fait d’une importance secondaire : « Omnia vincit amor »,
affirme Virgile dans les Bucoliques – l’amour vainc toutes choses –
et il ajoute : « Et nos cedamus amori » – et nous cédons, nous
aussi, à l’amour [2].
Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de
la fertilité, auxquels appartient la prostitution « sacrée », qui
fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré
comme force divine, comme communion avec le Divin.
L’Ancien Testament s’est opposé avec la plus
grande rigueur à cette forme de religion, qui est comme une tentation très
puissante face à la foi au Dieu unique, la combattant comme perversion de la
religiosité. En cela cependant, il n’a en rien refusé l’eros comme
tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice, puisque la
fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa
dignité, le déshumanise. En fait, dans le temple, les prostituées, qui
doivent donner l’ivresse du Divin, ne sont pas traitées comme êtres humains
ni comme personnes, mais elles sont seulement des instruments pour susciter la
« folie divine » : en réalité, ce ne sont pas des déesses, mais des
personnes humaines dont on abuse. C’est pourquoi l’eros ivre et
indiscipliné n’est pas montée, « extase » vers le Divin, mais chute, dégradation
de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de
discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un
instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude
vers laquelle tend tout notre être.
5. De ce regard rapide porté sur la conception de
l’eros dans l’histoire et dans le temps présent, deux aspects
apparaissent clairement, et avant tout qu’il existe une certaine relation
entre l’amour et le Divin : l’amour promet l’infini, l’éternité –
une réalité plus grande et totalement autre que le quotidien de notre
existence. Mais il est apparu en même temps que le chemin vers un tel but ne
consiste pas simplement à se laisser dominer par l’instinct. Des
purifications et des maturations sont nécessaires ; elles passent aussi par la
voie du renoncement. Ce n’est pas le refus de l’eros, ce n’est pas
son «empoisonnement», mais sa guérison en vue de sa vraie grandeur.
Cela dépend avant tout de la constitution de l’être
humain, à la fois corps et âme. L’homme devient vraiment lui-même, quand le
corps et l’âme se trouvent dans une profonde unité ; le défi de l’eros
est vraiment surmonté lorsque cette unification est réussie. Si l’homme
aspire à être seulement esprit et qu’il veut refuser la chair comme étant
un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité.
Et si, d’autre part, il renie l’esprit et considère donc la matière, le
corps, comme la réalité exclusive, il perd également sa grandeur. L’épicurien
Gassendi s’adressait en plaisantant à Descartes par le salut : « Ô Âme !
». Et Descartes répliquait en disant: « Ô Chair ! »
[3].
Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime : c’est
l’homme, la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le
corps et l’âme. C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement
en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de
cette façon que l’amour – l’eros – peut mûrir, jusqu’à
parvenir à sa vraie grandeur.
Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au
christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité ; de
fait, il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d’exalter le
corps, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est trompeuse. L’eros
rabaissé simplement au « sexe » devient une marchandise, une simple « chose
» que l’on peut acheter et vendre ; plus encore, l’homme devient une
marchandise. En réalité, cela n’est pas vraiment le grand oui de l’homme
à son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la
sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et
exploite de manière calculée. Une part, d’ailleurs, qu’il ne considère
pas comme un espace de sa liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa manière,
tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité, nous nous
trouvons devant une dégradation du corps humain, qui n’est plus intégré
dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus l’expression
vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve comme cantonné au
domaine purement biologique. L’apparente exaltation du corps peut bien vite se
transformer en haine envers la corporéité. À l’inverse, la foi chrétienne
a toujours considéré l’homme comme un être un et duel, dans lequel esprit
et matière s’interpénètrent l’un l’autre et font ainsi tous deux
l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, l’eros veut nous élever
« en extase » vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais
c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements,
de purifications et de guérisons.
6. Comment devons-nous nous représenter concrètement
ce chemin de montée et de purification ? Comment doit être vécu l’amour,
pour que se réalise pleinement sa promesse humaine et divine ? Nous pouvons
trouver une première indication importante dans le Cantique des Cantiques,
un des livres de l’Ancien Testament bien connu des mystiques. Selon
l’interprétation qui prévaut aujourd’hui, les poèmes contenus dans ce
livre sont à l’origine des chants d’amour, peut-être prévus pour une fête
de noces juives où ils devaient exalter l’amour conjugal. Dans ce contexte,
le fait que l’on trouve, dans ce livre, deux mots différents pour parler de
l’ « amour » est très instructif. Nous avons tout d’abord le mot « dodim
», un pluriel qui exprime l’amour encore incertain, dans une situation de
recherche indéterminée. Ce mot est ensuite remplacé par le mot « ahabà »
qui, dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, est rendu par le mot de
même consonance « agapè », lequel, comme nous l’avons vu, devint
l’expression caractéristique de la conception biblique de l’amour. En
opposition à l’amour indéterminé et encore en recherche, ce terme exprime
l’expérience de l’amour, qui devient alors une véritable découverte de
l’autre, dépassant donc le caractère égoïste qui dominait clairement
auparavant. L’amour devient maintenant soin de l’autre et pour l’autre. Il
ne se cherche plus lui-même – l’immersion dans l’ivresse du bonheur –
il cherche au contraire le bien de l’être aimé : il devient renoncement, il
est prêt au sacrifice, il le recherche même.
Cela fait partie des développements de l’amour
vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l’amour
qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens :
dans le sens d’un caractère exclusif – « cette personne seulement » –
et dans le sens d’un « pour toujours ». L’amour comprend la totalité de
l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne
pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif :
l’amour vise à l’éternité. Oui, l’amour est « extase », mais extase
non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme
exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le
don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore
vers la découverte de Dieu : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et
qui la perdra la sauvegardera » (Lc 17, 33), dit Jésus – une de ses
affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs variantes (cf. Mt
10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24 ; Jn 12, 25). Jésus décrit
ainsi son chemin personnel, qui le conduit par la croix jusqu’à la résurrection
; c’est le chemin du grain de blé tombé en terre qui meurt et qui porte
ainsi beaucoup de fruit. Mais il décrit aussi par ces paroles l’essence de
l’amour et de l’existence humaine en général, partant du centre de son
sacrifice personnel et de l’amour qui parvient en lui à son accomplissement.
7. À l’origine plutôt philosophiques, nos réflexions
sur l’essence de l’amour nous ont maintenant conduits, par une dynamique
interne, jusqu’à la foi biblique. Au point de départ, la question s’est
posée de savoir si les différents sens du mot amour, parfois même opposés,
ne sous-entendraient pas une certaine unité profonde ou si, au contraire, ils
ne devraient pas rester indépendants, l’un à côté de l’autre. Avant tout
cependant, est apparue la question de savoir si le message sur l’amour qui
nous est annoncé par
Dans le débat philosophique et théologique, ces
distinctions ont souvent été radicalisées jusqu’à les mettre en opposition
entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément l’agapè, serait
typiquement chrétien ; à l’inverse, la culture non chrétienne, surtout
la culture grecque, serait caractérisée par l’amour ascendant, possessif et
sensuel, c’est-à-dire par l’eros. Si on voulait pousser à l’extrême
cette antithèse, l’essence du christianisme serait alors coupée des
relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un
monde en soi, à considérer peut-être comme admirable mais fortement détaché
de la complexité de l’existence humaine. En réalité, eros et agapè
– amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement
l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions
différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour,
plus se réalise la véritable nature de l’amour en général. Même si,
initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination
pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de
l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera
toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de
l’autre, il se donnera et il désirera « être pour » l’autre. C’est
ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l’eros
déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas
non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas
toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de
l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément,
comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves
d’eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il
doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire
qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf.
Jn 19, 34).
Dans le récit de l’échelle de Jacob, les Pères
ont vu exprimé symboliquement, de différentes manières, le lien inséparable
entre montée et descente, entre l’eros qui cherche Dieu et l’agapè
qui transmet le don reçu. Dans ce texte biblique, il est dit que le patriarche
Jacob vit en songe, sur la pierre qui lui servait d’oreiller, une échelle qui
touchait le ciel et sur laquelle des anges de Dieu montaient et descendaient (cf.
Gn 28, 12; Jn 1, 51). L’interprétation que le Pape Grégoire le
Grand donne de cette vision dans sa Règle pastorale est particulièrement
touchante. Le bon pasteur, dit-il, doit être enraciné dans la contemplation.
En effet, c’est seulement ainsi qu’il lui sera possible d’accueillir les
besoins d’autrui dans son cœur, de sorte qu’ils deviennent siens: « Per
pietatis viscera in se infirmitatem caeterorum transferat »
[4].
Dans ce cadre, saint Grégoire fait référence à saint Paul qui est enlevé au
ciel jusque dans les plus grands mystères de Dieu et qui, précisément à
partir de là, quand il en redescend, est en mesure de se faire tout à tous (cf.
2 Co 12, 2-4; 1 Co 9, 22). D’autre part, il donne encore
l’exemple de Moïse, qui entre toujours de nouveau dans la tente sacrée,
demeurant en dialogue avec Dieu, pour pouvoir ainsi, à partir de Dieu, être à
la disposition de son peuple. « Au-dedans [dans la tente], ravi dans les
hauteurs par la contemplation, il se laisse au dehors [de la tente] prendre par
le poids des souffrants : Intus in contemplationem rapitur, foris
infirmantium negotiis urgetur ». [5]
8. Nous avons ainsi trouvé une première réponse,
encore plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«
amour » est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes ; tour
à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante.
Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de
l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de
l’amour. D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi
biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène
humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme,
intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même
temps de nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste
surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés : l’image de Dieu
et l’image de l’homme.
La nouveauté de la foi biblique
9. Il s’agit avant tout de la nouvelle image de
Dieu. Dans les cultures qui entourent le monde de
Les prophètes Osée et Ézéchiel surtout ont décrit
cette passion de Dieu pour son peuple avec des images érotiques audacieuses. La
relation de Dieu avec Israël est illustrée par les métaphores des fiançailles
et du mariage; et par conséquent, l’idolâtrie est adultère et prostitution.
On vise concrètement par là, comme nous l’avons vu, les cultes de la
fertilité, avec leur abus de l’eros, mais, en même temps, on décrit
aussi la relation de fidélité entre Israël et son Dieu. L’histoire
d’amour de Dieu avec Israël consiste plus profondément dans le fait qu’il
lui donne la Torah, qu’il ouvre en réalité les yeux à Israël sur la
vraie nature de l’homme et qu’il lui indique la route du véritable
humanisme. Cette histoire consiste dans le fait que l’homme, en vivant dans la
fidélité au Dieu unique, fait lui-même l’expérience d’être celui qui
est aimé de Dieu et qu’il découvre la joie dans la vérité, dans la
justice, la joie en Dieu qui devient son bonheur essentiel : « Qui donc est
pour moi dans le ciel si je n’ai, même avec toi, aucune joie sur la terre ?
... Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu » (Ps 72 [73],
25.28).
10. L’eros de Dieu pour l’homme, comme
nous l’avons dit, est, en même temps, totalement agapè. Non seulement
parce qu’il est donné absolument gratuitement, sans aucun mérite préalable,
mais encore parce qu’il est un amour qui pardonne. C’est surtout le prophète
Osée qui nous montre la dimension de l’agapè dans l’amour de Dieu
pour l’homme, qui dépasse de beaucoup l’aspect de la gratuité. Israël a
commis « l’adultère », il a rompu l’Alliance ; Dieu devrait le juger et
le répudier. C’est précisément là que se révèle cependant que Dieu est
Dieu et non pas homme : « Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm, te
livrerais-je, Israël ?... Mon cœur se retourne contre moi, et le regret me
consume. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus
Israël, car je suis Dieu, et non pas homme: au milieu de vous je suis le Dieu
saint » (Os 11, 8-9). L’amour passionné de Dieu pour son peuple –
pour l’homme – est en même temps un amour qui pardonne. Il est si grand
qu’il retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice. Le chrétien
voit déjà poindre là, de manière voilée, le mystère de la Croix : Dieu
aime tellement l’homme que, en se faisant homme lui-même, il le suit jusqu’à
la mort et il réconcilie de cette manière justice et amour.
L’aspect philosophique, historique et religieux
qu’il convient de relever dans cette vision de la Bible réside dans le fait
que, d’une part, nous nous trouvons devant une image strictement métaphysique
de Dieu : Dieu est en absolu la source originaire de tout être ; mais ce
principe créateur de toutes choses – le Logos, la raison primordiale
– est, d’autre part, quelqu’un qui aime avec toute la passion d’un véritable
amour. De la sorte, l’eros est ennobli au plus haut point, mais, en même
temps, il est ainsi purifié jusqu’à se fondre avec l’agapè. À
partir de là, nous pouvons ainsi comprendre que le Cantique des Cantiques,
reçu dans le canon de
11. La première nouveauté de la foi biblique
consiste, comme nous l’avons vu, dans l’image de Dieu; la deuxième, qui lui
est essentiellement liée, nous la trouvons dans l’image de l’homme. Le récit
biblique de la création parle de la solitude du premier homme, Adam, aux côtés
duquel Dieu veut placer une aide. Parmi toutes les créatures, aucune ne peut être
pour l’homme l’aide dont il a besoin, bien qu’il ait donné leur nom à
toutes les bêtes des champs et à tous les oiseaux, les intégrant ainsi dans
son milieu de vie. Alors, à partir d’une côte de l’homme, Dieu modèle la
femme. Adam trouve désormais l’aide qu’il lui faut : « Cette fois-ci, voilà
l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). À l’arrière-plan
de ce récit, on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi
dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à l’origine, l’homme était
sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir
de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais
toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de
retrouver son intégrité [8]. Dans le récit biblique,
on ne parle pas de punition; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque
sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans l’autre, de la
partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement
dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir « complet », est
sans aucun doute présente. Le récit biblique se conclut ainsi sur une prophétie
concernant Adam : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un » (Gn
2, 24).
Deux aspects sont ici importants : l’eros
est comme enraciné dans la nature même de l’homme; Adam est en recherche et
il « quitte son père et sa mère » pour trouver sa femme ; c’est seulement
ensemble qu’ils représentent la totalité de l’humanité, qu’ils
deviennent « une seule chair ». Le deuxième aspect n’est pas moins
important : selon une orientation qui a son origine dans la création, l’eros
renvoie l’homme au mariage, à un lien caractérisé par l’unicité et le définitif
; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde. À l’image du
Dieu du monothéisme, correspond le mariage monogamique. Le mariage fondé sur
un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec
son peuple et réciproquement : la façon dont Dieu aime devient la mesure de
l’amour humain. Ce lien étroit entre eros et mariage dans
Jésus Christ – l’amour incarné de Dieu
12. Même si nous avons jusque-là parlé surtout de
l’Ancien Testament, cependant, la profonde compénétration des deux
Testaments comme unique Écriture de la foi chrétienne s’est déjà rendue
visible. La véritable nouveauté du Nouveau Testament ne consiste pas en des idées
nouvelles, mais dans la figure même du Christ, qui donne chair et sang aux
concepts – un réalisme inouï. Déjà dans l’Ancien Testament, la nouveauté
biblique ne résidait pas seulement en des concepts, mais dans l’action imprévisible,
et à certains égards inouïe, de Dieu. Cet agir de Dieu acquiert maintenant sa
forme dramatique dans le fait que, en Jésus Christ, Dieu lui-même recherche la
« brebis perdue », l’humanité souffrante et égarée. Quand Jésus, dans
ses paraboles, parle du pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, de
la femme qui cherche la drachme, du père qui va au devant du fils prodigue et
qui l’embrasse, il ne s’agit pas là seulement de paroles, mais de
l’explication de son être même et de son agir. Dans sa mort sur la croix
s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne
pour relever l’homme et le sauver – tel est l’amour dans sa forme la plus
radicale. Le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont parle Jean (cf.
19, 37), comprend ce qui a été le point de départ de cette Encyclique : «
Dieu est amour » (1 Jn 4, 8). C’est là que cette vérité peut être
contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce qu’est
l’amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et
pour aimer.
13. À cet acte d’offrande, Jésus a donné une présence
durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène.
Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en cette
heure-là, à ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et son sang
comme nouvelle manne (cf. Jn 6, 31-33). Si le monde antique avait rêvé
qu’au fond, la vraie nourriture de l’homme – ce dont il vit comme homme
– était le Logos, la sagesse éternelle, maintenant ce Logos est
vraiment devenu nourriture pour nous, comme amour. L’Eucharistie nous attire
dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos
incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de
son offrande. L’image du mariage entre Dieu et Israël devient réalité
d’une façon proprement inconcevable : ce qui consistait à se tenir devant
Dieu devient maintenant, à travers la participation à l’offrande de Jésus,
participation à son corps et à son sang, devient union. La « mystique » du
Sacrement, qui se fonde sur l’abaissement de Dieu vers nous, est d’une tout
autre portée et entraîne bien plus haut que ce à quoi n’importe quelle élévation
mystique de l’homme pourrait conduire.
14. Mais il faut maintenant faire attention à un
autre aspect: la «mystique» du Sacrement a un caractère social parce que dans
la communion sacramentelle je suis uni au Seigneur, comme toutes les autres
personnes qui communient : « Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que
nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain », dit
saint Paul (1 Co 10, 17). L’union avec le Christ est en même temps
union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi
seul ; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus
ou qui deviendront siens. La communion me tire hors de moi-même vers lui et, en
même temps, vers l’unité avec tous les chrétiens. Nous devenons « un seul
corps », fondus ensemble dans une unique existence. L’amour pour Dieu et
l’amour pour le prochain sont maintenant vraiment unis : le Dieu incarné nous
attire tous à lui. À partir de là, on comprend maintenant comment agapè
est alors devenue aussi un nom de l’Eucharistie : dans cette dernière, l’agapè
de Dieu vient à nous corporellement pour continuer son œuvre en nous et à
travers nous. C’est seulement à partir de ce fondement christologique et
sacramentel qu’on peut comprendre correctement l’enseignement de Jésus sur
l’amour. Le passage qu’Il fait faire de la Loi et des Prophètes au double
commandement de l’amour envers Dieu et envers le prochain, ainsi que le fait
que toute l’existence de foi découle du caractère central de ce précepte,
ne sont pas simplement de la morale qui pourrait exister de manière autonome à
côté de la foi au Christ et de sa réactualisation dans le Sacrement : foi,
culte et ethos se compénètrent mutuellement comme une unique réalité
qui trouve sa forme dans la rencontre avec l’agapè de Dieu. Ici,
l’opposition habituelle entre culte et éthique tombe tout simplement. Dans le
« culte » lui-même, dans la communion eucharistique, sont contenus le fait
d’être aimé et celui d’aimer les autres à son tour. Une Eucharistie qui
ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même
tronquée. Réciproquement, – comme nous devrons encore l’envisager plus en
détail – le « commandement » de l’amour ne devient possible que parce
qu’il n’est pas seulement une exigence : l’amour peut être « commandé
» parce qu’il est d’abord donné.
15. C’est à partir de ce principe que doivent
aussi être comprises les grandes paraboles de Jésus. Du lieu de sa damnation,
l’homme riche (cf. Lc 16, 19-31) implore pour que ses frères soient
informés de ce qui arrive à celui qui a, dans sa désinvolture, ignoré le
pauvre dans le besoin. Jésus recueille, pour ainsi dire, cet appel à l’aide
et s’en fait l’écho pour nous mettre en garde, pour nous remettre dans le
droit chemin. La parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 25-37) permet
surtout de faire deux grandes clarifications. Tandis que le concept de
“prochain” se référait jusqu’alors essentiellement aux membres de la même
nation et aux étrangers qui s’étaient établis dans la terre d’Israël, et
donc à la communauté solidaire d’un pays et d’un peuple, cette limitation
est désormais abolie. Celui qui a besoin de moi et que je peux aider, celui-là
est mon prochain. Le concept de prochain est universalisé et reste cependant
concret. Bien qu’il soit étendu à tous les hommes, il ne se réduit pas à
l’expression d’un amour générique et abstrait, qui en lui-même engage
peu, mais il requiert mon engagement concret ici et maintenant. Cela demeure une
tâche de l’Église d’interpréter toujours de nouveau le lien entre éloignement
et proximité pour la vie pratique de ses membres. Enfin, il convient particulièrement
de rappeler ici la grande parabole du Jugement dernier (cf. Mt 25,
31-46), dans laquelle l’amour devient le critère pour la décision définitive
concernant la valeur ou la non-valeur d’une vie humaine. Jésus s’identifie
à ceux qui sont dans le besoin : les affamés, les assoiffés, les étrangers,
ceux qui sont nus, les malades, les personnes qui sont en prison. « Chaque fois
que vous l’avez fait à l’un de ces petits, qui sont mes frères, c’est à
moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). L’amour de Dieu et l’amour
du prochain se fondent l’un dans l’autre: dans le plus petit, nous
rencontrons Jésus lui-même et en Jésus nous rencontrons Dieu.
Amour de Dieu et amour du prochain
16. Après avoir réfléchi sur l’essence de
l’amour et sur sa signification dans la foi biblique, une double question
concernant notre comportement subsiste : Est-il vraiment possible d’aimer Dieu
alors qu’on ne le voit pas ? Et puis : l’amour peut-il se commander ? Au
double commandement de l’amour, on peut répliquer par une double objection,
qui résonne dans ces questions. Dieu, nul ne l’a jamais vu – comment
pourrions-nous l’aimer ? Et, d’autre part : l’amour ne peut pas se
commander ; c’est en définitive un sentiment qui peut être ou ne pas être,
mais qui ne peut pas être créé par la volonté. L’Écriture semble
confirmer la première objection quand elle dit: « Si quelqu’un dit :
"J’aime Dieu", alors qu’il a de la haine contre son frère,
c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit,
est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20). Mais
ce texte n’exclut absolument pas l’amour de Dieu comme quelque chose
d’impossible; au contraire, dans le contexte global de la Première Lettre
de Jean, qui vient d’être citée, cet amour est explicitement requis.
C’est le lien inséparable entre amour de Dieu et amour du prochain qui est
souligné. Tous les deux s’appellent si étroitement que l’affirmation de
l’amour de Dieu devient un mensonge si l’homme se ferme à son prochain ou
plus encore s’il le hait. On doit plutôt interpréter le verset johannique
dans le sens où aimer son prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et
où fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu.
17. En effet, personne n’a jamais vu Dieu tel
qu’il est en lui-même. Cependant, Dieu n’est pas pour nous totalement
invisible, il n’est pas resté pour nous simplement inaccessible. Dieu nous a
aimés le premier, dit la Lettre de Jean qui vient d’être citée (cf.
4, 10) et cet amour de Dieu s’est manifesté parmi nous, il s’est rendu
visible car Il « a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions
par lui » (1 Jn 4, 9). Dieu s’est rendu visible : en Jésus nous
pouvons voir le Père (cf. Jn 14, 9). En fait, Dieu se rend visible de
multiples manières. Dans l’histoire d’amour que la Bible nous raconte, Il
vient à notre rencontre, Il cherche à nous conquérir – jusqu’à la dernière
Cène, jusqu’au Cœur transpercé sur la croix, jusqu’aux apparitions du
Ressuscité et aux grandes œuvres par lesquelles, à travers l’action des Apôtres,
Il a guidé le chemin de l’Église naissante. Et de même, par la suite, dans
l’histoire de l’Église, le Seigneur n’a jamais été absent : il vient
toujours de nouveau à notre rencontre – par des hommes à travers lesquels il
transparaît, ainsi que par sa Parole, dans les Sacrements, spécialement dans
l’Eucharistie. Dans la liturgie de l’Église, dans sa prière, dans la
communauté vivante des croyants, nous faisons l’expérience de l’amour de
Dieu, nous percevons sa présence et nous apprenons aussi de cette façon à la
reconnaître dans notre vie quotidienne. Le premier, il nous a aimés et il
continue à nous aimer le premier ; c’est pourquoi, nous aussi, nous pouvons répondre
par l’amour. Dieu ne nous prescrit pas un sentiment que nous ne pouvons pas
susciter en nous-mêmes. Il nous aime, il nous fait voir son amour et nous
pouvons l’éprouver, et à partir de cet « amour premier de Dieu », en réponse,
l’amour peut aussi jaillir en nous.
Dans le développement de cette rencontre, il apparaît
clairement que l’amour n’est pas seulement un sentiment. Les sentiments vont
et viennent. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle initiale, mais
il n’est pas la totalité de l’amour. Au début, nous avons parlé du
processus des purifications et des maturations, à travers lesquelles l’eros
devient pleinement lui-même, devient amour au sens plein du terme. C’est le
propre de la maturité de l’amour d’impliquer toutes les potentialités de
l’homme, et d’inclure, pour ainsi dire, l’homme dans son intégralité. La
rencontre des manifestations visibles de l’amour de Dieu peut susciter en nous
un sentiment de joie, qui naît de l’expérience d’être aimé. Mais cette
rencontre requiert aussi notre volonté et notre intelligence. La reconnaissance
du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la
sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de
l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour
n’est jamais «achevé» ni complet; il se transforme au cours de
l’existence, il mûrit et c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle
à lui-même. Idem velle atque idem nolle [9] – vouloir la même
chose et ne pas vouloir la même chose; voilà ce que les anciens ont reconnu
comme l’authentique contenu de l’amour: devenir l’un semblable à
l’autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de pensée.
L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement dans le fait
que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée et de
sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident toujours
plus: la volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, que
les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté,
sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même
que je ne le suis à moi-même [10].
C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie (cf.Ps
72 [73], 23-28).
18. L’amour du prochain se révèle ainsi possible
au sens défini par
DEUXIÈME PARTIE
CARITAS
L’EXERCICE DE L’AMOUR DE
EN TANT QUE «COMMUNAUTÉ D’AMOUR»
La charité de l’Église comme manifestation de
l’amour trinitaire
19. « Tu vois
L’Esprit est aussi la force qui transforme le cœur
de la Communauté ecclésiale, afin qu’elle soit, dans le monde, témoin de
l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique
famille. Toute l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui
cherche le bien intégral de l’homme : elle cherche son évangélisation par
la Parole et par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations
historiques ; et elle cherche sa promotion dans les différents domaines de la
vie et de l’activité humaines. L’amour est donc le service que l’Église
réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des besoins, même
matériels, des hommes. C’est sur cet aspect, sur ce service de la charité,
que je désire m’arrêter dans cette deuxième partie de l’Encyclique.
La charité comme tâche de l’Église
20. L’amour du prochain, enraciné dans l’amour
de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche
pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux : de la
communauté locale à l’Église particulière jusqu’à l’Église
universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que communauté, doit
pratiquer l’amour. En conséquence, l’amour a aussi besoin d’organisation
comme présupposé pour un service communautaire ordonné. La conscience de
cette tâche a eu un caractère constitutif dans l’Église depuis ses origines
: « Tous ceux qui étaient devenus croyants vivaient ensemble, et ils mettaient
tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en
partager le prix entre tous selon les besoins de chacun » (Ac 2, 44-45).
Luc nous raconte cela en relation avec une sorte de définition de l’Église,
dont il énumère quelques éléments constitutifs, parmi lesquels l’adhésion
à « l’enseignement des Apôtres », à « la communion » (koinonía),
à « la fraction du pain » et à « la prière » (cf. Ac 2, 42). L’élément
de la « communion » (koinonía), ici initialement non spécifié, est
concrétisé dans les versets qui viennent d’être cités plus haut : cette
communion consiste précisément dans le fait que les croyants ont tout en
commun et qu’entre eux la différence entre riches et pauvres n’existe plus
(cf. aussi Ac 4, 32-37). Cette forme radicale de communion matérielle,
à vrai dire, n’a pas pu être maintenue avec la croissance de l’Église. Le
noyau essentiel a cependant subsisté : à l’intérieur de la communauté des
croyants il ne doit pas exister une forme de pauvreté telle que soient refusés
à certains les biens nécessaires à une vie digne.
21. Une étape décisive dans la difficile recherche
de solutions pour réaliser ce principe ecclésial fondamental nous devient
visible dans le choix de sept hommes, ce qui fut le commencement du ministère
diaconal (cf. Ac 6, 5-6). Dans l’Église des origines, en effet, s’était
créée, dans la distribution quotidienne aux veuves, une disparité entre le
groupe de langue hébraïque et celui de langue grecque. Les Apôtres, auxquels
étaient avant tout confiés la « prière » (Eucharistie et Liturgie) et le «
service de la Parole », se sentirent pris de manière excessive par le «
service des tables » ; ils décident donc de se réserver le ministère
principal et de créer pour l’autre tâche, tout aussi nécessaire dans l’Église,
un groupe de sept personnes. Cependant, même ce groupe ne devait pas accomplir
un service simplement technique de distribution: ce devait être des hommes «
remplis d’Esprit Saint et de sagesse » (cf. Ac 6, 1-6). Cela signifie
que le service social qu’ils devaient effectuer était tout à fait concret,
mais en même temps, c’était aussi sans aucun doute un service spirituel ;
c’était donc pour eux un véritable ministère spirituel, qui réalisait une
tâche essentielle de l’Église, celle de l’amour bien ordonné du prochain.
Avec la formation de ce groupe des Sept, la « diaconia » – le service de
l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et ordonnée – était
désormais instaurée dans la structure fondamentale de l’Église elle-même.
22. Les années passant, avec l’expansion
progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est affirmé comme
l’un de ses secteurs essentiels, avec l’administration des Sacrements et
l’annonce de la Parole : pratiquer l’amour envers les veuves et les
orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les personnes qui, de
quelque manière, sont dans le besoin, cela appartient à son essence au même
titre que le service des Sacrements et l’annonce de l’Évangile. L’Église
ne peut pas négliger le service de la charité, de même qu’elle ne peut négliger
les Sacrements ni la Parole. Quelques références suffisent à le démontrer.
Le martyr Justin (vers 155) décrit aussi, dans le contexte de la célébration
dominicale des chrétiens, leur activité caritative, reliée à l’Eucharistie
comme telle. Les personnes aisées font des offrandes dans la mesure de leurs
possibilités, chacune donnant ce qu’elle veut. L’Évêque s’en sert alors
pour soutenir les orphelins, les veuves et les personnes qui, à cause de la
maladie ou pour d’autres motifs, se trouvent dans le besoin, de même que les
prisonniers et les étrangers [12].
Le grand auteur chrétien Tertullien (après 220) raconte comment l’attention
des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin suscitait l’émerveillement
chez les païens [13].
Et quand Ignace d’Antioche (vers 117) qualifie l’Église de Rome comme celle
« qui préside à la charité (agapè) »
[14], on peut considérer que,
par cette définition, il entendait aussi en exprimer d’une certaine manière
l’activité caritative concrète.
23. Dans ce contexte, il peut être utile de faire référence
aux structures juridiques primitives concernant le service de la charité dans
l’Église. Vers le milieu du quatrième siècle, prend forme en Égypte ce que
l’on appelle la « diaconie » ; dans chaque monastère, elle constitue
l’institution responsable de l’ensemble des activités d’assistance, précisément
du service de la charité. Depuis les origines jusqu’à la fin du sixième siècle
se développe en Égypte une corporation avec une pleine capacité juridique, à
laquelle les autorités civiles confient même une partie du blé pour la
distribution publique. En Égypte, non seulement chaque monastère mais aussi
chaque diocèse finit par avoir sa diaconie, institution qui se développera
ensuite en Orient comme en Occident. Le Pape Grégoire le Grand (604) fait référence
à la diaconie de Naples ; en ce qui concerne Rome, les documents font
allusion aux diaconies à partir du septième et du huitième siècles. Mais
naturellement, déjà auparavant et cela depuis les origines, l’activité
d’assistance aux pauvres et aux personnes qui souffrent faisait partie de manière
essentielle de la vie de l’Église de Rome, selon les principes de la vie chrétienne
exposés dans les Actes des Apôtres. Cette tâche trouve une expression
vivante dans la figure du diacre Laurent (258). La description dramatique de son
martyre était déjà connue par saint Ambroise (397) et elle nous montre véritablement
en son centre l’authentique figure du Saint. À lui, qui était responsable de
l’assistance aux pauvres de Rome, a été accordé un laps de temps, après
l’arrestation de ses confrères et du Pape, pour rassembler les trésors de
l’Église et les remettre aux autorités civiles. Laurent distribua l’argent
disponible aux pauvres et les présenta alors aux autorités comme le vrai trésor
de l’Église [15]. Quelle que soit la crédibilité
historique de ces détails, Laurent est resté présent dans la mémoire de l’Église
comme un grand représentant de la charité ecclésiale.
24. Une référence à la figure de l’empereur
Julien l’Apostat (363) peut montrer encore une fois que la charité organisée
et pratiquée par l’Église des premiers siècles est essentielle. Alors
qu’il avait six ans, Julien avait assisté à l’assassinat de son père, de
son frère et d’autres de ses proches par des gardes du palais impérial ; il
attribua cette brutalité – à tort ou à raison – à l’empereur
Constance, qui se faisait passer pour un grand chrétien. Et de ce fait, la foi
chrétienne fut une fois pour toutes discréditée à ses yeux. Devenu empereur,
il décida de restaurer le paganisme, l’antique religion romaine, mais en même
temps de le réformer, de manière qu’il puisse devenir réellement la force
entraînante de l’empire. Dans cette perspective, il s’inspira largement du
christianisme. Il instaura une hiérarchie de métropolites et de prêtres. Les
prêtres devaient être attentifs à l’amour pour Dieu et pour le prochain.
Dans une de ses lettres [16],
il écrivait que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme était
l’activité caritative de l’Église. Pour son nouveau paganisme, ce fut donc
un point déterminant que de créer, à côté du système de charité de l’Église,
une activité équivalente dans sa religion. De cette manière, les « Galiléens
» – ainsi disait-il – avaient conquis leur popularité. On se devait de
faire de l’émulation et même de dépasser leur popularité. De la sorte,
l’empereur confirmait donc que la charité était une caractéristique déterminante
de la communauté chrétienne, de l’Église.
25. Arrivés à ce point, nous recueillons deux éléments
essentiels de nos réflexions :
a) La nature profonde de l’Église s’exprime
dans une triple tâche: annonce de
b) L’Église est la famille de Dieu dans le monde.
Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire. En même
temps, la caritas-agapè dépasse aussi les frontières de l’Église ;
la parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose
l’universalité de l’amour qui se tourne vers celui qui est dans le besoin,
rencontré « par hasard » (cf. Lc 10, 31), quel qu’il soit. Tout en
maintenant cette universalité du commandement de l’amour, il y a cependant
une exigence spécifiquement ecclésiale – celle qui rappelle justement que,
dans l’Église elle-même en tant que famille, aucun membre ne doit souffrir
parce qu’il est dans le besoin. Les mots de l’Épître aux Galates
vont dans ce sens : « Puisque nous tenons le bon moment, travaillons au bien de
tous, spécialement dans la famille des croyants » (6,10).
Justice et charité
26. Depuis le dix-neuvième siècle, on a soulevé
une objection contre l’activité caritative de l’Église, objection qui a été
développée ensuite avec insistance, notamment par la pensée marxiste. Les
pauvres, dit-on, n’auraient pas besoin d’œuvres de charité, mais plutôt
de justice. Les œuvres de charité – les aumônes – seraient en réalité,
pour les riches, une manière de se soustraire à l’instauration de la justice
et d’avoir leur conscience en paix, maintenant leurs positions et privant les
pauvres de leurs droits. Au lieu de contribuer, à travers diverses œuvres de
charité, au maintien des conditions existantes, il faudrait créer un ordre
juste, dans lequel tous recevraient leur part des biens du monde et n’auraient
donc plus besoin des œuvres de charité. Dans cette argumentation, il faut le
reconnaître, il y a du vrai, mais aussi beaucoup d’erreurs. Il est certain
que la norme fondamentale de l’État doit être la recherche de la justice et
que le but d’un ordre social juste consiste à garantir à chacun, dans le
respect du principe de subsidiarité, sa part du bien commun. C’est ce que la
doctrine chrétienne sur l’État et la doctrine sociale de l’Église ont
toujours souligné. D’un point de vue historique, la question de l’ordre
juste de la collectivité est entrée dans une nouvelle phase avec la formation
de la société industrielle au dix-neuvième siècle. La naissance de
l’industrie moderne a vu disparaître les vieilles structures sociales et,
avec la masse des salariés, elle a provoqué un changement radical dans la
composition de la société, dans laquelle le rapport entre capital et travail
est devenu la question décisive, une question qui, sous cette forme, était
jusqu’alors inconnue. Les structures de production et le capital devenaient désormais
la nouvelle puissance qui, mise dans les mains d’un petit nombre, aboutissait
pour les masses laborieuses à une privation de droits, contre laquelle il
fallait se rebeller.
27. Il est juste d’admettre que les représentants
de l’Église ont perçu, mais avec lenteur, que le problème de la juste
structure de la société se posait de manière nouvelle. Les pionniers ne manquèrent
pas : l’un d’entre eux, par exemple, fut Mgr Ketteler, Évêque de Mayence
(1877). En réponse aux nécessités concrètes, naquirent aussi des cercles,
des associations, des unions, des fédérations et surtout de nouveaux Ordres
religieux qui, au dix-neuvième siècle, s’engagèrent contre la pauvreté,
les maladies et les situations de carence dans le secteur éducatif. En 1891, le
Magistère pontifical intervint par l’Encyclique Rerum
Novarum de Léon XIII. Il y eut ensuite, en 1931, l’Encyclique
de Pie XI Quadragesimo anno. Le bienheureux Pape Jean XXIII publia, en
1961, l’Encyclique Mater et magistra ; pour sa part Paul VI, dans
l’encyclique Populorum
progressio (1967) et dans la lettre apostolique Octogesima
adveniens (1971), affronta de manière insistante la problématique sociale,
qui, dans le même temps, était devenue plus urgente, surtout en Amérique
Latine. Mon grand Prédécesseur Jean-Paul II nous a laissé une trilogie d’Encycliques
sociales : Laborem
exercens (1981), Sollicitudo
rei socialis (1987) et enfin Centesimus
annus (1991). Ainsi, face à des situations et à des problèmes
toujours nouveaux, s’est développée une doctrine sociale catholique qui, en
28. Pour définir plus précisément la relation
entre l’engagement nécessaire pour la justice et le service de la charité,
il faut prendre en compte deux situations de fait fondamentales :
a) L’ordre juste de la société et de l’État
est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne serait pas dirigé selon
la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l’a dit un
jour saint Augustin : « Remota itaque iustitia quid sunt regna nisi magna
latrocinia ? »
[18].
La distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu (cf. Mt
22, 21), à savoir la distinction entre État et Église ou, comme le dit le
Concile Vatican II, l’autonomie des réalités terrestres
[19], appartient à la
structure fondamentale du christianisme. L’État ne peut imposer la religion,
mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la paix entre les fidèles des
différentes religions. De son côté, l’Église comme expression sociale de
la foi chrétienne a son indépendance et, en se fondant sur sa foi, elle vit sa
forme communautaire, que l’État doit respecter. Les deux sphères sont
distinctes, mais toujours en relation de réciprocité.
La justice est le but et donc aussi la mesure
intrinsèque de toute politique. Le politique est plus qu’une simple technique
pour la définition des ordonnancements publics : son origine et sa finalité se
trouvent précisément dans la justice, et cela est de nature éthique. Ainsi,
l’État se trouve de fait inévitablement confronté à la question : comment
réaliser la justice ici et maintenant ? Mais cette question en présuppose une
autre plus radicale : qu’est-ce que la justice ? C’est un problème qui
concerne la raison pratique ; mais pour pouvoir agir de manière droite, la
raison doit constamment être purifiée, car son aveuglement éthique, découlant
de la tentation de l’intérêt et du pouvoir qui l’éblouissent, est un
danger qu’on ne peut jamais totalement éliminer.
En ce point, politique et foi se rejoignent. Sans
aucun doute, la foi a sa nature spécifique de rencontre avec le Dieu vivant,
rencontre qui nous ouvre de nouveaux horizons bien au-delà du domaine propre de
la raison. Mais, en même temps, elle est une force purificatrice pour la raison
elle-même. Partant de la perspective de Dieu, elle la libère de ses
aveuglements et, de ce fait, elle l’aide à être elle-même meilleure. La foi
permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est
propre. C’est là que se place la doctrine sociale catholique : elle ne veut
pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut pas même
imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières
d’être qui lui appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la
purification de la raison et apporter sa contribution, pour faire en sorte que
ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre.
La doctrine sociale de l’Église argumente à
partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce qui est
conforme à la nature de tout être humain. Elle sait qu’il ne revient pas à
l’Église de faire valoir elle-même politiquement cette doctrine : elle veut
servir la formation des consciences dans le domaine politique et contribuer à
faire grandir la perception des véritables exigences de la justice et, en même
temps, la disponibilité d’agir en fonction d’elles, même si cela est en
opposition avec des situations d’intérêt personnel. Cela signifie que la
construction d’un ordre juste de la société et de l’État, par lequel est
donné à chacun ce qui lui revient, est un devoir fondamental, que chaque génération
doit à nouveau affronter. S’agissant d’un devoir politique, cela ne peut
pas être à la charge immédiate de l’Église. Mais, puisque c’est en même
temps un devoir humain primordial, l’Église a le devoir d’offrir sa
contribution spécifique, grâce à la purification de la raison et à la
formation éthique, afin que les exigences de la justice deviennent compréhensibles
et politiquement réalisables.
L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la
bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne
peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit
non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer
en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les
forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des
renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut
être l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le
politique. Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant à
l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse
profondément l’Église.
b) L’amour – caritas – sera toujours nécessaire,
même dans la société la plus juste. Il n’y a aucun ordre juste de l’État
qui puisse rendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut
s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant
qu’homme. Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et
aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des
situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est
indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain.
[20] L’État qui veut
pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui, devient en définitive une instance
bureaucratique qui ne peut assurer l’essentiel dont l’homme souffrant –
tout homme – a besoin : le dévouement personnel plein d’amour. Nous
n’avons pas besoin d’un État qui régente et domine tout, mais au contraire
d’un État qui reconnaisse généreusement et qui soutienne, dans la ligne du
principe de subsidiarité, les initiatives qui naissent des différentes forces
sociales et qui associent spontanéité et proximité avec les hommes ayant
besoin d’aide. L’Église est une de ces forces vives : en elle vit la
dynamique de l’amour suscité par l’Esprit du Christ. Cet amour n’offre
pas uniquement aux hommes une aide matérielle, mais également réconfort et
soin de l’âme, aide souvent plus nécessaire que le soutien matériel.
L’affirmation selon laquelle les structures justes rendraient superflues les
œuvres de charité cache en réalité une conception matérialiste de l’homme
: le préjugé selon lequel l’homme vivrait « seulement de pain » (Mt
4, 4 ; cf. Dt 8, 3) est une conviction qui humilie l’homme et qui méconnaît
précisément ce qui est le plus spécifiquement humain.
29. Ainsi nous pouvons maintenant déterminer avec
plus de précision, dans la vie de l’Église, la relation entre l’engagement
pour un ordre juste de l’État et de la société, d’une part, et
l’activité caritative organisée, d’autre part. On a vu que la formation de
structures justes n’est pas immédiatement du ressort de l’Église, mais
qu’elle appartient à la sphère du politique, c’est-à-dire au domaine de
la raison responsable d’elle-même. En cela, la tâche de l’Église est médiate,
en tant qu’il lui revient de contribuer à la purification de la raison et au
réveil des forces morales, sans lesquelles des structures justes ne peuvent ni
être construites, ni être opérationnelles à long terme.
Le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste
dans la société est au contraire le propre des fidèles laïcs. En tant que
citoyens de l’État, ils sont appelés à participer personnellement à la vie
publique. Ils ne peuvent donc renoncer « à l’action multiforme, économique,
sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir,
organiquement et par les institutions, le bien commun »
[21].
Une des missions des fidèles est donc de configurer de manière droite la vie
sociale, en en respectant la légitime autonomie et en coopérant avec les
autres citoyens, selon les compétences de chacun et sous leur propre
responsabilité [22].
Même si les expressions spécifiques de la charité ecclésiale ne peuvent
jamais se confondre avec l’activité de l’État, il reste cependant vrai que
la charité doit animer l’existence entière des fidèles laïcs et donc aussi
leur activité politique, vécue comme « charité sociale ».
[23]
Les organisations caritatives de l’Église
constituent au contraire son opus proprium, une tâche conforme à sa
nature, dans laquelle elle ne collabore pas de façon marginale, mais où elle
agit comme sujet directement responsable, faisant ce qui correspond à sa
nature. L’Église ne peut jamais se dispenser de l’exercice de la charité
en tant qu’activité organisée des croyants et, d’autre part, il n’y aura
jamais une situation dans laquelle on n’aura pas besoin de la charité de
chaque chrétien, car l’homme, au-delà de la justice, a et aura toujours
besoin de l’amour.
Les nombreuses structures de service caritatif dans
le contexte social actuel
30. Avant de tenter une définition du profil spécifique
des activités ecclésiales au service de l’homme, je voudrais maintenant
considérer la situation générale de l’engagement pour la justice et pour
l’amour dans le monde d’aujourd’hui.
a) Les moyens de communication de masse ont rendu désormais
notre planète plus petite, rapprochant rapidement hommes et cultures profondément
différents. Si ce «vivre ensemble» suscite parfois incompréhensions et
tensions, cependant, le fait d’avoir maintenant connaissance de manière
beaucoup plus immédiate des besoins des hommes représente surtout un appel à
partager leur situation et leurs difficultés. Chaque jour, nous prenons
conscience de l’importance de la souffrance dans le monde, causée par une misère
tant matérielle que spirituelle revêtant de multiples formes, en dépit des
grands progrès de la science et de la technique. Notre époque demande donc une
nouvelle disponibilité pour secourir le prochain qui a besoin d’aide. Déjà
le Concile Vatican II l’a souligné de manière très claire : « De nos
jours, [...] à cause des facilités plus grandes offertes par les moyens de
communication, la distance entre les hommes est en quelque sorte vaincue [...],
l’action caritative peut et doit aujourd’hui avoir en vue absolument tous
les hommes et tous les besoins». [24]
Par ailleurs – et c’est un aspect provocateur et
en même temps encourageant du processus de mondialisation –, le temps présent
met à notre disposition d’innombrables instruments pour apporter une aide
humanitaire à nos frères qui sont dans le besoin, et tout spécialement les
systèmes modernes pour la distribution de nourriture et de vêtements, de même
que pour la proposition de logements et d’accueil. Dépassant les confins des
communautés nationales, la sollicitude pour le prochain tend ainsi à élargir
ses horizons au monde entier. Le Concile Vatican II a noté avec justesse : «
Parmi les signes de notre temps, il convient de relever spécialement le sens
croissant et inéluctable de la solidarité de tous les peuples ».
[25]
Les organismes de l’État et les associations humanitaires favorisent les
initiatives en vue d’atteindre ce but, par des subsides ou des dégrèvements
fiscaux pour les uns, rendant disponibles des ressources considérables pour les
autres. Ainsi la solidarité exprimée par la société civile dépasse de manière
significative celle des individus.
b) Dans cette situation, à travers les instances étatiques
et ecclésiales, sont nées et se sont développées de nombreuses formes de
collaboration, qui se sont révélées fructueuses. Les institutions ecclésiales,
grâce à la transparence de leurs moyens d’action et à la fidélité à leur
devoir de témoigner de l’amour, pourront aussi animer chrétiennement les
institutions civiles, favorisant une coordination réciproque, dont ne manquera
pas de bénéficier l’efficacité du service caritatif
[26].
Dans ce contexte, se sont aussi formées de multiples organisations à but
caritatif ou philanthropique qui, face aux problèmes sociaux et politiques
existants, s’engagent pour parvenir à des solutions satisfaisantes dans le
domaine humanitaire. Un phénomène important de notre temps est l’apparition
et l’expansion de diverses formes de bénévolat, qui prennent en charge une
multiplicité de services. [27] Je voudrais ici adresser
une parole de reconnaissance et de remerciement à tous ceux qui participent,
d’une manière ou d’une autre, à de telles activités. Le développement
d’un pareil engagement représente pour les jeunes une école de vie qui éduque
à la solidarité, à la disponibilité, en vue de donner non pas simplement
quelque chose, mais de se donner soi-même. À l’anti-culture de la mort, qui
s’exprime par exemple dans la drogue, s’oppose ainsi l’amour qui ne se
recherche pas lui-même, mais qui, précisément en étant disponible à «se
perdre» pour l’autre (cf. Lc 17, 33 et par.), se révèle comme
culture de la vie.
De même, dans l’Église catholique et dans
d’autres Églises et Communautés ecclésiales ont surgi de nouvelles formes
d’activité caritative, et de plus anciennes sont réapparues avec un élan
renouvelé. Ce sont des formes dans lesquelles on arrive souvent à constituer
un lien heureux entre évangélisation et œuvres de charité. Je désire
confirmer explicitement ici ce que mon grand Prédécesseur Jean-Paul II a écrit
dans son Encyclique Sollicitudo
rei socialis [28], lorsqu’il a affirmé
la disponibilité de l’Église catholique à collaborer avec les Organisations
caritatives de ces Églises et Communautés, puisque nous sommes tous animés de
la même motivation fondamentale et que nous avons devant les yeux le même but
: un véritable humanisme, qui reconnaît dans l’homme l’image de Dieu et
qui veut l’aider à mener une vie conforme à cette dignité. En vue d’un développement
harmonieux du monde, l’Encyclique Ut
unum sint a de nouveau souligné qu’il était nécessaire pour
les chrétiens d’unir leur voix et leur engagement «pour le respect des
droits et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de
ceux qui sont sans défense». [29]
Je voudrais exprimer ici ma joie, car ce désir a trouvé dans l’ensemble du
monde un large écho à travers de nombreuses initiatives.
Le profil spécifique de l’activité caritative de
l’Église
31. L’augmentation d’organisations diversifiées
qui s’engagent en faveur de l’homme dans ses diverses nécessités
s’explique au fond par le fait que l’impératif de l’amour du prochain est
inscrit par le Créateur dans la nature même de l’homme. Cependant, cette
croissance est aussi un effet de la présence du christianisme dans le monde,
qui suscite constamment et rend efficace cet impératif, souvent profondément
obscurci au cours de l’histoire. La réforme du paganisme tentée par
l’empereur Julien l’Apostat n’est que l’exemple initial d’une telle
efficacité. En ce sens, la force du christianisme s’étend bien au-delà des
frontières de la foi chrétienne. De ce fait, il est très important que
l’activité caritative de l’Église maintienne toute sa splendeur et ne se
dissolve pas dans une organisation commune d’assistance, en en devenant une
simple variante. Mais quels sont donc les éléments constitutifs qui forment
l’essence de la charité chrétienne et ecclésiale ?
a) Selon le modèle donné par la parabole du bon
Samaritain, la charité chrétienne est avant tout simplement la réponse à ce
qui, dans une situation déterminée, constitue la nécessité immédiate: les
personnes qui ont faim doivent être rassasiées, celles qui sont sans vêtements
doivent être vêtues, celles qui sont malades doivent être soignées en vue de
leur guérison, celles qui sont en prison doivent être visitées, etc. Les
Organisations caritatives de l’Église, à commencer par les Caritas
(diocésaines, nationales, internationale), doivent faire tout leur possible
pour que soient mis à disposition les moyens nécessaires, et surtout les
hommes et les femmes, pour assumer de telles tâches. En ce qui concerne le
service des personnes qui souffrent, la compétence professionnelle est avant
tout nécessaire : les soignants doivent être formés de manière à pouvoir
accomplir le geste juste au moment juste, prenant aussi l’engagement de
poursuivre les soins. La compétence professionnelle est une des premières nécessités
fondamentales, mais à elle seule, elle ne peut suffire. En réalité, il
s’agit d’êtres humains, et les êtres humains ont toujours besoin de
quelque chose de plus que de soins techniquement corrects. Ils ont besoin
d’humanité. Ils ont besoin de l’attention du cœur. Les personnes qui œuvrent
dans les Institutions caritatives de l’Église doivent se distinguer par le
fait qu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec dextérité le geste qui
convient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec des
attentions qui leur viennent du cœur, de manière à ce qu’autrui puisse éprouver
leur richesse d’humanité. C’est pourquoi, en plus de la préparation
professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoir aussi et
surtout une «formation du cœur» : il convient de les conduire à la rencontre
avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit
à autrui, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi
dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur
foi qui devient agissante dans l’amour (cf. Ga 5, 6).
b) L’activité caritative chrétienne doit être
indépendante de partis et d’idéologies. Elle n’est pas un moyen pour
changer le monde de manière idéologique et elle n’est pas au service de
stratégies mondaines, mais elle est la mise en œuvre ici et maintenant de
l’amour dont l’homme a constamment besoin. L’époque moderne, surtout à
partir du dix-neuvième siècle, est dominée par différents courants d’une
philosophie du progrès, dont la forme la plus radicale est le marxisme. Une
partie de la stratégie marxiste est la théorie de l’appauvrissement : celui
qui, dans une situation de pouvoir injuste – soutient-elle –, aide l’homme
par des initiatives de charité, se met de fait au service de ce système
d’injustice, le faisant apparaître supportable, au moins jusqu’à un
certain point. Le potentiel révolutionnaire est ainsi freiné et donc le retour
vers un monde meilleur est bloqué. Par conséquent, la charité est contestée
et attaquée comme système de conservation du statu quo. En réalité,
c’est là une philosophie inhumaine. L’homme qui vit dans le présent est
sacrifié au Moloch de l’avenir – un avenir dont la réalisation
effective reste pour le moins douteuse. En vérité, l’humanisation du monde
ne peut être promue en renonçant, pour le moment, à se comporter de manière
humaine. Nous ne contribuons à un monde meilleur qu’en faisant le bien,
maintenant et personnellement, passionnément, partout où cela est possible,
indépendamment de stratégies et de programmes de partis. Le programme du chrétien
– le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est « un cœur
qui voit ». Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence.
Naturellement, à la spontanéité de l’individu, lorsque l’activité
caritative est assumée par l’Église comme initiative communautaire, doivent
également s’adjoindre des programmes, des prévisions, des collaborations
avec d’autres institutions similaires.
c) De plus, la charité ne doit pas être un moyen
au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme. L’amour est
gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins
[30].
Cela ne signifie pas toutefois que l’action caritative doive laisser de côté,
pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout entier qui
est en jeu. Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine
la plus profonde de la souffrance. Celui qui pratique la charité au nom de l’Église
ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Église. Il sait que
l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du
Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. Le chrétien sait quand le
temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne
laisser parler que l’amour. Il sait que Dieu est amour (cf. 1 Jn 4, 8)
et qu’il se rend présent précisément dans les moments où rien d’autre
n’est fait sinon qu’aimer. Il sait – pour en revenir à la question précédente
– que le mépris de l’amour est mépris de Dieu et de l’homme, et qu’il
est la tentative de se passer de Dieu. Par conséquent, la meilleure défense de
Dieu et de l’homme consiste justement dans l’amour. La tâche des
Organisations caritatives de l’Église est de renforcer une telle conscience
chez leurs membres, de sorte que, par leurs actions – comme par leurs paroles,
leurs silences, leurs exemples –, ils deviennent des témoins crédibles du
Christ.
Les responsables de l’action caritative de l’Église
32. Enfin, nous devons encore porter notre attention
vers les responsables de l’action caritative de l’Église, déjà cités.
Dans les réflexions précédentes, il est désormais apparu clairement que le
vrai sujet des différentes Organisations catholiques qui accomplissent un
service de charité est l’Église elle-même – et ce, à tous les niveaux,
en commençant par les paroisses, en passant par les Églises particulières,
jusqu’à l’Église universelle. C’est pourquoi il a été plus que jamais
opportun que mon vénéré Prédécesseur Paul VI ait institué le Conseil
pontifical Cor unum comme instance du Saint-Siège responsable de
l’orientation et de la coordination entre les organisations et les activités
caritatives promues par l’Église universelle. Il découle donc de la
structure épiscopale de l’Église que, dans les Églises particulières, les
Évêques, en qualité de successeurs des Apôtres, portent la responsabilité
première de la mise en œuvre, aujourd’hui encore, du programme indiqué dans
les Actes des Apôtres (cf. 2, 42-44): l’Église, en tant que famille
de Dieu, doit être aujourd’hui comme hier, un lieu d’entraide mutuelle et,
en même temps, un lieu de disponibilité pour servir aussi les personnes qui,
hors d’elle, ont besoin d’aide. Au cours du rite de l’Ordination épiscopale,
le moment précis de la consécration est précédé de quelques questions posées
au candidat, où sont exprimés les éléments essentiels de sa charge et où
lui sont rappelés les devoirs de son futur ministère. Dans ce contexte,
l’ordinand promet expressément d’être, au nom du Seigneur, accueillant et
miséricordieux envers les pauvres et envers tous ceux qui ont besoin de réconfort
et d’aide. [31] Le Code de Droit
canonique, dans les canons concernant le ministère épiscopal, ne traite
pas expressément de la charité comme d’un domaine spécifique de l’activité
épiscopale, mais il expose seulement de façon générale la tâche de l’Évêque,
qui est de coordonner les différentes œuvres d’apostolat dans le respect de
leur caractère propre. [32]
Récemment cependant, le Directoire pour le ministère pastoral des Évêques
a approfondi de manière plus concrète le devoir de la charité comme tâche
intrinsèque de l’Église entière et de l’Évêque dans son diocèse,
[33]
et il a souligné que l’exercice de la charité est un acte de l’Église en
tant que telle et que, au même titre que le service de la Parole et des
Sacrements, elle fait partie, elle aussi, de l’essence de sa mission
originaire. [34]
33. En ce qui concerne les collaborateurs qui
accomplissent concrètement le travail de la charité dans l’Église,
l’essentiel a déjà été dit : ils ne doivent pas s’inspirer des idéologies
de l’amélioration du monde, mais se laisser guider par la foi qui, dans
l’amour, devient agissante (cf. Ga 5,6). Ils doivent donc être des
personnes touchées avant tout par l’amour du Christ, des personnes dont le
Christ a conquis le cœur par son amour, en y réveillant l’amour pour le
prochain. Le critère qui inspire leur action devrait être l’affirmation présente
dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens : « L’amour du Christ nous
pousse » (5, 14). La conscience qu’en Lui Dieu lui-même s’est donné pour
nous jusqu’à la mort doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes, mais
pour Lui et avec Lui pour les autres. Celui qui aime le Christ aime l’Église,
et il veut qu’elle soit toujours plus expression et instrument de l’amour
qui émane de Lui. Le collaborateur de toute Organisation caritative catholique
veut travailler avec l’Église et donc avec l’Évêque, afin que l’amour
de Dieu se répande dans le monde. En participant à la mise en œuvre de
l’amour de la part de l’Église, il veut être témoin de Dieu et du Christ
et, précisément, pour cela il veut faire gratuitement du bien aux hommes.
34. L’ouverture intérieure à la dimension
catholique de l’Église ne pourra pas ne pas disposer le collaborateur à
vivre en harmonie avec les autres Organisations pour répondre aux différentes
formes de besoin ; cela devra cependant se réaliser dans le respect du profil
spécifique du service demandé par le Christ à ses disciples. Dans son hymne
à la charité (cf. 1 Co 13),
saint Paul nous enseigne que la charité est toujours plus qu’une simple
activité : « J’aurai beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
j’aurai beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne sert à
rien » (v. 3). Cette hymne doit être la Magna Charta de l’ensemble du
service ecclésial. En elle sont résumées toutes les réflexions qu’au long
de cette Encyclique j’ai développées sur l’amour. L’action concrète
demeure insuffisante si, en elle, l’amour pour l’homme n’est pas
perceptible, un amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ. La
participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui
devient ainsi une façon de m’associer à lui : pour que le don n’humilie
pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même,
je dois être présent dans le don en tant que personne.
35. Cette juste manière de servir rend humble celui
qui agit. Il n’assume pas une position de supériorité face à l’autre, même
si la situation de ce dernier peut à ce moment-là être misérable. Le Christ
a pris la dernière place dans le monde – la croix – et, précisément par
cette humilité radicale, il nous a rachetés et il nous aide constamment. Celui
qui peut aider, reconnaît que c’est justement de cette manière qu’il est
aidé lui aussi. Le fait de pouvoir aider n’est ni son mérite ni un titre
d’orgueil. Cette tâche est une grâce. Plus une personne œuvre pour les
autres, plus elle comprendra et fera sienne la Parole du Christ : « Nous sommes
des serviteurs quelconques » (Lc 17, 10). En effet, elle reconnaît
qu’elle agit non pas en fonction d’une supériorité ou d’une plus grande
efficacité personnelle, mais parce que le Seigneur lui en fait don. Parfois, le
surcroît des besoins et les limites de sa propre action pourront l’exposer à
la tentation du découragement. Mais c’est alors justement que l’aidera le
fait de savoir qu’elle n’est, en définitive, qu’un instrument entre les
mains du Seigneur ; elle se libérera ainsi de la prétention de devoir réaliser,
personnellement et seule, l’amélioration nécessaire du monde. Humblement,
elle fera ce qu’il lui est possible de faire et, humblement, elle confiera le
reste au Seigneur. C’est Dieu qui gouverne le monde et non pas nous. Nous,
nous lui offrons uniquement nos services, pour autant que nous le pouvons, et
tant qu’il nous en donne la force. Faire cependant ce qui nous est possible,
avec la force dont nous disposons, telle est la tâche qui maintient le bon
serviteur de Jésus-Christ toujours en mouvement : « L’amour du Christ nous
pousse » (2 Co 5,14).
36. L’expérience de l’immensité des besoins
peut, d’un côté, nous pousser vers l’idéologie qui prétend faire
maintenant ce que Dieu, en gouvernant le monde, n’obtient pas, à ce qu’il
semble: la solution universelle de tous les problèmes. D’un autre côté,
elle peut devenir une tentation de rester dans l’inertie, s’appuyant sur
l’impression que, quoi qu’il en soit, rien ne peut être fait. Dans cette
situation, le contact vivant avec le Christ est le soutien déterminant pour
rester sur la voie droite : ni tomber dans un orgueil qui méprise l’homme,
qui en réalité n’est pas constructif mais plutôt détruit, ni
s’abandonner à la résignation, qui empêcherait de se laisser guider par
l’amour et, ainsi, de servir l’homme. La prière comme moyen pour puiser
toujours à nouveau la force du Christ devient ici une urgence tout à fait
concrète. Celui qui prie ne perd pas son temps, même si la situation apparaît
réellement urgente et semble pousser uniquement à l’action. La piété
n’affaiblit pas la lutte contre la pauvreté ou même contre la misère du
prochain. La bienheureuse Teresa de Calcutta est un exemple particulièrement
manifeste que le temps consacré à Dieu dans la prière non seulement ne nuit
pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour envers le prochain, mais
en est en réalité la source inépuisable. Dans sa lettre pour le Carême 1996,
la bienheureuse écrivait à ses collaborateurs laïcs : « Nous avons besoin de
ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et comment pouvons-nous
l’obtenir ? À travers la prière ».
37. Le moment est venu de réaffirmer l’importance
de la prière face à l’activisme et au sécularisme dominant de nombreux chrétiens
engagés dans le travail caritatif. Bien sûr, le chrétien qui prie ne prétend
pas changer les plans de Dieu ni corriger ce que Dieu a prévu. Il cherche plutôt
à rencontrer le Père de Jésus Christ, lui demandant d’être présent en lui
et dans son action par le secours de son Esprit. La familiarité avec le Dieu
personnel et l’abandon à sa volonté empêchent la dégradation de l’homme,
l’empêchent d’être prisonnier de doctrines fanatiques et terroristes. Une
attitude authentiquement religieuse évite que l’homme s’érige en juge de
Dieu, l’accusant de permettre la misère sans éprouver de la compassion pour
ses créatures. Mais celui qui prétend lutter contre Dieu en s’appuyant sur
l’intérêt de l’homme, sur qui pourra-t-il compter quand l’action humaine
se montrera impuissante ?
38. Job peut certainement se lamenter devant Dieu
pour la souffrance incompréhensible et apparemment injustifiable qui est présente
dans le monde. Il parle ainsi de sa souffrance : « Oh ! si je savais comment
l’atteindre, parvenir à sa demeure… Je connaîtrais les termes mêmes de sa
défense, attentif à ce qu’il me dirait. Jetterait-il toute sa force dans ce
débat avec moi ?… C’est pourquoi, devant lui, je suis terrifié ; plus
j’y songe, plus il me fait peur. Dieu a brisé mon courage, le Tout-Puissant
me remplit d’effroi » (23, 3. 5-6. 15-16). Souvent, il ne nous est pas donné
de connaître la raison pour laquelle Dieu retient son bras au lieu
d’intervenir. Du reste, il ne nous empêche pas non plus de crier, comme Jésus
en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46).
Dans un dialogue priant, nous devrions rester devant sa face avec cette question
: « Jusques à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu ? » (Ap 6,
10). C’est saint Augustin qui donne à notre souffrance la réponse de la foi
: «Si comprehendis, non est Deus – Si tu le comprends, alors il
n’est pas Dieu » [35].
Notre protestation ne veut pas défier Dieu, ni insinuer qu’en Lui il y a
erreur, faiblesse ou indifférence. Pour le croyant, il est impossible de penser
qu’il est impuissant ou bien qu’ « il dort » (1 R 18, 27). Ou plutôt,
il est vrai que même notre cri, comme sur les lèvres de Jésus en croix, est
la manière extrême et la plus profonde d’affirmer notre foi en sa puissance
souveraine. En effet, les chrétiens continuent de croire, malgré toutes les
incompréhensions et toutes les confusions du monde qui les entoure, en la «
bonté de Dieu et en sa tendresse pour les hommes » (Tt 3,4). Bien que
plongés comme tous les autres hommes dans la complexité dramatique des événements
de l’histoire, ils restent fermes dans la certitude que Dieu est Père et
qu’il nous aime, même si son silence nous demeure incompréhensible.
39. Foi, espérance et charité vont de pair.
L’espérance s’enracine en pratique dans la vertu de patience, qui ne fait
pas défaut dans le bien, pas même face à l’échec apparent, et dans celle
d’humilité, qui accepte le mystère de Dieu et qui Lui fait confiance même
dans l’obscurité. La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous
et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie
l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle transforme notre
impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu tient le monde
entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe, comme l’Apocalypse
le révèle à la fin, de façon lumineuse, à travers ses images
bouleversantes. La foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé
dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour.
Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à
nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et
d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en
pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Par la présente
Encyclique, voici à quoi je voudrais vous inviter : vivre l’amour et de cette
manière faire entrer la lumière de Dieu dans le monde.
CONCLUSION
40. Considérons enfin les Saints, ceux qui ont
exercé de manière exemplaire la charité. La pensée se tourne en particulier
vers Martin de Tours († 397), d’abord soldat, puis moine et évêque:
presque comme une icône, il montre la valeur irremplaçable du témoignage
individuel de la charité. Aux portes d’Amiens, Martin partage en deux son
manteau avec un pauvre : Jésus lui-même, dans la nuit, lui apparaît en songe
revêtu de ce manteau, pour confirmer la valeur permanente de la parole évangélique
: « J’étais nu, et vous m’avez habillé.... Chaque fois que vous l’avez
fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous
l’avez fait » (Mt 25, 36. 40). [36] Dans l’histoire de l’Église,
combien d’autres témoignages de charité peuvent être cités ! En
particulier, tout le mouvement monastique, depuis ses origines avec saint
Antoine, Abbé († 356), fait apparaître un service de charité considérable
envers le prochain. Dans le « face à face » avec le Dieu qui est Amour, le
moine perçoit l’exigence impérieuse de transformer en service du prochain,
en plus du service de Dieu, toute sa vie. On peut expliquer ainsi les grandes
structures d’accueil, d’assistance et de soins nées à côté des monastères.
Cela explique aussi les initiatives de promotion humaine et de formation chrétienne
considérables, destinées avant tout aux plus pauvres, tout d’abord pris en
charge par les Ordres monastiques et mendiants, puis par les différents
Instituts religieux masculins et féminins, tout au long de l’histoire de l’Église.
Des figures de saints comme François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de
Dieu, Camille de Lellis, Vincent de Paul, Louise de Marillac, Joseph B.
Cottolengo, Jean Bosco, Louis Orione, Teresa de Calcutta – pour ne prendre que
quelques noms –, demeurent des modèles insignes de charité sociale pour tous
les hommes de bonne volonté. Les saints sont les vrais porteurs de lumière
dans l’histoire, parce qu’ils sont des hommes et des femmes de foi, d’espérance
et d’amour.
41. Parmi les saints, il y a par excellence Marie, Mère
du Seigneur et miroir de toute sainteté. Dans l’Évangile de Luc, nous
la trouvons engagée dans un service de charité envers sa cousine Élisabeth,
auprès de laquelle elle demeure «environ trois mois» (1, 56), pour
l’assister dans la phase finale de sa grossesse. « Magnificat anima mea
Dominum », dit-elle à l’occasion de cette visite – « Mon âme exalte
le Seigneur » – (Lc 1, 46). Elle exprime ainsi tout le programme de sa
vie : ne pas se mettre elle-même au centre, mais faire place à Dieu, rencontré
tant dans la prière que dans le service du prochain – alors seulement le
monde devient bon. Marie est grande précisément parce qu’elle ne veut pas se
rendre elle-même grande, mais elle veut rendre Dieu grand. Elle est humble :
elle ne veut être rien d’autre que la servante du Seigneur (cf. Lc 1,
38. 48). Elle sait qu’elle contribue au salut du monde, non pas en
accomplissant son œuvre, mais seulement en se mettant pleinement à la
disposition des initiatives de Dieu. Elle est une femme d’espérance:
uniquement parce qu’elle croit aux promesses de Dieu et qu’elle attend le
salut d’Israël ; l’ange peut venir chez elle et l’appeler au service décisif
de ces promesses. C’est une femme de foi : « Heureuse celle qui a cru », lui
dit Élisabeth (Lc 1, 45). Le Magnificat – portrait, pour ainsi
dire, de son âme – est entièrement brodé de fils de l’Écriture Sainte,
de fils tirés de la Parole de Dieu. On voit ainsi apparaître que, dans la
Parole de Dieu, Marie est vraiment chez elle, elle en sort et elle y rentre avec
un grand naturel. Elle parle et pense au moyen de la Parole de Dieu; la Parole
de Dieu devient sa parole, et sa parole naît de la Parole de Dieu. De plus, se
manifeste ainsi que ses pensées sont au diapason des pensées de Dieu, que sa
volonté consiste à vouloir avec Dieu. Étant profondément pénétrée par la
Parole de Dieu, elle peut devenir la mère de la Parole incarnée. Enfin, Marie
est une femme qui aime. Comment pourrait-il en être autrement ? Comme croyante
qui, dans la foi, pense avec les pensées de Dieu et veut avec la volonté de
Dieu, elle ne peut qu’être une femme qui aime. Nous le percevons à travers
ses gestes silencieux, auxquels se réfèrent les récits des Évangiles de
l’enfance. Nous le voyons à travers la délicatesse avec laquelle, à Cana,
elle perçoit les besoins dans lesquels sont pris les époux et elle les présente
à Jésus. Nous le voyons dans l’humilité avec laquelle elle accepte d’être
délaissée durant la période de la vie publique de Jésus, sachant que son
Fils doit fonder une nouvelle famille et que l’heure de sa Mère arrivera
seulement au moment de la croix, qui sera l’heure véritable de Jésus (cf. Jn
2, 4 ; 13, 1). Alors, quand les disciples auront fui, elle demeurera sous la
croix (cf. Jn 19, 25-27) ; plus tard, à l’heure de la Pentecôte, ce
seront les disciples qui se rassembleront autour d’elle dans l’attente de
l’Esprit Saint (cf. Ac 1, 14).
42. La vie des Saints ne comporte pas seulement leur
biographie terrestre, mais aussi leur vie et leur agir en Dieu après leur mort.
Chez les Saints, il devient évident que celui qui va vers Dieu ne s’éloigne
pas des hommes, mais qu’il se rend au contraire vraiment proche d’eux. Nous
ne le voyons mieux en personne d’autre qu’en Marie. La parole du Crucifié
au disciple – à Jean, et à travers lui, à tous les disciples de Jésus : «
Voici ta mère » (Jn 19, 27) – devient, au fil des générations,
toujours nouvellement vraie. De fait, Marie est devenue Mère de tous les
croyants. C’est vers sa bonté maternelle comme vers sa pureté et sa beauté
virginales que se tournent les hommes de tous les temps et de tous les coins du
monde, dans leurs besoins et leurs espérances, dans leurs joies et leurs
souffrances, dans leurs solitudes comme aussi dans le partage communautaire. Et
ils font sans cesse l’expérience du don de sa bonté, l’expérience de
l’amour inépuisable qu’elle déverse du plus profond de son cœur. Les témoignages
de gratitude qui lui sont attribués dans tous les continents et dans toutes les
cultures expriment la reconnaissance de cet amour pur qui ne se cherche pas
lui-même, mais qui veut simplement le bien. De même, la dévotion des fidèles
manifeste l’intuition infaillible de la manière dont un tel amour devient
possible : il le devient grâce à la plus intime union avec Dieu, en vertu de
laquelle elle s’est totalement laissé envahir par Lui – condition qui
permet à celui qui a bu à la source de l’amour de Dieu de devenir lui-même
une source d’où «jailliront des fleuves d’eau vive» (Jn 7, 38).
Marie, la Vierge, la Mère, nous montre ce qu’est l’amour et d’où il tire
son origine, sa force toujours renouvelée. C’est à elle que nous confions
l’Église, sa mission au service de l’Amour:
Sainte Marie, Mère de Dieu,
tu as donné au monde la vraie lumière,
Jésus, ton fils – Fils de Dieu.
Tu t’es abandonnée complètement
à l’appel de Dieu
et tu es devenue ainsi la source
de la bonté qui jaillit de Lui.
Montre-nous Jésus. Guide-nous vers Lui.
Enseigne-nous à Le connaître et à L’aimer,
afin que nous puissions, nous aussi,
devenir capables d’un amour vrai
et être sources d’eau vive
au milieu d’un monde assoiffé.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 décembre
2005, solennité de
BENEDICTUS PP. XVI
[1]
Cf. Jenseits von Gut und Böse, IV, 168 (Par delà le bien et le mal).
[2]
X, 69: Les Belles Lettres, Paris (1942), p. 71.
[3]
Cf. René Descartes, Œuvres XII: V. Cousin éd., Paris (1824), pp. 95 ss.
[4] II, 5: SCh 381, p. 196.
[5] Ibid.,
p. 198.
[6]
Cf. Métaphysique, XII, 7.
[7] Cf. Pseudo-Denys l’Aréopagite qui, dans Sur
les noms divins IV, 12-14: PG 3, 709-713:Œuvres complètes,
Paris (1943), pp. 106-109, appelle Dieu en même temps eros et agapè.
[8]
Cf. Le Banquet, XIV-XV, 189c-192d: Les Belles Lettres, Paris
(1984), pp. 29-36.
[9]
Salluste, Conjuration de Catilina, XX, 4.
[10]
Cf. Saint Augustin, Confessions, III, 6, 11: CCL, 27, 32: Bibliothèque
augustinienne 13, Paris (1962), p. 383.
[11]
De Trinitate, VIII, 8, 12: CCL 50, 287: Bibliothèque
augustinienne 16, Paris (1955), p. 65.
[12]
Cf. Apologie I, 67: PG 6, 429: Les Pères dans la foi,
Paris (1982), pp. 91-92.
[13]
Cf. Apologeticum 39,7: PL 1, 468: Les Belles Lettres, Paris
(1929), p. 83.
[14]
Épître aux Romains, titre: PG, 5, 801: SCh
10, p. 108.
[15]
Cf. Saint Ambroise, De officiis ministrorum, II, 28, 140: PL 16,
141.
[16]
Cf. Ep. 83: L’empereur Julien, Œuvres complètes, J. Bidez éd.,
Les Belles Lettres, Paris (1960), vol I,
[17]
Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des
Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 194: Cité du
Vatican (2004), pp. 215-216.
[18]
[19]
Cf. Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
n. 36.
[20]
Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des
Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 197: Cité du
Vatican (2004), p. 219.
[21]
Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre
1988), n. 42: AAS 81 (1989), p. 472:
[22]
Cf. Congrégation pour
[23]
Catéchisme de l’Église catholique, n. 1939.
[24]
Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n. 8.
[25]
Ibid., n. 14.
[26]
Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des
Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 195: Cité du
Vatican (2004), pp. 217-218.
[27]
Cf. Jean-Paul II, Exhor. apost. post-synodale Christifideles laici (30 décembre
1988), n. 41: AAS 81 (1989), pp. 470-472:
[28]
Cf. n. 32; AAS 80 (1988), p. 556;
[29]
N. 43; AAS 87 (1995), p. 946:
[30]
Cf. Congrégation pour les Évêques, Directoire pour le ministère pastoral des
Évêques Apostolorum Successores (22 février 2004), n. 196 : Cité du
Vatican (2004), pp. 218-219.
[31]
Cf. Pontificale Romanum, De ordinatione episcopi, n. 43: Paris (1996), n.
40, p. 34.
[32]
Cf. can. 394: Code des Canons des Églises orientales, can. 203.
[33]
Cf. nn. 193-198: l.c., pp. 214-221.
[34]
Cf. ibid., n. 194: l.c., pp. 215-216.
[35]
Sermon 52, 16: PL 38, 360.
[36]
Cf. Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 3, 1-3: SCh 133,
256-258.